Chapitre 6 : dans le bureau du Directeur
Hermione, contrairement à son ami Harry, n'avait pas l'habitude de rendre visite au Directeur dans son bureau. Elle se doutait bien que cette fois-ci elle y aurait droit, et elle passa les jours suivants à attendre le retour de bâton. Le château bruissait de rumeurs concernant les curieux événements du dimanche précédent, et tout le monde était à cran, pensant qu'ils étaient de mauvais augure.
Lily avait été emmenée à l'infirmerie. Voyant qu'elle avait le souffle coupé en apercevant sa patiente, Hermione comprit qu'une autre personne venait de reconnaître Lily Evans. Lily avait disparu derrière un paravent, et le Professeur Rogue avait intimé l'ordre à Hermione « d'attendre, là. » Un geste impérieux avait accompagné la commande, et Hermione s'était assise sur le rebord de la chaise qu'il avait désignée, hésitant entre la nervosité et le triomphe.
Il était revenu un quart d'heure plus tard, et avait commencé à l'interroger. « Qu'avait-elle fait ? » « Qu'y avait-il dans la potion ? » « Avait-elle parlé de ce projet à quelqu'un ? » « Qui d'autre connaissait le tableau ? » Il faisait des pauses entre les questions, ses yeux noirs comme des cafards rivés sur les siens, et elle ressentit une sorte d'intrusion mentale, comme si quelqu'un fouillait dans ses pensées.
De la Légilimancie, pensa t'elle, indignée. Comment ose t'il ? Je suis sûre que ce n'est pas autorisé par le conseil d'administration !
Rogue ne dit rien : rien à propos de son histoire, rien à propos des souvenirs qu'il avait observés, quels qu'ils soient. Il ne dit pas un mot, la regarda simplement, sans expression, pendant un long moment qui la déconcerta.
Finalement, il dit, « Retournez dans votre dortoir directement. Ne parlez de rien à personne. Même pas à vos habituels acolytes. Si je me rends compte que vous m'avez désobéi, vous comme eux recevriez probablement un sort d'Oubliette, et je veillerai personnellement à ce que toute votre éducation concernant la magie soit malencontreusement mais irrévocablement effacée. »
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La convocation redoutée vint enfin. Le Professeur McGonagall, avec un inhabituel regard réprobateur, l'informa à la fin du cours de Transfiguration du mercredi qu'elle était attendue dans le bureau du Directeur après le dîner le soir même. Elle était assise silencieusement à table, chipotant dans son assiette. Ron avait décidé, depuis à peu près une semaine, qu'Hermione était en rogne, ou qu'elle s'inquiétait pour l'un de ses cours, ou qu'elle avait une sorte de problème féminin non identifié, et il avait décidé de prétendre qu'il ne se passait rien. Harry, plus sensible aux non-dits qui l'entouraient, et toujours vigilant contre de possibles menaces contre lui ou ses amis, demanda avec douceur.
« Quelque chose te tracasse, Hermione. Il doit y avoir quelque chose. Ne me dis pas le contraire. J'ai horreur que les gens me mentent. »
Hermione se sentait de plus en plus mal à l'aise à propos de la situation. Ni Madame Pomfresh, ni Rogue ne voulaient lui donner d'information sur la santé de Lily. Elle détestait être laissée dans l'ignorance autant que Harry.
Elle baissa la voix, pour n'être entendue que de lui. « il se passe quelque chose, Harry, mais je n'en sais pas encore assez pour pouvoir t'en parler pour le moment. Je te promets de te raconter dès que possible. » Elle vit son regard de colère dépitée, et lui pris le bras. « Tu sais que je le ferai. J'espère en apprendre plus ce soir. Je dois voir le Directeur dans son bureau après le repas. »
Harry la regarda, hébété. En partie parce qu'il était inquiet, mais aussi surpris qu'un autre élève que lui puisse mériter une audience du Directeur. Il eut aussitôt honte de sa vanité, et lui fit un signe de tête réticent.
