Auteur : Isylde
Inspiration : Lost
Titre : Papillons
Chapitre : Papillon de Jour, 2/4
Longueur : 1198 mots
Date : 20/07/05
Résumé : Dans le creux de sa main, Locke remarqua des pétales pourpres s'ouvrant sur des veines végétales de bronze, mais cette belle créature ne voulait pas s'envoler. Pas encore, il était trop tôt.
Papillons.
Tel un enfant curieux, Charlie observait les gracieuses plumes multicolores s'envoler au-delà du ciel d'un bleu azur tellement intense et aveuglant qu'il en avait des larmes au coin des yeux. Ce ballet de couleurs et de formes envahissait ses sens et consolait sa solitude. Son bonheur, lui aussi, s'était envolé dans les affres de la drogue. Il profitait avec intensité et dévouement à chaque instant paisible qui s'offrait à lui, comme un gamin qui aurait arraché des morceaux d'infini aux lambeaux sanglants de sa triste et douloureuse existence.
Ces triangles verts, rouges, bleus, jaunes, violets, oranges et pourpres se déclinaient en un millier de tons différents et voletaient avec délicatesse parmi les fleurs exotiques de l'île. Après tout, malgré les dangers qui s'y cachaient et les étranges sons qui émanaient de la jungle, ce lieu avait quelque chose de paradisiaque et lorsque le pire survenait, l'optimisme suivait la désolation pour mieux permettre l'instinct primitif de survie qui sommeillait en chacun des rescapés. Toutefois, Locke était convaincu que tous devaient se repentir des fausses passées commises dans un moment de folie ou de lucidité. Certains étaient à moitié pardonnés de ce qu'ils avaient fait, car, à l'instant où leur actes préjudiciables avaient causé du tort à leur entourage, ils n'étaient pas entièrement lucides.
Charlie faisait partie de ceux-là. Rockeur britannique, clean depuis plus d'une semaine, et portant avec fierté les quatre lettres F.A.T.E, comme si son sort à lui et celui des autres était un coup du destin, rien de plus, rien de moins. Et pourtant, il lui semblait que ce crash et leur perdition sur une île déserte était irrémédiable, comme quelque chose qui était écrit d'avance dans le grand drame de la vie, avec ses acteurs, ses scènes, ses interludes et ses coups de théâtre. Le fait de sentir seuls au monde, avec pour uniques compagnons les étoiles de nuit et les papillons de jour faisait partie de ses coups de théâtre à l'anglais, tragédie shakespearienne aux allures de mauvaise plaisanterie.
« Crois-tu au destin, Charlie ? » demanda Locke tandis qu'il observait les papillons en sa compagnie. « Crois-tu à la prédestination ? »
« Je crois au talent. » répondit ce dernier. « Certains d'entre nous sont nés avec un don et méritent de le développer au maximum de leurs capacités. »
« Pour toi, le talent n'est-il donc qu'un destin ? »
« Seul le talent est inné. Le reste…dépend des choix qu'on fait au cours de notre existence. »
« Les choix…parlons-en justement, des choix… Comment vas-tu ? Les effets de manque se font moins douloureux ? »
« J'oublie. » répondit Charlie d'une voix absente.
Locke pouvait savoir ce qui se cachait derrière ses compagnons d'infortune. Mais il ne pouvait en aucun cas sonder les esprits des gens. Il n'était ni devin, ni magicien, simplement quelqu'un de très perspicace et qui ne pouvait faire que des déductions basés sur de subtils faits. Preuve à l'appui, il confondait gens et personnalités pour mieux cerner les caractéristiques de chacun.
« Tu ne ressens plus le besoin de sniffer ton rail de coke quotidien ? » questionna Locke, un énigmatique sourire aux lèvres.
« Les rails de coke c'est comme les rails d'un train, parfois ça déraille. » répliqua le jeune homme, toujours mystifié par la beauté des papillons. « Plus besoin… » chuchota-t-il, son expression apaisée contrastant avec ses cernes violacées de camé.
