Auteur : Isylde

Inspiration : Lost

Titre : F.A.T.E

Chapitre : Espoir

Longueur : 1791 mots

Date : 17/07/05

Résumé : Sayid avait cet espoir, comme les autres. Mais qu'était-ce l'espoir lorsque aucun avion ne survolait l'île, lorsque aucun bateau ne pointait sa coque sur l'horizon, lorsque la mer était désespérément houleuse et vide de toute civilisation, qu'était-ce, l'espoir ?

C'était une de ces soirées calmes que Sayid appréciait plus que tout au monde. En temps de peine et de désespoir, il lui suffisait de regarder les étoiles pour ressentir cet intense sentiment de paix intérieure. Et pourtant, cette île était tellement éloignée de son pays d'origine, l'Irak, avec ses immenses étendues de sable, toundra désertique aux allures de no man's land. D'ailleurs, il ne valait mieux pas y retourner pour le moment. Trop de haine avait été éprouvée et trop de sang avait été coulé au nom d'une bien illusoire liberté. Mais ici, cette liberté si chère aux américains et si chère à la civilisation occidentale, avait un prix. Dans une micro-société où s'étaient entredéchirés deux parties d'une liste de passagers, il y avait ceux qui étaient partis dans la jungle pour se trouver à proximité des sources d'eau et les autres, ceux qui étaient restés sur la plage dans l'espoir qu'un bateau vienne les rechercher.

Sayid avait cet espoir, comme les autres. Mais qu'était-ce l'espoir lorsque aucun avion ne survolait l'île, lorsque aucun bateau ne pointait sa coque sur l'horizon, lorsque la mer était désespérément houleuse et vide de toute civilisation, qu'était-ce, l'espoir ? Comme la liberté, elle devenait de plus en plus illusoire, malgré tout, elle parvenait à s'imposer. L'exemple le plus flagrant de cet optimisme était Shannon, la jeune fille qui, en dépit de leur désastreuse situation, passait son temps à bronzer et à appliquer consciencieusement de la crème solaire sur les moindres parcelles de sa peau. Sayid, comme tous les hommes, se rinçait bien l'œil, mais avec une discrétion bien mesurée, et lorsque le soir tombait, il profitait d'un petit feu de camp, discutant en compagnie des rescapés. Shannon, elle, restait à l'écart. Peut être avait-elle peur qu'on lui vole son paréo rose bonbon ?

Après tout, elle était encore jeune, Sayid ne lui donnait pas plus de seize ou dix-sept ans, c'était sans doute la raison pour laquelle son frère la couvait un peu trop. Mais elle n'en n'avait que faire, préférant la qualité de son bronzage aux conseils répétés du sempiternel grand frère, encore plus efficace qu'une surprotection solaire. Mais la voie était libre, ce soir là. Attrapant une mangue qui reposait au fond d'une valise, l'irakien s'approcha d'elle avec un sourire, mais son air un peu farouche le rebuta un peu. Cela ne l'empêcha de s'asseoir à côté d'elle et de lui donner le fruit d'un geste qui se voulait rassurant. Shannon était jolie, c'est vrai, allongée à même le sable, s'appuyant sur ses coudes et observant curieusement le ciel étoilé. Et cette voûte lactée parsemée d'astres immortels avait un certain charme, bien que différente du ciel de Tikrit, celui de son enfance. Et puis les araignées sablonneuses ne couraient pas les dunes à la recherche d'un insecte à empoisonner, bien au contraire, l'écho paisible de l'océan effectuait un roulement continu, comme une harmonie répétée.

Ses cheveux blonds, noués en un lâche chignon, voletaient d'une manière éparse autour de son beau visage souriant. Le plus pur style européen, voire californien, et pourtant Sayid ne pouvait s'empêcher de se sentir attiré par ces lèvres colorées d'un délicat rose brillant. Rares étaient les femmes qui, dans son village natal, se maquillaient, et il trouvait ça bien dommage. L'irakien s'appuya lui aussi sur ses coudes et leva ses yeux ténébreux au ciel, laissant les volutes du feu de camp parer d'ambre sa peau cuivrée par le soleil de son pays.

« Je ne reconnais aucune étoile dans le ciel. » dit-elle soudain de sa douce voix un peu policée et précieuse, comme une riche héritière américaine. « Pas de Grande Ourse, pas de Petite Ourse, pas de Croix du Sud…rien. »

La voix de Shannon tremblait légèrement, elle avait peur. Mais cette peur du lendemain ne se traduisait que le soir, lors des frayeurs viscérales de l'enfance que cette nuit lui causait. D'étranges sons émanaient de la jungle depuis quelques temps déjà ; et rien ne présageait ce qui allait leur arriver. Sayid ne voulait plus ressentir cette impuissance face aux désespoir de ses compagnons, il ne voulait pas voir Shannon perdre elle aussi de son flegme et de son visage de marbre.

« En Irak, les étoiles sont également placées différemment. Ici, la nuit est tellement plus claire et plus pure…et c'est pourtant dans le désert que l'on retrouve la plupart des observatoires astronomiques. » expliqua Sayid, un petit accent oriental mâtinant son anglais.

« Vous venez de… » balbutia Shannon.

« J'étais un garde de Saddam Hussein pendant la Guerre du Golfe, et j'ai dû fuir mon pays après l'attaque américaine en avril 2003. » confia Sayid en toute honnêteté.

Elle n'eut pas peur. Aucun sentiment d'américanisme, aucune haine, rien. Juste une pitié qu'il ne voulait pas inspirer et peut être un peu de compassion. Il avait souffert, certes, mais cela ne faisait pas de lui un martyre de sa relation. Les rescapés avaient souvent tendance à faire l'amalgame entre lui et les intégristes religieux, alors qu'il était plutôt modéré dans ses mœurs et ses préceptes.