Les élèves sortaient du Grand Hall. Hermione prit une profonde inspiration, et se leva de table pour être à l'heure à son rendez-vous. Harry lui donna une tape sur l'épaule. « Bonne chance. »
« Merci. » Elle se redressa, et s'en alla vers le bureau du Directeur.
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Bizarrement, le mot de passe ridicule, et sa familiarité avec l'entrée impressionnante du bureau du Directeur après les descriptions de Harry, ne firent rien pour diminuer son angoisse. Elle trouva le processus plutôt fastidieux. Le bref regard qu'elle lança dans le bureau lui même, quand elle y entra, fut plus gratifiant. La bibliothèque personnelle du Directeur était considérable, sa collection d'instruments magiques impressionnante, et , si elle s'attendait à voir Dumbledore, et elle n'était pas surprise de voir Rogue, Lily était là également, confortablement installée dans une chaise basse.
« Asseyez-vous, Mademoiselle Granger, » ordonna tranquillement le Directeur. Son regard bleu et calme portait sur les nerfs. Lily vint s'asseoir à côté d'elle, et lui fit un sourire compatissant.
« Je crois qu'on va se faire sonner les cloches, » souffla Lily.
« Mais tu vas bien, non ? » lui demanda Hermione avec anxiété. Elle avait l'air d'aller tout à fait bien : les yeux clairs et d'un vert éclatant, les cheveux et la peau radieux, et apparemment pleine d'énergie.
« Je ne me suis jamais sentie mieux, » répondit Lily. « Madame Pomfresh m'a examinée sous tous les angles. Quelques carences en vitamines, et des trucs qui n'étaient pas tout à fait en place… »
Hermione la regarda, alarmée.
« …mais il n'y a pas de quoi s'inquiéter. Il n'y avait rien qu'elle ne puisse réparer. »
Hermione laissa échapper un sourire de soulagement. « Alors tout est bien qui finit bien. »
Rogue ricana.
Dumbledore la regarda avec gravité. « Ah, ce n'est pas entièrement vrai. Le statut actuel de Mademoiselle Evans n'est pas encore réglé, et votre position en tant que personne qui l'a réincarnée n'a pas été discutée. Ca me causerait beaucoup de chagrin si l'une des élèves de sixième année les plus prometteuses de Poudlard devait passer le reste de ses jours à Azkaban. »
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Même quand elle avait du faire face aux Juges, même pendant les heures terribles dans le Département des Mystères, jamais Hermione n'avait été plus choquée et effrayée. Elle prenait fierté d'avoir considéré les conséquences de la réincarnation de Lily du point de vue personnel, moral, et magique. Elle n'avait jamais envisagé les ramifications légales.
« Eh oui, » lui assura le Directeur. « Si vos actions et leurs résultat étaient connus du public, vous seriez certainement condamnée pour le reste de votre vie mortelle. Mademoiselle Granger, vous avez utilisé un ancien rituel de Magie du Sang pour ressusciter une personne décédée. Il la regarda avec gentillesse, et lui demanda « C'était le sang de Harry ? Est-ce que vous lui avez dit ce que vous comptiez en faire ? » Elle se mordit la lèvre et demeura silencieuse. Il soupira. « C'est sans conteste de la Nécromancie, et c'est illégal partout dans le monde. Est-ce que vous y avez seulement pensé ? »
« Non… » bégaya t'elle, « pas vraiment. Lily voulait venir nous aider. Elle veut aider à combattre Voldemort. Il ne m'est jamais venu à l'idée que l'aider pourrait être mal. »
Dumbledore avait l'air le plus atterré qu'Hermione lui ait jamais vu. « Mademoiselle Granger, il y a une très bonne raison pour que ce genre de Magie soit interdite. Quel humain qui a perdu un être cher n'a pas voulu le, ou la voir revenir ? Vous avez eu une chance incroyable de tenter ce sort en utilisant une peinture exécutée par le génial Uriel Praetorius, qui contenait un peu de l'essence de Lily. Si la nouvelle de votre succès et des techniques que vous avez employées se répandaient, des sorciers et des sorcières endeuillés essaieraient de faire revenir leur êtres chers avec des photos, des silhouettes, des esquisses rapidement dessinées sur un coin de nappe. Pouvez-vous imaginer les hideuses créatures, caricatures avortées de la vie, qui reviendraient tourmenter le malheureux sorcier avec une horreur pire que la peine qu'il éprouve ? Si votre potion avait était même un peu trop froide, ou remuée moins soigneusement, Mademoiselle Evans en serait certainement morte, ou, plus précisément, n'aurait pas réussi à y survivre. Elle a déjà failli en mourir. »
Hermione leva la tête et elle regarda Lily d'un air inquiet.
