" Mais c'est génial ! " s'écria Seiya, un ami de longue date quand il lui eut annoncé la nouvelle. " Y'a deux mois, tu te désespérais en te demandant encore ce que tu allais faire et tu trouves un super job dans un super journal ! "
" Je ne travaillerai qu'à mi-temps. " le tempéra Shun en souriant tout de même.
Une semaine auparavant, il avait envoyé un CV à l'antenne régionale d'un des grands quotidiens sportifs du Japon. Comme ça, au hasard. Et il avait été surpris lorsque Mr Albior, le rédacteur en chef, l'avait personnellement convoqué pour un entretien et encore plus lorsque celui-ci lui avait annoncé qu'il était engagé. Shun avait été surpris de la rapidité avec laquelle cela s'était fait :
" C'est que.. je suis encore étudiant ! Je n'ai pas encore obtenu mon diplôme de fin d'études... " avait-il protesté.
" Ce n'est pas grave ! Tu disposes d'un peu de temps en ce moment ? Voilà qui est parfait ! Tu commenceras à mi-temps. Beaucoup d'étudiants travaillent tout en continuant leurs études... " avait répondu le rédacteur.
Il n'avait pas eu le temps de réfléchir à la chose, il ne s'était pas vraiment demandé si c'était cela qu'il voulait faire mais la perspective d'avoir un prétexte pour approcher Hyoga était une motivation suffisante pour accepter.
" Cependant, j'avoue que je suis un peu étonné.. " poursuivit Seiya tout en organisant son plateau repas. Ils trouvèrent des places côte à côte au self universitaire et commencèrent à manger.
" Qu'est-ce qui t'étonne ? "
" Le 'Sanctuaire du sport', c'est bien un journal sportif ? Ils couvrent uniquement les manifestations sportives, non ? "
" Oui, c'est cela. "
" Je croyais que tu ne t'intéressais pas au sport... "
Shun rougit, en se remémorant son entretien d'embauche et la question qui lui avait peut-être valu d'être retenu.
" Connaissez-vous la championne du monde de natation synchronisée ? " lui avait demandé Mr Albior.
Shun ne s'intéressait que très vaguement au sport en vérité mais il suivait assidûment les actualités télévisées et avait une excellente mémoire. Il avait donc su répondre à cette question et le rédacteur en chef avait souri à pleines dents.
" Je suis content de votre réponse. Souvent, les jeunes gens qui postulent ici croient que le sport se limite au football et sont incapables de parler plus d'une minute d'autres disciplines. Or nous cherchons avant tout des personnes pour couvrir les sports moins connus du grand public car dans les disciplines majeures, nous avons déjà nos équipes de journalistes. "
Shun sourit pour lui-même en baissant les yeux dans son assiette, ignorant la remarque de Seiya.
" Mais je t'avoue que je suis inquiet de la réaction de Shiryu. "
" Et pourquoi ? Il sera très content pour toi ! "
" J'ai l'impression de lui avoir un peu coupé l'herbe sous le pied... C'est lui qui m'a initié au journalisme et finalement, je trouve un travail avant lui et je l'abandonne alors qu'il comptait sur moi pour le journal de l'université... "
" Bah... tu sais... Ne t'en fais pas ! Dans quelques mois, il trouvera lui aussi une bonne place ! "
Hyoga rendit son sourire à Yacoff et tapa dans la main d'un de ses partenaires en sortant de la glace. Une fois de plus, ils avaient remporté le match du week-end assez facilement.
" Tu ne restes pas ? " questionna l'un de ses coéquipiers en voyant le Russe ranger ses affaires et se rhabiller sommairement sans même prendre de douche.
" Non, je vous laisse. J'ai mieux à faire. Je suis sûr que vous vous en tirerez très bien sans moi."
Il s'apprêtait à sortir discrètement par l'une des issues de secours lorsqu'une silhouette longiligne lui barra la route.
"Hyoga, où vas-tu ? "
" Je rentre chez moi ! "
" Et la conférence de presse ? "
" Rien à battre ! Ce que j'avais à dire, je l'ai dit sur la glace ! "
" Ton attitude n'est vraiment pas professionnelle ! " lui fit remarquer Camus en hochant la tête.