Ces yeux, encore injectés de sang mais bien moins creusés, étaient une réminiscence d'une crise de manque récente. Cependant, cela n'avait pas empêché Charlie de s'éloigner de manière spontanée des autres membres du groupe, dans l'espoir de leur épargner sa souffrance et cette indicible douleur qui volait toute notion de temps ou d'espace.
« Tu n'as pas choisi d'arrêter la came par toi-même. J'ai dû te la prendre pour te convaincre d'arrêter de te détruire comme ça. Et là, n'est-ce pas du destin ? »
« Tu as choisi de prendre ce vol comme moi, en toute âme et conscience. » rétorqua Charlie d'un ton qui se voulait faussement dramatique. « Répondais-tu bien de tes actes à l'instant où tu as commandé le billet d'avion ? »
« Je peux te certifier que oui. » répondit Locke.
Assis en tailleur dans l'herbe, couteau glissé dans la ceinture et sac en bandoulière, il avait tout l'air d'un baroudeur trop aventurier pour être sédentaire, mais ça ne l'empêchait pas d'avoir cette figure du paternaliste un peu mystérieux et beaucoup trop cultivé pour n'être qu'un simple employé dans une entreprise de boîtes.
« Et toi ? »
« Je ne sais plus. » souffla Charlie.
« Tu ne sais pas ou tu ne sais plus ? »
« Je ne sais pas. » rectifia le jeune homme avec un sourire. « Je suis comme ces papillons, je ne sais plus rien de mon existence avant d'arriver sur cette île. J'ai l'impression de renaître. »
« Ces papillons étaient enserrés dans un inconfortable cocon. Mais je suis sûr de t'avoir déjà conté cette histoire, Charlie. »
« Le papillon doit se battre pour devenir fort. Si le cocon s'ouvre trop tôt, il n'aura aucune chance de survie et mourra alors qu'il n'est qu'au début de son existence. » confirma-t-il.
« Etais-tu mort avant de venir sur cette île, Charlie ? » demanda Locke avec un regard à la limite de l'inquisition.
Oh, cette question…Il fallait se demander s'il avait réellement un but sur cette terre. A part sniffer des rails de coke et sentir inutile dés qu'il ne pouvait plus faire comme les autres avait été un comportement désastreux et il le savait. Locke touchait exactement les points les plus sensibles et les plus épineux de son existence. Avait-il été heureux, avant de poser ici par hasard ? Avait-il été heureux, avant de survivre à un crash d'avion ? Avant-il été heureux, avant de connaître Claire ?
Ici, il y avait un intense sentiment de liberté. Plus d'obligations, plus d'impôts à payer, plus de contraires séculaires, plus de futiles préoccupations…Ici, il s'inquiétait pour la survie même de ses compagnons et contribuait aux activités qui permettaient aux autres de manger à leur faim, de boire, ou de rendre leur journée un peu moins désagréable. Ici, il se sentait utile et voulait faire en sorte que ses compagnons se sentent mieux, grâce à lui. Et puis le bonheur ne tenait pas seulement à une seringue d'héroïne ou au sexe. On n'était pas à un rail de coke près.
« Oui. » avoua Charlie en toute simplicité, et il leva de nouveau les yeux au ciel, sentant les ailes des papillons effleurer son visage baigné d'étincelles de soleil.
Et cette fois, elles ne brûlaient pas, ces étincelles. Semblables à de douces caresses, elles apaisaient son esprit et son âme, consolaient ses convulsions de camé et le rendaient heureux. Dans le creux de sa main, Locke remarqua des pétales pourpres s'ouvrant sur des veines végétales de bronze, mais cette belle créature ne voulait pas s'envoler. Pas encore, il était trop tôt.
C'était un papillon.
© Copyright Isylde - 2005
© Copyright J.J Abrams - 2004