« Je croyais que vous étiez indien ou pakistanais. Votre peau cuivrée me rappelle un peu le Taj Mahal et des trucs comme ça…orientaux, quoi. » murmura Shannon.

« Pakistanais, iraniens et irakiens sont frères. Mais peu importe la nationalité ; pour Sawyer et les autres, je suis un terroriste, responsables des attentats… » commença-t-il.

« …Je ne suis pas Sawyer. » dit-elle simplement. « Je ne suis pas comme les autres. »

La jeune fille admirait la figure élégante et empreinte d'exotisme de Sayid. Il ressemblait à un prince du désert, un peu sauvage et un peu rude parfois, mais il n'était en aucun cas le stéréotype brute et intolérant de ceux qui utilisaient leur religion comme un prétexte à la tuerie et à la violence. Sa chevelure bouclée, noire de jais, était agitée par la houle maritime, et toujours cet écho allait et venait comme une énigmatique mélodie.

« J'en suis convaincu. » répliqua-t-il, sarcastique.

C'est vrai, elle n'aidait pas beaucoup les autres, c'est peut être pour cela qu'elle se sentait un peu inutile, mais avec son frère, rien n'était simple. Il était toujours parti en vadrouille avec Hawkes et ne revenait que le lendemain dans la matinée, interdisant à qui que ce soit de parler avec sa sœur et vice versa. Shannon s'en accommodait pas trop mal, étant déjà d'une nature solitaire et renfermée, comme toutes les jeunes femmes de son âge.

Elle s'allongea alors complètement, à même le sable, les paumes de ses mains tournées vers le ciel et ses cheveux nordiques étalés sur la plage, se confondant avec le beige clairsemé de cette étendue sablonneuse. Il y avait un contraste très marqué entre cette fille du nord et ce fils du sud, unis par une rêveuse contemplation d'un ciel qu'ils ne connaissaient pas. Ambre et cuivre se mêlaient alors à l'ombre des palmiers, jouant avec le vent et les embruns maritimes.

« C'est marrant, vous êtes le premier à m'adresser la parole parmi tous les crétins qui survivent sur cette île. » chuchota la jeune fille.

« Ils ne sont pas tous crétins. Bon, d'accord, j'admets qu'il ne sont pas très bavards non plus, mais vous pourriez faire un effort. Il n'y a pas de différentes culturelles entre vous. »

« Vous êtes irakien et je suis américaine. Quelles plus grandes différentes culturelles pourraient nous séparer ? Ceux qui parlent ma langue maternelle sont plus éloignés de moi que vous ne l'êtes ! »

« C'est peut être ça, le problème des Etats-Unis. Ils imposent tout ce qu'ils croient être bénéfique pour un peuple, en dépit des différences qui séparent la civilisation occidentale et orientale. Tout ce qui est différent est considéré comme indigne de vivre. »

« Non, ces gens ont tous un problème vis à vis de moi. Je ne demande rien à personne, alors qu'ils me foutent la paix. Moi je bronze, eux ils récupèrent des valises complètement inutiles…à chacun son truc. »

Elle soupira. Sayid aimait ce doux soupir empreint de tristesse et de solitude. Il aimait la franchise de cette fille et il savait que les apparences étaient trompeuses, comme cette île. D'autres sons émergeaient des buissons exotiques des sous-bois. Shannon se retourna brusquement en sursautant, bien peu rassurée de la proximité de cette obscurité. Soudain, la main de Sayid se posa sur son épaule et son regard insistant lui suppliaient de ne pas craindre cet effroi enfantin. Des monstres s'y cachaient peut être, mais il était là pour la protéger.

La jeune fille n'eut pas même le temps de reposer son regard sur le visage de l'irakien que ses lèvres cuivrées étaient déjà sur les siennes en un baiser très délicat, très léger. Sa main caressait doucement sa nuque dans un mouvement de rapprochement tellement subtil et tellement envoûtant. Shannon ne réagissait pas, fermant les yeux et savourant l'intensité du moment, sans prétention. Sa peau brûlante empoisonnait ses sens et rendaient son esprit à la fois flou et lucide, entre amour et attraction physique. Sayid l'aimait mais en raison de ces différences culturelles, tout était déjà brisé.

Puis, l'irakien détacha sa bouche de la sienne, posa son front sur celui de la jeune fille et murmura quelques mots en sa langue natale. Shannon ne comprenait pas, mais, perdue dans la brume de ses sentiments, ferma de nouveau les yeux en caressant le visage de son compagnon. C'était tout ce dont ils avaient besoin. Aussi vite qu'il était venu, Sayid repartit alimenter le feu de camp et s'allongea à son tour sur le sable, perdu entre l'harmonie océane et les astres glaciaux de la galaxie.

« Merci pour la mangue, Sayid. » déclara Shannon en se retournant.

« Inch'Allah. » répondit-il simplement, et c'est tout ce que la jeune fille voulait entendre.

Malgré leurs différences culturelles, malgré leur position éperdue en plein milieu d'une île qui n'existait pas, d'un océan hostile et d'un ciel inconnu, il suffisait d'un baiser pour rassurer des terreurs de l'enfance et les effacer. Ainsi les souvenirs des nuits d'orages étaient reclus dans un petit coin de triste mémoire, aussi triste et aussi brillante que les yeux de Shannon. Alors Sayid revoyait ces étoiles, revoyait ce ciel et la beauté de sa compagne pour se dire qu'il demeurait toujours un peu d'espoir.

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