Auteur : Isylde

Inspiration : Star Wars

Titre : Enfant de la Louve

Chapitre : Lune, 2/4

Longueur : 1867 mots

Date : 01/05/05

Résumé : Une sorte de miracle, rescapée de l'enfer, du côté obscur de la Force, voilà comment était considérée Eleai. Ses compagnons de jadis étaient morts, partis en mission, ou n'avaient gardé que très peu de souvenirs de sa personne.

Les vibrations continues du vaisseau spatial semblaient avoir une prise sur toutes les choses mortes flottant dans le vide intersidéral, mais jamais ils ne ternissaient la beauté de cette blanche silhouette, se penchant au-dessus d'un hublot de cette carlingue fuselée. La vue imprenable qu'offrait cet espace à demi-transparent éblouissait ce regard gris et éploré, tout à la fois inquiet et énigmatique. Fronçant les sourcils, la jeune fille essayait de se remémorer des détails de son ancienne vie, et la seule chose qui lui revenait à l'esprit était ces instants passés en compagnie d'Obi-Wan et de Qui-Gon. Quant à Ki-Aki, sa maîtresse d'armes défunte, elle n'avait laissé que son sabre-laser et son beau sourire, le premier seul rempart contre l'infamie et le deuxième égaré dans la dégénérescence de la haine qu'inspirait la Force. En son esprit, certes, elle était une jeune fille, une adolescence, trop vite abandonnée dans le havre adulte du sérieux et de la vieillesse. Physiquement, Eleai avait tout l'air d'une femme ayant connu beaucoup et traversé de nombreux obstacles. Déjà, son reflet lui offrait des rides d'expression à la commissure des lèvres, au coin des yeux, sur le front, et une maturité qu'elle ne connaissait guère.

« La Force préserve tout, Eleai. » déclara Mace Windu. « Cependant… » il caressa lentement son menton, perdu dans sa réflexion. «…il semblerait que la nature…fasse son œuvre avec le plus grand naturel. »

« Des changements ont-ils eu lieu ? » questionna Yoda, observant les visages encore émerveillés de tous les maîtres Jedi rassemblés autour de lui.

Une sorte de miracle, rescapée de l'enfer, du côté obscur de la Force, voilà comment était considérée Eleai. Ses compagnons de jadis étaient morts, partis en mission, ou n'avaient gardé que très peu de souvenirs de sa personne. Toutefois, rien ne présageait ce réveil prématuré, et pour avoir détruit la bulle artificielle, utérus destiné à la maintenir dans une léthargie forcée, Obi-Wan avait été sévèrement réprimandé par le Conseil, et également en raison de ce baiser volé, n'avait plus été autorisé à la voir. Amer et attristé de n'avoir pu tenir sa promesse, le chevalier Jedi s'en retourna à sa fonction, éduquer le jeune Anakin, qui à dix-neuf ans était l'un des guerriers les plus prometteurs de sa génération.

« Eh bien… » commença Eleai de sa voix flûtée. « Je ne me souviens de rien. » constata-t-elle en fouillant son esprit de toutes ses forces.

« Seize ans vous aviez à cette époque. L'âge de l'innocence, des découvertes…de l'objectivité…et de la pureté de la Force que, semble-t-il, vous ayez conservé. » expliqua Yoda en crispant ses petites mains tridactyles sur les accoudoirs de son fauteuil.

