Fée – non, il ne s'agit pas de Lily, cette liaison a eu lieu après la mort des Potter, mais je n'en sais pas plus !

Le lien Remus Isolfe… oui, et puis n'y en a-t-il pas deux ? Celui qui existe déjà – après tout, ils vivent dans le même lieu depuis plus de 9 mois et l'autre, élusif, rêvé, évoqué par Dumbledore. Reste à voir comment il va se réaliser.

Snape border line – ou en train de la franchir, sa frontière…

Morrigane – Snape : est-ce Isolfe qui lui échappe ou Remus ?

Le plaisir étrange de Remus, oui et sans perversion aucune. Et je crois que le plaisir était aussi du côté du récitant, mais avec beaucoup moins d'innocence, les mots de Snape contenaient un message, mais qui a manqué son but - pour Remus ils ne faisaient que lui parler d'elle.

Astorius - merci d'avoir gardé en tête le passage du cassage de gueule et de la remarque que Severus avait faite… c'est vrai que c'était un indice.

Alors Snape bissexuel, désirant et l'un et l'une ? A mon sens, il est entre les deux identités sexuelles, ayant sans doute renoncé à l'une sans encore avoir pleinement accepté l'autre.

Zazaone – on a déjà bavardé par mail…

Fenice - je pensais faire les trois réponses par mail, et puis finalement, on va en faire profiter tout le monde… :-)

A quand la récolte … il y a un temps pour planter et un temps pour arracher les plants

Le désir – là c'est moi qui manque d'optimisme – il peut s'user, changer d'objet et disparaître … mais c'est une problématique hors JXC, à retrouver dans Azkaban Azkaban….

Snape gentil et sincère – je pense effectivement qu'il est sincère quand il répond cela à Isolfe, il est peut-être même soulagé qu'elle l'ait empêché d'aller jusqu'au bout de ce qu'il voulait, qu'elle l'ait prévenu d'employer cette méthode illicite et violente. Mais avec lui, les bons moments ne sont jamais définitifs…

La paternité et Remus – Certes quand on connaît ton Greyback l'idée de lien paternel a de quoi vous faire dresser les poils sur l'échine !

Et oui, cela fait longtemps que ce chapitre a été écrit, le rapport à la paternité de Remus, dans le sens descendant bien sûr, mais aussi ascendant ie de lui vers son père ou ses deux pères – humain et garou – est un thème que je garde au chaud dans ma cervelle et qui ressurgit de temps en temps dans JXC. Et dont j'ai chargé Remus. Car c'est bien le fait d'avoir été mordu qui l'a mis au monde en tant que loup-garou, les LG perpétuent l'espèce en mordant, pas autrement.

Je sais aussi (héhé) que Remus est capable de porter un regard humain sur celui qui l'a condamné et qui, pas plus que lui, n'est responsable de son état de LG. Quand ils sont criminels, mordants, les garous ont perdu leur nature humaine, et c'est leur instinct animal qui agit et alors il n'y a plus de bien ni de mal, plus de moral. Alors comment pourrait-on les condamner et Remus plus que tout autre, qui sait que, malgré l'amour immense qu'il a pour Isolfe ( quel scoop !), il la mordrait s'ils se rencontraient une nuit de pleine lune…

Snape qui parle de lui, certes, mais il parle de lui à Remus, et dans un but bien précis (cf ma RAR Astorius). Pas réconcilié avec lui-même, j'abonde. Et sache(z) que j'ai bien mauvaise conscience de charger sa barque à ce point, sans pouvoir lui montrer ma compassion, puisque je ne le montre qu'au travers des yeux hostiles de mes zozos.

Old Dumb y a que lui qui s'y retrouve… j'ai peur de ne pas bien comprendre ce que tu veux dire .. que tu t'y perds ou que finalement les deux autres n'en ont rien à secouer ? et que Dumb fait du management à la « prière de ne pas me faire chier avec vos problèmes perso » ! Bon je m'égare, je reprends. Disons que je voulais une figure autoritaire mais juste (allons y …paternelle…) qui arbitre entre les deux. D'où le renvoi au fils prodigue, qui a aussi le mérite d'illustrer le thème de la jalousie, professionnelle celle-ci, de Snape envers Remus. Donc Dumbledore renvoie Snape dans ses quartiers, concrètement son magistère et propose à Remus l'équivalent d'un veau gras à savourer dans l'assurance renouvelée que quelque chose pourrait bien se passer entre lui et Isolfe.

Bonne rentrée aux petits-loups, les miens y sont depuis lundi et soupirent après la fin de la semaine !

Antépénultième chapitre – il est relativement long : les entrées se croisent, s'enlacent presque. Je vous en souhaite bonne lecture !

Journal de Remus, 21 juin

Shall I run to your door and stay for evermore ?

Nouveau rêve, nouveau cauchemar la nuit passée.

Je fais cours aux troisièmes années, malgré l'approche des examens, ils sont heureux, ils rayonnent de bonheur. Je ne comprends pas la raison de leur exaltation, je finis par interroger Hermione.

Elle me répond qu'ils viennent de quitter le cours de potion, et que Snape a été merveilleux, il a tout clairement expliqué, il n'a pas été injuste une seule fois, il a même proposé à Neville de refaire avec lui une manipulation délicate.Il a fini par leur révéler, comme si son bonheur était si grand qu'il ne pouvait leur en celer plus longtemps la cause, que le professeur Dazurs avait enfin accepter de passer la nuit avec lui et que dorénavant il en serait de même pour toutes les autres. Et soudain, Minerva Mac Gonagall prend la place d'Hermione, et me suggère d'imiter le professeur Snape, de coucher avec Isolfe Dazurs, et ajoute - Alors, enfin, elle serait en vous plus forte que votre sang.

