Chapitre 3 : je te meurs...

Kaori faisait grand cas des cauchemars qu'elle faisait. Depuis le soir où elle se réveilla en sursaut lorsque son frère expirait pour une ultime fois, elle avait toujours senti dans ses pires cauchemars un parfum prémonitoire. Et plus d'une fois elle avait eu raison de s'en méfier. Le sursaut qu'elle avait eu au moment où Ryô se recevait une balle en pleine tête de la part de Mary. Elle avait bien cru le perdre. Heureusement ce ne fut que son reflet dans un miroir mis exprès là qui le sauva.

Dans ce cauchemar là, elle le tuait. Effroyable vision de l'avenir. Kaori en était transi de peur.

Depuis qu'elle avait fait ce cauchemar elle s'éloigna instinctivement de Ryô. Elle savait que sa mort viendrait par elle, c'était encré dans son sang.

Pourtant la perspective de savoir qu'elle hantait les rêves de son partenaire, que son prénom était prononcé avec tant de désir et tant d'ardeur la laissait rêveuse.

Elle savait désormais qu'il avait des désirs refoulés qui explosaient à la nuit tombée. Soudain, elle se rétracta... Elle était un peu psychologue et connaissait bien le mécanisme des rêves. Elle savait que ce n'était que la résurgence d'événements, un mélange de souvenirs qui aléatoirement faisait naître un rêve.

Alors ...

Alors ce n'était peut-être qu'un rêve parmi tant d'autres, une résurgence du fait qu'il s'était promis de ne jamais la toucher. Elle représentait un trésor inaccessible et se figurait qu'il pouvait la toucher dans ses rêves. Ce qu'il ne pouvait pas avoir dans la réalité, il l'avait dans ses rêves. Ce qui voudrait dire alors...

Kaori n'est qu'un simple fantasme, rien de plus, une volonté de l'inconscient d'avoir la main mise sur ce qu'il ne pouvait pas obtenir. Juste une pulsion, une malheureuse pulsion, sans âme, sans sentiment, sans amour.

Cette pensée l'accabla ... le doute la prit et des centaines de questions envahirent son esprit. Où était la vérité? Qu'était-elle pour son partenaire?

Elle ne voulait pas de ça, elle ne voulait pas être juste ça pour son partenaire. Elle était encore fleur bleue et espérait recevoir autant d'amour qu'elle en éprouvait pour cet homme. Elle était tombée amoureuse d'un homme de l'ombre, un tueur qui avait déjà eu bon nombre de femmes dans son lit, pour qui le plaisir était totalement séparé de l'amour.

Kaori était-elle juste un plaisir qu'il aimerait avoir ou un amour qu'il n'osait pas s'offrir?

Elle ne savait même pas si Ryô avait déjà été amoureux dans sa vie. Elle savait, hélas pour elle, qu'il avait connu beaucoup de femmes mais les avait-ils aimées au moins?

Quand elle l'avait connu alors qu'elle n'était qu'au lycée, elle pensait qu'il n'était qu'un sale pervers qui ne pensait qu'avec son outils fièrement dressé. Elle pensait que l'opinion qu'il avait des femmes se limitait à savoir quel bonnet elles faisaient. Mais avec le temps, elle entra en lui et lut son coeur. Il était beaucoup plus sensible qu'il ne le laissait croire. Sa carapace de plomb était solide mais se rouillait avec le temps pour laisser entrer les véritables amis.

Kaori était une amie et elle le connaissait presque par coeur. Pourtant elle ignorait s'il avait déjà été amoureux. Certes Saeko lui avait dit qu'elle avait aimé Ryô et vis et versa mais était-ce la vérité? Était-ce de l'amour physique ou un véritable amour?

Plus elle réfléchissait plus son enthousiasme diminuait. Malgré l'aveu de son partenaire, elle doutait de plus en plus, ce qui était normale dans sa situation. Peut-être était-ce la situation qui lui avait fait dire ces si belles choses. Parce que là, maintenant, y'avait plus rien, pas de gestes, pas de paroles, rien.

Pourquoi ne pas faire un pas dans sa direction? Ce serait un bon moyen pour savoir ce qu'il ressentait...

Hélas le cauchemar refit surface à ce moment précis, coupant Kaori dans son élan. Elle ne pouvait pas se le permettre. Elle ne supporterait qu'il meurt à cause d'elle. Elle dût alors se résigner.

Elle quitta l'appartement le coeur lourd laissant un Ryô en proie à des questions existentielles comme savoir quel numéro de Play Boy allait-il feuilleter allongé sur le canapé...

Ce pitoyable spectacle acheva une Kaori déjà bien faible. Elle n'eut même pas la force de lui jeter une massue ce qui étonna grandement Ryô d'ailleurs.

Une fois sortie, il posa ses magazines sur la table et alluma une cigarette. Il se fichait royalement de la fumer dans le salon, malgré les conseils de sa partenaire d'aller les fumer dehors sur le toit ou le balcon.

Lui aussi était tourmenté. Le rêve qu'il avait fait l'avait bousculé. C'était bien plus qu'un rêve il le savait. La dernière affaire avec le Général Kreutz avait eu des conséquences sur l'esprit du nettoyeur. Délivré de ses doutes et de ses questions, il sentait sa libido grimper en flèche. Il ne savait toujours pas pourquoi il bloquait comme ça mais il savait déjà pourquoi il avait rêvé de Kaori si fort cette nuit.

Il la voulait, il la désirait plus que tout. Ce n'était que pure folie de ne pas y succomber. Pourtant il résistait.