Rogue l'informa cliniquement. « C'était la tasse de terre. Vous avez utilisé le terreau du Professeur Chourave. Il n'a pas la même composition que la terre égyptienne des rives du Nil. Le manque de certains éléments en quantité infinitésimale et de matière animale en décomposition… » Il leva les sourcils, jouissant de la déconfiture de Granger. En fait, elle avait fait un travail épatant sur cette potion, mais il gèlerait en enfer avant qu'il ne l'admette ouvertement.
Dumbledore continuait, d'un ton plus doux. « Quoi qu'il en soit, les recherches que vous avez faites, la potion et l'incantation étaient assez brillantes. J'aurais souhaité que vous passiez autant de temps à vous demander si vous deviez le faire ou non. Avez-vous pensé à l'impact de vos actions sur Harry ? » Hermione allait commencer à le rassurer, mais elle fut arrêtée par le regard déçu de ses sages yeux bleus. Rogue, debout derrière le Directeur, prétendant observer une sphère armillaire en cristal, lui lança un regard dédaigneux et pénétrant.
Dumbledore la réfuta calmement. « Comment avez-vous pu imaginer que ce serait une bonne chose pour lui ? De voir une image de sa mère qui n'est pas sa mère ? Au lieu de son idéal tendre et aimant, une camarade qui ne tient pas plus à lui qu'un autre élève. Ca ne peut lui apporter que de la peine et des soucis. C'est pour ça que j'ai décidé que Lily Evans ne pouvait pas revenir à Poudlard. »
Lily se raidit et lança un regard de défi au Directeur. « Vous ne pouvez pas m'envoyer ailleurs ! Vous ne pouvez pas me priver de qui je suis. Je suis Lily Evans ! Je suis là, à l'intérieur. » Elle se frappa la poitrine du poing, et se leva. « Quand Hermione m'a parlé de ce qui se passait avec cet odieux Oldyfart, la façon dont il a tué l'autre Lily, la façon dont il menace tout ce qui fait que la vie mérite d'être vécue… J'ai su que je devais faire quelque chose. Severus risque sa vie constamment pour le combattre, et personne ne le sait. » Dumbledore et Rogue échangèrent un rapide regard alarmé. « Oui, je suis au courant pour l'Ordre du Phénix. Je sais qu'il y a peu, qu'il y a très peu de personnes qui sont prêtes à lui tenir tête et se battre. Vous avez besoin de mon aide, Severus a besoin de mon aide, et ce garçon, Harry, a besoin de mon aide. Vous feriez mieux de vous habituer à m'avoir dans les parages, parce que je compte rester. Trouver-moi quelque chose à faire, et laissez-moi participer »
Rogue marmonna par réflexe quelque chose sur « le bravache héroïsme des Gryffondors », mais le cœur n'y était pas, et il ne regardait Lily qu'avec un soupçon de son dédain habituel. Il y avait dans son regard une lueur qu'Hermione n'y avait jamais vue.
Dumbledore poussa un long soupir, et convint tristement, « Vous êtes, je veux bien l'admettre, une Lily Evans. Peut-être la Lily qu'a vu Uriel Praetorius, le jour où il vous a peinte. »
« Dans ce cas, je ne suis pas différente de n'importe qui d'autre. Nous changeons tous au cours de nos vies. Est-ce que votre propre Directeur vous reconnaîtrait, tel que vous êtes aujourd'hui ? »
Il sourit, modérément et raisonnablement. « C'est un argument valable. Néanmoins, je doute que le Ministère de la Magie ne vous reconnaisse comme la véritable Lily Evans. Le plus probable serait qu'il vous dénie tout droit entant qu'être humain, et vous séquestre pour faire des expériences. J'imagine que ce n'est pas ce que vous souhaitez. Une élève de sixième année, âgée de seize ans, doit d'abord et avant tout terminer son éducation si elle veut être d'une utilité quelconque dans le combat présent. Lily Evans ne peut pas revenir à Poudlard. Alors, vous devrez simplement être… quelqu'un d'autre. »
Il y eut un long silence.
