Chapitre 1: quarante-deux ans plus tard
Quarante-deux ans ont passé. Pour Will, ce ne furent pas 42 ans de pur bonheur, mais il continua à vivre, malgré tout. Il vit maintenant en Afrique, avec sa femme et Mary, ses enfants étant partis faire leur vie de leur côté. Assis dans l'ombre de la véranda de sa belle maison de style colonial, il repensait à sa vie. Ca n'a pas toujours facile, oh non. Après avoir quitté Lyra, les premières années furent un vrai supplice. Il devait parfois le matin se donner un grand coup de fouet mental pour se lever, pour ne pas sombrer dans la mélancolie. Aidé de sa mère (qui a vite montré des signes d'amélioration de son état, il a donc pu en déduire que les anges avaient tenu parole) et de Mary, il avait entrepris des études scientifiques, comme celles de Mary. Il l'avait aidé dans ses recherches et ensembles, ils avaient découvert un bon nombre de choses sur les particules élémentaires qui leur avaient assuré une certaine renommée dans les milieux scientifiques. Il s'était alors consacré à l'écriture d'un livre assez simple à lire, mais qui cachait tellement de choses sur une bonne façon de se comporter pour faire un monde meilleur. Il plaçait l'amour comme valeur fondamentale de la vie. C'était sa façon à lui de construire la république des cieux. Son œuvre avait fait un carton, parce que les gens de son époque avaient besoin que quelqu'un leur dise des choses simples et belles au milieu des horreurs qu'ils voyaient chaque jour. Aidé de la machine qu'il avait construite avec Mary pour parler avec les Ombres, il avait su cacher des concepts à l'intérieur de ses phrases pour que, une fois morts, les gens comprennent ce qu'ils avaient à faire, c'est-à-dire dire la vérité. Il avait eu l'espoir fou que leur machine lui indiquerait le moyen de retrouver Lyra, même s'il s'était marié quelques années auparavant et qu'il avait des enfants. Mais la machine ne semblait que répondre à des questions simples et ne désirait pas toujours parler. Will pensait que les anges avaient du s'émanciper depuis que l'autorité était morte, et qu'ils avaient autre chose à faire que de lui répondre. Il avait cependant eu une conversation intéressante avec un ange qui lui révéla qu'il existait un procédé qui lui permettait de quitter son corps pour visiter d'autres mondes, et qu'il lui faudrait ensuite plus qu'à trouver le moyen de déplacer son corps.
"Facile, s'était dit Will avec ironie. Rien de plus simple que de déplacer mon corps de monde en monde."
Malgré cela, il s'était documenté sur ce que l'ange lui avait dit, et s'était dit que s'il pouvait au moins la voir, ce serait déjà tellement formidable. Il avait donc commencé la méditation et maîtrisait depuis déjà quelques années la sortie astrale dans son monde. De plus, Kirjava l'avait un peu aidé.
- Lyra, appela Will, fais attention, la branche à laquelle tu te tiens est trop faible! Pour monter plus haut, tu dois prendre celle qui est à ta gauche!
- Tu la couves trop cette gamine, lui répliqua Kirjava, lissant sa magnifique fourrure avec sa langue rose.
- Ah oui? Tu trouves que je la couve trop? T'en connais beaucoup des grands-pères qui laisseraient leur petite-fille grimper dans un arbre à cosse haut de trente mètres? Si Mattew la voyait, il me traiterait de fou et de sénile.
- Ton fils est loin, il est bien trop occupé avec ces foutus Américains qui ont envahi le Japon.
- J'espère qu'il ne prend pas de risques…
Mattew est le fils aîné de Will et Sara, une fille que Will a rencontré quand il avait dix-huit ans. Il lui a fallu trois ans pour surmonter sa douleur et sa culpabilité et, poussé par sa mère et par Mary, il avait enfin réussi à la demander en mariage. Il ne l'a jamais regretté.
