Scène 3

- "Nagao Kimino. Né en 1947, dans le département de Tottori. A passé tous ses diplômes haut la main, avant d'entrer au Consulat du Japon, à Tokyo. Il y a dix ans, est devenu Ministre de l'Intérieur, puis à cause d'une sombre affaire, a démissionné de son poste. Est retourné dans son parti, et en a pris la tête après la mort d'un de ses partisans. Enfin, est devenu Sénateur il y a moins de deux ans".

L'inspecteur Tatsuya Fubuyuki lança nonchalamment le dossier Nagao sur la table d'interrogatoire. Et jeta un regard consterné sur le jeune homme en face de lui, qui paraissait tout aussi miséreux que la garde-robe de l'inspecteur.

- Bien, fit-il. Nous savons que l'heure de la mort est située à 23h34 ; c'est confirmé par le légiste. Où étais-tu à cette heure-là, Heiji ?

- Inspecteur, je sais que vous travaillez avec mon père depuis quelques années déjà ; je vous respecte et j'apprécie que vous ayez décidé de prendre l'affaire en charge. Mais je ne peux rien vous dire... Je suis désolé.

- Heiji... Ton père ne sait pas que tu es là. On est plusieurs à couvrir ton arrestation. Mais si tu pouvais coopérer, ça nous aiderait à en finir au plus vite sans que le préfet soit au courant... Si tu persistes à ne rien dire, je ne peux pas t'aider... Et tu sais que je ferai n'importe quoi pour te sortir de là ! Je dois tellement à ton père... Tu me mets dans l'embarras en refusant de m'aider...

- J'en suis désolé...

Heiji avait la mine sombre. Il ne pouvait pas trahir sa présence sur les lieux du meurtre, mais il ne pouvait non plus se disculper sans trahir le secret de son silence. L'enjeu était de taille, et le dilemme bien trop fort. Pourtant, s'il devait se sacrifier, il n'hésiterait pas.

- Pouvez-vous me dire ce qui s'est passé hier soir ? Je sais que ça serait plutôt à moi de vous le dire, mais personne ne m'a dit dans quelle conséquence le corps a été découvert...

Fubuyuki soupira. Et accepta sa requête.

- Cette nuit, aux environs d'une heure, nous avons reçu un appel de cet hôtel : le concierge avait été agressé. Une équipe est allée sur place pour prendre se déposition : il n'a pas été capable de décrire précisément son agresseur. Et ce matin, vers dix heures, une femme de ménage est entrée dans la chambre du sénateur et l'a découvert mort, le katana planté dans son dos. Je pense que les deux affaires sont liées…

Il montra une photographie du mort, tirée d'une enveloppe de papier kraft.

Heiji retint une exclamation. La manière dont le katana avait transpercé le cadavre… L'inclinaison du manche avec le corps...

"Non, c'est impossible..."

- Tu as vu quelque chose, Heiji ?

Ce dernier se reprit.

- Non, c'est juste que... c'est assez choquant comme image…

- Pourtant tu n'en es pas à ton premier meurtre… Ah ! Pardon, ce n'est pas ce que je voulais dire…

Heiji eut un petit rire nerveux. Mais il n'eut pas le temps de blâmer l'inspecteur, car un grand vacarme se fit entendre non loin de la salle d'interrogatoire. La porte s'ouvrit soudainement, laissant passer la tête d'un officier - celui qui gardait la porte.

- Il arrive ! souffla-t-il, le regard paniqué.

Il n'eut pas le temps d'en rajouter plus, une forte poigne l'agrippant au col et le faisant reculer. Heiji déglutit douloureusement à la vue de son père entrant en rage dans la pièce. Il claqua la porte derrière lui, faisant vibrer les murs.

- QU'EST-CE QUE C'EST QUE CETTE HISTOIRE ? TU PEUX M'EXPLIQUER ?

- Pa...Papa...

- Monsieur le Préfet, s'il vous plait... Calmez-vous...

- Fubuyuki ! Expliquez-vous !

- C'est une erreur, je pense ! tenta-t-il. Votre fils n'a rien à voir avec cette histoire de meurtre...

- Alors comment se fait-il que depuis mon bureau, dix étages plus haut, j'entende parler de cette affaire !

Il se tourna vers son fils, l'écume aux lèvres.

- Toi ! Mon propre fils ! Ah ! Tu peux te vanter de vouloir devenir "le plus grand détective de l'Ouest" ! Regarde où tu en es ! Comment comptes-tu te sortir de là ? A mettre ton nez de partout, voilà ce qu'il en ressort ! Arriver suspect numéro un dans une affaire de meurtre d'ordre national...

- C'est bien ce que je pensais... Tu ne penses qu'à toi et à toute la mauvaise publicité que j'engendre, n'est-ce pas ! Eh bien, si tu penses que je vais bien sagement coopérer, tu te mets le doigt dans l'œil ! Et d'ailleurs, je réclame mon premier droit en tant que suspect : je souhaite un avocat !

