Auteur : Isylde
Inspiration : Lost
Titre : Papillons
Chapitre : Papillon de l'Aube, 1/4
Longueur : 1366 mots
Date : 20/07/05
Résumé : Rampant sur quelques mètres, à défaut de pouvoir marcher tant il était en manque, Charlie s'approcha de cette chose qui brillait et la prit dans sa main sale et ensanglantée. Teinté de vermeil, le métal bronze se para de différentes couleurs, améthyste se mêlant au violacé de ses cernes.
Papillons.
Cet instant d'intensité et de solitude était compréhensible pour chacun des membres du groupe. Dans une micro-société où l'on ne s'entraidait pas toujours, l'espoir était un des moteurs essentiels à la survie. Certains ne se rendaient toujours pas compte de l'immensité océane dans laquelle ils étaient perdus, encore dissimulés dans les affres de leur malheur ou de ce bonheur éphémère qui grandissait en souffrance.
Accroupi dans un coin sombre, tel un gamin paumé, Charlie caressait doucement de ses doigts calleux les quatre lettres, F.A.T.E, qu'il avait dessiné sur des bandes de tissu enroulant ses doigts dans un moment de vague lucidité. La capuche de son pull avait été relevée de telle sorte que personne ne voie ses yeux injectés de sang, ces yeux effrayés d'accro à la came. Sa cure de désintoxication forcée, depuis maintenant une semaine, provoquait des sensations encore inconnues à ce jour, douleur, manque, incompréhension, sueurs froides. Charlie revoyait dans les profondeurs de cette sombre jungle les frayeurs et les terreurs de l'enfance, comme un petit garçon qui se cache sous ses draps pour se protéger de l'orage.
Des cernes violacées et couvertes de sueur dessinaient l'orbite de ses yeux pour accentuer encore le fait qu'il était malade et malheureux du fait de n'avoir suffisamment d'héroïne pour calmer ses crises d'angoisse et oublier ses inquiétudes. Il tremblait, mais n'avait pas froid. Il pleurait, mais n'était pas triste. Il somnolait, mais ne voulait pas dormir. Charlie était une série de contradictions toutes plus douloureuses les unes que les autres, mais personne n'était là pour l'aider, entourer son épaule d'un bras réconfortant ou consoler ses peines de mots doux. Il ne l'avait jamais demandé, par le passé, jouant la rock star bohême, et maintenant regrettait amèrement son arrogance.
Etrange, cependant, de voir comment le passé des rescapés avait pu les rattraper à ce point. Beaucoup de regrets, parfois la recherche d'un pardon qu'on ne leur accorderait jamais. Ici et là, des souvenirs ressurgissaient dans une mémoire qu'ils croyaient enfouie.
« Charlie ? » demanda une voix féminine.
D'où venait ce doux son émanant de l'aura consolatrice d'une jeune fille ? Charlie n'osait pas poser son regard sur la fragile silhouette de femme enceinte qu'était Claire. Il se savait incontrôlable et dangereux en période de manque et il ne voulait pas lui faire de mal. Mais, comme une chose qui lui glaçait le sang, il était incapable de bouger. Toujours et encore, il caressait de ses doigts abîmés et insensibles les quatre lettres, F.A.T.E, comme un signe, comme un leitmotiv, incessant refrain aux allures de répétition insistante. Parfois, un gémissement s'échappait de ses lèvres craquelées et une larme coulait le long de son visage émacié et sauvage. Sa pâleur couleur lune et sa maigreur faisaient peine à voir, et pourtant, la jeune fille n'était pas effrayée.
« Charlie ? » insista la voix de Claire, tremblante et apeurée.
D'une lenteur agonisante, le jeune homme laissa son regard vagabonder sur ces lèvres légèrement entrouvertes, cette main qui était posée sur son ventre rebondi de future mère. Sa chevelure, d'un blond un peu froid, rehaussaient son teint de rose et ses yeux, pâles, de saphirs affadissants. Fragiles phalanges d'ivoire, ornées ça et là de bagues tribales, mèches rebelles qui effleuraient ses tempes salies par le simple fait de survivre, telles de frêles tentacules de paille et d'or. Perdu dans son délire, Charlie ne voyait qu'une ombre, douce mélodie envoûtante, parfois illuminée de quelques étincelles de flamme et de soleil.
« Ne t'approche pas de lui, Claire. » aboya un ordre, venu d'on ne sait où.