Sara était une fille vive et intelligente. Will faisait ce qu'il pouvait pour ne pas la comparer à Lyra, et y était encore assez bien arrivé. Il savait qu'elle avait toujours souffert de ce secret qu'il ne lui avait jamais révélé, mais elle était assez intelligente pour comprendre que ce serait stupide de le brusquer pour ça alors que c'était un mari et un père tendre et attentionné. Si ce n'était cette ombre de mélancolie qui passait sur son visage à l'approche du solstice d'été et ses disparitions ce jour maudit, comme elle le surnomma intérieurement, elle trouvait qu'elle avait l'homme le plus merveilleux de la terre.
Quant à leurs trois fils, c'étaient de bons garçons. Mattew, l'aîné, était ambassadeur. Il profitait de sa position pour faire passer les idées de tolérance et d'amour que son père lui avait inculquées. Il était d'ailleurs très respecté pour ces idées et aussi pour avoir sorti sans casse des pays en très mauvaise posture, bien qu'étant très jeune. En ce moment, il réglait un conflit particulièrement difficile entre les Etats-Unis et le Japon dans lequel le Royaume-Uni était impliqué. Comme le terrain était dangereux, lui et sa femme (la fille du dirigeant de l'Argentine, rencontrée en mission) avaient décidé d'un commun accord d'envoyer leur fille Lyra en Afrique chez son grand-père pour qu'elle y soit en sécurité. La fillette, turbulente et âgée de 7 ans faisait le bonheur de son papy qui ne l'avait encore presque jamais vue. Le choix de son prénom était un vrai mystère pour Will, puisqu'il n'avait jamais raconté cette histoire à personne. Quant à ses deux autres fils, Ian, le second, était écrivain, et avait hérité de la plume de son père, tandis que Lee, le plus jeune s'était lancé dans le cinéma. Will avait réussi à le faire appeler du nom de l'aéronaute texan qui s'était sacrifié pour sauver la vie de son père. Dangereux fanatiques et dangereuses sorcières…
- Papywill, vient me rejoindre! Je te jure, c'est ici qu'on devrait construire une plateforme!
- Prends des mesures, Lyra, je viendrai après.
Bien qu'âgé de cinquante-cinq ans, il était toujours fort, et ne paraissait en avoir que quarante. Il avait toujours grimpé dans ces arbres. Enfin, ils n'avaient pas poussé tout de suite. Mary les avait mis en terre dès son arrivée, mais il avait fallu attendre deux ans avant qu'une pousse ne sorte de la terre. Puis, quand ils eurent terminé leur machine, les anges leur conseillèrent de les mettre en terre ensoleillée et qui ressemble à leur pays d'origine. Avec l'argent gagné par les travaux scientifiques et la vente des livres de Will, ils avaient donc acheté cette propriété congolaise et s'y étaient installés depuis de nombreuses années. Les pousses ont vite grandi et ont donné des arbres magnifiques, pas tout à fait les mêmes qu'au pays mulefa, mais n'ont jamais fait de fleurs. Depuis que les arbres étaient suffisamment solides pour le porter, Will avait tout de suite commencé à grimper dessus et trouvait un certain repos de l'âme entouré de ce feuillage. A sa femme, il lui raconta le seul mensonge véritable en lui disant que ces arbres étaient issus d'une expérience scientifique.
- Dis-moi Kirjava, ces passages que tu as vus dans ton voyage avec… Pan, demanda Will avec difficulté malgré les années, ils ressemblaient à quoi exactement? Parce que j'ai l'impression que je suis déjà allé dans des tunnels bizarres et que j'approche du but, mais je n'en suis pas certain.
- Oh, ça ressemblait plus à des sortes de fenêtres rondes qu'à des tunnels, mais peut-être est-ce le fait que seul ton esprit voyage et non ton corps. Et peut-être est-ce différent pour moi puisque je suis ton âme…
- Papy! Cria la gamine, tu es encore en train de parler tout seul!
- Non, chérie, je parle avec Kirjava.
Etrangement, et peut-être parce qu'elle s'appelle Lyra, sa petite-fille était la seule personne en dehors de Mary à qui il avait parlé de ses aventures. Mais sûrement le faisait-il parce que raconter de telles histoires à une fillette de 7 ans revenait pour l'entourage à voir un grand-père raconter des histoires fantastiques à sa petite-fille pour la faire rêver.
