Ikki fut surpris en poussant la porte de la chambre de son frère de le trouver debout sur une chaise, chantant et se dandinant sur la musique qui s'échappait de la petite radio posée sur le bureau.
" Je vois que tu es en forme ! "
Shun sourit à son frère : " Passe-moi une punaise, s'il te plait ! "
" C'est pas malin de faire des trous dans les murs ! Ca va nous être retiré de la caution... "
" Pas grave ! On est là pour longtemps ! Je me plaaaaiiiis dans cette ville ! "
Ikki le regarda d'un air suspicieux : " T'as fumé quelque chose, toi."
" Non, pas du tout. Tu me passes une autre punaise ? "
" Qu'est-ce que tu affiches ? "
" Un poster de Hockey ! "
" De Hockey ? De Hockey sur glace ?!! Mais... Tu t'intéresses au sport désormais ? "
" Il n'est jamais trop tard pour changer. Je me suis découvert une nouvelle passion ! J'adore le Hockey ! "
" Fort bien. Les posters, ça fait tout de même ado attardé... ! " fit remarquer Ikki en jetant un coup d'œil blasé sur le jeune homme blond à la tignasse ébouriffée qui s'étalait sur la page de papier glacé. " C'est qui celui-là ? "
" C'est Hyoga Glaski ! Le meilleur joueur de tous les temps! " expliqua Shun en lui montrant la photo " N'est-ce pas qu'il... " Shun se mordit les lèvres. Il avait failli dire : qu'il est mignon.
Shiryu avait peut-être raison. A force de se prendre des coups sur la tête, sa raison déraillait.
Ikki haussa les épaules. " Jamais entendu parler ! "
" C'est parce que t'y connais rien ! " continua Shun sans se vexer.
" Si tu le dis... Au fait, June a appelé. Elle m'a dit qu'elle n'arrivait pas à te joindre depuis plusieurs jours. Tu t'es trouvé une autre gonzesse ? "
Shun rougit légèrement : " Non... " Mais il était tellement occupé à penser à Hyoga, à se renseigner sur lui qu'il en avait délaissé sa petite amie.
" Méfie-toi, alors ! Elle risque de se lasser de te courir après ! Ou alors de se faire des idées ! Tu ferais mieux de te manifester. "
Ikki ferma la porte derrière lui en sortant et Shun se laissa tomber sur son lit.
June... Il n'avait aucune envie de la voir. Pas en ce moment. Pourtant, c'était sa petite amie ! Et avant de devenir sa copine, elle était sa meilleure amie. Ils s'entendaient très bien et faisaient même figure de couple modèle aux yeux de certains.
Que lui arrivait-il soudain ? Il l'aimait beaucoup et appréciait généralement sa compagnie. Et à bien y réfléchir, elle avait également ce petit accent étranger qui faisait le charme de Hyoga... June était née en Ethiopie et avait vécu plusieurs années aux Etats-Unis avant que ses parents ne rentrent finalement au Japon. Peut-être était-ce cet accent qui lui rappelait June qui l'avait touché chez Hyoga... Ca lui donnait un petit côté maladroit qui éveillait chez Shun une certaine tendresse.
Il sourit en regardant son nouveau poster fixé au mur. Peut-être aimait-il l'exotisme ? Il avait toujours était attiré par les voyages...
En tout cas, ce Hyoga était quelqu'un de pas vraiment banal. Il avait lu toutes les coupures de la presse locale le concernant. Et lui qui était peu sûr de lui admirait la confiance en lui, la détermination, le courage qu'avaient le jeune Russe.
Il était juste fasciné par cet homme car Hyoga était quelqu'un d'exception. Quelqu'un qui avait trouvé sa voie. C'était juste ça ! Il n'y avait aucune raison de se poser davantage de question. Il avait échappé à l'idolâtrie des membres des groupes de rock à l'adolescence et ça le prenait maintenant. Lui qui manquait de repères dans la vie qu'il était en train de se construire avait peut-être juste besoin d'un 'modèle'.
Hyoga attrapa périlleusement une nouvelle bouchée de poisson dans son bol. Il n'était pas encore habitué totalement à manger avec des baguettes. Et ses pensées étaient ce soir tournées vers autre chose.
Il en avait même oublié de se renseigner sur le nombre de calories de leur repas et de demander à peser leur ration de riz comme il le faisait habituellement. Plus par plaisir d'emmerder tout le monde et de démontrer que contrairement à ce qu'il avait connu dans son pays natal, ils n'étaient que des amateurs ici que par réel soucis de prendre quelques grammes. Il n'était pas rare, même en Russie, qu'il fasse de grosses entorses à son régime alimentaire de sportif de haut niveau plusieurs fois par semaine.