Locke émergea des flammes et du soleil pour faire son irruption dans l'aura ténébreuse du toxicomane. Sa silhouette paternaliste et légèrement baroudeuse était rassurante mais imposante. Apparemment, il savait exactement quel était le problème de Charlie. Au vu du regard dégoûté de ce dernier, Locke était à l'origine de ce problème. Le jeune homme grogna d'un air un peu animal avant d'émettre avec difficulté :
« La…came…la came…rends-la…moi…la came… » marmonna-t-il entre deux sanglots.
« Il est hors de question que tu reprennes ce dont tu as besoin, Charlie. » répliqua Locke avec un stoïcisme mesurée. « Bientôt, il ne t'en restera plus. Et après, la sensation de manque sera encore plus forte. Bats-toi. » ordonna-t-il.
Charlie était désespéré, mais ne pouvait toujours pas bouger. Agité de convulsions et de tremblements conséquents à de petits pleurs d'enfant, il restait reclus là, entre deux buissons, se cachant des étincelles brûlantes de ce maudit soleil. Locke, droit comme un i, les bras croisés à la défensive, le regardait souffrir sans même ciller. Claire, elle, avait peur de ce débris d'être humain qui crispait ses doigts près de sa bouche dans une gestuelle presque fœtale. Et pourtant, elle ne pouvait s'empêcher d'éprouver de la pitié pour ce visage en larmes, rageur et solitaire.
« Me…battre… » répéta Charlie en un souffle.
« Oui, te battre. » réitéra Locke. « Te battre pour ce qui est juste, te battre pour ta santé, te battre pour ton bien-être. Et ici, il faut se battre…pour survivre. »
« Survivre… » murmura Claire, perdue dans la contemplation de ce gamin maladroit qui se morfondait dans l'addiction de son poison.
Un poison. Lentement, le sang de Charlie était empoisonné par cette mortelle addiction à la drogue. Cette came devenait de plus en plus puissante et de plus en plus envoûtante, intoxicante, tel un parfum enivrant dont le jeune homme ne voulait jamais se détacher. Et puis, quelle sensation de liberté de sniffer un rail de coke en compagnie de ses amis ! Dans l'atmosphère enfumée d'un pub sordide, Claire voyait ce rockeur britannique tremblant de toute son âme et tout son corps, proche de l'overdose ou du coma éthylique.
Et maintenant, il était pitoyable, pathétique, à peine une ordure dans la masse de tous les êtres humains, une personne qui ne méritait pas même de vivre tant elle avait connu les artifices de l'existence et les conséquences que cela impliquait. Toutefois, la sévérité de Locke était nécessaire. Claire aurait tellement voulu voir un sourire sur ce visage tuméfié par la drogue, une étincelle dans ces yeux emplis de larmes qu'il ne versait pas, un peu d'espoir dans cet esprit torturé et tourmenté par des hallucinations.
Alors Claire sortit quelque chose de sa poche et le lança sur le sable, à quelques mètres seulement de l'endroit où était reclus Charlie. Locke darda le jeune homme du regard, le petit sac de came encore à la main, et partit rejoindre la carcasse rouillée de l'avion. Seule la jeune fille demeura à bonne distance du toxicomane, un regard mêlé d'angoisse et de compassion éveillant en Charlie des sentiments inconnus, sincères, francs, honnêtes, lucides et d'un naturel encore jamais éprouvé.
« Garde ça, Charlie. C'est pour toi. Tu me le rendras quand tu iras mieux. » dit-elle.
A son tour, Claire s'éloigna de lui et sa silhouette ombragée dans les flammes du soleil disparut parmi le sable et la mer. Cependant, une étincelle continuait de l'aveugler.
Rampant sur quelques mètres, à défaut de pouvoir marcher tant il était en manque, Charlie s'approcha de cette chose qui brillait et la prit dans sa main sale et ensanglantée. Teinté de vermeil, le métal bronze se para de différentes couleurs, améthyste se mêlant au violacé de ses cernes.
Subjugué par la beauté du bijou qu'il tenait au creux de ses phalanges de guitariste, il prit la peine de contempler cette étincelle de joie et de mystère d'un regard éteint et absent. Repris de convulsions, il se terra au fond des buissons comme un animal, crispant d'une main ses cheveux et de l'autre une broche bronze et pourpre. Bientôt, les lettres F.A.T.E furent recouvertes de sang mais son attachement à l'étincelle demeurait.
C'était un papillon.
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