Scène 8

-Monsieur Kochi… si vous êtes la, c'est pour que vous nous aidiez à déterminer si le jeune qui est ici est bien la personne qui est venue hier soir dans cet hôtel… Pouvez vous nous certifier que c'est bien lui ?

Le concierge fixa longuement Heiji avant de regarder simultanément Mouri, Toyama et le directeur.

- Eh bien… s'il est vrai qu'il y a une énorme ressemblance, surtout avec sa casquette… je me dois de vous répondre que je ne suis pas sûr de moi… Il avait la même taille… Et puis avec une casquette comme ça sur les yeux (il s'approcha de lui et la lui enfonça sur les yeux)… humm… ça y ressemble…

- Vous voyez, fit Kazuha, comme ça, n'importe qui peut ressembler à Heiji… !

Otaki approuva d'un signe de tête. Heiji sourit. « Sacré Kudô… »

- Et êtes-vous sûr qu'il ne vous a pas rendu le pass ?

- Non, ce matin, je ne l'ai pas trouvé sur le porte-clé…

-Dans ce cas, permettez-moi d'attirer votre attention sur le pass de la chambre d'à côté… la chambre 308…

Heiji et Toyama sursautèrent… Toyama se permit un rictus silencieux… Et Heiji ferma les yeux, le soulagement se lisant dans ses traits à présent détendus… « Ainsi, c'était ça… Ce piège était vraiment foireux… »

- La chambre 308 ? Mais quel rapport a-t-elle à voir dans notre affaire ? demanda Fubuyuki.

- Avant tout, une simple vérification… Monsieur Kochi, vous avez bien pris soin de monter avec le pass 308 ?

Ce dernier acquiesça et se dirigea vers le couloir de l'hôtel, Otaki et les filles à ses bottes. Le concierge passa le pass dans le boîtier d'ouverture, et poussa le battant de la porte d'une main.

- Elle… elle s'ouvre… je ne vois rien d'anormal…

- En êtes-vous réellement sûr ? filtra la voix de Mouri par la porte de la 309 laissée ouverte. Regardez bien le pass que vous avez en main… ne voyez vous rien d'anormal ?

Kochi regarda de plus près le pass.

- Attendez… qu'est-ce que… ?

Il gratta le dessus du pass : une boucle du huit s'effaça sous son ongle.

- Ca alors !

Otaki lui arracha le pass des mains : il n'en croyait pas ses yeux.

La boucle inférieure gauche du huit s'effaçait pour transformer le 8 en 9.

- Mais c'est impossible, fit le directeur. Il n'y a que le pass de la 308 pour ouvrir cette chambre !

- Mais vous oubliez une chose : il n'y a pas que le pass… il y a aussi l'original et le double de l'hôtel… Je me suis renseigné : l'original n'est nulle part dans la chambre 309… puisque l'inspecteur Otaki le tient entre ses mains… Pour l'ouverture de la porte, c'est bien simple… le boîtier a été démagnétisé ; il suffit de passer n'importe quel pass…, ou bien, un simple coup très violent pour l'ouvrir… Ran ?

Cette dernière quitta Otaki pour passer la tête par la porte de la 309 ?

- Oui, papa ?

- Veux-tu fermer la porte, et l'ouvrir avec un de tes coups de pieds dont tu as le secret ?

Conan trouvait sa formulation un peu osée, mais après tout, ça n'était que la vérité…

Elle s'exécuta, et trente secondes plus tard, la porte s'ouvrit en grande volée, laissant apparaître Ran et les plis de sa jupe voletant sous l'effet de son coup.

Tous écarquillèrent les yeux.

- Monsieur Mouri… vous êtes… vous êtes prodigieux…, souffla Yamamura.

- Incroyable…, crut entendre Heiji en direction de Toyama.

Apres un moment de consternation collective, tous les esprits se remirent en place.

- Bien, maintenant que nous avons la méthode qu'a employé l'assassin pour pénétrer le lieu du meurtre, il ne reste plus qu'à démontrer comment l'arme s'y est aussi retrouvée…

Conan attendit que tous se taisent. Ce qu'il allait dire était important pour Heiji, il le savait.