Ses coéquipiers, heureux de leur succès dans le match du Week-end, parlaient avec animation. Des éclats de rire fusaient mais Hyoga, assis à une des extrémités de la table ne partageait pas leurs conversations, leur lançant des regards hautains lorsqu'ils s'adressaient à lui, tenant certainement à se forger encore davantage une réputation de garçon profondément antipathique. Il aimait la provocation.
" Hyoga... ? "
Le jeune slave fut tiré de sa rêverie par une voix douce. Il se retourna vers le jeune garçon qui avait parlé.
Yacoff, joueur d'origine russe comme lui était un gentil garçon, discret, avec qui il n'arrivait pas à être désagréable comme avec les autres.
" Oui ? "
" Tu vas venir avec nous faire une partie de bowling ? "
" Je ne crois pas... "
Yacoff eut l'air déçu et cela peina un peu Hyoga.
" C'est dommage. J'aurais aimé que tu viennes. Et puis, si tu ne te mêles jamais aux autres, tu ne pourras pas t'en faire des amis. "
Le jeune homme blond ricana : " Je ne cherche pas à me faire d'amis ! "
" Alors viens quand même ! S'il te plait ! "
Hyoga hésita quelques secondes et poussa un profond soupir.
" D'accord. Je viens mais c'est vraiment parce que les programmes de télé sont complètement débiles ! "
Les mains dans les poches, Hyoga suivait à bonne distance d'une démarche décontractée le petit groupe de jeunes hommes qu'il était censé accompagner au bowling. Yacoff se retourna vers lui.
" Viens discuter avec nous, Hyoga ! "
Le Russe haussa les épaules : " Je suis sûr que ce que vous dites est parfaitement inintéressant ! "
Les deux autres joueurs qui parlaient avec Yacoff lui jetèrent un regard méchant et Hyoga eut un sourire ironique provocateur.
Il ne maîtrisait pas encore très bien la langue japonaise et au fond de lui, il craignait d'être ridicule avec son accent et évitait généralement de beaucoup parler.
Yacoff ne fut cependant pas découragé et il attendit que le jeune homme blond arrive à leur hauteur.
" Et toi, Hyoga ? Tu as une petite amie ? " questionna-t-il.
" Non. J'ai vraiment pas envie de m'encombrer d'une copine attitrée! J'en change selon mon humeur et cela ne dure pas plus de quelques jours. Dès que tu leur accorde un peu trop d'attention, elles ont tendance à devenir vraiment collantes et j'ai autre chose à faire. Je préfère penser à mon entraînement ! "
" Quel sale type ! " lança la petite amie d'un des joueurs qui avait entendu.
" Tss ! C'est un vantard surtout ! " ajouta un autre joueur.
Yacoff regarda avec un petit sourire le jeune Russe passer la main dans ses cheveux blonds d'un geste nonchalant. Il était vraiment séduisant et il croyait aisément que Hyoga devait réellement avoir beaucoup de succès auprès des filles. Surtout des petites japonaises.
Sans prêter attention aux remarques des autres, Hyoga, la tête haute les devança pour pousser la porte de la salle de bowling.
" Alors ? On joue ? "
Hyoga avait déjà enfilé ses chaussures et sans attendre de réponse, il se dirigea vers l'une des pistes. Mais alors qu'il allait se saisir de l'une des boules, une grande silhouette se dressa devant lui. Il détailla le jeune homme, un japonais aux cheveux noirs qui le regardait avec un air de défi.
" Qu'est-ce que tu m'veux ? "
" Alors les minables, on vient faire mumuse ? Vous feriez mieux d'aller vous entraîner au lieu de jouer à la baballe ! "
Hyoga réussit à contenir la vague de colère qui montait en lui. Il regarda dans les yeux le jeune homme, se redressant de toute sa hauteur, le dévisageant de façon insolente. Il remarqua alors que l'autre portait un blouson à l'effigie d'une équipe de Hockey adverse.
" Qui t'es ? J'ai jamais vu ta sale tronche avant et tu te permets de venir nous narguer ? Peut-être parce que sur la glace, t'auras moins l'occasion de faire le malin... ! "
Hyoga vit que son adversaire serrait le poing tandis qu'un rictus de rage se formait sur son visage. Il sentit que les joueurs de son équipe s'étaient avancés derrière lui, menaçant l'individu au blouson vert de l'équipe des Aurores boréales.
Il ne fut pas mécontent de cette marque de solidarité. Les autres Cygnes blancs s'étaient sentis insultés qu'on s'adresse ainsi à leur joueur vedette même s'ils le détestaient.