Lily se prépara, et demanda « Qui ? »
Le Directeur l'étudia avec compassion. S'enfonçant dans son siège, il lui dit « L'un des avantages d'une vie aussi longue que la mienne, c'est que j'ai rendu service à de nombreuses personnes. Je vais maintenant demander qu'on me rende la pareille en votre intérêt. » Il saisit un long parchemin sur son bureau. « Etes-vous déjà allée au Canada, mon enfant ? »
« Jamais, Professeur, » répondit Lily craintivement.
« Ce n'est pas grave, » déclara t'il avec un sourire rêveur, « même si vous n'êtes jamais allée au Canada, vous pouvez très bien en venir. Le Principal de la Pension Medecine Hat est un vieil allié et associé, et il est prêt à fournir une documentation approfondie sur votre naissance, vos origines et vos études. J'ai pensé qu'il vaudrait mieux que votre identité ne permette pas une identification trop facile, c'est pourquoi j'ai décidé de faire de vous une orpheline de la famille Jones. »
« La famille Jones ! » s'exclama Rogue, sans faire l'effort de cacher son dégoût.
« Je veux garder mon prénom, » affirma Lily d'un ton qui disait que ce point n'était pas négociable.
Dumbledore y avait pensé un bon moment. Lily ajouta. « Ce n'est pas un nom inhabituel. L'autre Lily n'en avait pas l'exclusivité. J'ai droit à mon propre nom. Personne ne pourrait imaginer qui je suis. »
Dumbledore regarda Rogue, qui haussa les épaules. « Pourquoi pas ? Ce n'est pas comme si quelqu'un s'attendait à ce que Lily Evans apparaisse. »
Le Directeur articula lentement. « Très bien. Je comprends que vous ayez besoin de garder quelque chose de votre ancienne identité… » Lily irradiait de soulagement « …mais… » Dumbledore n'en avait pas fini. « Il y a aussi le problème de votre apparence. Il faut que nous fassions quelque chose. Il y a toujours des personnes susceptibles de remarquer une ressemblance. Les Professeurs McGonagall, Flitwick, et Chourave, en tant qu'anciens de vos enseignants, ont été informés de votre réincarnation. Ils étaient trop familiers avec votre façon de vous exprimer et votre style personnel de magie pour être longtemps trompés par un charme d'apparence. Je parlerai à Remus en temps voulu. Personne d'autre à l'école n'est susceptible de reconnaître Lily Potter, même dans votre état actuel. »
« Evans, Lily Evans, » marmonna Lily. Rogue prit tout à coup un air supérieur.
Dumbledore sourit avec bienveillance. Il semblait s'être remis de son humeur sombre, et il était une fois de plus le Directeur qu'Hermione connaissait et aimait. « Nous avons simplement besoin d'éviter que vous soyez reconnue par une vague connaissance. Un véritable changement de structure ne serait que transitoire, et les 'glamour' sont facilement transpercés, mais il existe des charmes sans danger qui durent relativement longtemps. »
L'air mystérieux, il agita légèrement sa baguette dans sa direction.
« Tingeo. »
Les cheveux auburn de Lily s'éclaircirent en une merveille de blondeur, ses yeux passèrent d'un vert d'eau à un bleu ciel, puis à un azur renversant. Dumbledore pencha la tête, et regarda son œuvre avec une certaine fierté. Hermione dévisageait Lily, impressionnée. Elle avait l'air d'une déesse. Rogue était cloué sur place, et Lily, apercevant le contraste des boucles blondes sur sa robe noire, se précipita vers le miroir le plus proche pour se regarder.