- Je vais vous demander inspecteur Otaki, d'aller dans la chambre d'à côté, avec l'avocat de Heiji qui pourra valider la preuve. Monsieur Toyama, j'aurai besoin de vous ici…

Les trois hommes se mirent en place, attendant les directives du détective endormi…

- Tres bien. Inspecteur, vous voyez le mur mitoyen ? Vous devriez voir une étagère accrochée dessus…

- Oui ! Mais ce n'est pas une étagère, c'est un support… Un support de Katana !

- Est-ce le même que celui qui se trouve dans la chambre du mort ?

- Oui ! Ils sont identiques ! D'ailleurs, presque tout est identique, ici ! Le même salon, le même lit, à quelques nuances près…

- Bien. Arrêtons nous d'abord au support… Monsieur Yamamura… Prenez l'arme du crime que vous avez avec vous… et placez-la sur son support… J'attire aussi votre attention sur l'égratignure en arc de cercle qui cingle le mur… Une fois cela réalisé, écartez-vous, et dirigez vous vers la porte. Ran ? Pourrais-tu cette fois-ci claquer la porte de notre chambre… ? En nous quittant, s'il te plait ?

Elle alla se mettre en place et effectua l'ordre. La porte claqua prodigieusement, et ne se referma pas. De l'autre côté du mur, on entendit un bruit sourd sur le sol, en même temps qu'un petit raclement sur le mur…

Deux cris de consternation se firent entendre de l'autre coté de la paroi.

- Ca alors ! fit Otaki en revenant précipitamment dans la chambre de Nagao, tandis que Ran le suivait. Le katana est tombé de son support : le support a perdu une attache et il a glissé le long du mur d'un côté, ce qui a crée cette éraflure en forme d'arc de cercle… ! C'est prodigieux… !

- Monsieur Toyama, poursuivit Mouri, pouvez-vous aller regarder du côté du mur, dans cette pièce : vous trouverez certainement quelque chose d'intéressant, au travers de cette tapisserie tapageuse…

Toyama alla examiner le mur. Pendant ce temps, Tatsuya en profita pour glisser à l'oreille de Heiji :

- Alors c'était bien vrai, ce qu'on racontait… Il est vraiment incroyable… comprendre tout ça en si peu de temps… Comment aurions-nous fait sans lui… ?

- Et ce n'est que le début…, lui répondit Heiji, un large sourire aux lèvres.

Puis Toyama poussa une exclamation, suivit d'un juron.

- Papa ? Qu'est-ce qu'il y a ? s'alarma Kazuha, se précipitant vers lui.

Son père mit son index en bouche, retenant un soupir.

- Ce n'est rien, je me suis juste écorché le doigt… Vous aviez raison, Mouri, c'est bien une mise en scène pour faire accuser Heiji…

Il révéla un mince clou planté dans le mur, caché par la tapisserie épaisse qui couvrait les murs de la chambre.

- Otaki ! Vous voyez ce clou ? Allez voir si la pointe correspond à l'attache du support.

Au bout de dix secondes, Otaki confirma qu'une fine pointe était censée servir de cale à l'attache du porte katana.

- Petite explication, vous en conviendrez, fit la voix de Mouri. Cette pointe dépasse juste assez du mur mitoyen pour servir de cale. Le support, posé fragilement dessus, n'a plus qu'à attendre qu'un choc vienne faire trembler le mur pour que l'attache glisse de la pointe et fasse tourner le support sur un angle de quatre-vingts dix degrés, faisant chuter le Katana, qui n'a plus qu'à être ramassé par des mains innocentes…

- Mais comment expliquez-vous que l'arme comporte toujours ses empruntes alors qu'elles y étaient avant que le meurtre ne soit commis ?