Le Japonais posa le verre de bière qu'il tenait à la main pour faire face à Hyoga.
" Tu ne me connais peut-être pas car tu sors de ta cambrousse mais mon équipe et moi, on s'est imposé dans la ligue l'an passé ! Et c'est pas toi avec ta gueule de beau gosse qui pourra nous empêcher de gagner cette année ! Va plutôt jouer les play-boys pour les magazines, c'est encore ce que tu sais faire de mieux ! Charlot !"
Les yeux de Hyoga devinrent deux fentes sombres.
" Retire ce que tu viens de dire ! "
L'autre se contenta de sourire ironiquement.
Hyoga répéta en criant presque : " Retire ce que tu viens de dire immédiatement ! "
Le Japonais se mit à ricaner ce qui énerva encore plus Hyoga. Il serra le poing, prêt à le frapper mais ce fut le brun qui ouvrit les hostilités en lui envoyant un grand coup dans l'estomac. Hyoga heurta une petite table en reculant, la renversant au passage. Il se jeta sur l'homme qui l'avait insulté pour lui rendre la monnaie de sa pièce.
D'autres blousons verts avaient fait leur apparition et l'affrontement entre les deux équipes se transforma bientôt en bagarre générale. Tous les joueurs de bowling s'arrêtèrent pour les regarder.
" Bande de petits délinquants ! Ne remettez plus jamais les pieds ici jusqu'à ce que vous ayez appris à vous tenir, c'est compris ? "
Hyoga massa sa joue douloureuse. Sa colère n'avait pas diminué. Ils s'étaient fait jeter comme des malpropres du bowling sans avoir fini de régler cette histoire avec ces connards aux blousons verts.
Ceux-ci avaient justement été mis dehors par une porte de l'autre côté de l'établissement. Les deux clans se reformèrent et ne tardèrent pas à se faire face à nouveau, s'adressant des regards malveillants.
" Ca suffit ! La baston ne règle jamais rien ! " dit un nouveau garçon aux cheveux châtains foncés.
Hyoga se tourna vers lui. Il ne lui semblait pas l'avoir aperçu dans la bagarre. Il avait un léger accent qui traduisait ses origines étrangères.
" Mais capitaine... " commença l'un des membres de l'Aurore boréale.
" Si vous voulez savoir laquelle de nos deux équipes est la meilleure, affrontons-nous sur la glace ! " continua le jeune homme.
Hyoga se souvint alors de son nom. C'était un Finlandais. Isaak Kraken si sa mémoire ne le trompait pas.
Le jeune homme aux cheveux châtain se dirigea vers Hyoga et le regarda dans les yeux.
" Glaski ! Au lieu de fanfaronner, prouve-moi ta valeur en m'affrontant à la loyale dans un match de Hockey. "
" C'est d'accord ! " accepta le Russe en soutenant son regard.
Le regard perçant se posa sur lui. Hyoga frémit malgré lui. Isaak eut un sourire ironique comme s'il devinait la crainte soudaine qui animait son vis à vis. Il disposa dix palets devant eux sur la ligne tracée sur la glace.
" Tu as trois essais comme pour moi. Celui qui marquera le plus de points gagne. "
Ils se toisèrent un moment en silence tandis que les gardiens des deux équipes prenaient place dans les cages.
" Cinq... quatre... " Le Finlandais ne le lâchait pas du regard et Hyoga restait les yeux rivés sur lui. " ... trois... deux....un... go ! "
Isaak fut le premier à viser et à frapper. Il marqua.
Hyoga l'imita une demi-seconde plus tard.
Le Finlandais enchaînait les coups, ne prenant que quelques secondes pour ajuster son tir. Le Russe se sentait fébrile. La peur la gagna lorsque le gardien adverse arrêta son deuxième tir. Il manqua assez largement le troisième. Il inspira un grand coup, essayant de retrouver son calme. Ses mains tremblaient.
Il réussit les deux tirs suivants mais Isaak avait fait un sans faute.
Le regard doré se posa sur lui avec une lueur ironique.
" J'ai gagné. " annonça simplement le Finlandais d'un ton calme.
Hyoga resta debout sans bouger, fixant la glace qui brillait sous l'unique néon. Il se sentait atterré, humilié par sa défaite.
Les joueurs de l'équipe adverse partirent rapidement en félicitant leur capitaine. Les Cygnes restèrent derrière lui, consternés, ne sachant quoi lui dire pour le réconforter. Craignant certainement qu'il les envoie balader, ils restèrent muets puis se décidèrent à partir à leur tour.
Seul Yacoff ne voulut pas partir.