Et elle fait surgir une lame qui vient docilement se placer dans sa main. Je commence à hurler et pleurer en même temps, je voudrais lui dire qu'elle se trompe, que mon sang de loup ne pourra jamais céder, mais les larmes coulent avec une abondance stupéfiante, elles emplissent ma bouche, elles vont remplir mes poumons, elles vont me noyer.

J'étouffe, je tousse violemment, je me réveille enfin, je suis trempé de larmes à l'extérieur, desséché à l'intérieur, comme un désert de quarante jours, comme un désert sans amour, toute l'eau contenue en moi s'est échappée par l'ouverture de mes yeux. Je suis saigné à blanc de toute mon eau salée.

Je me mets à trembler sans répit, je perds le sens de l'équilibre, je me traîne sur les genoux, jusqu'aux toilettes, je commence à vomir, je me vide de ce qu'il peut encore rester en moi. Les hauts de cœur me secouent atrocement, me malmènent les épaules et m'arrachent la gorge, je suis remué et rudoyé, je suis une marmite pleine d'une soupe infâme et ignoble, prise d'une ébullition infernale qui la fait déborder.

Je vomis des poignards qui trouvent leur parcours perverti en me lacerant les entrailles et la bouche.

Maintenant, un flot tiède et répugnant de bile, je l'éjecte à grands jets, qui se délitent progressivement et se transforment en un mince filet. Il a tout juste la force d'atteindre ma bouche, je dois donc faire encore l'effort de cracher dans la cuvette des WC pour me débarrasser de cette matière corrosive dont j'ai l'impression qu'elle va brûler mes gencives et faire fondre mes dents. Après quelques minutes, je suis tellement épuisé que je me contente d'ouvrir la bouche, de le laisser couler la bile hors de moi. Je me désintéresse de mon corps, je le laisse effectuer seul son œuvre d'autodestruction, si telle est la fin qu'il poursuit.

Je suis partagé en deux, brûlant du sommet du crâne à l'estomac, glacé en deçà.

J'en arrive au sang, je me désemplis de moi-même, dans une sorte d'évidemment apocalyptique. Mais quel manque d'humilité, penser je suis digne de bénéficier d'une apocalypse personnelle…

Je suis à bout de force, je me laisse glisser sur le carrelage froid et blanc. Mon sang se détache merveilleusement bien sur tout ce blanc. Je m'évanouis en contemplant ce spectacle.

Quand je reprends conscience, je sais ce que je dois faire. Cette fois-ci, je ne vais pas hésiter, comme la fois où je n'avais pas oser déranger Isolfe, il faut que j'aille lui demander la vérité sur ce rêve, il faut que je sache.

Je me relève, d'abord à genoux, puis je me dresse enfin, en m'agrippant au lavabo. Le temps passe, sans que je me résolve à quitter mon appui. La pièce tourne autour de moi, dans un mouvement irrationnel, cauchemardesque. Je baisse la tête, fixant l'évacuation du lavabo, qui a le mérite de rester fixe au milieu de ce carrousel insensé. Je lâche une main, je fais couler de l'eau, que je passe sur mon visage. Je suis soudain saisi d'un nouvel accès de nausée, je dois à nouveau me soumettre à des spasmes sanglants, j'ai à nouveau besoin de mes deux mains, accrochées au bord du lavabo comme à une planche arrachée à un naufrage. L'eau continue à couler en emportant immédiatement mes crachats rougeâtres.

Puis, les spasmes disparaissent. Je m'appuie de tout mon poids sur le lavabo, je tiens à peu près, j'utilise mes deux mains pour me nettoyer à nouveau le visage, je me rince la bouche. Je me laisse glisser sur le sol, me débarrasse de mon tee-shirt, remonte, m'asperge le torse, m'essuie, je suis à nouveau sans force, je rampe vers la chambre, enfile un pantalon par dessus mon bas de pyjama, un pull.

Je me relève avec précaution, le sol bouge doucement et régulièrement, comme s'il respirait. Je m'habitue au mouvement, je me dirige vers la fenêtre, l'ouvre, il pleut, il fait froid, tout est gris. Je dois faire un effort pour stabiliser ma vision, je contemple la corniche sculptée qui parcourt toute la façade de ce côté et conduit au balcon de la chambre d'Isolfe.

J'ai déjà songé plusieurs fois à ce chemin de pierre, la corniche est relativement large et je peux utiliser un charme qui me permettra d'adhérer au mur, comme si j'étais un lézard. J'enjambe l'appui de fenêtre, je ne songe qu'après coup à vérifier que personne ne se trouve dans les environs, mais qui voudrait se risquer à une telle heure et sous un tel crachin ? La distance à parcourir n'est que d'une vingtaine de yards, mes pieds et mes mains collent à la pierre, mais maintenant, ce n'est plus simplement ma chambre, mais Hogwarts tout entier qui se soulève rythmiquement, se contracte et s'ébroue, comme si la pierre voulait de se défaire d'un parasite.

J'atteins pourtant le balcon de pierre, je me hisse par dessus la rambarde, je me laisse tomber devant la fenêtre fermée, derrière, les volets sont clos également ; le reste appartient à Isolfe. Je l'attends, trempé, alternativement glacé et brûlant.

Journal d'Isolfe, le 21 juin.

J'ai travaillé hier soir, ou plutôt ce matin, jusqu'à presque deux heures, j'ai juste fait une pause pour assister au coucher du soleil sur le jour le plus long de l'année, et la récompense de cet effort que je m'étais volontairement imposé, a été un sommeil de brute épaisse ; je me suis écroulée dans un néant sans rêve, opaque et moelleux, et j'ai encore du mal à en émerger, alors que le réveil s'est manifesté il y a déjà dix minutes de cela.

Je n'avais pas aussi bien dormi depuis des semaines. Maintenant, je m'étire avec satisfaction en écoutant le bruit de la pluie. Je commence doucement à penser à ma journée, non, je commence doucement à penser à Remus et à ses énigmes. A –t-il été un jour, comme Severus Snape, un mange-mort, ce qui pourrait expliquer tout les sous-entendus malsains, mais bien informés, de cette espèce de bouffeur de potions ?