Rogue dit doucement, « Un peu tape-à-l'œil, peut–être ? »
Hermione, crânement, suggéra « Les gens seraient si occupés à regarder ses cheveux qu'ils ne verraient rien d'autre. »
Lily, regardant toujours son reflet dans le miroir magique, jouait avec ses cheveux blonds, « Ne me haïssez pas parce que je suis belle. »
Rogue faillit sourire. Il vit qu'Hermione en était bouche bée, et il lui lança un regard assassin. Lily se contorsionna pour voir ses cheveux de dos.
Dumbledore répéta le sort. « Tingeo. »
Les ombres de la pièce se précipitèrent vers Lily. Elles se pressèrent autour d'elle, et ses cheveux foncèrent comme des plumes buvant de l'encre. En un instant, ses cheveux et ses yeux étaient d'un noir impénétrable, plus noirs que ceux de Rogue même. Rogue était satisfait et admiratif.
« Tu ressembles à un vampire, » fit remarquer Hermione. La peau claire de Lily paraissait encore plus pâle, en contraste avec ses cheveux et ses yeux noir de jais.
Lily se pencha plus près du miroir, grimaçant pour vérifier ses canines.
« Elle ne ressemble pas du tout à un véritable vampire, imbécile, » la corrigea Rogue avec acidité. « Ce sont vos racines moldues qui ressortent. »
Lily réfléchit. « Vous savez, Professeur, je crois que ça va faire l'affaire. J'ai vraiment l'air très différente. » Elle se tourna vers lui, avec un sourire malicieux. « C'est encore mieux qu'un bal masqué ! Combien de temps est-ce que ça dure ? »
« De la façon dont je l'ai lancé, » répondit Dumbledore en lui rendant son sourire, « il devrait durer indéfiniment. Le contre-sort, par chance, n'est pas 'Finite Incantatem', ce qui pourrait causer des problèmes. C'est 'Propria'. » Il la regarda de nouveau. « Une autre coiffure, maintenant. »
Avec un autre mouvement de baguette, et les cheveux de Lily furent rassemblés en une longue natte dans son dos. Quelques mèches folles encadraient son visage.
Lily rayonnait. « Professeur, vous devriez organiser des séminaires sur les charmes cosmétiques et la coiffure ! »
Dumbledore rayonnait lui aussi. « Maître Praetorius travaillait sur la toile. Je trouve plus intéressant de travailler sur un sujet vivant. Un autre subterfuge me semble plus sage. » Il ordonna « Vox Nova ! » avec un mouvement de baguette.
Lily le regarda, intriguée. Il eut un sourire énigmatique.
Lily demanda, hésitante. « Qu'est-ce que ça fait ?… » et s'interrompit, se touchant la gorge, confuse. Sa voix avait changé, son accent s'était adouci et américanisé, et son ton lui-même était un peu plus grave. Rogue lui fit un sourire moqueur.
Lily commença à parler à mi-voix, penchant la tête comme si ça pouvait l'aider à mieux entendre le son de sa voix. « Lily Jones de la Pension Medicine Hat ? » Elle eut un petit rire amusé. « Je vais avoir besoin de parler un moment avant de m'habituer à ça ! »
Dumbledore les regarda tous sérieusement. « Harry, bien sûr, ne devra jamais connaître votre véritable identité. Et je compte su vous tous, » il regarda spécifiquement Rogue, « pour le protéger d'une information si inutile et douloureuse. »
Hermione s'agita sur sa chaise. Lily fut plus directe.