" Je m'en fous ! Je n'ai rien à dire à ces types, à ces sportifs frustrés qui ne font que se répandre en conneries sur mon compte ! Tu as lu les articles me concernant ? Partout c'est écrit que je néglige l'entraînement, que je passe mon temps en discothèque à me saouler et à provoquer des bagarres... "
" A toi de démentir..."
" Qu'est-ce que ça changerait ? Ces mecs sont malhonnêtes ! Ils vont réinterpréter mes propos et ce sera pire ! "
" Ce qui est pire, c'est de fuir sans donner d'explications ! Tu leur donnes raison en te comportant comme tu le fais. Alors s'il te plait, fais-moi le plaisir de te rendre à cette conférence de presse ! "
" Non ! "
Hyoga soutint le regard noisette et Camus ne baissa pas non plus les yeux. Ils s'opposèrent un moment avant que le Russe ne finisse par céder.
" J'accepte juste d'en voir un seul. Et je lui accorde cinq minutes ! "
" Je te l'accorde, il y a des journaux qui préfèrent le scandale. Mais je vais te faire rencontrer le reporter d'un journal sérieux. A toi de te montrer convaincant ! "
" Je te le répète, c'est cinq minutes, pas plus ! " rappela Hyoga comme Camus s'éloignait.
Shun tapota nerveusement de son stylo sur la table. Depuis qu'il était entré dans cette pièce, il se sentait fiévreux, crispé.
Hyoga. Hyoga était certainement dans ces murs, tout près de lui. Il ne le croiserait probablement pas mais ils respireraient le même air, sentiraient la même chaleur, baigneraient dans la même ambiance d'après match qui semblait si magique au jeune Japonais.
Il devait interviewer le capitaine des Cygnes blancs. Peut-être pourrait-il amener habilement les questions vers Hyoga ? Peut-être pourrait-il en apprendre davantage sur lui ? La couleur de son couvre lit, sa marque de céréales préférées... toute sorte de petits détails insignifiants qui lui permettrait de se sentir plus intime avec le joli blond.
Il entendit des pas dans le couloir et il se sentit tendu. La porte s'ouvrit lentement, il leva les yeux et à sa plus grande stupéfaction... des cheveux d'or.
Il sentit son cœur s'emballer dans sa poitrine et une grande chaleur monter dans son visage. S'il n'avait été assis, peut-être qu'il aurait défailli.
Hyoga parut aussi surpris que lui. Ils restèrent bouches ouvertes, figés à se fixer en silence durant un moment qui leur parut une éternité. Shun se demanda s'il le reconnaissait. Enfin, le Russe sortit de son mutisme et avança vers lui avec un sourire confiant.
" Bonjour ! "
" Bonjour. "
Il tira vers lui la chaise pour s'asseoir. Shun observait chacun de ses mouvements, tout semblait être au ralentir tandis que les battements de son cœur résonnaient dans sa tête de façon assourdissante.
Il parla comme à travers un brouillard, entendant difficilement ses propres paroles.
" Félicitations pour votre victoire ! "
Les mots lui semblèrent grotesquement banals mais Hyoga eut un sourire charmant qui laissa apparaître ses dents à la blancheur parfaite.
" Merci. " répondit-il simplement.
C'était une réponse de convenance mais le Russe avait les yeux brillants et le dévisageait intensément comme si la remarque de Shun l'avait ému.
Hyoga tritura nerveusement la gourmette d'argent qu'il avait autour du poignet. Il avait les mains moites. De façon incompréhensible, il se sentait intimidé par ce gentil garçon à la voix douce et aux manières polies.
Il se maudit intérieurement d'avoir encore voulu jouer les rebelles et de ne pas avoir pris sa douche. Il aurait voulu pouvoir revenir en arrière, se laver, se parfumer, se recoiffer... Il devait sentir la transpiration ! Le jeune homme aux traits si fin en face de lui devait le prendre pour un rustre. Mais quel idiot !