Début mai, sur le Ben, je lui avais dit que j'attendrais tout le temps nécessaire … mais il semble faire comme s'il n'avait jamais rien eu à me dire sur lui. A-t-il oublié ? Ce n'était pas une promesse d'ailleurs, et puis les promesses, ma p'tite Isolfe, n'engagent que les nunuches qui les écoutent. Ah, flûte, qui a dit que les femmes étaient incompréhensibles ?

Je repousse mes draps, je me dirige vers la fenêtre, je pense à mon sujet d'examen de septième année, il va falloir que je me décide enfin sur le barème, et que je peaufine la dernière question. Dois-je intégrer ce fameux article relatif à la dernière réforme des patentes et dîmes ?

Je tire les rideaux, ouvre les volets, puis actionne la crémone, l'humidité de la nuit l'a faite gonfler, je dois tirer avec énergie, le ciel déborde de nuages gris qui débordent de pluie, c'est bon, la croisée cède, m'entraînant en arrière, je me reprends, m'avance un peu, mon regard s'attarde sur le lac, je me rends alors compte que mes pieds nus ont buté sur quelque chose de doux et de trempé, je découvre, allongé de tout son long, visage tourné vers moi…, je l'ai reconnu tout de suite.

Le temps de me demander s'il est vivant, évanoui ou… il ouvre les yeux, me voit, me dit quelque chose. Il a parlé si faiblement, le bruit de la pluie s'est interposé entre nous, je n'ai pas compris, je m'accroupis près de lui, il m'agrippe par un bras et le serre de toutes ses forces. Il répète alors

– J'ai rêvé que vous et Severus …. Avez-vous couché avec Severus Snape ?

Je reste d'abord ébahie, puis la colère m'inonde : je suis presque prête à lui flanquer un coup de pied dans les côtes, et lui ordonner de partir, par où il est venu ; en même temps j'ai terriblement honte de cette fureur inavouée qui bouillonne le long de la brèche que sa présence a ouverte en moi. J'ai cru qu'il venait enfin me livrer son secret, mais il m'a jeté au visage son rêve imbécile, moi et Snape !

Je lui réponds durement

– En quoi cela vous regarde-t-il ? Qu'est-ce que vous attendez de moi, que je le fasse ? C'est ce que vous attendez ? Allez, répondez!

Je pourrais continuer à multiplier les questions, afin de l'en assommer et d'en être débarrassée. Il se raidit, le visage dégouttant d'eau, douce ? salée ?

– Non, bien sûr que nous, vous savez bien que non.

Ma colère recède tout d'un coup lorsqu'il relâche mon bras, parce qu'il est à bout de force. Ma voix est douce comme un dédommagement maintenant quand je lui dis

– Excusez-moi, vous avez raison, je sais bien que non.

Un seul rêve a-t-il suffi pour le mettre dans un si lamentable état, pour le rendre si misérablement malade ? Il m'aimerait alors véritablement ? Plus que tout au monde ?

Je me décide enfin, il est impossible que je le laisse comme ça sous la pluie. Je me redresse, le saisis à bras le corps, en espérant qu'il lui reste assez de force pour pouvoir m'aider. Auquel cas je serais obligée de le tirer à même le sol… comme un cadavre.

- Allez, je vous en prie, aidez-moi, essayez de vous soulever, donnez-moi vos mains.

Il m'obéit, je saisis ses poignets, il a compris, ses mains viennent à leur tour encercler les miens, je lui demande de pivoter afin de se mettre en face de moi, il bloque ses pieds contre les miens – il est pieds nus ! sous cette pluie ! J'exerce une légère traction sur ses bras pour les étendre, je m'arqueboute, je fais travailler mes jambes, j'ai l'impression de remonter une chaîne d'ancre, voilà, maintenant il est debout, mais il vacille déjà, je l'attrape à bras le corps, oui, mes bras autour de son pull trempé, la pression que j'exerce fait sourdre l'eau de la laine, je suis trempée à mon tour, du moins sommes-nous enfin à l'intérieur et à l'abri de la pluie.

Sa tête est maintenant tout contre mes seins, il se déleste du froid qui l'habite contre moi, je lui cède la chaleur provoquée par les efforts que je déploie pour l'étendre sur mon lit. Son épuisement entre mes bras m'affole, se pourrait-il que son cœur lâche et qu'il meurt ici ? Et cette idée atroce, que j'en serais responsable.

Une fois qu'il est enfin allongé, je me rends compte de l'étrangeté de son visage, partage malsain entre zones livides et sombres : livide la chair, sombres les sourcils, les cheveux trempés et les cernes des yeux. J'hésite absurdement, je reste à regarder cet homme épuisé, qui tremble de froid et ne peut pas rester trempé ainsi. Je pense bizarrement que je me sentirai plus libre d'agir s'il était véritablement blessé. Je m'accorde encore un moment d'indécision, je vais chercher une serviette, un drap de bain, je reviens vers lui, ses yeux sont fermés, j'ai peur qu'il soit évanoui

- Remus, vous m'entendez ? Il soulève un peu sa main, et la laisse retomber tout aussitôt.

- Je vais essayer de vous mettre au sec.

Je commence par éponger son visage et ses cheveux, j'entreprends ensuite de retirer son pull, je m'aperçois qu'il le porte à même la peau. Son torse est parsemé de cicatrices, certaines anciennes, d'autres visiblement toutes récentes.Je ne prends pas le temps d'y penser davantage, j'en reste au niveau de la simple constatation, comme si toute tentative d'explication risquait de m'entraîner trop loin.

J'essuie, je frictionne, sans doute trop fort, une grande cicatrice se met à saigner. Et bien voilà, il est blessé maintenant, mais finalement cela ne facilite rien. Je tamponne, le sang, presque rien, s'arrête bien vite, je demande

– Je vous ai fait mal ?