Eleai ne voulait pas être traitée comme une bête de foire. Mais maintenant, elle avait perdu tout ce qu'elle avait possédé par le passé, et voulait s'éloigner de la curiosité qu'elle inspirait auprès des hautes instances de l'institution Jedi. Tout de suite, elle avait insisté, malgré sa santé fragile et le vieillissement cellulaire accéléré, à reprendre l'entraînement, et cela avec Yoda en personne, afin de ne pas perdre de temps avec la maladresse d'un Jedi récemment intronisé éducateur. Plus que de la tendresse, Yoda, en dépit de sa sévérité, se révéla en tant que paternaliste relativement strict mais tout de même affectueux. Il avait aimé cette petite comme sa fille, et il allait la traiter telle une sœur devant les défis qu'elle allait devoir relever. Et au-delà de toutes les espérances, Eleai réussit à se hisser, en l'espace de six mois, d'une adolescente timide à la femme déterminée et au caractère enflammé, comme si ce long séjour de plus d'une décennie dans ce dôme de ralentissement cellulaire avait attisé ses désirs, ses aspirations, ses projets mais également cette Force, omniprésente, cette Force que sentaient tous les maîtres Jedi de Coruscant, cette Force bénéfique qui émanait d'elle et qui, longuement imprégnée de pureté, allait devenir destructrice et impulsive, or tout ce que craignait Yoda et Yaddle, les plus sages des guerriers.

Elle serra ses beaux doigts blancs sur un pan soyeux de sa robe blanche, et vagabonda dans les couloirs stériles de son vaisseau spatial, voyant au loin la planète océanique, d'un turquoise profond, apparaître dans un nuage de gaz violent, et, plus loin, le crépuscule iridescent du soleil qui se levait sur des lambeaux de terre d'un doux vert délavé et morcelés par la mer en furie et ces vagues qui se dressaient, furieuses, contre les éléments du vent et de la terre. Obsédante, la lune gravitait autour de cette sphère lapis-lazuli, indolente, et également couverte d'une luxuriante végétation, à la différence de certains satellites obstinément gris et tristes. Mais là n'était pas sa destination. Quelques instants seulement, elle avait ordonné à l'ordinateur de bord de cesser tout fonctionnement près de ce lieu, afin qu'elle puisse l'admirer seulement de quoi rêver un peu et oublier l'ennuyeuse mission que lui avait confié Mace Windu.

« Je ne suis pas faible…Je ne suis PLUS faible… » grommela-t-elle. « Je veux l'absolution dans les combats…MON combat, celui de toute une vie. On a volé ma vie, et je veux la retrouver. Je veux me venger… »

Hélas, la vengeance était sans doute un sentiment trop puissant et trop maléfique pour qu'elle pût le contrôler sans entrave, et son impulsivité ne connaissait pas de limites tant la douleur et l'incompréhension étaient grandes.

« …me venger… » souffla-t-elle, avant de scander dans cet air froid et sans vie un ordre, précis, clair, celui de se rendre sur la planète où devait avoir lieu sa mission.

Et quelle planète…Sphère désertique, à peine l'ombre d'un havre de vie et de prospérité, système complètement corrompu et dépravé, oublié par la République, conspué par les relations diplomatiques pacifiques et même haï des éventuels traités militaires. Contrôlé par les Hutts, ce monde n'avait plus rien d'humain, c'était un lambeau de chair vivace et engendré par la haine.

« Tatooine. » murmura-t-elle simplement, avant de fermer les yeux et de voir ces étoiles défiler, l'éloignant de l'objet de sa fantaisie.

« N'avais-je donc aucun choix, maître Yoda… ? » susurra-t-elle, manipulée par son esprit de colère.

Yoda baissa les yeux, jouant avec le pommeau de son sabre-laser comme un enfant avec une pomme volée. Oh, avait-elle le choix de sa destinée, le contrôle de ces souvenirs perdus, de cette mémoire amputée, de cette vie dérobée à l'âge de seize ans, cette vie qui promettait d'être si belle, si grandiose, si spectaculaire… ?

« Tes ardeurs vous devez calmer, Eleai. Rien en vous ne peut expliquer ce changement, mais si cela est votre destin, alors votre destin cette vie sera. Vous avez une quête, désormais, une quête de la vie, une quête au-delà de la vie… »

« En trois semaines, je suis passé d'une jeune fille de seize ans à une femme de trente-cinq ans, et encore, cela s'accentue avec les conditions déplorables dans lesquelles on m'a internée dans cette prison de verre. »

« Le choix nous n'avions pas, Eleai. En revanche, posséder le choix est un grand privilège. »

« Ai-je expressément demandé qu'on me vole ma féminité ? » s'insurgea-t-elle. « Ai-je expressément demandé qu'on me vole ma jeunesse, ma vie, ma seule raison… ? »

« Quelle est votre raison ? » demanda alors Yoda.

