Epilogue : qu'est-ce que la Justice ?

« Un homme n'est pas Dieu, il n'a pas le droit de juger autrui. »

Les paroles du chevalier des gémeaux, à moins que ce ne fussent les miennes, continuaient de résonner dans mon cœur alors que j'avais péri depuis un moment déjà.

Le pouvoir destructeur du fouet de Balrog s'était retourné contre moi. Pourquoi ? Pourquoi m'attaquer moi et non ce perfide chevalier d'Athéna qui avait manipulé les dieux ? Circé m'avait averti que les armes du jugement décidaient seules de leur cible.

Cela étant, ne restaient que deux explications. Soit l'habile Kanon avait usé d'illusions pour retourner mon fouet contre moi. Soit, mon arme avait jugé que je ne servais plus la justice.

« Un homme n'est pas Dieu, il n'a pas le droit de juger autrui. »

Avais-je réellement le droit de juger autrui ? Je ne m'étais pas octroyé ce pouvoir par la force comme les tyrans qui font loi de leur simple intérêt. Homme j'avais été élu par les citoyens. Spectre j'avais été choisi par le Dieu suprême pour ce rôle.

Sanctuaire d'Athènes.

Le spectre du wyvern jeta négligemment le corps inconscient du silver saint, sur le sol marbré. Un lion d'or surgit à propos, sentant l'odeur d'une proie inhabituelle. Le dragon wyvern, avec sa majesté caractéristique, le salua civilement.

« Leo saint, Miltiade. Ton pouvoir, ton rang ou ta vertu aussi impressionnants soient-ils ne te donnent pas tous les droits. Un homme de ma condition n'a pas à perdre son temps en rossant tes disciples.

Mon apprenti a commis une erreur mais c'est la fougue de la jeunesse qui l'a aveuglé. Il comprendra avec l'âge que la chasseur habile sait à quel moment il faut frapper.

Pour avoir reçu l'enseignement du libra saint, le vieil homme possédait un calme olympien, toutefois le lion ne dormait que d'un œil au fond de son âme.

Par tous les dieux ! Que viens-tu faire dans ce lieu ? Serviteur d'Hadès ! Ne sais-tu pas que les perses sont à nos portes ! Les citoyens vont tenter de les repousser mais je crains que les hommes libres ne s'inclinent devant la multitude des mercenaires du Grand Roi.

Et tu ne peux décemment pas laisser Athènes, cité-sanctuaire de la divine Athéna, tomber entre des mains étrangères. L'équilibre avec l'Ebranleur des sols serait rompu. Toutefois, l'intervention d'un chevalier sacré dans les affaires des mortels sèmera le désordre, en proportion égale.

Tu vois dans quel embarras je me trouve. Mais dis-moi donc ce qui t'amène car les dieux ne t'ont pas placé là sans raison, devina le leo saint.

Mon dieu m'a ordonné de faire Justice. Tu crois avoir affaire à des hommes mais l'histoire est tout autre. Mes recherches m'ont permis de découvrir la cause de cette guerre semi-sainte.

Parle ! Par Athéna, explique-toi !

Des généraux de Poséidon se sont ralliés à Arès. Ils tentent d'opposer Athéna à Poséidon, les dieux grecs aux idoles perses. Leur but est de semer le chaos pour que le dieu guerrier s'empare des deux mondes.

Ah les fourbes ! Les mécréants ! Les lâches ! Les fous ! Les impies ! Oser trahir son dieu ! Ces traîtres ne méritent que la mort !

Ils méritent bien plus que cela… »

Dieu.

Hadès peut-il juger autrui ?

Qu'est-ce qui lui en donne le droit ?

Est-ce sa force infinie qui fait de lui le Juge suprême ?

Est-ce sa connaissance du bien et du mal ?

N'a-t-il pas créé le livre magique capable de recenser les péchés de tous les morts ?

Le wyvern était paralysé, empêtré dans la toile musicale que l'odieuse sirène avait tissée. A quelques pas, le lion d'or avait renoncé au combat. Son maître, libra saint, apparaissait sous ses yeux crédules, qui ne voyaient là que le propre reflet de son cœur, exploité par le démoniaque Thrasymaque.

Châtier les bersekers, ces immondes sauvages guerriers, avait consisté en une série d'exécutions pour le juge des Enfers qui ne voyaient en eux que des condamnés, pas des adversaires. De même, les généraux de Poséidon ne méritaient pas ce titre, bien que leurs pouvoirs soient terrifiants. Rhadamanthe leur refusa l'honneur d'un combat singulier.

Le terrible cosmos obscur se déploya et une multitude de projectiles meurtriers fusa. Thrasymaque fut fauché par la mort avant de pouvoir assassiner l'innocent Miltiade. Le lion d'or recouvrit ses esprits. Son rugissement sonore emporta les ridicules notes de la sirène.

Rhadamanthe se félicita ce jour-là. Il avait sacrifié son honneur de combattant pour assurer la victoire de deux hommes justes. Sa grande prudence lui avait permis de triompher.

Car, pour juger correctement ce qui est un péché, il faut assurément savoir ce qu'est le bien et ce qu'est le mal. La Justice n'est-elle pas l'art de juger correctement ?

Je ne sais plus…

Finalement, qu'est-ce que la Justice ?

Le wyvern et le lion se relèvent à nouveau. Leurs corps sont brisés mais le cosmos est immortel.

A une brassée, se dresse un dieu perse. Arhiman, le dieu du mal ! Il regarde sa main, hébété, et voit couler un liquide rouge.

Rhadamanthe jubile. Sa théorie était exacte : les idoles étrangères sont moins fortes que les divinités mineures au service d'Hadès. Ou peut-être est-ce le fait qu'Arhiman ait choisi de s'incarner dans un corps humain ? Miltiade répugnait à lever la main contre un dieu, mais les étrangers ne comptent pas comme des grecs.

Les cosmos s'enflamment à nouveau. L'or et la nuit se mêlent dans une pluie d'étoiles filantes qui terrasse la démoniaque idole perse.

Qu'est-ce que le bien ? Qu'est-ce que le mal ?

Qu'est-ce que la Justice ?

FIN