Le soir était tombé sur la campagne, les derniers rayons d'or du soleil couchant illuminaient les glaciers au sommet des montagnes, donnant au ciel une teinte écarlate… La brise agitait doucement les feuilles des arbres, une pluie légère frappait les fenêtres à un rythme régulier, apaisant. Les deux lunes se montraient déjà, éclipsant les premières étoiles encore timides dans cette nuit d'été.

Toan, tout en lisant près du feu, surveillait son frère et sa sœur qui jouaient à se poursuivre dans toute la maison. Ils avaient déjà failli casser un vase et la moitié de la vaisselle que sa mère portait, il ne tenait pas à ce qu'ils abîment une de ses précieuses armes.

Certes, il ne les utilisait plus depuis la fin de sa fabuleuse aventure, au cours de laquelle il avait sauvé le monde… Mais elles lui étaient très chères, c'étaient des souvenirs de ces instants extraordinaires qui les avaient unis, ses compagnons et lui, comme seules savent le faire les grandes épreuves. Plus qu'une amitié, c'était quelque chose de précieux et d'unique qui les avaient liés, lorsque le destin les avaient fait se rencontrer pour construire un monde nouveau, et leurs vies avaient été changées à jamais.

Toan sentit les larmes lui monter aux yeux. Il se hâta de détourner la tête du spectacle attendrissant des deux enfants qui riaient, et son regard tomba sur une petite trappe près d'un coin de la cheminée. Il avait cru voir une lumière, comme une étincelle bleutée, qui avait attiré son attention sur cet endroit précis. Ce devait être une flamme, mais les étincelles sont généralement jaunes ou orangées, et pas aussi loin de leur foyer…

Il avait déjà remarqué cette trappe à plusieurs reprises, mais il n'y avait jamais prêté grande attention. Qu'est-ce qui le poussait aujourd'hui à s'en approcher, à la toucher, à tenter de découvrir comment l'ouvrir ?

Ses doigts rencontrèrent un interstice dans le plancher, qui lui permit de soulever le petit panneau de bois. En dessous il y avait une assez grande cavité obscure. Toan plongea la main, et agrippa un objet plat. Après l'avoir ramené à la lumière, il l'observa un détail. C'était un portrait encadré de bois précieux.

Il n'avait jamais vu l'homme qui était représenté sur ce tableau, mais le portrait lui donnait une étrange impression de familiarité. Qui était ce jeune homme aux cheveux noirs rebelles, aux grands yeux verts étincelants, au teint mat, au visage d'une pureté et d'une perfection rares, à l'expression angélique que démentait son sourire ironique ?

Ce devait être un guerrier, comme l'indiquait la superbe épée sur laquelle il s'appuyait avec une nonchalante élégance… Ses habits étaient faits de soie noire et argentée, une lourde cape de velours violet accrochée à son cou par un fermoir-rubis dissimulait son bras droit et ses jambes.

Toan releva la tête. Il n'était plus dans le salon de sa maison du village de Nolan, mais dans une grotte de cristal à l'éclat incomparable. Autour de lui une immense cité aux reflets bleutés se déployait, pleine de bruits et de créatures diverses.

L'architecture avait une finesse et une pureté incroyable, les bâtiments semblaient sculptés de la main d'un dieu ou d'un artiste, des joyaux étincelants décoraient les façades ornées de colonnes de marbre blanc élancées. A travers le plafond de la grotte, Toan pouvait voir une immense lune blanche se découpant sur un ciel de velours bleu. Des crépitements d'or et d'argent parcouraient l'air alentour. Le sol était d'un blanc laiteux, parcouru de reflets irisés, parfois des formes indistinctes s'y dessinaient un instant avant de se changer en des tourbillons d'étincelles. Une musique retentissait dans le lointain, un chant magnifique et cristallin, qui emplit de joie le cœur de Toan. Ici l'air semblait empli de mille parfums, l'âme ressentait une paix profonde et semblait se fondre dans l'éternité.

Toan ferma les yeux pour ressentir avec plus d'intensité toute la perfection de l'instant, puis les ouvrit à nouveau.

L'homme du portrait se trouvait devant lui.