- Tu parles avec Kirjava? Attends-moi! Je veux entendre! Raconte-moi la suite d'hier!
- Mais tu l'as déjà entendue cette histoire!
- Pas grave!
Elle glissa au bas de l'arbre à une vitesse étonnante.
"Je vais rendre une petite sauvage à son père…" Se disait Will. Car la gamine, en dehors des histoires abracadabrantes de son grand-père, n'écoutait rien, n'en faisait qu'à sa tête, et n'espérez surtout pas lui faire apprendre ses calculs! Elle savait lire, et cela lui suffisait! Elle passait ses journées à grimper aux arbres, à jouer à Lyra, l'héroïne des histoires de son papy, ou à partir dans la nature à la recherche d'animaux sauvages. Elle adorait quand son grand-père l'emmenait avec lui en 4x4 à la mine qui se trouvait sur son terrain. Il faisait exploiter cette mine au profit des ouvriers et les excédents étaient directement versés à une association qui construisait des écoles et des hôpitaux dans la région. Les mineurs étaient très contents de cette situation, et lorsqu'ils avaient mis un peu d'argent de côté, ils laissaient leur place à d'autres. Will devait juste aller vérifier de temps en temps que personne ne profite de cette mine à d'autres fins moins honnêtes et amenait l'argent récolté aux différentes associations. Il s'arrangeait pour que l'accroissement des villages de la région ne s'approche pas trop de sa propriété pour éviter les questions gênantes à propos de ses arbres bizarres dans son jardin et pour conserver sa tranquillité. Mais grâce à ça, la région prospérait.
- Vas-y Papywill, raconte-moi la suite de ce qui s'est passé dans le nord, quand Lyra arrive à mentir à l'ours!
Au début, Will lui racontait une version édulcorée de l'histoire que Lyra lui avait racontée du grand nord, mais la gamine adorait les histoires de sang et de mort, et rien ne lui faisait plus plaisir de frissonner d'effroi quand son grand mère lui racontait comment la mâchoire de Iofur Racknisson se décrochait éclaboussant la neige de son sang. Will se disait que cette gamine n'était décidément pas normale. Elle lui rappelait Lyra, la première fois qu'il l'avait vue: sauvage, expansive mais adorable. Tiens, il se demandait comment était son daemon. Avec la double vision, il se concentra quelques instants et vit près d'elle un chat de gouttière, qui se transforma en gerboise et vint se loger dans le cou se sa propriétaire qui ne remarqua rien. Will jeta un regard à Kirjava qui lui répondit par un hochement de tête.
- Non, Lyra, je ne vais pas te parler de Iorek aujourd'hui, j'ai quelque chose de beaucoup mieux pour toi.
- C'est quoi? Une autre histoire? Que j'ai pas encore entendue?
- Non, ce n'est pas une histoire. Je vais t'apprendre à voir ton daemon.
La petite resta interdite.
- Mon… mon daemon? C'est possible? Mais, je…
- Pourquoi crois-tu que je parle tout seul? Kirjava est mon daemon, ce qu'il y a c'est que quand j'ai été au pays des morts, il s'est séparé de moi, et maintenant je peux lui parler.
- Tu as été au pays des morts? Mais tu ne m'as jamais raconté cette histoire! Tu me la racontera, hein?
- Plus tard.
Will n'avait pas raconté cette histoire à Lyra qui était difficile à comprendre surtout sur le plan religieux, et aussi parce qu'il estimait qu'elle était encore trop jeune pour entendre une pareille histoire, même si elle aimait les histoires qui font peur.
- Tu veux voir ton daemon?
- Oui!
Il passa une demi-heure à lui apprendre comment utiliser la double vision, mais une fois qu'elle eut compris, elle la maîtrisa sans aucune difficulté. Après avoir été toute folle pendant une dizaine de minutes, Will lui demanda de ne pas parler de ça à personne, sauf à Mary. La petite se tourna alors très sérieusement vers son grand-père, ce qui ne lui arrivait pas souvent.