- C'est très simple, intervint Heiji, se permettant de prendre la parole, la première fois depuis qu'il était dans la chambre. L'angle avec lequel l'arme a été enfoncée dans le corps ne laisse aucun doute… L'assassin est quelqu'un qui s'y connaît un temps soit peu en kendo… La garde du katana a été tenue entre le pouce et l'index de la main gauche, afin de la soutenir, et le kashira (dos de la garde) était logé dans le creux de la main droite, assurant une force sans équivoque, et amplement suffisante pour porter un coup mortel… Ce qui fait que même sans gants, il aurait été impossible de retrouver d'autres empruntes que les miennes… Et cette posture servait à ne pas effacer les miennes, car de toute évidence, l'assassin portait des gants… puisqu'il est allé chercher le katana et l'a ramassé…

- C'est bien cela, Heiji…

Tous commençaient à entrevoir la vérité.

- Et je voulais aussi ajouter une autre preuve que Heiji n'est jamais entré dans cette pièce… Inspecteur Otaki, vos hommes ont bien relevé des empruntes dans toute la pièce, non ?

- Oui, mais aucune de Heiji.

- Parfait. Demandez donc à l'homme qui se trouve derrière vous de vous communiquer son rapport…

Otaki se retourna pour exécuter l'ordre de Mouri, étonné de voir ce que cet agent avait à lui annoncer qu'il ne sache déjà.

- Monsieur, nous avons reçu ça du labo en express… A la demande du détective Mouri, nous avons relevé les empruntes de la chambre numéro 309. Nous y avons trouvé ceci…

- Ca alors ! s'exclama Otaki après une brève lecture. Heiji ! On a retrouvé tes empruntes dans l'autre pièce ! Sur le clavier de l'ordinateur, précisément !

Heiji pu enfin décompresser ; Otaki récapitula.

- Donc hier, tu n'étais pas dans cette pièce, tu étais dans la chambre 308, à faire on ne sait quoi avec une disquette… Tu entends un bruit, si je reprends ta « déposition », et tu découvres le katana sur le sol… Tu le ramasses, le remets en place comme tu peux, et tu quittes la pièce.

- C'est là que j'aperçois cette silhouette dans l'angle du couloir… et où je me décide a courir, car je n'étais pas censé être dehors hier soir…

Il tourna un regard soucieux vers sa mère, qui lui répondit par un sourire confiant.

- C'est bien beau tout ça, mais on pourrait savoir qui occupe cet appartement… ?

Le directeur s'avança avec son registre.

- J'ai la réponse à votre question, inspecteur Otaki… Il s'agit d'une location à l'année, qui a été renouvelée depuis 5 ans déjà… Elle est au nom de Messieurs Toyama et Hattori.

Heiji faillit tomber à la renverse. Lui et sa mère se retournèrent soudain vers Toyama, qui avait prédit leur réaction.

- Humm… Démasqués… ! Hélas, j'aurai bien tout fait pour t'en dire le moins, Heiji… Shizuka, me pardonnerez-vous ?

Puis il se tourna vers Mouri.

- Je ne puis que m'incliner devant votre perspicacité, Monsieur Mouri…

- Oh, ne m'en veuillez pas, mais je n'en étais pas sûr avant de voir votre expression lorsque j'ai mentionné la chambre voisine, tout à l'heure…

- C'était un bon coup de bluff…

- Les bluffeurs, ici, ce sont bien vous et Monsieur le Préfet…, complimenta en retour Conan, toujours caché derrière le fauteuil.

- Quelqu'un pourrait nous expliquer ? demanda Otaki, appuyé par Kazuha.

Toyama prit une profonde inspiration, et commença son explication.

- Excuse-moi, Kazuha, mais si Heiji se retrouve ici… c'est entièrement de ma faute…

- Monsieur Toyama… souffla Heiji.

Toyama lui intima l'ordre de se taire d'un simple regard.

- Comme a su le découvrir le détective Mouri, je suis en effet l'un des propriétaires de la chambre voisine.

- Mais ? Comment est-ce possible ? s'exclama sa fille. Pourquoi ne nous en avoir rien dit dès le départ… ?

- J'avais mes raisons… Mais à présent, je peux tout vous révéler. Cet appartement est une annexe judiciaire. Depuis cinq ans, nous nous en servons comme d'une cache, pour des témoins nécessitant une protection particulière… On les y tient en secret, et ils n'en sortent que lors des procès auxquels ils doivent assister, ou quand leur qualité de témoin n'a plus lieu d'être, après s'être assuré qu'il n'y avait plus de danger… C'est moi qui ai eu l'idée de louer un appartement, en plein centre ville, et assez coté…

- Hum… Aux frais des contribuables…, se permit Yamamura.

