Chapitre 3 : Les rescapés

Elizabeth se sentait comme bercée, elle avait l'impression de flotter.

« Suis-je morte ? » pensa-t-elle.

A cet instant elle s'en fichait, elle se sentait bien, en sécurité. Puis ses derniers souvenirs lui revinrent brutalement à l'esprit. Elle revoyait les hommes de l'équipage projetés en tous sens, elle se rappelait les éclats de bois meurtriers, le sang, la détonation des canons…

Elle émergea brusquement, ses yeux s'ouvrirent sur l'immensité du ciel d'un bleu uniforme et une voix l'accueillit.

« Mademoiselle Connors. J'ai bien cru que vous ne vous réveilleriez jamais »

C'était le capitaine Williams. Elizabeth se rendit compte qu'elle était allongée dans un canot, le capitaine était assis devant elle et pagayait. Elle se redressa vivement, mais fut stoppée net par un vertige et un élancement dans le crâne.

« Oh Mon Dieu, ma tête… » murmura la jeune femme en posant les mains sur ses tempes.

Elle fut étonnée de sentir la présence d'une sorte de linge faisant office de bandage lui encercler le crâne.

« Tu as été blessée Elizabeth, reste tranquille » dit une voix derrière elle.

Elle sursauta et se retourna pour découvrir qu'Harry était assis derrière elle. Il lui sourit gentiment.

« Blessée ? » demanda-t-elle.

« Tu t'es cogné la tête durant la bataille, mais ça n'a pas l'air trop grave, maintenant que tu es réveillée »

Elizabeth hocha la tête. Puis elle regarda autour d'elle. Ils naviguaient seuls. Aucune trace d'un autre canot. Tout autour d'eux s'étendait l'immensité bleutée de l'océan. Ils se trouvaient dans l'Atlantique Nord, et les températures n'étaient guères élevées. Elizabeth commença à grelotter.

« Où sont les autres ? » demanda-t-elle, inquiète.

Harry détourna le regard. Le capitaine cessa de pagayait et regarda tristement Elizabeth. Les yeux de la jeune femme allait du capitaine à Harry, se demanda quel sort avait subi le reste de l'équipage.

« Mademoiselle Connors » commença le capitaine « je suis désolé de vous dire ça, mais nous sommes les seuls survivants… »

Elizabeth sentit la nausée l'envahir en même temps que les larmes. Bien qu'elle ne fut pas très proche des autres membres de l'équipage, elle venait de passer plus de trois semaines en leur compagnie et leurs morts pesaient lourdement sur le cœur d'Elizabeth.

Elle regarda le capitaine Williams qui lui souriait gentiment avec compréhension. La jeune femme était désolée pour cet homme qui venait de perdre tout son équipage. Mais elle éprouvait de l'admiration pour lui, car s'il était anéanti par tous ces morts, il n'en montrait rien. On pouvait lire dans ses yeux une très grande tristesse, mais on voyait qu'il tenait bon.

Elizabeth était très inquiète pour Harry, il venait de perdre des camarades, des amis qu'ils connaissaient depuis plusieurs années. Harry semblait perdu dans ses pensées et il regardait fixement au loin. Il était clair qu'il n'encaissait pas le coup aussi bien que le capitaine.

Elizabeth commença à claquer des dents, se sentant à présent totalement gelée. Ses mains étaient rouges et prenaient rapidement une teinte violacée.

« Seigneur, quel froid » pensa-t-elle.

« Capitaine » commença Elizabeth.

Le capitaine se tourna vers elle, ses yeux cernés de noir et son teint blafard indiqua à Elizabeth qu'il n'était pas dans un très bon état.

« Capitaine » reprit-elle « nous devons trouver une solution ou nous allons rapidement mourir de froid, au sens propre du terme… »

« Je m'en doute bien ma chère, mais nous sommes en plein milieu de l'Atlantique Nord. Notre seule chance serait de croiser un navire anglais, un de nos baleiniers ou bateaux de pêche qui passerait par là. De plus, nous avons dérivé toute la nuit, poussés par des courants forts qui passent dans ces eaux du globe, et je ne puis affirmer avec exactitude où nous nous trouvons maintenant. Mais je suis certain que nous sommes très éloignés de n'importe quelle terre »

« Alors nous sommes fichus » ajouta Harry d'un ton morne, sans expression. Il semblait secoué.

Quelques heures plus tard…

« Je crois pouvoir affirmer que je n'ai jamais eu aussi froid de toute ma vie. Même lorsque mon père m'avait emmenée faire une excursion dans les glaciers du Pays de Galles quand j'étais plus jeune, je n'avais pas eu aussi froid… » constata Elizabeth.

« S'il vous plaît Mademoiselle Connors, parlez-nous plutôt des îles de l'Océan Indien » plaisanta le capitaine qui n'avait presque plus de voix à cause du froid.

« J'en serai bien incapable capitaine. Je ne suis jamais allée dans ces îles lointaines baignées de soleil où l'eau turquoise reflète le bleu pur du ciel »

« Ah, quelle vision divine » dit le capitaine, pensif « n'est-ce pas Harry ? »

Elizabeth se retourna pour regarder Harry qui n'avait pas dit un seul mot depuis plusieurs heures.

« Harry, ça va ? » questionna-t-elle prudemment.

« J'ai froid » fut sa seule réponse.

« Je sais Harry, on est tous gelés. Mais il faut tenir bon. Nous avons encore une chance »

Elle posa une main réconfortante sur son épaule. Il lui sourit faiblement. Elle se faisait du souci pour le mari de Sarah, elle connaissait le couple depuis des années, et elle connaissait assez Harry pour savoir qu'il était au plus mal. Elizabeth nota mentalement de garder un œil sur lui. Il avait une femme et deux enfants et il était hors de question qu'il fasse une bêtise.

Elle se retourna vers le capitaine et vit que celui-ci indiquait par de petits gestes en ouvrant la bouche qu'il n'avait plus de voix. Elle lui sourit gentiment et fit mine de se moquer. Il ne fallait pas laisser le désespoir les envahir, et c'est pour cela qu'Elizabeth essayait de maintenir une atmosphère détendue dans le canot qui voguait sur les flots gelés.

Soudain elle vit que le capitaine faisait des signes bizarres, pointant quelque chose du doigt derrière Elizabeth.

« Qu'est-ce qui lui prend ? » se demanda la jeune femme.

Comme il se montrait insistant et qu'Harry ne semblait pas réagir, elle se retourna et regarda dans la direction indiquée par le capitaine. D'abord elle ne vit rien, puis en se concentrant elle repéra un point à l'horizon. Il était minuscule, mais il s'agissait sans nul doute d'un navire. Elle se retourna vers le capitaine qui lui fit un grand sourire. Elle le lui rendit et se tourna vers Harry.

« Harry ! Regarde un bateau ! Nous sommes sauvés ! » s'écria-t-elle, en secouant Harry par les épaules.

« Pourvu que ce soit un Anglais » pria Elizabeth.