C'était dans le coin le plus sombre de la boutique qu'elle le trouva, là où il était sûr de ne pas être dérangé par quelques clients. La jeune femme s'avança vers la silhouette accroupie dans un coin, en ramassant au passage quelques livres éparpillés par terre.
« Tu pourrais faire un peu plus attention, tout de même » lui dit elle sur un faux ton de reproche.
Au son de la voix de Rose, le jeune garçon se détacha de sa lecture et se leva précipitamment pour être à sa hauteur, c'était peine perdue !
A tout juste 11 ans, il en paraissait beaucoup moins, de part sa petite taille et sa maigreur. Son apparence rachitique était accentuée par ses cheveux d'un noir d'ébène lui tombant jusqu'aux épaules. Rose soupira encore de désespoir en apercevant que la chevelure de son petit protégé n'avait pas du voir un peigne depuis des mois, si elle en avait vu un, un jour ! Ce dont elle doutait fort.
D'un mouvement de tête, il chassa les quelques mèches masquant son front, le visage grave et harmonieux de l'enfant apparut alors. Son expression était insondable mais il y avait un je ne sais quoi dans le visage de ce petit garçon qui le rendait….torturé.
Peut-être étaient-ce ses grands yeux bleus marine ? Quiconque les fixait s'y noyait instantanément, submergé par les flots intérieurs de son propriétaire.
Mal à l'aise, Rose rompa le contact visuel. Elle l'avait toujours soupçonné de lire en elle comme dans un livre ouvert….les livres…..c'étaient grâce à eux qu'ils entretenaient aujourd'hui cette relation si particulière.
C'était il y a 5 ans, son premier jour à Fleury et Bott…un véritable cauchemar..la patronne…les clients…toujours insatisfaits …..toujours méprisants envers la pauvre petite vendeuse.
A la fin de la journée, elle s'était cachée derrière une étagère pour pouvoir pleurer de tout son saoul. Entre deux sanglots, elle aperçut un petit garçon dansant d'un pied sur l'autre et fixant avec avidité un livre inaccessible. Se disant que ce petit bout de chou, lui, n'allait pas la brimer, Rose avait ravalé ses larmes et avait saisi l'ouvrage :
« Les aventures de Doudou, le petit lapin magicien » ,et lui tendit avec un grand sourire que l'enfant lui rendit. Il fixait, toujours avec cette même avidité, la couverture du livre, où on pouvait voir Doudou exécutait à l'infini le même tour : d'un énorme chapeau il sortait, sous les applaudissement d'un public invisible, le véritable magicien, visiblement peu ravi de s'être fait piquer son job.
Une nouvelle barrière se dressait entre l'enfant et le livre et c'est encore une fois Rose qui l'aida à la franchir. Le petit garçon revint tous les jours pour que la jeune vendeuse lui apprenne à lire. Et aujourd'hui encore, il continuait ses visites quotidiennes, sa soif de connaissance était impossible à satisfaire, il passait parfois des jours entiers dans la boutique, Rose l'avait plusieurs fois retrouvé, avachi sur le sol les yeux brillants de fièvre mais toujours le nez plongé dans un bouquin, seul les cris d'horreur de la jeune femme arrivaient à le détacher de sa torpeur.
« On va bientôt fermer, tu as fini de lire ? »
Il acquiesça avec empressement et se hâta de remettre l'ouvrage en place, bien trop vite selon la vendeuse qui le lui arracha des mains.
« La création de sortilèges : un rite familial ancestral » lut-elle.
Le jeune garçon fuya délibérément le regard de la jeune femme, il ne voulait pas encore revoir ses grand yeux noisettes refléter une telle déception, réussissant à chaque fois à le faire culpabiliser, lui, qui ne s'était jamais préoccupé du regard des autres.
Pourtant il ne résista pas à la tentation de l'admirer encore une fois. Beaucoup trouver la jeune libraire ravissante, adorable, mignonne à croquer…Il n'avait jamais rien entendu de plus insultant. Rose était belle. Belle comme peu de femmes peuvent se vanter de l'être. Tout en elle respirait la grâce, la bonté, l'intelligence que ce soit dans la façon dont elle replaçait ses long cheveux châtains clairs derrière ses oreilles, la façon dont elle se mordait la lèvre inférieure et baissait timidement les yeux lorsqu'elle se sentait honteuse, la façon dont elle fronçait les sourcils jusqu'à former une ride d'expression quand elle voulait que, lui, se sente honteux, adoptant toutes les attitudes d'une mère face à son petit enfant pris en faute. Mais il ne l'avait jamais considérée comme une mère, ni même comme une sœur.
Le soupir de lassitude de la jeune libraire finit de fendre le cœur du près adolescent.
Il remarqua alors sa tenue : elle portait une splendide robe jaune qui semblait faite pour elle sous une cape de soirée noire avec d'élégantes attaches d'argent, assortie à de belles chaussures à talon haut, complètement proscrites dans l'emploi de la jeune femme où elle n'avait de cesse d'aller d'étagère en étagère.
Ses cheveux lisses étaient tressés en deux longues nattes qui se terminaient par deux rubans de velours jaunes et noirs, un chapeau noir à la dernière mode finissait de compléter l'ensemble.
« Où va-tu ? » demanda-t-il avec une agressivité non dissimulée.
« Ne change pas de sujet ! Ce…livre est à la limite de la magie blanche et tu le sais très bien ! »
Elle hurlait presque, telle un animal blessé à mort. Un silence assourdissant suivi cette intervention.
« Oui, à la limite, sinon il ne serait pas en vente libre » répondit-il, plusieurs secondes après, avec tout le tact dont il était capable.