Il ne répond pas. Je ne peux pas me résoudre à continuer à le dévêtir, j'en pleurerais presque de rage, ou d'énervement, je pense qu'une telle chose ne doit pas se passer entre nous, sans son consentement, ce serait une irrémédiable violation de son intimité, et de la mienne aussi. J'opte finalement pour une demi-mesure, je tire doucement sur son pantalon, un bas de jogging, plutôt dépenaillé, dont la taille est élastique, j'aperçois en dessous un caleçon ou un pyjama, peu importe, je continue à tirer, j'arrive, avec son aide à moitié inconsciente, à l'extirper de ce foutu pantalon trempé, son sous-vêtement, un bas de pyjacourt j'imagine, est en tissu léger, et devrait sécher rapidement.

Je pense enfin à allumer un feu dans la cheminée, je sèche ses jambes, sur lesquelles sont visibles d'autres marques, je le tire vers l'autre côté de mon lit, celui qui est resté sec, je le couvre avec la couette. Il est toujours aussi livide, je me mets à guetter anxieusement le moment où le sang sera enfin de nouveau visible sous sa peau, comme une marée montante qui vient déséchouer un navire.

Il est sept heures. Je remets un peu d'ordre dans la chambre, je dispose ses vêtements sur un dossier de chaise, devant le feu, je remporte les deux serviettes dans la salle de bains. Quand je reviens, ses traits se sont quelque peu détendus, et ses joues se recolorent progressivement ; je laisse une de mes mains passer sur son front. Il sursaute, ouvre les yeux et me demande avec une urgence enfantine

– Dites moi, vous ne m'abandonnerez jamais ?

Je suis surprise par ce "jamais" qui me bouscule, qui me projette avec lui dans l'avenir, alors qu'il avait toujours pris le plus extrême des soins à subjuguer notre relation au présent, à l'hic et nunc, j'en suis touchée, au point d'en être meurtrie

– Je ne vous abandonnerai pas, mais dites-moi qui vous êtes, libérez-vous de ce que vous me cachez… Ne puis-je vraiment pas vous aider ?

Il détourne les yeux, il me dérobe son visage. Je découvre en moi des trésors de patience, une indulgence infinie à éployer sur ce refus, j'encadre son visage de mes deux mains, je souffle sur ses lèvres, puis les touche avec les miennes, un geste impeccable, innocent, entre lui et moi, un don pour un refus.

– C'est sans importance, plus tard, vous me parlerez enfin. Vous l'avez demandé de vous laisser du temps, et j'ai accepté. Je ne vais pas revenir sur ma parole. Reposez-vous.

Je m'éloigne, m'installe dans le fauteuil situé près de la fenêtre, il pleut toujours, de là où je suis j'entends le bruit chuinté de la pluie, le ronflement du feu, moi qui respire, et je regarde cet homme allongé dans la tenace volonté de faire silence sur lui. J'ai soudain besoin de musique entre les deux protagonistes que nous sommes, parce que le silence est trop lourd, je suis sûr qu'il ne dort pas.

– Souhaiteriez-vous écouter un peu de musique ?

Il me répond que oui.

– J'ai bien peur de ne pas avoir un grand choix de musique russe ?

– Faites-moi écouter … un de vos morceaux préférés.

Je passe en revue mes CDs, j'hésite entre du Bach et du Bach, je me décide finalement pour une partita pour violon seul, la deuxième, en si mineur.

– Vous me direz si vous aimez, c'est très austère, surtout l'allemande, et après c'est un émerveillement.

Je lance le CD, me disant que pour une fois je ne vais rien faire d'autre qu'écouter. Je me suis assise par terre, le dos appuyé au lit, du côté où il repose. Voilà, écouter du Bach comme si sa musique incaranait un temps qui ne passerait que pour nous deux.

La partita s'est achevée, le temps perd son exclusivité, sans bouger, je demande

– Que faites- vous ? allez-vous en cours ?

Je me mets à genoux et me tourne vers lui.

– Allez-vous mieux ?

– Oui, je pense. Quelle heure est-il ?

Je saisis ma montre, sur la table de chevet.

– Huit heures moins dix.

– Oups, je ferais mieux de me dépêcher, je suis censé commencer à huit heures. Vous aussi ?

– Oui. Voulez-vous que je vous aide à vous lever ?

Je me redresse, il s'assoit, laisse la sensation d'étourdissement revenir à un niveau acceptable, se met debout. Je me tiens prête à le rattraper, mais il n'a plus besoin de mes bras. Je lui tends ses vêtements, mes yeux passent sur ses cicatrices, il le voit, et enfile son pull.

Je continue malgré tout à les voir, et la peau sur laquelle elles sont tracées, même lorsqu'il a quitté ma chambre, et ensuite durant toute la matinée. Il me suffit de regarder mes mains pour retrouver le souvenir de la laine détrempée et en dessous d'une peau humaine et tiède.

Journal de Remus, le 21 juin.

Plus tard, en cours, classe de troisième année.

J'ai suffisamment récupéré pour assurer mon premier cours de la matinée à peu près normalement. A peu près seulement, je suis arrivé en retard de 10 bonnes minutes, et j'ai décidé de modifier le programme du jour, d'abandonner la partie pratique que j'avais prévue – je me sens juste assez de courage pour assurer un cours théorique sur les mésomonstres.

Déception parmi la majorité de mes élèves ; ils ont évidemment dû lire sur mon visage que quelque chose ne tournait par rond, enfin si justement Lupin, tu tournes trop rond.

La première moitié du cours se déroule sans problème, c'est à dire que Miss Granger me regarde avec suffisamment d'attention et de commisération affectueuse pour bien me faire comprendre que je ne suis pas dans mon assiette. C'est vrai que je suis encore régulièrement attaqué par de sales vagues nauséeuses que je ravale du mieux que je peux. J'ai envie de m'approcher d'elle et de lui dire - Carrément à côté de mon assiette, Miss Granger.