- Papy, si je peux voir mon daemon, ça veut dire que tout ce que tu m'a raconté est vrai…
- Bien sûr que c'est vrai!
- Mais papy… Lyra existe vraiment alors.
Une ombre passa sur le visage de Will que la gamine remarqua.
- Oui, elle existe.
- Mais tu m'as dit que tu avais été très triste de la quitter. C'était ton amoureuse? Est-ce que tu n'es pas amoureux de grand-mère?
Trop perspicace cette gamine, pensa Will.
- Ce sont des histoires de grande personne Lyra chérie. Mais saches que j'ai toujours aimé ta grand-mère, et que j'éprouve énormément de tendresse et de respect pour elle.
- Mais tu n'étais pas une grande personne à ce moment-là… Dis-moi grand-père! Je te jure que je ne dirai rien à personne, et toute façon, je te ferais remarquer que je n'ai jamais raconté tes histoires à personne!
- Non, c'est inutile, je ne t'en dirai pas plus aujourd'hui. Plus tard.
- Alors dis-moi juste une chose! Est-ce que tu ne voudrais pas la revoir une fois? Il n'y a pas un moyen?
- Elle est peut-être morte à l'heure qu'il est. Il faut que tu comprennes que quand nous avons décidé de nous séparer Lyra et moi, nous avons dû choisir entre notre bonheur ou celui de toute l'humanité. Mais tu es encore un peu jeune pour comprendre.
- Donc, j'avais raison, tu étais amoureux d'elle! Dit la gamine triomphante avant de rentrer précipitamment dans la maison.
- Ah la la, Kirjava. Cette gamine me rendra fou.
- C'est surtout qu'elle te rapelle des moments pénibles.
- Je vais faire un peu de méditation dans l'arbre, et voir cet endroit qui serait bien pour une plateforme. Tu viens?
- Non, je vais rester un peu au soleil.
Pendant ce temps, dans la maison, la petite Lyra avait une idée en tête. Mary lui avait déjà parlé de cette machine pour parler avec des trucs bizarres qui te répondaient la vérité, et justement, elle avait besoin de savoir la vérité sur certaines choses. Elle savait que la machine était dans un bureau à l'étage, fermé à clé. Se faufilant comme une anguille dans la maison, elle chipa les clés accrochées à un trousseau sur un panneau au mur et monta l'escalier. Quand elle entra dans le bureau, elle s'attendait à un amas de fils et de boîtiers clignotants de toutes parts, mais elle fut surprise de n'y trouver qu'un ordinateur avec un gros cylindre noir posé à côté. Familiarisée avec les ordinateurs depuis sa plus tendre enfance, elle poussa sur le bouton de démarrage et la machine se mit en route. Un message s'inscrivit sur l'écran noir que la gamine eut du mal à déchiffrer vu son manque d'assiduité aux cours que son entourage essayait de lui faire prendre. Mais elle put quand même lire: bienvenue sur SATTAMAX. La petite appuya sur enter. Un texte plus long s'inscrivit: Pour communiquer avec les ombres, entrez dans un processus de seconde vision puis posez votre question.
Lyra ne savait pas ce qu'était un processus, mais la seconde vision, elle connaissait. Elle se concentra pour voir… tiens au fait, comment s'appelle son daemon? Il faudra qu'elle demande à Sattamax. Enfin, elle le vit, sous forme de petit oiseau qui s'était posé sur le cylindre. A ce moment-là, un autre texte apparut: oui? Lyra tapa laborieusement sa question.
- je sui lyra
- Je le sais.
- je veu savoir comen mon démon sapèl
- Ton daemon s'appelle Nariann.
- lyra parledor egziste vréman?
- Oui, elle se trouve en ce moment dans le pensionnat St Sophie.
Lyra marqua une pause quand elle eut déchiffré le message. Alors ça, c'était dingue!
- èl va bein?
- Comme ton grand-père.
Cette machine sait vraiment tout. C'était fantastique!
- Tu peu me dir otre chose sur lyra?
- Non, désolé.
- tu peu pa ou tu veu pa?
- Je ne comprends pas.
- sé pa grave. Ya 1 moien de la retrouvé?