Rose allait répliquer lorsque sa patronne arriva, le visage sévère elle nettoyait ses lunettes.
« Je m'en vais. Vous ferez la fermeture, Mlle Zeller. » Dit-elle de la même façon qu'un serpent crache son venin.
« Bien, Mlle Peauviet. Bonne soirée. » Répondit la petite libraire en se mordant la lèvre.
Après avoir murmuré un vague bonsoir, Mlle Peauviet partit non sans avoir jeté un dernier regard assassin au jeune homme. Ben oui, depuis cinq ans qu'il venait quotidiennement, il n'avait jamais rien acheté.
« Vieille peau, oui » murmura-t-il, après que la concernée fut partie «toujours pas mariée à son âge, je suis sûr qu'elle n'a jamais…. »
« Tristan ! » coupa Rose, indignée.
Il sourit, il savait bien qu'elle n'en pensait pas moins. Mais le mariage était un sujet plutôt délicat pour la sorcière. A 29 ans, Rose supportait de moins en moins les remarques de son entourage, qui allaient crescendo, quant à son célibat.
« Tic, tac ! Le temps passe plus vite qu'on ne le croit, un matin tu vas te réveiller et tu t'apercevras que tu es seule…désespérément seule…une vieille fille quoi ! »
Ce genre de remarque avait un effet considérable sur la jeune femme, Tristan se moquait de sa crédulité, mais rien n'y faisait elle enchaînait rendez-vous sur rendez-vous avec des types minables qui ne la méritaient pas, mettant son petit protégé dans une rage folle. Il avait, un jour, fait (accidentellement) tomber l'échelle où se trouvait un de ces prétendants, particulièrement grossier, alors que celui-ci faisait mine de s'intéresser à des livres sur l'arithmancie pour impressionner la jeune femme très cultivée.
Depuis ce jour les rumeurs allaient bon train dans la boutique, il était de notoriété publique que le petit Tristan avait le béguin pour la jolie Rose, mais on murmurait parfois que c'était réciproque. Rose en riait, mais au fond d'elle-même elle savait qu'il lui était impossible de définir quelle était la nature de ses rapports avec le jeune garçon. Elle l'avait toujours traité comme un égal, même quand elle lui apprenait à lire, les attitudes maternelles qu'elle s'évertuait à se donner n'étaient qu'une façade permettant de se mentir à elle-même. Une amie alors ? Oui, ça devait être cela….
« Tu ne m'as toujours pas dit où tu allais. »
Rose sortit de sa torpeur : « A une réunion des anciens élèves de Poudlard. »
« Cela explique les couleurs de ta tenue, quelques peu spéciales… »
Rose fit mine de se vexer, elle n'aimait pas du tout que l'on se moque de son ancienne maison. Il faut bien reconnaître que les gentils petits Poufsouffles n'imposaient pas véritablement le respect.
« En parlant de Poudlard…. » Rose dansait sur un pied, baissait les yeux et se mordait la lèvre inférieure. « ….j'ai reçu ceci il y a plusieurs jours et… »
Elle tendit une enveloppe toute froissée au jeune adolescent qui pu y lire :
« Tristan Potter
6ème étagère derrière l'escalier
Fleury et Bott
26, chemin de Traverse
Londres »
Il ria.
« Ils savent même que je passe le plus clair de mon temps ici. . »
Il ouvrit l'enveloppe et lut la lettre qu'elle contenait.
« 1er Septembre…ça me laisse encore un mois… »
« Tu vas y aller ? »
Tristan regarda Rose avec étonnement, elle regretta immédiatement ses paroles et baissa encore plus les yeux tout en se mordant la lèvre jusqu'au sang. Baisser les yeux devant un gosse de 11 ans, elle n'avait absolument aucune dignité !
Qu'est-ce qu'elle s'imaginait ? Qu'elle allait le garder pour elle toute seule toute sa vie ? Tristan appartenait au vaste monde et non pas à une minable petite libraire frustrée de 18 ans son aîné!
Voyant l'air désespérée de sa Rose, il s'approcha d'elle et se nicha dans ses bras, elle en fut encore plus troublée, la tête de l'adolescent arrivait à la hauteur de sa poitrine, mais Rose ne voyait rien de perverse dans cette étreinte, bien au contraire, aucun être au monde ne la respectait plus que ce petit sorcier… Voila elle pleurait maintenant !
Tristan sécha les larmes de la libraire avec le revers de sa main.
« Je reviendrai, dit-il avec un sourire triste, Tu verras ! Je serai devenu si grand, si fort que tu ne me reconnaîtras même pas ! »
Elle rit aux prédictions de l'enfant, que c'est beau l'insouciance !
« Tu rencontreras plein de jolies filles là-bas, tu verras avec ton air de ténébreux tu feras un malheur. »
Tristan prit un air offusqué, ainsi elle doutait de la force de ses sentiments.
« Si jamais un jour, tu passes ici par hasard, toi non plus tu ne me reconnaîtras pas, je serai devenue pire que la vieille peau » reprit-elle.
Son rire se mêla à ses larmes. Il n'y avait plus rien à dire, plus rien à faire. Rose embrassa les deux joues de Tristan et lui intima silencieusement de partir, ce qu'il fit, le plus lentement possible espérant qu'elle dise quelque chose... n'importe quoi ! Mais Rose ne dit rien. Et il partit.
Il ne revint plus jamais dans la petite librairie où il avait passé toute son enfance.
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PS : Rose Zeller n'est pas un produit de mon imagination, elle apparaît dans le tome 5 lors de la scène de la répartition, cf. page 236, si vous me croyez pas. Et oui tout ça est très recherché.lol !
