Chapitre 4 : le plan machiavélique.

Elle était trop obsédée par ses études pour négliger ses devoirs deux soirs de suite, alors ce ne fut que le samedi matin qu'Hermione échappa à l'attention de ses amis, chargée d'un paquet curieux et un peu intrigant. Le cours de Potions, pendant le long et redouté vendredi après-midi, avait été une curieuse expérience. Le Professeur Rogue l'avait regardée bizarrement à plusieurs reprises, et avait semblé sur le point de lui demander de rester après la classe, mais il avait apparemment changé d'avis, et lui avait tourné le dos de façon plutôt malpolie, même pour lui.

Peut-être qu'il voulait me demander comment retrouver la salle de lecture. Hermione éprouvait un confortable sentiment de supériorité. Son coin secret de Poudlard était toujours le sien seul. Sans aucun doute, le Professeur Dumbledore le connaissait, mais il était possible qu'il ignore qu'elle le connaissait. Il y avait, après tout, un certain plaisir à savoir des choses que personne d'autre ne savait.

Elle retournait son secret dans son esprit, le manipulant avec la fierté de le connaître. Le Professeur Rogue et Lily Evans avaient été amis, ou quelque chose de suffisamment proche de ça pour qu'aucun autre terme ne lui vienne à l'esprit. Hermione se demandait ce qu'en penserait Harry. Son aversion pour le Maître de Potions s'était développée pour devenir une haine farouche et réciproque, qui avait déjà compliqué le combat contre Voldemort.

Oldyfart, se reprit-elle, en utilisant le nom dédaigneux trouvé par Lily, et en souriant malgré elle. Si dénigrer les pouvoirs de leur ennemi était une sottise, il était tout aussi idiot de lui concéder un nom et un titre qui lui donnaient du pouvoir. Peut-être que le Lord Machin qu'avait utilisé Fudge n'était pas si mal trouvé. Ou peut-être devraient-ils ignorer les désirs de leur ennemi, et l'appeler simplement par le véritable nom qu'il détestait. Pourquoi ne pas simplement l'appeler Tom Jedusor ? Pourquoi ne pas publier la vérité ? L'histoire de ce demi-sang orphelin, abandonné, élevé par des moldus, cherchant désespérément à se faire une place parmi l'élite des sorciers de sang-pur ? Ca l'humilierait, le mettrait en colère, et ça rendrait vulnérable les bases faibles et perverses de la bigoterie des Mangemorts.

Ca lui fit penser au projet de livre de Lily. La bigoterie est toujours stupide, mais s'inquiéter d'une menace avérée ne serait pas de la bigoterie. L'étude de Lily était dangereuse. Quelque important que soit le sujet, elle fâcherait certainement l'une ou l'autre des factions, et mettrait de l'huile sur un feu déjà brûlant.

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Lily était ravie des journaux. Hermione les avait lévités pour qu'elle puisse les lire, et elle en profitait pour avancer dans ses devoirs, pendant que Lily marmonnait et s'exclamait en se penchant, pour lire des nouvelles d'un futur auquel elle n'avait pas pensé. Hermione avait amené aussi l'exemplaire du Chicaneur qui contenait l'interview de Harry. En savoir plus sur son histoire avait empli d'indignation le simulacre de sa mère.

Hermione, concentrée sur ses textes de transfiguration, n'entendait qu'à moitié les bredouillages du genre « Ils sont malades ? C'est exactement ce que je craignais… Le Ministère de la Magie est pire qu'inutile ! D'une bêtise rare ! Non, pire… malveillant et volontairement ignorant ! » Elle pencha la tête sur une épaule, couvrant une oreille de sa main, jusqu'à ce que Lily hausse la voix.

« Hermione ! Hermione ! Hé ho ! Hermione ! GRANGER ! »

Surprise, Hermione leva les yeux. Lily se tenait sur le devant du tableau, ses yeux verts lançant des éclairs, ses joues pâles rougies violemment.

« Regarde ça ! » commença Lily, tremblante de colère. « Ca ne va pas du tout. »

« Ca a été horrible, » confirma Hermione. « Quelques uns des pires Mangemorts, comme Lucius Malefoy, ont été envoyés à Azkaban après la bataille au Département des Mystères l'année dernière, mais comme tu a pu lire, ils n'y sont pas restés longtemps. »

« Personne ne sait où ils sont ? »

Hermione avait ses doutes, mais naturellement on ne lui avait rien dit 'pour sa propre protection'. Elle le dit à Lily, et partagea ses soupçons avec elle.

