Ch 2: Une huile faiseuse de miracle
C'était le jour du solstice d'été. Will était parti, comme chaque année. Il était retourné à Oxford s'asseoir sur le banc. Il était étonné que ce banc soit toujours là. Une année, il avait eu un choc quand il s'était rendu compte qu'on l'avait remplacé par un neuf, mais en fait, il s'en fichait un peu du moment qu'on ne l'avait pas déplacé. Il se demandait si Lyra était toujours de l'autre côté. Et si ce qu'il avait dit à sa petite-fille était vrai? Elle était peut-être morte maintenant, tout comme Sara… Mais en sondant son cœur, il eut bientôt la certitude qu'elle était bien là, fidèle au rendez-vous, assise au même endroit que lui sur ce banc. Et là sans s'en rendre compte tellement cette pratique lui était devenue familière, il plongea en méditation, toutes ses pensées toujours tournées vers Elle.
Et le miracle survint.
Peut-être arrivait-il maintenant parce qu'il était libéré de la culpabilité de trahir Sara, mais en tout cas, il parcourut les tunnels habituels, se perdant dans leurs méandres, quand il entendit une voix, qu'il reconnaissait à peine mais qui lui était étrangement familière et qui lui disait: " Oh, Will, Will, tu me manques." Il suivit cette voix, et soudain, il la vit, assise sur son banc. Lyra. Son cœur se serra et fit un bond en même temps. Il ne la vit qu'une paire de secondes, juste le temps qu'elle remette ses mèches grises derrière ses oreilles avec ce geste qu'il aimait tant. Elle avait vieilli, bien sûr, lui aussi. Mais elle était toujours belle à ses yeux. Et même si la mort de Sara était encore bien présente dans son esprit, en cet instant, Sara était à des milliers d'années lumières de ses pensées. Il avait vu Lyra. C'était fantastique. Il se rendit compte qu'il était haletant, comme après une course et que son cœur battait très fort. Après toutes ses années, il était encore fou d'elle. Et elle lui as dit qu'il lui manquait. C'était tellement miraculeux qu'il eut envie de sauter de joie, d'embrasser tout le monde et de crier sur tous les toits que la vie valait la peine d'être vécue. L'espoir rejaillit au creux de sa poitrine comme le champagne jaillit d'une bouteille trop secouée.
Quand il rentra dans sa propriété en Afrique, il eut la surprise de voir Mary debout, dehors, qui accourait vers lui.
- Will, te voilà enfin!
- Il y a un problème?
- Ce sont les arbres.
- Quoi les arbres? Ils sont malades? Comme chez les mulefas?
Mary lui fit un sourire qui faisait trois fois le tour de sa tête et répondit:
- Non Will, ils bourgeonnent!
Il fallut trois ans aux arbres à cosse pour former des fleurs puis des cosses. Chaque jour, Will allait les voir et s'émerveillait devant ces arbres majestueux (bien que moins grands qu'au pays mulefas) qui suivaient leur nature.
La petite Lyra était restée, le conflit s'éternisait avec son lot d'attentats, de terreurs et de négociations qui allaient aussi vite que des escargots de course. Afin de faciliter un peu les choses avec Lyra, son grand-père lui avait fait promettre qu'elle ne restait qu'à condition de faire les devoirs et les exercices qu'on lui demandait de faire. Elle accepta. D'autant plus que depuis qu'elle s'était passionnée pour les sorties astrales, elle avait une soif de savoir qui ne s'étanchait pas. Elle espérait, en faisant ses exercices, mieux comprendre ce que les livres lui disaient. Elle voyait maintenant tout le temps son deamon, mais elle ne pouvait pas lui parler, comme Will, et cela la désespérait, même si elle avait mis un code au point avec lui, mais il était peu efficace pour les grandes discussions. Par contre, elle avait compris le système et s'amusait à voir les daemons des autres personnes. Elle eut le choc de sa vie quand elle chercha à voir le daemon de Will et qu'elle ne le trouva pas près de lui, mais que celui-ci s'était glissé derrière elle et lui parla.