Quand ils furent tous partis, Hyoga se laisser tomber à genoux et frappa la glace du poing, y laissant une traînée rouge.
" J'ai perdu... "
Quand il vit le regard noisette se poser sur lui, il devina qu'il allait recevoir de sérieuses remontrances. Il resta cependant avachi sur son lit.
" Hyoga ! Tu n'es pas allé à l'entraînement ce matin ! "
" J'avais pas envie... "
" Pas envie ? Tu te moques de moi ? Est-ce une raison ?! Commence par te lever et t'habiller ! Je déteste te voir ainsi ! "
Hyoga soupira profondément et obéit. Il enfila un T-Shirt puis un pantalon. Il savait que de toute façon, il lui serait difficile de s'opposer à Camus...
" Il va falloir que tu changes sérieusement d'attitude ! Je pars deux jours et tu fais n'importe quoi ! Tu sors, tu te bats dans des lieux publics, tu forces la porte d'une patinoire la nuit pour te livrer à je ne sais quel duel stupide... "
Hyoga ne put s'empêcher de sourire : " Tu es déjà au courant ? "
Camus lança une enveloppe sur le lit.
" Tu as reçu ça. Une convocation de police. Ce n'est pas ce que je t'ai appris. Je suis profondément déçu. Et pour couronner le tout, tu désertes les entraînements. Que dois-je comprendre ? Le Hockey ne t'intéresse plus ? "
Hyoga baissa la tête.
" J'ai perdu... " souffla-t-il.
" Comment ? "
" J'ai perdu ce duel 'stupide'. "
" Et c'est pour cela que tu renonces ? Tu en connaîtras des défaites dans ta vie, crois-moi ! Et c'est elles qui te feront progresser. Et puis ça ne signifie rien. Ce n'était pas un vrai match. Au lieu de ruminer, tu ferais mieux de te remuer et de redoubler d'ardeur à l'entraînement pour leur prouver ta valeur lors du match qui vous opposera. Seul ce match compte ! "
" C'est vrai.... "
" Je ne te comprends pas, Hyoga ! Tu provoques, tu en es même arrogant mais le moindre coup dur te met à terre... Le mental, c'est toujours ça qui te fait défaut. Allez ! Je veux te voir dans 1 heure sur la glace ! " dit le Canadien avant de s'éclipser.
Hyoga regarda son casque de Hockey posé sur son bureau.
Camus avait raison. Seul le véritable match comptait. Il ne fallait pas qu'il se laisse distraire par autre chose. Il allait leur montrer ce qu'il valait réellement !
Il sentit une nouvelle motivation monter en lui.
Shun serra contre lui la photo plastifiée. Il regarda machinalement tout autour de lui pour vérifier qu'il n'y voyait aucune tête connue. Il rougit en se souvenant que pour venir ici, il avait dû mentir à la fois à Shiryu et à June.
Il avait dit au jeune étudiant en Histoire qu'il devait accompagner en reportage qu'il devait aller chez le médecin et à sa petite amie qu'il serait en reportage avec Shiryu... Il n'était pas fier de lui.
Il remarqua que la foule des 'fans' dont il faisait partie était quasiment entièrement composée de filles dont beaucoup étaient visiblement venues pour Hyoga Glaski. Il rougit une nouvelle fois et rentra la tête dans les épaules.
Peut-être Hyoga le reconnaîtrait-il ? Pas sûr... Il devait certainement rencontrer plein de gens...
Il se sentit un peu triste à cette pensée. Mais peut-être il pourrait tout de même échanger quelques mots avec lui....
Tout à coup, il y eut des cris dans la petite foule et Shun vit un car bariolé se garer devant la patinoire. Les joueurs des Cygnes blancs en sortirent un par un. Il y eut des cris hystériques lorsque la chevelure d'or apparut. Shun sentit son cœur battre à toute vitesse.
Certaines filles se mirent à courir et il fut bousculé. Il resta cloué sur place. Hyoga passa très vite sans jeter un regard à ses fans et le jeune Japonais baissa les yeux.
Que lui arrivait-il ? Il se sentait ridicule au milieu de toutes ces groupies. Bien sûr, il n'osait pas crier, le poursuivre mais il n'était pas non plus tellement différent. Hyoga était celui qui faisait battre son cœur plus vite.
Mais pourquoi ? Pourquoi ne pouvait-il soudain plus cesser de penser à ce type qu'il n'avait vu que quelques minutes... ? Les jambes molles, il eut l'impression de ne plus pourvoir tenir debout. Pris de vertiges, il dut s'asseoir sur une borne en ciment. Sans comprendre pourquoi, il se sentit soudain si triste qu'il eut envie de pleurer.