« Je pense qu'ils sont ici, en Angleterre, juste sous le nez du Ministère. La situation s'est détériorée, le Ministère ne semble pas capable de surveiller les activités douteuses dans la communauté magique. Ils traitent les problèmes faciles, la magie non autorisée, les problèmes d'Apparition ratée, ou les problèmes évidents de magie remarquée par les moldus, mais ils ont simplement trop de difficulté à repérer et à traiter la Magie Noire. Il se passe trop de choses, et il n' y pas assez de personnes compétentes. »

« Je crois que ça a toujours été comme ça, » approuva Lily, sa colère se transformant en de la détermination. « Le Ministère a toujours été plein de gens qui aiment que l'on réfléchisse à leur place. Ils ne sont pas capable de s'occuper d'un esprit fou et malfaisant. Pense un peu à la débâcle avec Grindewald. Les Ministres de la Magie d'Europe étaient impuissants face à lui, et il a fallu quelqu'un d'original et excentrique comme Dumbledore pour mettre fin à ses agissements. »

Hermione décida qu'elle pouvait parler à Lily de l'Ordre du Phénix. Personne d'autre ne viendrait ici, ne pourrait lui parler, et Hermione avait déjà remarqué que c'était utile de pouvoir discuter de ses idées avec une amie intelligente. Elle raconta brièvement les activités de l'Ordre, la chute de Sirius derrière le Voile, la loyauté de leurs alliés, et elle décida de révéler le rôle de Severus en tant qu'agent double.

Lily écouta dans un silence tendu, faisant les cents pas dans l'espace lumineux situé devant la table de la bibliothèque. Elle attrapa sa plume, la fit rouler entre ses doigts, et en tapota nerveusement le coin de la table. Finalement, les yeux étrangement brillants, elle s'exclama « Tu veux dire que c'est un héros ! »

Mettant de côté son antipathie personnelle pour le Professeur Rogue pour le moment, Hermione acquiesça tranquillement. « Oui. Il encourt constamment le risque d'une mort très douloureuse. Il est notre meilleure source de enseignement sur les activités de Voldemort. »

« Je le savais. » Le visage pâle de Lily était radieux. « J'ai toujours su que Severus allait leur faire voir, un jour. Il y a tant de bonnes choses en lui, il est intelligent, et courageux, et loyal, et je pensais être la seule à le savoir. » Son expression se voilà. « Mais tu dis que le garçon le déteste. »

« Ils ne se sont jamais entendus. Le Professeur Rogue est horrible envers les Gryffondors, horrible envers tout le monde à part les Serpentards. En partie parce que c'est nécessaire pour sa couverture, j'imagine, mais il a été odieux avec Harry dès le début. Nous avons toujours pensé que c'était parce qu'il détestait le père de Harry et ses amis. »

« Eh bien, » fit observer Lily avec acidité, « c'est tout ce qu'ils méritaient. Ces butors le tourmentaient à la moindre occasion. Cet orgueilleux de James, et son ami Sirius, qui se croit – qui se croyait – si irrésistible, et leur horrible petit chien de Pettigrow. Et Remus, qui faisait mine de ne rien voir de ce que faisaient ses amis. Je me suis toujours demandé s'ils savaient quelque chose sur lui, si c'était la raison pour laquelle il ne s'interposait jamais. » Elle arrêta de faire les cents pas, et tourna vers Hermione un regard chargé d'intention.

« Il faut que je sorte de là. Il faut que j'aide. »

Hermione la dévisagea, et commença à formuler une timide objection. « Je ne vois pas comment il serait possible de… »

« Ne me dis pas que c'est impossible. On m'a fait entrer là-dedans, il doit y avoir moyen de me faire sortir. »

Hermione la regarda encore un moment, et commença à ressentir le besoin de faire des recherches, d'accomplir l'impossible, de montrer au monde magique une fois de plus ce dont étaient capables les enfants de moldus. Son esprit s'échauffa devant la magnificence de la tâche, mais à ce moment sa voix intérieure, celle qui obéissait aux règlements et qui respectait l'autorité lui murmura des mots ressemblant à « créer de terribles complications, » « probablement contraire à l'éthique, » et le terrible « pourrait être assimilé à de la Magie Noire. »

Lily avait dû lire le conflit qui se peignait sur le visage d'Hermione, car elle lui dit avec impatience « Ne me parle pas d'usage illégal de la magie. Vous avez besoin de moi. Vous avez besoin de tous ceux qui peuvent aider. Severus est mon ami, et il a besoin de moi. »

« Jusqu'où es-tu prête à aller… »

« Jusqu'où ? » Lily fit un geste ample, puissant de la main. « Jusqu'au bout. » Elle était radieuse et fière, luttant contre les limites que lui imposaient sa toile. « Si tu tiens à une personne, si tu tiens vraiment à elle, tu ne dois jamais te fixer de limite dans ce que tu es prête à faire pour elle. Ce qu'elle ferait pour toi n'a aucune importance. Qu'elle sache ou non ce que tu as fait n'a aucune importance. Tu dois faire tout ce qui est en ton pouvoir pour elle, et tu ne peux pas t'arrêter pour compter ce que ça te coûte, parce que tu fais ce qui est juste. » Elle marqua une pause, et prit une profonde inspiration, toujours rayonnante.