Mais pourquoi avait-il fallu que ce soit justement lui, le journaliste qui l'interviewe ?!?
" Vous travaillez pour le Sanctuaire du sport ? " demanda-t-il, toujours sous le choc.
Inconsciemment, il s'était mis à le vouvoyer alors qu'il se souvenait l'avoir tutoyé à leur précédente rencontre.
Shun sursauta comme tiré d'un rêve. Vu la façon pas très professionnelle dont ils avaient fait connaissance, Hyoga le prenait peut-être pour un usurpateur... Il sortit sa carte de presse.
" Oui.. depuis peu de temps, c'est vrai... "
Il posa sa carte sur la table et Hyoga la prit. Il la regarda avec attention puis leva les yeux et sourit.
" Shun, c'est ça ? "
Shun se sentit rosir quand les beaux yeux bleus se posèrent sur lui. L'accent était vraiment charmant. La façon dont il avait prononcé son nom....
" Oui. "
Le Russe fit glisser la carte sur la table pour la lui rendre. Shun sentit ses narines frémirent comme il s'était brièvement penché en avant. Il se sentit davantage troublé en sentant l'odeur de Hyoga, l'odeur de sa sueur, une odeur de musc, de vestiaire de garçon, une odeur virile. Il se sentit profondément excité. Hyoga recula.
Mais le cerveau de Shun, fonctionnant à toute vitesse se mit à divaguer. Il se mit à poser ses questions de façon automatique. Quand il baissait les yeux sur la table de bois clair, il imaginait que Hyoga le renversait dessus pour l'embrasser, qu'il respirait son parfum à pleines narines tandis que le Russe parcourait son corps de ses mains, qu'il plongeait les siennes dans les cheveux d'or pour les caresser... Il avait envie que les lèvres charnues se posent sur les siennes, que les mèches blondes chatouillent doucement son visage, de mêler sa salive à la sienne dans un baiser fougueux, que leurs corps se collent l'un à l'autre.
Il avait soudain envie de choses torrides qu'il n'avait jamais désiré même avec June dans un contexte qui s'y prêtait davantage.
Que lui arrivait-il ? Sans s'en rendre compte, il s'était mis à jouer avec ses mèches châtain en souriant mystérieusement dans une attitude de séduction. Il ne s'était jamais senti comme ça, troublé, excité. Il se comportait toujours d'une façon naturelle d'habitude mais avec Hyoga... il avait envie de lui plaire. Il ne pouvait s'empêcher de se comporter ainsi, se rendant compte que cela virait de plus en plus à la parade amoureuse. Est-ce que Hyoga s'en rendait compte ? Si c'était le cas, il en mourrait de honte ! Allumer un mec...
" Votre nez va mieux ? " demanda soudain le Russe.
" Oui, ce n'était rien. "
Les cinq minutes étaient largement écoulées mais Hyoga n'avait surtout pas envie de partir. Il savait que l'interview ne pourrait malheureusement durer éternellement. Mais il ne voulait pas laisser 'Shun' comme ça, se séparer avec un banal au revoir.
Que pouvait-il faire ? Lui proposer d'aller boire un verre ? L'inviter au restaurant ? Hyoga sourit pour lui-même. Non, ça c'était le genre de truc que l'on proposait aux filles habituellement.
Pourquoi se sentait-il à ce point troublé en présence du jeune homme aux magnifiques yeux verts ? Est-ce parce que Shun dégageait cette gentillesse, cette douceur ? Comment le garder avec lui, le retenir ?
Mr Albior leva sa tête du bloc de feuille et ôta ses lunettes pour se frotter les yeux.
" J'avoue que je suis un peu perplexe... " dit-il à Shun qui attendait avec une certaine appréhension l'avis du rédacteur en chef sur son article.