- C'est moi que tu cherches?
- Mais, tu parles, Kirjava!
- Non, tu crois?
- Comment… pourquoi n'es-tu pas…
Le chat éclata de rire.
- Will ne t'as pas raconté le royaume des morts?
- Je me souviens qu'il m'en a vaguement parlé il y a déjà longtemps, mais il ne m'a jamais raconté. Tu me racontes? S'il te plait…
Oh comme il était difficile de résister à ces yeux suppliants.
- D'accord, mais si tu fais des cauchemars après, ne viens pas te plaindre.
- Vas-y, racontes!
Et Kirjava lui raconta ce que Will lui avait raconté, puisque lui-même n'y avait pas été. Il lui expliqua que le lien qui les unissait s'était allongé. Il lui raconta aussi sa colère contre Will de l'avoir abandonné, puis le pardon.
- Mais, vous vous aimiez encore, pourquoi lui en vouloir? Il n'avait pas eu le choix…
- Nous le savions Pan et moi, mais c'était très dur. Et puis, je ne regretterai jamais les moments que j'ai passé avec Pan. On a visité plein de mondes, tu sais?
- Mais vous n'aviez pas de poignard…
- Au début, nous traversions toutes les fenêtres que nous voyions. Et puis, nous avons discuté avec des anges qui nous ont expliqué une technique pour passer dans d'autres mondes.
- Mais… Mais… pourquoi n'es-tu pas allée voir Lyra pour Will si tu sais comment passer d'un monde à l'autre? C'est vraiment méchant de ta part! Il souffre depuis si longtemps!
Elle était en colère maintenant, et serrait ses poings pourtant pas plus gros qu'un abricot pendant que Nariann se changeait en serpent.
- Calme toi. Ce n'est pas de ma faute, comme ce n'est pas celle de Pan s'il n'est pas venu voir Will. L'ange que nous avions rencontrée nous avait versé une poudre, ou quelque chose sur nous pour que nous puissions traverser ces mondes. Il n'a pas fallu longtemps pour que cette poudre disparaisse. Je ne sais pas ce que c'était. Je me souviens juste que c'était très beau. Ca doit provenir des anges, mais ça m'étonnerai qu'ils nous en donnent encore. Will leur a demandé sur Sattamax. Ils n'avaient même pas l'air de savoir ce que c'était. Tu vois, il existe plusieurs sortes d'anges, et l'ange qu'on a rencontré était un ange très puissant, il est possible que les anges moins puissants ne soient pas au courrant.
- C'est dommage. J'aimerai bien voir Lyra.
- Moi aussi je voudrai la revoir. Et revoir mon cher Pantalaimon aussi.
Les yeux de kirjava se perdirent dans le vague et Lyra remonta dans un arbre pour penser à tout ce qu'elle venait encore d'entendre.
Will, en trois ans, n'avait pas réussi à revoir Lyra, mais il sentait qu'il était de plus en plus proche. Une peu comme s'il avait pu apercevoir la solution d'un problème et qu'il devait maintenant trouver le calcul pour y parvenir à nouveau. Il sentait que cette solution n'était pas loin, un peu comme s'il était déjà passé à côté plusieurs fois sans la voir. Mais il essayait de se faire une raison. Il y avait peu de chances qu'il y parvienne un jour. Les dernières fois, il avait erré dans les tunnels, mais même s'il entendait le voix de Lyra, très lointaine, il n'arrivait pas à la suivre et à la retrouver. Maintenant, il ne vivait plus que pour sa petite Lyra, le solstice d'été, et les cosses qui allaient bientôt tomber. Il se réjouissait de voir les arbres fleurir et faire des cosses qui allaient pouvoir faire d'autres arbres, mais pas autant que Mary, qui avait trouvé un système pour monter dans les arbres, à son âge! Elle passait ses journées sur sa plate-forme à observer les fleurs, et les cosses et à respirer l'odeur douce du feuillage. Elle paraissait être plus heureuse qu'elle ne l'avait été depuis longtemps. Ce n'était pas les mêmes cosses que chez les mulefas. Comme les arbres, elles étaient plus petites, et paraissaient plus fragiles. Mais Mary se disait que c'était peut-être parce que c'étaient les premières. Elle avait toujours son miroir d'ambre, mais il ne marchait presque plus, puisqu'elle n'avait plus d'huile pour remettre dessus. C'était une réjouissance en plus pour elle de penser que bientôt, il fonctionnerait peut-être de nouveau.