« Professeur, pardonnez-moi de vous contredire, mais je pense qu'il serait mieux de dire la vérité au garçon. Autrement, il risquerait de l'apprendre par accident, ce qui serait pire pour lui. Il comprendra qu'on doive garder le secret de mon identité aussi bien que n'importe qui d'autre. » Elle marqua une pause, apparemment distraite par le son de sa propre voix. « En plus, s'il ne sait pas qui je suis, il pourrait lui venir la fantaisie de me trouver à son goût, et qu'est-ce qu'on ferait alors ? »
Hermione murmura, « Beurk. »
Dumbledore secoua la tête. « J'hésite à faire peser sur lui le fardeau d'un tel savoir. Harry a déjà beaucoup souffert malgré son jeune âge, et ceci pourrait empirer encore sa situation. »
« Harry finira par la reconnaître, Professeur, » intervint Hermione. Dumbledore la regarda avec curiosité. Rogue leva les sourcils. « Ce que je veux dire, c'est qu'il a des photos d'elle, monsieur, et qu'il les étudie. Et je pense que vous devriez le lui dire tout de suite, parce que rien ne le met plus en colère que les choses qu'on lui a cachées. Il est plus fort que vous ne le pensez. »
La bouche de Rogue se tordit avec dégoût. Lily lui lança un regard malicieux, et déclara. « C'est mon garçon. Il a vaincu des Sorciers Maléfiques au berceau. » Rogue maugréa, mais laissa passer cette phrase.
Dumbledore poussa un soupir résigné. « Ca ne semble jamais s'arrêter pour Harry. Dans ce cas précis, cependant, je crois que vous avez raison, Mademoiselle Granger. Harry n'aime pas qu'on lui cache des choses. Vous et moi le mettrons au courant demain matin. »
Hermione grogna envers elle-même. Elle n'avait pas envisagé la situation jusqu'à la confrontation même. Ça ne sera pas beau à voir.
Dumbledore avait retourné son attention vers Lily, et disait « Il faudra que l'on vous attribue une Maison publiquement. Toute autre façon de faire provoquerait des questions. Et vous êtes, après tout, nouvelle à Poudlard, alors je dois vous demander de retirer votre cravate de Gryffondor, et … » il tendit calmement la main, « de me rendre votre badge de préfet. »
« J'aimais vraiment être préfet, » admit Lily avec sincérité.
Hermione la regarda avec sympathie, alors qu'elle décrochait son badge rutilant et le déposait dans la main du Directeur. Elle desserra et retira sa cravate rouge et or, et la glissa dans la poche de sa robe.
« Je pense que maintenant vous devriez vous rendre dans la suite des invités, et y passer la nuit. Vos bagages, » Hermione et Lily s'entre-regardèrent, et Dumbledore sourit avec quiétude, « sont déjà arrivés. »
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Tous trois quittèrent le bureau du Directeur avec des humeurs variées, d'anxiété ou de ravissement. Hermione se demandait déjà combien de classes elle partagerait avec Lily, et si elles pourraient travailler ensemble en Potions. Comme se serait agréable d'avoir une amie dans le dortoir des sixième années ! Elle s'était toujours sentie subtilement exclue par Lavande et Parvati. Maintenant elle aurait une amie à elle, avec qui chuchoter des secrets avant de s'endormir.
Rogue avait eu du mal à retrouver son air habituel. Lily était de retour. Lily serait à Poudlard pour un long moment. Elle est là, mais au lieu d'être séparés par les rivalités de nos maisons, nous sommes séparés par vingt ans d'écart ! Il aurait pu pleurer face à cette ironie. Quoi qu'il en soit, elle serait dans sa classe d'ASPIC…Un Gryffondor de plus dans ma classe ! Il commença à se demander comment il allait se comporter avec elle en public…
Ses pensées furent interrompues par l'étrange nouvelle voix de Lily.
« Severus, qu'est-ce qui cloche avec les Jones ? » lui chuchota Lily avec inquiétude.