- La réponse se trouve dans les livres de ton grand père. Et son daemon peut t'aider aussi. Cherche dans les sorties astrales.
Ensuite, Lyra avait beau poser des questions, l'ange ne répondait plus rien. Elle éteignit alors l'ordinateur et referma la porte. Il était temps, sa grand-mère la cherchait. Elle se glissa dans la chambre de Mary où celle-ci était couchée. Mary avait beaucoup vieilli. Elle avait maintenant septante-sept ans et ne bougeait plus beaucoup. Elle avait été très triste à la mort de la mère de Will, qui était devenue sa première vraie amie humaine, et même si elle s'entendait très bien avec Sara, elle sentait le poids du chagrin, du secret et des ans la peser de plus en plus. Pourtant, elle s'accrochait. Elle sentait que cette histoire n'était pas encore terminée et elle attendait la fin avec impatience. Oh, comme elle aimerait finir ses jours avec les mulefas, ou du moins, les revoir ne serait-ce qu'une seule fois. Atal lui manquait, et les fleurs des arbres à cosse, et leur gentillesse, leur simplicité… Elle savait qu'elle n'en avait plus pour très longtemps, et elle savait qu'elle n'aurait plus l'occasion de retourner en pays mulefas, mais elle gardait espoir. Un espoir de fou…
Sara vint chercher Lyra qui s'était infiltrée dans sa chambre quelques secondes plus tôt.
- Ah, c'est ici que tu te cachait?
Quand elle vit le regard suppliant de Lyra, Mary répondit:
- Oui, elle faisait la conversation à une vieille dame…
- Elle ne t'ennuie pas?
- Non, pas le moins du monde.
- Très bien. Le goûter va être bientôt servi.
Sara sortit de la pièce.
- Merci Mary.
- De rien, et maintenant, dis-moi ce que tu étais encore en train de faire comme bêtise. Je ne le répèterai pas à ta grand-mère, c'est promis.
- Et pas à papy non plus?
- C'est d'accord.
- J'ai été voir la machine.
- Quoi? Sattamax?
- Oui, c'est ça, Samaxmachin.
- Sattamax. Tu sais qui c'est?
La petite fit non de la tête.
- C'était le vieux Zalif de la tribu de mulefas dans laquelle j'ai vécu.
Comme à chaque fois qu'on lui parlait des autres mondes, la petite buvait les paroles de ses interlocuteurs. Mary lui raconta encore quelques détails que Lyra ne connaissait pas, notamment sur la poussière.
- Et tu as réussi à faire marcher Sattamax?
- Ben oui, c'était pas très difficile. Il m'a dit que mon daemon s'appelle Nariann!
Mary fut très surprise. Il fallait maîtriser la double vision pour faire marcher cette version de Sattamax. Il y avait eu d'autres versions plus faciles à utiliser, mais avec Will, ils avaient préféré garder cette version qui empêchait que n'importe qui ne l'utilise. Ils avaient détruit toutes les autres.
Les jours passants, Lyra apprenait de plus en plus de détails grâce à Mary et à Will qui répondaient à ses questions sans se douter qu'elle avait quelque chose derrière la tête. En même temps, elle avait réussi plusieurs fois à entrer discrètement dans le bureau de Will et lui chipait un à un ses livres sur la sortie astrale avant de les remettre à leur place. Même si au début elle ne comprenait rien, elle finit par comprendre les principes de base et commença à faire de la méditation tous les soirs avant de se coucher. Au début il ne se passa rien, mais à partir de la troisième séance, elle parvint à saisir le truc et à partir de là, elle fit des progrès fulgurants. Et c'est là que le drame survint.
Quelques jours avant le solstice d'été, Sara tomba gravement malade. Son état empira rapidement. Will ne quittait pas son chevet.
- Tu ne peux pas t'en aller Sara.
- Oh si, je le peux, et je vais le faire. Je suis juste triste que pendant toute notre vie commune, tu n'aies jamais eu une confiance totale en moi.
- Ne pense pas ça ma Sara, ce n'est pas vrai. Ce secret, il m'a fait souffrir pendant des années. Je ne voulais pas qu'il te fasse souffrir toi aussi. Je ne voulais pas qu'il jette une ombre encore plus grande. J'ai préféré le garder pour moi.