- Tu en auras un, commis d'office ! Et j'espère que tu ravaleras ton orgueil et ta vanité ! Ici tu n'es pas plus en sécurité que chez ta mère...! Tu vas enfin pouvoir découvrir l'envers du décor, et je te souhaite de t'en rendre compte et d'oublier tes rêves de super détective ! Reviens sur terre !

Bouillant de rage, Heizô Hattori quitta la salle d'interrogatoire, laissant les esprits tels une ville rasée par un ouragan. Fubuyuki n'avait rien pu faire pour calmer la tempête. Finalement, ça n'était pas plus mal. Heiji regretta de s'être emporté mais après tout, il voulait montrer à son empoté de père qu'il pouvait lui accorder toute confiance. Il n'avait pas voulu le mettre mal à l'aise vis-à-vis de ses sudordonnés, mais il trouvait injuste la manière dont il l'avait accusé. Car c'en était presque une accusation. Son fils comptait moins que d'entrer dans les petits papiers du ministère et du Sénat.

Heiji comprenait parfaitement que la mort du Sénateur Nagao signifiait une perte de grande valeur pour l'Etat. Même s'il venait de faire la une des journaux suite à une sale affaire de détournement...

- Fubuyuki... C'était un piège. J'ai été pris dans un engrenage malgré moi... On se sera débarrassé de lui, et moi je suis le bouc émissaire...

Dans la chambre 309, les photographes continuaient leurs mitrailles de flash. Les inspecteurs avaient relevé toutes les empruntes récupérables, tous les indices laissés par le meurtrier. Otaki soupirait, mal à l'aise, à chaque fois qu'un de ses hommes trouvaient le moindre indice. Mais pour l'instant, rien de concret pour accuser Heiji, mis à part sa casquette retrouvée près du corps...

Avec Kogoro, ils décidèrent d'interroger les habitants des chambres voisines. Mais le résultat n'avait pas donné beaucoup d'espoir... Le premier interrogé avait entendu un bruit aux alentours de 23h30. Le bruit était selon lui celui d'un meuble renversé, suivi d'un fracas de verre. Il n'avait pas beaucoup porté attention à ce léger vacarme, car il avait entendu des bruits de pas juste après, et le bruit de tessons qu'on ramasse. Puis il s'était rendormi.

Un autre affirma avoir entendu un cri à la même heure, puis comme une course dans les escaliers, quelques minutes plus tard. C'était un cri de peur, selon le client étranger.

Conan restait songeur à ces maigres informations... Ce qui était aussi l'avis de l'inspecteur Otaki, qui décida d'aller voir le directeur, le maître d'hôtel ayant demandé à repousser son interrogatoire afin de pouvoir gérer au plus vite les plaintes et demandes de ses clients...

Le directeur, qui était arrivé quelques minutes plus tôt reçu les trois hommes dans son bureau, suivis par Conan, dont Kogoro supportait la présence. Il aurait préféré le voir partir avec sa fille, mais après tout, il ne pouvait lui en vouloir de chercher à sauver son ami...

- Très bien. Que pouvez-vous nous dire, Monsieur Yamato ?

- Eh bien, j'ai fini ma journée à minuit, répondit celui-ci, stoïque. Et j'ai vu l'homme suspecté du meurtre.

- Comment ! s'exclamèrent les trois détectives.

- Oui. Il devait avoir moins de vingt ans, il portait une casquette de base-ball, dans le genre que porte ce petit garçon, en plus claire, mais je ne pourrai pas vous citer l'équipe, ce n'est pas mon genre de sport... Je préfère le softball et les tournois de go... Pour en revenir au jeune homme, il était habillé sombrement... Comme s'il ne voulait pas qu'on le remarque... Il portait sa casquette très bas sur les yeux...

- Et où l'avez-vous vu ? demanda Conan.

- Mais... au guichet d'accueil, tout simplement. J'étais face au guichet quand il est venu réclamer son pass... Et j'ai encore son sauf-conduit dans mes papiers...

Otaki lui fit signe de continuer.

- Et vous lui avez donné, donc.

- Pas moi. Monsieur Kochi. En revanche, le pass qu'on lui a donné manque.

- Mais votre concierge affirme qu'il n'est pas passé le prendre...

- C'est faux, dit-il catégoriquement. Je peux vous affirmer qu'il est bien venu prendre ce pass. Seulement, il ne l'a pas rendu...

- Pouvez-vous nous en dire plus sur le fonctionnement de cet hôtel, s'il vous plait ? Je ne suis pas sûr de suivre, là...

Kogoro tentait de remettre de l'ordre dans son cerveau. Toute cette histoire de pass et de sauf-conduits... Une clé aurait simplement suffit...

Le directeur décida de l'éclairer sur le sujet.