Il leva les yeux au ciel, et Hermione sentit qu'elle venait de voir, dans cette réaction, l'élève qu'avait été Rogue pendant ses études avec Lily. « Tu ferais mieux d'apprendre tout ce que tu peux sur le monde magique d'Amérique du Nord. Les mouches du coche avec qui tu vas traîner vont certainement te poser des questions. Jones, » continua-il, avec l'air de réciter une leçon à une paire d'irrémédiables imbéciles, « est le nom le plus répandu chez les sorciers au Canada et aux Etats-Unis. Jusqu'en 1850, les sorciers qui avaient commis un crime en Angleterre ou ailleurs en Europe, n'étaient généralement pas punis par l'emprisonnement ou la mort, ni même par le Baiser. Ils étaient exilés dans des zones peu peuplées, d'où ils n'avaient que peu de chances de s'échapper. L'Apparition Transocéanique et toujours très difficile et dangereuse, et en ce temps c'était tout bonnement impossible. De 1025 à 1692, la plupart des sorciers et sorcières furent exilés en Amérique du Nord. »
« Oui, je sais, » l'interrompit Hermione avec impatience, « puis il y a eu la brèche de sécurité et les procès des sorcières de Salem, et le Ministère a décidé que l'Amérique du Nord n'était plus suffisamment isolée… »
Rogue se tourna vers elle, ses yeux lançant des éclairs noirs. « Qui est-ce qui raconte cette histoire ? »
Hermione, stoppée net, était décontenancée. « Je suis désolée, Professeur. C'est vous. »
Rogue ricana avec dédain. Lily posa une main apaisante sur son bras. « Continue, s'il te plaît, Severus. » Elle lança à Hermione un regard exaspéré derrière le dos de Rogue. Hermione s'excusa silencieusement d'un haussement d'épaules.
« Quand un sorcier ou une sorcière condamné était déporté, » continua Rogue d'un ton glacial, « leurs familles décidaient généralement de couper tous leurs liens avec le félon. C'est pourquoi cet individu perdait son nom de famille. La coutume s'est développée, à partir d'un vaste groupe de sorciers gallois exilés en 1455, d'adopter le nom de Jones. Le nom de Jones ne signifie absolument rien. Tes ancêtres pourraient être des Foloeil, des Malefoy, des McGonagall. Il y aura des spéculations parmi les sang-purs, mais on te fournira un pedigree typique, qui remonte jusqu'en, disons, 1650, et pas avant. Le nom de Jones signifie seulement que tu es une sorcière issue d'une famille dont le patriarche a été banni des îles britanniques. »
« Et les sorcières du Canada francophone ? » se demanda Lily.
« DuBois, » répondit Rogue avec concision. « Laveau en Louisiane, Ramirez en Amérique Latine. Il y a d'autres noms, bien sûr, mais Jones, DuBois, Ramirez, et Laveau, avec aussi quelque Smith, Mankiller et Walker, sont les plus largement répandus. »
Les mots échappèrent inconsciemment à Hermione. « Et bien sûr, les frontières entre les mondes magiques et moldus ont toujours été plus poreuses aux Amériques, et sont quasiment inexistantes parmi les populations Américaines de souche… »
La baguette de Severus Rogue se retrouva instantanément pointée entre ses deux yeux.
« Silencio, » siffla t'il. Hermione se rendit compte qu'elle articulait ses mots mais ne produisait plus aucun son. Rogue eut un grognement satisfait, et continua ses explications. « Tu ferais bien de lire l'histoire de la Pension Medicine Hat. Il est à la bibliothèque, je te l'apporterai. Concernant la raison de ta venue ici, nous laisserons entendre quelques indices : que ton nouveau tuteur trouve que le cursus de Medicine Hat est trop fantaisiste, que tu as été envoyée ici pour échapper aux griffes d'un admirateur gênant. C'est facile de lancer ce genre de rumeurs, et dans ton cas, plus c'est embrouillé, mieux c'est. »
Lily et Rogue marchaient au même rythme dans le couloir, et Hermione trottinait derrière eux, essayant de combattre le sort qui la faisait taire, et insultant Rogue dans son dos. Ce n'était pas juste !
Ils étaient arrivés à la suite des invités, et Rogue donna le mot de passe : « Advena ! » La peinture d'un jeune berger qui jouait d'une flûte en os s'écarta du mur, et Lily entra. Hermione jeta un regard à l'intérieur.
C'était très luxueux, dans le sens où on l'entendait au 16ème siècle. Les chaises en chêne sculptées étaient garnies de coussins, et il y avait une belle flambée dans la cheminée imposante. Elle put jeter un œil par un passage voûté sur une chambre à coucher toute aussi grandiose, avec un lit qui ressemblait à celui dont disposaient la plupart des filles de Gryffondor, après avoir gravi les quelques marches nécessaires pour y accéder. Des tapisseries adoucissaient les murs de pierre. Les fenêtres étaient drapées de velours violet.