" Ca ne vous convient pas ? "
" Oui et non... Je vais vous dire ce que j'en pense. Pour commencer, sur la forme. Par moment, vous perdez dans de grandes envolées lyriques. Le style est bon, c'est bien dit mais n'oubliez pas que nous sommes un journal sportif. Nos lecteurs n'achètent pas notre quotidien pour avoir de la bonne littérature. Bon, c'est pardonnable mais c'est surtout le fond qui m'intrigue. Si vous ne disiez pas de qui vous parlez, jamais je ne l'aurais deviné. Ce que vous dites va à l'encontre de tout ce que j'ai entendu sur ce joueur. Vous le décrivez comme quelqu'un de sympathique, charmant, d'une extrême courtoisie. Or, ce n'est pas ce qui ressort de ses précédentes interviews ! "
" C'est pourtant l'impression que m'a faite Hyoga Glaski quand je l'ai rencontré... "
" Je ne dis pas le contraire... Mais ça me chagrine un peu. J'aurais préféré que vous gardiez une certaine réserve. "
" Est-ce que parce que certains ont décidé de cataloguer quelqu'un d'une manière je dois les suivre aveuglément bien que mon opinion diverge totalement ? " demanda Shun qui commençait à sentir une certaine colère monter en lui.
Albior sourit. " Vous n'avez pas tort... Certainement sa réputation est surfaite. Bon, allez ! Je donne mon feu vert pour que cet article paraisse. Notre journal n'a pas l'habitude de cracher gratuitement sur les gens. Vous m'avez convaincu. "
Shun sourit : " Merci ! "
" Hé ! Hyoga ! Tu as lu l'article sur toi dans le 'Sanctuaire du sport' ? " l'apostropha l'un de ses coéquipiers comme il entrait dans le vestiaire.
Le Russe sourit : " Oui, j'ai vu ! "
" Dis donc ! Tu passes quasiment pour un super héros ! Le type ne t'a jamais rencontré pour dire de telles choses ou quoi ? Ha ha ha ! "
Hyoga se contenta de sourire plus largement sans répondre. Il était trop de bonne humeur aujourd'hui pour se vexer et répliquer aux vannes qu'on lui lançait.
" Shun ! Téléphone ! " cria Ikki en entendant la sonnerie familière.
" Réponds ! Je suis occupé ! "
" Moi aussi ! J'ai de la colle plein les doigts ! "
Ikki était en train de réaliser une maquette d'avion et il n'avait pas du tout envie d'être interrompu dans cette entreprise délicate. " En plus je suis sûr que c'est encore June ! "
Shun soupira et dévala rapidement les marches de l'escalier.
" Allo ? "
" Shun ? "
Son cœur se mit à battre à tout rompre lorsqu'il reconnut le léger accent russe.
" Oui ? "
" Je voulais vous... te remercier pour ton article. "
" De rien. J'ai fait uniquement mon travail. "
" Je n'ai pas l'habitude qu'on soit si gentil avec moi... "
" Je pensais tout ce que j'ai écrit. "
" Alors merci de tout cœur ! "
" De rien. Je suis un supporter des Cygnes blancs ! " dit Shun en s'efforçant de prendre un ton enjoué. Mais ses doigts tremblaient en serrant le combiné.
" Alors je te ferais envoyer une invitation pour notre prochain match. J'espère que tu pourras y assister. "
" Avec plaisir ! "
" Mais... peut-être qu'on pourra se voir avant... ? "
La remontée des escaliers sembla une épreuve périlleuse pour Shun. Ses jambes le soutenaient à peine et son cœur battait encore à toute vitesse comme s'il venait de courir un marathon. Il était obligé d'agripper la rampe. Il se sentait vidé de ses forces.
" Shun ! Viens voir mon avion ! " lui cria Ikki de la cuisine.
Mais Shun ne l'entendit même pas. Il se laissa tomber sur son lit et serra son oreiller dans ses bras.
Il n'y avait plus de doutes possibles.
Il était amoureux, amoureux de Hyoga, amoureux d'un autre homme.
C'était différent d'avec June. Tellement plus intense ! Tellement déstabilisant !
Il se rendait compte à présent que pour June c'était plutôt une profonde camaraderie, une très forte amitié qu'il éprouvait. Il l'aimait comme une sœur. Mais avec Hyoga, c'était différent, plus prenant, plus agréable et torturant. Et surtout... sans issue.