Hermione était immobile, voyant enfin la Lily qui avait tenu tête à Voldemort et donné sa vie pour son enfant.

Hermione redressa les épaules et dit doucement « Je vais le faire. »

« Tu vas m'aider ? C'est vrai ? »

« Oui. » L'esprit d'Hermione accélérait. Elles avaient à leur disposition l'intégralité de la bibliothèque de Poudlard. Elles avaient les esprits combinés de deux sorcières enfants de moldus puissantes, intelligentes, et déterminées. Elles disposaient d'un pièce privée où travailler sans être interrompues. Hermione devait assister aux cours, mais Lily avait tout le temps du monde pour faire des recherches. « Et nous commençons tout de suite. »

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Lily trouva plusieurs livres sur les arts magiques dans la réserve de la bibliothèque de Poudlard. Elle en localisa également quelques uns dans la section en accès libre. Hermione décida qu'elle les emprunterait et les amènerait pour leur projet.

« Il me semble évident, » affirma Hermione, de son ton le plus didactique, « que la clé est de tout connaître de Maître Praetorius : comment est-ce qu'il préparait ses potions/peintures, et quels charmes il utilisait. »

Lily jouait pensivement avec sa plume. « Je vais écrire tout ce dont je me souviens à propos du procédé. C'était il n'y a pas longtemps pour moi, alors c'est encore frais dans mon esprit. Cependant, savoir ce qu'il a fait ne suffit pas : nous devrons découvrir comment inverser le processus et me faire sortir du tableau. »

« Si cela est possible, » corrigea Hermione.

« Ca doit être possible, » affirma Lily. « Je ne peux pas passer l'éternité ici à lire Orgueil et Préjugés, si plaisant que ce soit. Il faut que je sorte de là et que je vienne me battre. »

Hermione eut un moment de doute. « Et pour Harry ? »

« Le garçon. Qu'est-ce qu'il vient faire là-dedans ? Bien sûr, je vais l'aider, mais je ne suis pas sa mère !»

« Il pensera que tu l'es. »

Lily remit en place une de ses mèches, et rattacha ses cheveux convenablement. « Eh bien, nous nous occuperons de ça quand le moment sera venu. Peut-être qu'il ne me reconnaîtra pas. J'espère qu'il ne ressemble pas trop à son père, parce que James Potter est vraiment irritant, toujours à attirer l'attention, et avec ce sourire disant 'je sais ce qu'il te faut' accroché aux lèvres. » Elle fit un grand sourire à Hermione . « Qui sait, peut-être que nous deviendrons amis. Tout peut arriver. » Elle continua plus sérieusement. « Tout ce que je sais, c'est que plus il a de monde de son côté, mieux c'est. »

« Il y a une prophétie, » dit tout-à-coup Hermione. Lily la regarda avec curiosité. « Harry m'en a parlé. C'est ce que les Mangemorts cherchaient au Département des Mystères. Ils ne savent pas ce qu'elle dit, mais Harry le sait. Elle dit que Harry et Voldemort doivent s'affronter, et que seul l'un des deux survivra. »

« Raison de plus pour aider le garçon. Il doit peut-être affronter lui même Oldyfart, mais si nous sommes suffisamment nombreux pour garder ses arrières et combattre les Mangemerdes, il pourra au moins faire face

à la tête de nœud seule, et ne pas s'inquiéter de la foule de sous-fifres. » Elle reprit sa respiration, l'air vertueux.

« Les Mangemerdes ? »

Lily eut la bonne grâce de paraître un peu embarrassée. « Oui, pourquoi pas ? »

Epuisées par leurs émotions fortes, toutes les deux se mirent à trembler.

Les murs résonnèrent bientôt des rires de deux sorcières exténuées.

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Hermione se rendit compte qu'il était finalement assez facile de découvrir les techniques de Maître Praetorius. Tout était clairement détaillé dans un livre en accès libre qui ne requérrait qu'une sorcière capable de lire le latin. Elle s'émerveilla de nouveau de l'inanité du cursus de Poudlard. Le latin avait été une matière optionnelle jusqu'à la fin des années 70, mais avait été abandonné après la retraite du dernier enseignant de la matière. La classe actuelle de Runes Anciennes ne donnait qu'un aperçu sommaire d'une dizaine de langues anciennes et de leurs symboles. Hermione était reconnaissante d'avoir eu de bonnes bases de latin dans son école moldue, et d'avoir ensuite continué à l'étudier par elle-même pendant l'été. Dans de nombreux cas, comme par exemple l'invocation des Patronus, connaître un peu de latin évitait des erreurs stupides et parfois même dangereuses. Une fois de plus, elle se demanda s'il s'agissait d'un choix délibéré. Un livre illisible pouvait tout aussi bien être dans la Réserve, ou même ne pas exister du tout. Les charmes de traduction étaient au mieux incertains, et au pire un vrai désastre.