Je finis par avouer qu'ils me sont tous insupportables ce matin. Je me réfugie alors dans le souvenir des si fugitives lèvres d'Isolfe sur les miennes, de ses mains tièdes sur mes joues glacées et décharnées.

Les choses se sont gâtées après l'interclasse, que j'ai faite durer autant que possible, jusqu'à l'extrême limite permise par la décence et par le règlement de Hogwarts.

Les nausées sont revenues, sournoises d'abord, brutalement insolentes ensuite, accompagnées d'une sueur que je sentais déborder de mes aisselles en coulées irritantes et glacées. J'étais en train de parler de némésiothropes , ou de logophages , en fait je ne sais même plus, quand Eilleen Burke a levé la main, afin, j'imagine d'obtenir une précision de ma part.

- Oui, Isolfe, vous n'avez pas bien compris quelque chose ? ai-je demandé. Et comme elle restait muette, j'ai repris

– Eh bien Isolfe, que se passe-t-il ?

Et tout d'un coup j'ai compris pourquoi elle restait figée, et avec elle toute la classe, exactement comme si une masse d'air polaire avait fait irruption dans la pièce et avait transformé mes élèves en statues de glace.

Merde, oh merde, ai-je pensé. Quel foutu lapsus, il ne manquait plus que cela, que je convoque publiquement ma splendide au milieu d'une salle de cours, devant une quarantaine d'élèves, dont presque tous allaient se faire un plaisir de raconter à leurs condisciples ce que je venais de dire à peine les aurais-je relâché, avec plus ou moins de malveillance. Devais-je leur faire perdre la mémoire de ce prénom que je venais de prononcer à tort ? Non, absolument impossible, comment ma déontologie pédagogique pourrait-elle jamais s'accommoder d'une telle manipulation ?

Oh, et puis au diable, au loup (ahah) leurs foutus commentaires, de toute façon, comme le dirait Snape, tout Hogwarts sait, ou du moins se doute des sentiments que je lui porte. Mais pourquoi est-ce justement l'étudiante qui ressemble le plus à Isolfe qui a eu besoin d'attirer mon attention en ce moment où l' épuisement m'avait empêché de me tenir sur mes gardes ?

J'ai eu peur de m'empourprer tout d'un coup, mais cela du moins m'avait été épargné : au contraire je vis mes mains se décolorer à toute allure, comme si mon sang se refusait à participer à mon humiliation et était parti se terrer au plus profond de moi-même.

Rassuré sur ce point, je levai brusquement la tête, pour intercepter le regard de Draco Malfoy, férocement fixé sur moi en même temps qu'il commençait à se pencher vers son acolyte de droite, Crabbe, se préparant à dispenser ses venimeux commentaires. J'imagine qu'il lui avait laissé quelques secondes pour comprendre à qui le prénom d'Isolfe se rapportait, quoique je ne fusse pas sûr que le temps imparti avait été suffisant ; en tout cas aucun éclair de compréhension n'était venu illuminer la grosse face de Crabbe, qui commençait à pivoter lentement vers son voisin de gauche. Mais j'imagine que ce petit con de Malfoy connaît mieux que moi les performances intellectuelles qu'il est en droit d'attendre de son obèse de copain.

Ce que j'ai vu par contre, c'est Draco s'arrêter net dans son prudent élan, il avait dû lire dans mes yeux que s'il faisait mine de broncher, il se ferait démolir sa jolie gueule d'aristocrate décavé par une demi douzaine d'épouvantards et ce, jusqu'à la fin de ses jours.

Le reste de la classe était absolument silencieux, à l'exception de Miss Granger, et de son "Oh mon Dieu, oh mon Dieu", qu'elle avait pourtant murmuré mais qui résonna à n'en plus finir et vibra bizarrement dans une salle privée de ses habituels bruits de fond.

Tout à fait idiot de sa part, je dois dire. Je ne parvins même pas à lui savoir gré de son expression d'effroi désemparé, je lui en voulais même de comprendre si bien ce qui me torturait – le fait d'abriter des sentiments d'homme amoureux dans une monstrueuse enveloppe de loup.

Je me débarrassai de cette classe cinq bonnes minutes avant l'heure officielle, pour compenser, je leur flanquai une recherche sur les thanotosophes et les méthodes les plus efficaces pour s'en débarrasser. Ils étaient en fin sortis, je les entendis retrouver tout d'un coup l'usage de leur voix, après le silence, leur brouhaha était insupportable et venait battre contre mes tempes endolories.

Du moins n'avais –je plus envie de vomir, tout en me doutant bien que le répit était trompeur et que les nausées reviendraient si je me risquais à ingérer quoi que ce soit. Dieu, pourtant, j'étais déchiré de soif.

Je m'affalai sur le bureau, j'essayais de respirer calmement, sans y parvenir, je me rendis compte que j'avais besoin d'une partita en si mineur, du lit d'Isolfe, de ses mains et de ses lèvres, tout ce qu'elle m'avait laissé goûté d'elle et dont je ne savais me déprendre.

J'entendis à nouveau une rumeur à l'extérieur, je crus tout d'abord que les troisièmes années étaient revenues, peut-être pour s'assurer que je bougeais encore ? je jetai un coup d'œil à ma montre, dix heures vingt, décidément le sens de la ponctualité m'échappait, c'était au tour des septièmes années de venir m'éprouver, heureusement là il s'agissait d'un cours magistral, avec un exposé, non, deux exposés prévus, dont l'un par Arthur Brenner, je n'aurais donc pas grand chose à faire en première partie, j'imaginais qu'Arthur serait excellent comme à son habitude. Il faudrait tout de même que le jury (donc moi) se montre à la hauteur du candidat et Dieux du ciel, dans l'état où j'étais encore, cela risquait de poser problème. Je m'étais peut-être défaussé un peu trop vite sur cet exposé.