- C'est une autre femme, non? Ne me mens pas, une femme sens ses choses là.
Will sourit.
- Non Sara, tu te trompes. Ce n'est pas une femme. C'est une petite fille. Le souvenir que j'ai d'elle me hante.
- Pourquoi ne m'en as-tu jamais parlé? Elle est morte?
- En quelque sorte. Mais je le suis moi aussi.
- Qu'est-ce que tu racontes?
- Tu tiens vraiment à le savoir?
- Will, j'ai déjà toute une jambe dans la tombe. Tu ne vas pas aller contre la volonté d'une mourante…
Elle lui avait dit ça avec un sourire. En fait, Will remarqua qu'elle avait surtout l'air soulagé.
- Je ne t'ai jamais parlé d'elle parce que je l'aime encore, et je l'aimerai toute ma vie. Je n'ai pas voulu t'en parler parce que je ne voulais pas que tu sois jalouse d'un fantôme.
- Donc elle est morte.
- Non, Sara, elle n'est pas morte. Et je suis sûr qu'elle m'aime toujours. Mais ne vas pas te faire des idées, je ne l'ai plus revu depuis que j'ai treize ans. Nous avons été obligés de nous quitter, et nous ne nous reverrons probablement jamais.
- Pourquoi pars-tu toujours le 21 juin si tu ne la revois pas?
- C'est le jour que nous avons choisi pour être ensemble en pensée.
- C'est terriblement romantique, mais quelque chose ne colle pas dans ton histoire. Si elle vit toujours, que tu l'aimes et qu'elle t'aime, pourquoi n'as-tu jamais cherché à la retrouver?
- Oh, je sais parfaitement où elle est. Il m'est juste impossible de m'y rendre. Je voudrais te dire une chose. Tu dois avoir en ce moment l'impression d'être une sorte de deuxième choix. Peut-être es-tu en train de te dire que si je l'avais revue je t'aurai laissé tombé. Je ne sais pas ce que j'aurai fait si je l'avais revue, mais en tout cas, je t'ai toujours adoré et respecté. J'espère avoir été un bon mari et un bon père et t'avoir donné l'amour que tu méritais. Il y a des blessures qui ne se referment jamais, et celle que j'ai vécu avec cette fille en fait partie. J'espère juste que tu n'en as pas trop souffert.
- Tu sais Will, j'ai toujours su que c'était une femme, ou une fille si tu préfères, qui avait volé ton cœur avant moi, et je dois te dire que je me suis posé beaucoup de question sur tes sentiments envers moi. Mais je n'ai jamais manqué de rien, pas même d'amour, et je ne suis pas sûre qu'il en ait beaucoup sur cette planète qui puisse en dire autant. Après tout, toi tu ne m'as trompée qu'avec un souvenir, et peu d'hommes en font si peu dans ce domaine. Je te remercie de toutes ces années qu'on a passées ensemble et je t'aime. Je vais dormir maintenant, je suis fatiguée. Ferme la porte en sortant.
Will déposa un baiser sur son front.
- Moi aussi je t'aime Sara, chuchota Will avant de sortir
Elle ne se réveilla plus.
La semaine qui suivit fut mélancolique. Le seul moment de bonheur pour tout le monde fut lorsque Mattew, Lee et Ian revinrent à la maison pour l'enterrement. Ian avait eu un petit garçon quelques mois auparavant que Will n'avait encore jamais vu.
La cérémonie fut courte, mais tout le monde était secoué. Même Lyra ne disait rien. Elle était bizarre en ce moment. Elle restait parfois de longs laps de temps immobile, les yeux mi-clos. Will se demandait ce qu'elle fabriquait, mais il avait d'autres chats à fouetter et ne s'en soucia pas outre mesure. Puis vinrent les grands changements…
Voilà pour le premier chapitre, n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez. Je vais essayer de poster régulièrement les chapitres pour ne pas vous faire trop attendre... Prochain chapitre: Une huile faiseuse de miracles