- Eh bien, la particularité de cet hôtel est que les chambres sont en fait des appartements, avec tout le confort possible. Le loyer étant de vingt millions de yens payables à l'année, vous pouvez comprendre que ce n'est pas un petit hôtel. Je peux vous dire que Monsieur Nagao n'était pas notre seul client politicien... Pour entrer dans une chambre, il faut un pass spécial, une carte électromagnétique valable que pour une seule serrure. Il existe deux jeux de cartes : la carte du locataire, et le double sous forme de pass délivrable uniquement par autorisation signée du locataire en question. Bien sûr, nous même possédons un double de toutes les chambres... Ce système est très utile car nos locataires sont des hommes d'affaires très importants, et il arrive que le cadre de leurs affaires dépasse leurs lieux de travail... Ici, ils peuvent recevoir à leur convenance, même quand ils ne sont pas eux-mêmes dans leur chambre... Ai-je répondu à votre question, Monsieur ?

Kogoro acquiesça. Quelques minutes plus tard, ils quittèrent le bureau, n'ayant rien appris de concluant.

Un lieutenant de police vint à la rencontre d'Otaki.

- Inspecteur, voici les informations que vous désiriez sur la victime. Et nous avons fait le tour des personnes susceptibles d'en vouloir au jeune Hattori…

Il secoua négativement la tête. Puis il lui tendit un dossier, fut remercié, et rejoignit son poste.

Otaki feuilleta le dossier. Il portait sur Nagao.

- Eh bien, fit-il au bout d'un moment. Ce n'était pas un ange, notre homme... Très certainement de mèche avec des radicaux pas très orthodoxes, on pensait qu'il cherchait à monter un nouveau parti de l'ombre au sein du gouvernement... Il aurait eu quelques problèmes avec son ancien parti, avant d'être Sénateur : un homicide aurait été commis au sein du parti très peu de temps avant les élections. Bien sûr, il n'y a jamais eu de suite à cette affaire, trop peu de preuves pour inculper qui que ce soit...

Il tendit le dossier à Mouri, qui ne tenta pas de le faire lire à Conan. Il parcourut aussitôt les papiers dès qu'il les eut en main. Conan soupira de dédain.

"Comme d'habitude, on m'évince..."

Il ne s'apitoya pas plus longtemps.

- Hum... Effectivement, ça paraît louche, cette histoire. N'était-il pas en procès en ce moment ? On parle d'une affaire de détournements de fonds qui auraient servi à financer sa campagne sénatoriale, là-dedans...

Il désigna le dossier, épais de quelques feuilles seulement.

- Oui. Bah, ça fera des frais d'économie de procès ; c'est malheureux à dire, mais il ne manquera pas à beaucoup de monde, finalement, ce type-là... même s'il était important à la Diète (Sénat japonais)

Otaki avait haussé les épaules.

- Moi et les politiciens..., marmonna-t-il vaguement.

- Mais il y a une chose que je ne comprends pas, fit Conan. Je ne vois pas où intervient Heiji dans cette affaire... Comment aurait-il pu rencontrer cet homme, et pour quelles raisons ?

- Tout cela n'est pas clair, souligna Kogoro. Argh ! Si seulement Heiji était avec nous... Il nous expliquerait tout...

- Oui, c'est aussi mon avis..., fit une voix déterminée, s'élevant derrière lui.

Il se retourna pour découvrir Shizuka, Kazuha et sa fille. Toutes trois avaient l'air inquiètes et fâchées.

- Madame Hattori ! s'étonna Otaki.

- Ran ? Mais que faites-vous ici ? On vous croyait au Festival..., dit Kogoro.

- Eh bien nous avons fait demi-tour... expliqua-t-elle.

- Franchement, nous tenir à l'écart alors que Heiji est en danger..., s'indigna Kazuha.

- Inspecteur, dites-nous ce qu'il se passe. Un de vos hommes nous a légèrement expliqué la situation... Ne lui en veuillez pas, je l'ai un peu forcé à me révéler ce qu'il savait...

Otaki fronça les sourcils. Shizuka n'avait pas l'air de vouloir lâcher le morceau. C'était compréhensible : son unique fils était tout de même accusé de meurtre, mais il aurait préféré qu'elle ne se soucie pas autant. Il n'aimait pas jouer le porteur de mauvaises nouvelles...

- Madame Hattori... Je suis désolé de ne vous avoir rien dit, mais c'était le souhait de votre fils.

- Je m'en doutais bien ; cependant, si vous avez la moindre information, dites-la moi. J'aimerai savoir dans quelles conséquences mon fils a pu être mêlé de près ou de loin à cette affaire...

Otaki lui conta brièvement les faits, sans omettre le moindre indice.

- C'est vraiment affligeant... J'espère que son père ne découvrira pas son fils dans une salle d'interrogatoire... Mais j'en doute... Pauvre Heiji... Si ça devait être le cas, alors je lui souhaite l'emprisonnement plutôt que de subir ses foudres...

Elle parlait avec tout le sérieux du monde.

Conan se demandait si elle réalisait ce qu'elle disait, mais il en douta.

Kogoro allait s'assurer de la mentalité de son hôtesse quand le téléphone de Conan se mit à sonner. Découvrant le nom de son correspondant, il décrocha immédiatement.