Quelques jours avant le solstice d'été, le jour de l'anniversaire de la mort de Sara, Will et Lyra discutaient sous un arbre à cosses, tout en essayant de faire des exercices de physique élémentaires que Will essayait de faire comprendre à Lyra. Elle aimait cette matière qui touchait à la poussière, et elle en savait presque autant que Will à ce sujet. Il lui avait expliqué la guerre qui s'était déroulée quelques années plus tôt et ils discutaient des changements qui avaient eu lieu dans leur monde depuis la fin de cette guerre.
- Je ne comprends pas pourquoi tu n'as jamais raconté cette histoire à personne, Papywill.
- C'est parce que tu es encore jeune. Si j'avais écrit un livre sur cette histoire, il aurait été catégorisé dans la section jeunesse. Parce qu'il n'y a que les enfants, et leur belle innocence qui y auraient cru. Et en grandissant, ils se seraient dit que ce n'était qu'une fable. J'ai préféré glisser mes idées dans un livre pour adulte, parce que ce ne sont pas les enfants qu'il faut changer, mais les adultes qui ne croient plus en rien et qui donnent de mauvaises idées aux enfants. Je crois que j'ai quand même réussi quelque chose, tu sais. Même s'il y a encore des conflits, les gens réagissent mieux. Regarde le conflit que ton père est en train de régler. Beaucoup de gens ont manifesté contre ce conflit et ont demandé la paix. Il y avait eu des manifestations de ce genre quand j'étais jeune, mais elles ne rameutaient que peu de personnes. Ici, il y a eu de véritables soulèvements pour protester contre cette manière d'agir, et c'est peut-être la seule chose qui a poussé les dirigeants à ne pas encore s'envoyer de missiles nucléaires. Et puis regarde ce qu'ils ont fait ici en Afrique depuis quelques années. L'aide internationale a quadruplé. Des écoles fleurissent un peu partout, et les soins de santé commencent à rattraper ceux donnés en Europe et aux Etats-Unis. C'est déjà fantastique. Il y a encore des progrès à faire du côté de l'environnement, mais depuis qu'on a enfin réussi à ce qu'un brevet pour des voitures non polluantes ne soit acheté par des multinationales pétrolières, l'effet de serre s'est stabilisé. Mais il faut du temps. Beaucoup de temps.
Ils se turent quelques instants. Les oiseaux chantaient et une petite brise caressait leur visage dans cette chaude journée de fin de printemps.
- Papy, elle te manque mamie Sara?
- Bien sûr. Tu sais, ce n'est pas parce que j'ai toujours aimé Lyra que je n'ai pas aimé Sara. Elle était merveilleuse. Peut-être qu'elle aurait été plus heureuse avec quelqu'un d'autre que moi, mais j'ai vraiment essayé de lui donner tout ce qu'elle méritait.
- Ne dis pas ça, papy. Je suis sûre qu'elle n'aurait jamais trouvé quelqu'un de mieux que toi.
- Merci ma chérie, dit Will en lui faisant un gros bisou. Après on ira mettre des fleurs sur sa tombe. On pourrait planter un lilas, qu'est-ce que tu en penses? Elle adorait ces fleurs.
La petite hocha de la tête.
- Tu ne m'a jamais dit à quoi ressemblait Lyra.