Oh, cette raison, nul ne pouvait la deviner, tant elle était surprenante pour une guerrière sensée rester vierge et à qui on avait pris le seul motif pouvant la conserver dans l'institution des Jedi. Une raison effrayante, à la limite de la primitivisme animal, à la limite de cette dépravation si peu commune au commun des mortels, une raison si sournoise, si basse, que nul ne pouvait se l'imaginer sans frissonner de terreur et ressentir cette viscérale haine envers Eleai.

« Tuer… » répliqua-t-elle, un sourire narquois aux lèvres.

Un éclair argenté scinda le ciel de Tatooine en deux, tandis que le vaisseau étincelant se posait sur la surface poussiéreuse d'une plaine sablonneuse et complètement dépourvue de toute végétation. Emergeant de l'atmosphère d'un beige affadi et assombri par les tempêtes, la silhouette d'Eleai perça la masse de sable qui s'élevait au gré d'un tiède vent griffant et suintant de boue. Une longue cape neige couvrait ses fines épaules et ses poignets, entravés par de multiples rubans de satin modelés par la brise désertique.

Dans sa paume se trouvait, flottante, une sphère-sonde d'or qui repérait les lieux suspects et indiquaient le moindre mouvement aux quatre points cardinaux. Sa main droite, le long de son bras, tenait discrètement le pommeau d'un sabre-laser que l'on devinait de couleurs changeantes lorsque ce dernier sortit lentement de sa carcasse industrielle d'acier. Mais, plus que multicolore, il semblait se fondre dans son milieu, tout comme sa propriétaire, qui, par un heureux hasard, découvrit que les éléments avaient une incidence sur son métabolisme et l'obligeaient, tel un caméléon, à se perdre dans le sable, le vent, et le ciel bleu azur de la planète. Son corps, marqué par de multiples cicatrices, était suggéré par les courbes diaphanes de sa longue robe d'un blanc encore plus pur que les nuages, mais dont le contenu était séducteur, sensuel, à la limite de ce désir et de cette passion qu'elle éprouvait à chaque instant de sa vie. Eleai n'était pas faite pour rester enfermée dans un bureau à Coruscant, elle devait aller sur le terrain, se battre et aimer intensément comme elle aurait toujours voulu le faire.

Plissant les yeux, ses mèches châtains, tellement longues à force de n'avoir jamais été coupées, caressaient délicatement la paume raffinée de sa main qui se couvrait, avec une lenteur énigmatique, de courbes orientales dessinées au henné. Une fleur simplifiée, puis tout un motif, vint couvrir ses doigts, son poignet, ses bras, ses jambes, sa poitrine, son cou puis ses tempes, et enfin ses lèvres et ses joues, couvrant tout son corps de peintures rituelles, violente réaction à l'environnement oppressant qui modifiait la consistance même de sa peau, plus rêche et plus dure, la manière dont ses cheveux se projetaient en avant au gré du vent, plus bouclés, plus insoumis, plus sauvages, et enfin ses yeux qui se posaient sur l'horizon de sable de cet immense désert, et plus loin, ces iris jaunes de loup, se mêlant dans le gris farouche de son regard apeuré. Enfin, elle se jeta au sol, sentant cette indicible douleur lui prendre le thorax, engourdir ses membres et voler tous ses sens pour les rendre plus puissants, si désagréablement perspicaces et si cruellement exacts. Etouffant, devenant femelle et perdant peu à peu sa qualité de femme à part entière, son côté animal resurgit dans la finalité de ses émotions disparates, comme une explosion primitive de ses souhaits et de son passé.

« Tuer… » répéta-t-elle.

Eleai était une Enfant de la Louve.

© Copyright Isylde – 2005

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