Bon, finalement, je réussis quand même à émettre quelques pertinentes critiques sur les travaux de mes deux élèves, je pris même pris Arthur en flagrant délit d'imprécision sur un point crucial.

Par ailleurs, ils se montrèrent exceptionnellement calmes et attentifs, j'imagine qu'ils avaient dû avoir un compte-rendu circonstancié de mon comportement bizarre du début de matinée, et qu'ils avaient décidé de se montrer "hyper cool".

A mon grand soulagement j'avais un peu récupéré, physiquement et intellectuellement, lorsque la matinée s'achèva. Je tins ma classe 10 minutes au delà de l'heure, surtout afin de me prouver que j'étais capable de m'imposer un tel effort.

Mes étudiants quittèrent la classe en silence, comme ils l'auraient fait de la chambre d'un malade, ou de la cellule d'un fou.

Je rangai mes notes et manuels, sortis de la pièce.

Isolfe était là, je sus tout de suite qu'elle m'attendait, qu'elle était venu pour moi – je m'avouai enfin que j'entretenais cet espoir depuis ce matin.

Elle chantonnai des paroles inconnues de moi, quand elle s'arrêta, son sourire était tendre et inquiet.

Journal d'Isolfe, 21 juin

Il n'est pas apparu en salle des professeurs à l'interclasse, et, lâche que je suis, je n'ai pas osé m'échapper afin de voir ce qu'il devenait. J'ai feint l'indifférence la plus totale sous les yeux narquois de Snape.

Quand je suis sortie avec tous les autres pour me diriger vers ma classe, j'ai croisé le regard d'Albus, qui curieusement était avec nous ce matin, et je suis sûr d'y avoir lu un dosage précis et improbable de reproche et d'encouragement. Je me sens rougir, Albus me sourit gentiment et s'efface pour me laisser passer. Bien, si j'ai l'imprimatur de mon employeur, je vais continuer à jouer les saint-bernards.

Le sort joue en ma faveur, je récupère la classe que Remus avait ce matin, les troisièmes années, Binns assiste à un sorte de congrès de la gens fantomatique, une sorte de réunion de groupe où il s'agit d'accueillir les nouveaux impétrants et d'organiser une sorte de retour d'expérience à leur profit et, pour ne pas trop insister sur le côté fantomatique justement, ces réunions ne se tiennent pas à minuit dans des caves humides, comme on pourrait s'y attendre, mais au cours de la journée, dans des endroits tout à fait "normaux", ici en l'occurrence une salle de conférences de la bibliothèque magique de Glasgow. M'apprenant tout cela, il a ajouté – Et oui, les fantômes ont aussi besoin de thérapie de groupe !

Bref, il m'a confié sa classe et je vais en profiter pour leur injecter une piqûre de rappel d'histoire internationale avant leur examen, dont une question me sera réservée.

En arrivant, je cherche à attirer l'attention de Potter, qui semble le choix le plus évident pour mener à bien ma mission. Ça y est, je pense qu'il a compris, lui, Hermione et Ron se placent à la fin du rang.

Je me rapproche d'eux, décoche un sourire enjôleur à Ron, un autre de complicité féminine à Hermione, style les-hommes-sont-de-grands-enfants ; les deux étant préparés à l'éviction, je leur annonce, afin d'être sûre de bien me faire comprendre

- Désolée, Potter seul,

ils franchissent la porte, je suis sûre que Ron bougonne, zut, je me doutais bien que je n'avais pas été assez convaincante, difficile quand c'est un autre qui occupe toute la place disponible dans ma tête….

Je saisis Harry par le bras, je pense qu'il sait à quoi s'attendre, j'entends les autres commencer à papoter, je me fiche absolument de ce qu'ils peuvent penser.

– Harry, comment va le professeur Lupin ?

Il hésite un peu, je l'encourage

– Allez Harry, nous n'avons pas le temps de tourner autour du pot. Alors, dites-moi…

- Ben, il a l'air plutôt pas bien, du genre horriblement mal à la tête, ou envie de vomir, ou peut-être même les deux à la fois.

Il se tait brusquement, réticent ?

– Harry, bon sang, je lis dans vos yeux que vous avez autre chose à dire, ne vous faites pas prier ; après avoir hésité, j'ajoute

– Je vous en prie.

Je le vois se mordre les lèvres, je me rends compte que je suis en train de faire la même chose. Il m'envoie une grimace, je comprends que, quel qu'ait été le comportement de Remus ce matin, il a dû profondément choquer Harry.

– Ben, à un moment, Eilleen Burke a levé la main pour poser une question, et il l'a appelé … Isolfe, une fois, deux fois, avant de s'apercevoir qu'il s'était trompé. C'est vrai qu'elle vous ressemble...

Son visage a une drôle d'expression, comme s'il voulait me convaincre que ce n'est pas la seule explication à l'erreur de son professeur.

– Après, le cours a continué, même Malfoy n' a rien osé dire.

– OK, merci Harry, rentrons maintenant.

La classe nous regarde nous installer lui et moi, je leur jette un sévère regard d'avertissement, pas assez convaincant pour Malfoy qui pousse Goyle du coude en minaudant un " Oui, vous n'avez pas bien compris quelque chose … "

Il s'arrête brusquement : je me tenais sur mes gardes, je m'avance posément dans sa direction, lentement, sûrement, royalement. Il observe ma progression, l'air se contracte entre nous deux, je suis maintenant devant lui, il se redresse

– Eh bien Master Malfoy, il n'est pas dans vos habitudes de ne pas aller jusqu'au bout de vos … brllants raisonnements ….

Docile, ma voix a pris une expression méprisante encore plus appuyée sur le dernier mot, quelle que maîtrise de soi qu'il possède, il n'a pas pu s'empêcher de tressaillir.

– Alors, j'attends la suite, qu'alliez-vous dire ?