- Ah, Lyra…
Will se tu, perdu dans ses pensées, jusqu'à ce qu'un "crac" sonore le ramène sur terre. A cet instant, quelque chose vint s'écraser à ses pieds, l'éclaboussant d'une substance jaune et dorée. Une cosse s'était détachée de l'arbre et était venue s'ouvrir à ses pieds trop fragile pour tenir le choc. Il n'eut pas le temps de revenir de sa stupeur qu'une deuxième cosse s'écrasa de la même façon à côté, puis une autre, et une autre encore.
- Lyra, viens vite! Ils se collèrent au tronc pendant qu'autour d'eux, une pluie de cosse s'abattait de toute part, les couvrant d'huile des pieds à la tête. Puis, la pluie s'arrêta soudainement qu'elle avait commencé. Will leva les yeux vers le feuillage et vit qu'il ne resta plus une cosse dans l'arbre.
- Lyra! C'est fantastique! C'est de l'huile de cosse!
L'huile était douce et leur procurait un sentiment de bien-être qui les firent rire comme des enfants. Ils jouèrent dans cette huile qui s'était répandue partout, s'éclaboussant et poussant des cris de joie. Ensuite, ils se calmèrent et Will attrapa Lyra dans ses bras, Kirjava sur une épaule et Nariann dans la chemise de Lyra sous forme de souris, et pensa très fort: "Ah, Lyra, si tu pouvais voir ça!" Et ils disparurent.
Lyra était dans sa chambre, à Ste Sophie. Elle était restée là après ses études et était devenue professeur. Sa fille Marisa, qu'elle avait appelé du nom de sa mère en souvenir du sacrifice qu'elle avait fait pour elle, était en voyage d'affaire, et son petit fils Will (nom qu'elle avait demandé à sa fille de lui donner) de 10 ans jouait dans le jardin avec son daemon. Après des années de dur travail, des années d'acharnement à chercher des significations de symboles obscurs, elle arrivait à présent à lire l'aléthiomètre correctement. Même si elle ne retrouverait sans doute jamais l'aisance qu'elle avait lorsqu'elle avait la grâce, elle pouvait déchiffrer assez facilement des significations simples. Il y a trois ans, elle avait interrogé l'aléthiomètre au sujet de Will. Elle l'avait déjà fait avant, bien sûr, mais cette fois, la réponse avait été différente de la suite de symboles qu'elle voyait d'habitude et qu'elle n'avait jamais réussi à déchiffrer. Cette fois, il lui disait qu'elle devait continuer à y croire, et elle avait eu plus d'espoir que jamais, l'appelant de toutes ses forces le jour du solstice d'été. Même s'il ne s'était rien passé de spectaculaire, elle avait senti dans son cœur qui commençait tout doucement à vieillir que quelque chose s'était passé. Elle s'était sentie plus proche de Will que jamais. Depuis ce jour, l'aléthiomètre lui disait d'être patiente. Elle lui demandait tellement de fois pourquoi être patiente que l'aléthiomètre avait fini par en avoir marre et ne répondait plus que par un seul signe qui disait "idem". Ca l'agaçait, bien sûr, mais elle ne se décourageait pas. Mais aujourd'hui, la réponse n'avait pas été la même. Justement, la réponse était "aujourd'hui". Pensant avoir mal lu, elle reposa la question. La réponse fut la meme. "Ajourd'hui". "Aujourd'hui" était un signe courrant que Lyra avait pu voir maintes fois dans ses déchiffrages. Elle ne pouvait donc pas se tromper… Quand la signification de ce mot prit enfin tout son sens, son cœur s'accéléra et la joie la fit décoller. Aujourd'hui! Aujourd'hui, elle allait voir Will! C'était fantastique! Et alors qu'elle entamait une petite gigue dans son bureau, une créature étonnante se matérialisa dans la pièce. La créature était couverte d'une sorte d'huile dorée et puis elle se sépara en deux. Tiens, il semblait vaguement que ces choses aient une forme humaine. Puis la plus grande des deux choses parla.
- Lyra…
Cette voix. Cette voix… Changée peut-être par les âges, mais c'était la voix de…
- Will, c'est toi?
Voila pour le second chapitre. Le suivant sera intitulé Retrouvailles. Merci de votre attention et à bientôt!