Toyama prit la mouche.

- Sachez, jeune homme, que pour servir la Justice, et mettre en prison de dangereux criminels, je n'hésite pas à employer tous les moyens. Si protéger des vies en utilisant l'argent national est un mal, alors laisser les assassins courir librement dans les rues m'en parait un bien plus grand… !

L'avocat, qui avait sous-estimé Toyama, en prit pour son grade. Conan et Heiji se demandaient si cet homme servirait l'Ordre comme il fallait… Avec de tels préjugés, il ne ferait pas grande carrière…

Otaki décida de détendre l'atmosphère en revenant à l'enquête.

- Y avait-il quelqu'un dans cet appartement, hier ?

- Non, poursuivit Toyama. Il est vide depuis à peu près trois semaines.

- Alors, pouvez vous nous expliquer… pourquoi Heiji était-il dans cet appartement vide, à votre requête ? Car c'est bien vous qui l'y avez incité à s'y rendre… pour récupérer une disquette, non ?

Conan n'y allait pas par quatre chemins. Si Toyama était intelligent, il ne verrait aucun inconvénient à révéler la vérité.

- Heiji devait récupérer une liste des témoins qui étaient venu dans cette chambre. Mais en réalité… ce n'était qu'un prétexte.

Tout le monde fut abasourdi par cette nouvelle, Heiji le premier.

- Mais… c'est impossible… !

- Hélas, je suis désolé, Heiji. Je te dois des explications. A vous tous, d'ailleurs… En réalité, il n'y a jamais eu de liste. Ce que tu as téléchargé était en fait un leurre…

Heiji crut qu'il avait touché le fond deux secondes plus tôt. Là, il se dit qu'il avait fallu creuser vingt mètres d'un coup pour pouvoir s'y enfoncer…

- Oui, un leurre, poursuivit il. En réalité, elle devait servir à lever une taupe au sein du commissariat. La liste existe vraiment, mais elle n'est plus dans l'appartement depuis bien longtemps… Et la personne qui me l'a donnée n'est autre que le sénateur Nagao lui-même.

Des cris d'exclamations fusèrent. Heiji ne comprenait plus rien. Certes, il n'en voulait pas autant que ça à Toyama de lui avoir en partie menti sur le réel but de sa mission. Si c'était pour confondre un espion au sein de la police d'Osaka, alors il n'avait pas à lui reprocher cette mise en scène.

- Nagao m'a donné cette liste pour se protéger d'un homme qui le faisait chanter… Mais je crois bien que c'était l'inverse. En me donnant ces renseignements, il comptait surtout acheter mon statut d'inspecteur principal, sous les ordres directs du Préfet. Hélas pour lui, je ne suis pas ce genre d'homme. Mon intégrité est entièrement dévouée à ton père et à la justice, Heiji.

Ce dernier sourit, car il savait déjà ça. Depuis le temps qu'ils se côtoyaient… Pour qui le prenait-il ? Il y avait bien longtemps qu'il avait perdu sa naïveté.

- Et ce piège, a-t-il fonctionné ?

Toyama se tourna vers Mouri. Il avait cet air grave sur le visage que Conan lui avait toujours vu, sauf en de très rares occasions, comme lors de ce dîner chez les Hattori, avant l'affaire au Château d'Osaka…

Sa réponse, il n'hésita pas à l'appuyer par son ton sec.

- Comme je l'avais prévu, oui, Monsieur Mouri. Et il se trouve qu'à présent, le coupable s'est bel et bien pris dans les mailles du filet. Cependant, puisque je viens de dévoiler mon jeu, je pense qu'il serait plus sage pour lui de se rendre gentiment. Je ne pense pas que Heizô serait fier de lui, s'il persistait à nier dans sa bêtise.

Kazuha se surprit alors à se tourner vers Otaki, qui, surprenant son regard étonné, lui rendit la pareille.

- Il ne s'agit pas d'Otaki, Kazuha, mais de Fubuyuki, n'est-ce pas, Tatsuya !