« Epatant, » articula t'elle à Lily. Lily regardait autour d'elle, surprise et amusée.
« Je ferais bien d'en profiter, » dit-elle en souriant à Rogue, « puisque je ne suis là que pour une nuit. »
Rogue se tenait au seuil de la pièce, raide et mal à l'aise. « Je t'apporte le livre rapidement. »
« Tu pourrais peut-être aussi trouver des sandwiches ou quelque chose, » suggéra Lily. « Je n'ai pas eu l'occasion de dîner convenablement. On pourra regarder le livre et discuter un moment. » Elle sourit à Hermione et lui fit un signe de la main. « Bonne nuit, Hermione. A demain. Et Severus, sois beau joueur et lève le sort que tu lui a jeté. »
Rogue lui fit un signe de tête et referma le tableau.
Il se tourna vers Hermione. La regardant par dessus son grand nez, il éclata, « Vous ne pouvez pas laissez les choses tranquilles. Il faut toujours que vous vous mêliez de ce qui ne vous regarde pas. Il faut toujours que vous essayiez d'impressionner les gens par votre intelligence. Est-ce que vous vous rendez compte de ce que vous avez fait ? Est-ce que vous savez que ça pourrait tout changer ? » A regrets, il agita sa baguette vers elle. « Finite Incantatem. »
Hermione était fatiguée et tendue. Elle craignait la réaction de Harry ; elle pensa à Lily, à elle-même, au fait que son succès devait demeurer secret. Elle marmonna, d'abord pour elle-même, « Elle est mon amie, et elle voulait sortir et être libre. Elle est votre amie, et elle voulait sortir pour vous aider. C'est ce qu'elle a dit, » continua t'elle en haussant la voix. « Elle ne pensait pas à Harry ou à moi, ou à n'importe qui d'autre. Elle a dit 'Severus est mon ami, et il a besoin de mon aide'. »
Leurs regards se croisèrent. Hermione détourna les yeux.
« Retournez à votre dortoir, petite pie fatigante. »
La gorge serrée par le ressentiment, Hermione lui tourna le dos et retourna vers la Tour de Gryffondor à grandes enjambées. Elle entra dans la salle commune pour y trouver une fois de plus Harry devant la cheminée, qui l'attendait.
« Alors, qu'est-ce qui se passe ? Tu peux me le dire ? »
Hermione se sentait accablée par sa journée : la peur qu'elle avait eue, l'histoire compliquée qu'elle devait connaître, et maintenant ce jeune garçon plein d'énergie. Dans son état d'esprit actuel, tendu et curieux, regardant Hermione avec les yeux verts de sa mère, il ressemblait étrangement à Lily. Ça donna à Hermione un sentiment étrange, comme si elle voyait deux images superposées.
« Dumbledore te dira tout demain matin. Je serai là également, puisque je suis impliquée. »
Harry était inquiet et maussade. Hermione ne pouvait pas supporter qu'il s'inquiète toute le nuit. « Mais comprends bien : ce n'est rien de grave. C'est étrange et mystérieux, mais aussi… merveilleux en même temps. Je ne peux pas t'en dire plus pour le moment, mais tu sauras tout demain. »
« Alors tu vas bien ? Je m'inquiétais pour toi. »
S'il vous plaît, s'il vous plaît, faites qu'il ne soit pas en colère contre moi pour ce que j'ai fait. « Je vais bien. La journée a été longue, et j'ai besoin de dormir. Toi aussi. »
Harry lui fit un de ses beaux sourires . « Alors bonne nuit. »
Ils sortirent de la salle commune et se séparèrent devant les escaliers. Hermione, pleine de peur et d'espoir, passa une nuit sans repos à se demander de quoi parlaient le Professeur Rogue et Lily, à imaginer comment elle aurait pu faire les choses autrement, à ressasser ce qu'elle dirait à Harry le lendemain, et à se répéter avec entêtement que tout était pour le mieux.