Il se tait avec une insolence appliquée

– Ne soyez pas lâche, Draco, pour une fois, serai-je tentée d'ajouter.

Il se crispe

- Dois-je vous aider, ou auriez-vous déjà perdu la mémoire ? Vous disiez, me semble-t-il, " Oui, vous n'avez pas bien compris quelque chose … " non ? et vous alliez compléter… par quoi, un prénom ? Allez-y, lancez-vous, maintenant, nous sommes tous suspendus à vos lèvres pâles… Parlez bien fort, distinctement.

Il cède, furieux, je sens qu'il me déteste, mais en même temps il a l'air bizarrement soulagé.

- Je disais " Oui, vous n'avez pas bien compris quelque chose … Remus".

Il a choisi un ton siffleur, le prénom lui a enfin fait baisser la tête. Je devrais être pleine de colère, mais cette plaisanterie est trop facile et idiote pour que j'y perde davantage de temps, c'est moi qui suis visée, pas Lupin.

– Malfoy, passerez-vous vraiment votre vie à gaspiller votre intelligence sur des pitreries aussi faciles, aussi … prévisibles ? Vous êtes transparent comme de l'eau claire…

Je baisse la voix, je me penche vers lui, j'ai conscience de ce que ce geste peut avoir d'ambigu, mais le message que j'ai à lui délivrer ne concerne plus que lui

- Et si un jour vous décidiez de faire autre chose que ce qu'on attend de vous ? De choisir vous-même qui vous voulez être, sans qu'on vous l'impose ? Ne cédez pas à la facilité et ouvrez les yeux.

Je rejoins ma place, la tension retombe souplement autour de moi comme un rideau de théâtre à la fin d'un acte. Je convoque Goyle au tableau afin qu'il nous fasse un résumé de trois minutes de mes cours du mois de janvier. Je lui fais comprendre que je considère comme une fieffée insolence à l'égard du professeur Binns (pas la peine de me remettre en première ligne) le fait qu'il n'ait pas juger utile de se livrer à un minimum de révisions avant de s'asseoir dans cette salle, ce matin. A en juger par les têtes de ses condisciples, que je vois pâlir ou piquer du nez, personne ou presque n'y avait pensé.

Je relâche Goyle, interroge habilement Neville, qui a quelques bons souvenirs, j'appelle Hermione à la rescousse et enchaîne sur le cours prévu. Quelques anecdotes rigolotes compensent le mauvais début, je parviens même à faire rire Draco.

Je les relâche plus tôt qu'à l'ordinaire, c'est à dire midi deux au lieu de midi dix, mais je ne prends pas le risque de sortir avant eux. Quand ils ont enfin tous disparu, je marche à grands pas vers la salle de DCFM. Elle semble vide, mais j'entends un bruit de livres et de papier, trop faible pour provenir de quarante élèves à la fois. Je fredonne quelques notes de l'Art de la Fugue, pas trop mal. Sans cela, je suis sûre que je sentirais mes lèvres trembler. Je souris à Remus qui marche dans ma direction, en hésitant un peu.

-Comment allez-vous depuis ce matin ? Je ne précise pas que j'ai des renseignements sur ce qui s'est passé lors de son cours. Vous n'avez pas l'air d'avoir vraiment récupéré, ça n'a pas été trop dur, je veux dire, de gérer à la fois des monstres et des élèves ?

J'essaie d'être drôle afin de faire passer à l'arrière plan une sollicitude qu'il pourrait juger un peu trop envahissante, d'autant que je suis déterminée à ne pas en rester à de simples questions. Il me répond que non, j'enchaîne, d'une voix maladroitement brusque

– A quelle question répondez-vous ?

Il hausse les épaules, puis

– Non, si, enfin, je suis crevé.

– M'étonne pas, vous avez faim ?

Nouveau haussement d'épaules, puis

– Je ne sais pas, je crois que non.

Je le prends par le bras, je lui offre mon soutien, à lui de voir à quel degré il en a besoin.

– Venez, je vous raccompagne chez vous.

Il a l'air interloqué

– Préféreriez-vous une visite à Ponny ?

Je suis sûre qu'il va me répondre non.

– Grands Dieux, non.

Gagné.

– Alors, vous voyez. Vous allez vous reposez jusqu'à la reprise de vos cours, et au moins, essayer de boire un peu. Je vous ai amené un truc efficace, une recette qui réconforte les hauts de cœur de ma famille depuis des générations. Vous avez l'air inquiet, ne craignez rien, c'est mauvais, mais ça n'a pas le goût de moisi. A moins que vous ayez peur que je ne vous empoisonne !

Il m'adresse un sourire pitoyable, mais il met un point d'honneur à le rendre tout de même légèrement comique.

– Non, vous donnez plutôt dans le registre bonne fée depuis ce matin. Pourquoi cesseriez-vous ?

Nous sommes arrivés en haut de notre escalier, et lui, au bout de ses forces, si j'en crois le poids croissant qu'il transfère sur moi. Je suis obligée de passer mon bras autour de son torse pour mieux le soutenir, ce qui fait que nos hanches et nos épaules étroitement se touchent. Nous atteignons enfin sa porte, il hésite avant d'ouvrir

– J'ai peur que ce ne soit pas très bien rangé…

- Pff, vous n'avez donc pas vu comme c'était en bazar chez moi ce matin, c'est vrai que vous avez un peu ajouté à la pagaille, mais bon… Allez ouvrez, sans quoi vous allez vous évanouir.

Je l'entraîne le plus rapidement possible vers sa chambre, le lit impeccablement refait par les elfes. Il s'affale sans bruit, je me dégage de lui sans attarder mon bras plus que nécessaire.

– Ça va ? comment avez-vous pu tenir toute la matinée, vous êtes sans force !