Les techniques de Maître Praetorius elles-mêmes n'étaient pas si évidentes. Elle requéraient de grandes capacités en Charmes, Potions et Transfiguration, ainsi qu'une habileté exceptionnelle à se concentrer et à visualiser. Les potions utilisées étaient nommées, mais Lily en trouva les recettes cachées dans un codex (également en latin) poussiéreux qui tombait en morceaux, et n'avait pas été lu depuis des dizaines d'années. Encore plus excitant, on y trouvait des informations sur le procédé d'inversion, qui avait été utilisé par les Anciens Egyptiens en dernier recours si une momie était détruite.

« Maintenant je comprends comment Ramsès II a régné pendant plus de soixante ans, » s'amusa Lily. « Son fidèle prêtre Satipy le ramenait régulièrement à la vie, en utilisant les peintures de son tombeau. Finalement, personne ne fut capable de ressusciter Satipy lui-même, et Ramsès a connu le repos tant reporté. Satipy devait avoir des pouvoirs exceptionnels, parce que la plupart des sorciers auraient du mal rien qu'avec le charme. Il nécessite un sorcier ou une sorcière dans et en dehors du tableau pour fonctionner au mieux. »

« Comment pourras-tu jeter le charme ? » demanda Hermione. « Tu n'as pas de baguette. »

« Bien sûr que j'ai ma baguette ! » Lily sortit de sa manche l'objet en question, en fit une démonstration et changea sa voix en un ton sinistre, imitation confidentielle de celle de Monsieur Ollivander. « Vingt-six centimètres, souple, en saule. Une bonne baguette pour les charmes. »

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Après un intense week-end de recherche, il leur apparut qu'elles rencontreraient des difficultés à mener à bien leur projet. Elles devaient assembler une potion Seba. Cette potion, une fois appliquée sur le tableau lui-même, ouvrirait une porte (Seba) entre le monde de l'image et l'extérieur. Rien que l'assemblage en était compliqué, mais en plus certains des ingrédients ne figuraient pas dans le kit de potions standard des élèves de Poudlard.

« Il nous faudra du sang, pas beaucoup, mais quand-même, » observa Lily calmement. « On pourrait utiliser le tien, à la rigueur, mais celui de Harry donnerait de meilleurs résultats, puisqu'il est de ma famille. » Elle pencha la tête de côté. « J'aimerais mieux utiliser celui de Pétunia. Ca lui ferait les pieds d'être utilisée comme ingrédient dans une potion. » Elle haussa les épaules. « Oui, je sais, Harry est ici, et Pétunia n'y est pas. C'est dommage, remarque. Tu crois que tu auras du mal à l'obtenir ? »

« Pas si je trouve un mensonge suffisamment convaincant, » répondit Hermione, se sentant assez mal. Leur projet ressemblait de plus en plus au sort de Magie Noire qui avait ressuscité Voldemort. « Je peux toujours lui dire que je travaille sur un projet spécial pour lequel j'ai besoin du sang d'un garçon. Ron sera tellement horrifié que Harry voudra bien se dévouer. »

« Et ce n'est pas vraiment un mensonge, » la réconforta Lily. « Tu travailles sur un projet très spécial. »

« Très bien, » Hermione soupira. « Qu'y a t'il d'autre sur la liste ? »

« Beaucoup d'eau, un grand baquet. De drôles de choses… Une tasse du meilleur terreau de Madame Chourave devrait faire l'affaire pour la terre, je pense, de la myrrhe, des yeux de scarabées, le sang dont je t'ai déjà parlé, des pétales de lotus frais, de l'or –un bijou ou une pièce- peu importe… Oh, c'est curieux. Il faut 'insuffler la vie' à la potion. Apparemment, tu dois souffler dessus pendant que tu la remues dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, jusqu'à ce que la température de l'ensemble soit exactement celle du sang humain. Ensuite, tu peins immédiatement une porte sur le tableau, en utilisant un pinceau en poil de chats. Nous disons le charme de Sinuhé ensemble, et je passe la porte avant que la potion ne sèche. Si tout se passe bien. »

« Si tout se passe bien, » répéta Hermione, pensant à toutes les choses qui pouvaient aller de travers.