J'ai soudain des remords, j'aurais dû effectivement l'accompagner jusqu'à l'hôpital ou du moins…

– Excusez-moi, j'aurais dû vous faire léviter jusqu'ici. Quelle idiote !

Pourtant j'y ai pensé, mais je n'ai pu m'y résoudre, je ne voulais pas cela, il y a des moments où, toute pratique qu'elle soit, la magie se révèle inopportune, humiliante, déshumanisante.

– Je n'y ai pas pensé non plus.

Il vient de détourner les yeux, je suis sûre qu'il ment.

– Pourriez-vous ouvrir la fenêtre ?

Obéissante, je m'éloigne ; j'ouvre la croisée, le ciel est encore chargé, mais a l'air disposé à coopérer à une embellie. J'aperçois tout un groupe d'étudiants en goguette au bord du lac. J'entends du bruit, je me retourne, il est en train de délacer ses chaussures. Il me semblerait indélicat de proposer mon aide, puis il arrange ses oreillers dans son dos, afin de s'installer, mi-assis, mi-allongé. Je sors la fameuse potion de ma sacoche

– Dites-moi où je peux trouver un verre, ou un mug ?

– Dans la salle de bains, non, sur mon bureau.

Sa voix est plus souple que tout à l'heure, je suis ses indications, je rapporte un mug, y verse une dose de sirop, le lui tends.

– Je vous préviens, ne reniflez pas, curieusement, les effets indésirables sont les même que les symptômes auquel ce truc s'attaque. Du courage et cul sec … c'est ce que nous disait mon père, enfin il le dit toujours j'imagine, mais plus à moi.

Journal de Remus, le 21 juin.

Je me demande à quoi ressemble son père ?Sait-on tout de suite, en la voyant, qu'elle est sa fille ?Duquel de ses parents tient-elle son sourire ?

Moi, je ressemble et à Susan, et à John, " le front et les yeux de John, et après tout est à Susan " , ce que disait toujours notre voisine, Madame Jackson. Je trouvais cela assez vulgaire, cette espèce d'insistance sur le sujet, comme si mon visage n'avait pas de vie propre, mais n'était composé que de tranches de celui de mes parents, tel une sorte d'incongruité anatomique. Enfin, j'imaginais qu'elle répétait cela parce que John était déjà mort à l'époque et pensait que cela me faisait plaisir, ou devait me faire plaisir. C'est drôle que cela me soit revenu. Est-ce toi, Isolfe, qui ouvre des portes en moi ?

J'avale, c'est affreusement amer, je pense à la bile que j'ai vomie ce matin, mais non, le goût est clairement végétal. N'empêche que je dois réprimer un gigantesque haut-le-cœur, je me mets à trembler violemment, si c'est du poison, il agit rapidement. Oui, pendant une fraction de seconde j'y ai pensé, je me suis même dit que mourir de la main de la femme que j'aime pourrait être une solution élégante, un peu de gloire sur la fin pour compenser la déréliction de ma vie.

Finalement non, c'était vraiment un remède, diablement efficace au demeurant. Je me sens enfin mieux, je me laisse aller à l'agréable sensation d'avoir laisser le pire derrière moi. Je m'allonge davantage, je ferme presque les yeux, le laissant suffisamment ouverts pour continuer à regarder ma splendide et suffisamment fermés pour me concentrer sur le souvenir de ces longues minutes où nous avancions du même pas.

Combien j'aurais été blessé si, comme elle a fait semblant d'y penser trop tard (mais elle mentait! et moi aussi !) elle m'avait fait léviter à ses côtés, comme un vulgaire imbécile qui a passé sa matinée à essayer de ne pas vomir ses tripes ! Non, à la place, elle m'a offert ses bras et la force vigoureuse de ses muscles que j'ai sentis travailler docilement pour moi.

J'aurais presque pu penser qu'elle me sauvait de moi-même, me soustrayant aux étreintes délétères de la pleine lune. Et dans ce lit où elle m'a allongé, je voudrais pouvoir encore le penser.

Elle a approché une chaise de moi, elle s'est assise, elle se demande si je dors - je prends soin de respirer régulièrement mais le désir d'elle surgit à nouveau, désordonné et tapageur, venant bousculer le rythme de mon souffle. Je me demande si elle s'en aperçoit ? Et si oui, qu'en pense-t-elle ? Si maintenant, tout de suite, je lui tendais les bras, viendrait-elle se glisser à côté de moi, contre moi ? Et alors aurais-je le courage de lui parler de moi ? Mais pourquoi prendre le risque de la faire fuir, la pleine lune est derrière moi, je ne suis plus un animal dangereux, je ne suis plus qu'un homme follement amoureux. Je suis enfin réconcilié avec moi-même, je sens les lèvres d'Isolfe sur mon front, ses doigts sur mes lèvres, je m'exhausse dans un sommeil radieux.

Journal d'Isolfe, le 21 juin.

J'ai fait boire à Remus la potion que je lui avais préparée. Son visage a révélé un crispement subit quand il l'a avalée, était-ce le goût terriblement amer, au delà de toute amertume, du breuvage ou la pensée qu'il pourrait s'agir de poison ?

Ensuite, il faisait semblant de dormir, mais il me regardait ; ses yeux, même presque complètement cachés, étaient fixés sur moi, et son désir d'homme tournait autour de moi. Et s'est presque fait entendre de moi – j'ai songé à le rejoindre, à m'allonger contre lui. Et il aurait enfin refermé ses bras sur moi, et je lui aurais enfin donné ce qu'il attend de moi depuis si longtemps.

Mais, une fois encore, je n'ai pas osé, j'ai décidé de le laisser seul, je l'ai embrassé, mais sur le front, ce sont mes doigts que j'ai posé sur ses lèvres.

Il dort, je pars.

Je suis la femme qu'il aime, mais à laquelle il ne veut toujours pas se révéler. Mais quelle importance ! Pourquoi son silence devrait-il constituer un obstacle entre nous ? Le silence est sans consistance…