Chapitre neuf : l'esclave du Maître de Potions.
Hermione espérait ce jour-là quelle aurait une chance de parler à Lily pendant le cours de Runes, mais elle se rendit compte que son amie était escortée en classe avec une galanterie provocante.
La classe de Runes d'ASPIC était assez réduite. Hermione et Dean Thomas étaient les deux seuls Gryffondors à la suivre, mais comme Dean n'avait jamais été vraiment ami avec Hermione, il s'asseyait avec Terry Boot, de Serdaigle, avec qui il avait en commun des intérêts pour le sport et les arts. Hermione s'installa à sa place préférée, au milieu du premier rang, et comme toujours, il restait des places libres de chaque côté d'elle. S'asseoir là lui permettait de se concentrer sur le Professeur, et d'ignorer les distractions des autres élèves.
Elle entendit les Serpentards arriver groupés. Les Runes étaient une classe populaire dans cette maison. Les vieilles familles tendaient à posséder de curieux artefacts reçus en héritage, et avaient souvent l'espoir d'en amasser plus. En conséquence, les Runes leur étaient particulièrement utiles, et avaient en conséquence acquis au fur et à mesure des années le cachet d'une classe destinée aux élites. Hermione avait espéré pouvoir s'asseoir avec Lily, mais la nouvelle Serpentard n'arriva pas seule. Malefoy, Zabini et Nott entrèrent dans la pièce avec elle, plus bruyants qu'à l'ordinaire, chacun essayant de capturer son attention. Pansy Parkinson et Daphné Greengrass étaient un peu derrière, le tranchant dans la voix de Pansy laissant entendre qu'elle n'était pas tellement contente que les garçons se donnent tant de mal pour impressionner Lily. Malefoy gagna le troisième rang, selon son habitude, et Lily se retrouva de nouveau entre Malefoy et Zabini.
Hermione écouta la conversation des Serpentards avant le début de la classe, qui concernait principalement l'emploi du temps et les professeurs, pour la prévenir de ceux qui étaient insupportables. Drago, apparemment, était déçu que le prochain cours de Lily soit l'Histoire de la Magie, qu'il ne suivait pas. Pendant qu'il serait dans la Tour d'Astronomie avec Nott et Pansy, Zabini aurait Lily pour lui tout seul.
« Pas vraiment pour lui tout seul, » fit remarquer Lily martelant chaque mot avec un coup de plume. Hermione plongea la tête dans son parchemin pour cacher son sourire. « Il devra me partager avec le Professeur Binns. »
« Binns ! » répliqua Malefoy, avec dérision, comme si le Professeur Binns n'avait pas plus d'importance… qu'un fantôme.
« Et, » continua Lily, « avec Millicent et Daphné. »
« Umph. » Hermione entendit Drago grogner, peu satisfait.
Hermione elle aussi était déçue, parce que son cours suivant était Soin aux Créatures Magiques. Ça laissait toujours les cours de Transfiguration et de Potions dans l'après-midi. Elle commença à imaginer un moyen d'avoir un mot seule avec Lily. Elles avaient un double cours de Potions cet après-midi, et il y aurait certainement une occasion…
Les Potions ! Je dois passer toute ma soirée avec le Professeur Rogue ! Hermione grogna intérieurement.
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Hermione se demanda si l'emploi du temps de Lily était délibéré. Puis elle se reprit. Bien sûr que c'est délibéré ! Dumbledore voulait donner à Harry le maximum d'opportunités pour passer du temps avec Lily !
Hermione, Ron et Harry suivaient tous les trois les cours de Transfiguration de niveau ASPIC ensemble. Il y avait deux groupes dans la classe, et les Serpentards et les Serdaigles étaient dans l'autre. Le premier avertissement pour Hermione fut le grognement sourd de Ron, qui s'exclama « J'y crois pas ! Qui l'a laissé rentrer ici ? »
Lily était venue seule. Elle regarda autour d'elle, sans savoir quoi faire, mais Hermione savait qu'elle la cherchait. Hermione lui lança un regard, et Lily posa ses livres sur le siège à côté d'elle.
« Est-ce que cette place est libre ? »
« Non ! » hurla Ron.
« Ron ! » Le tança Hermione. « Oui, tu peux t'asseoir ici. Laisse-moite montrer où nous en sommes arrivés. »
Les deux filles se regardèrent du coin de l'œil, attendant leur chance. Hermione prit tranquillement une pièce de parchemin, et écrivit.
Rejoins-moi demain matin, à neuf heures à l'endroit où ça s'est produit. C'est à côté de la bibliothèque, derrière l'horreur qui représente Poufsouffle. Le mot de passe est «Salle de Lecture. »
Elle glissa le parchemin dans son livre de Transfiguration, et posa l'ensemble devant Lily, faisant mine de lui montrer la leçon. Lily vit la note, et dit à voix haute. « Oui, je vois. Merci beaucoup. » Hermione vit son sourire discret, et sourit elle-même. Elles avaient tant à se raconter !
Le Professeur McGonagall regarda brièvement Lily avec un air perplexe. Elle ne lui donna jamais la parole, ne lui prêta pas la moindre attention. Il fallut un moment à Hermine pour réaliser que le Professeur McGonagall ne l'interrogeait pas non plus. Elle continuait à lever la main, mais le Professeur semblait ne pas la voir.
Déçue et mal à l'aise, elle rassembla ses affaires à la fin du cours et essaya de discuter avec Lily en cheminant vers la salle de Potions. Ron rendit la chose impossible, poussant Lily de côté et se plaçant protectivement entre elle et Hermione. Harry était pensif et silencieux, et se débrouilla pour se placer entre Ron et Lily, et lui marmonner un bonjour poli.
Lily leva les yeux vers lui, heureuse, et commença à discuter amicalement de la leçon écoulée. Ron avait accéléré, pour l'éviter, et Harry et Lily se retrouvèrent un peu en arrière, à discuter. Ron remarqua alors que Harry n'était plus à côté de lui.
« Hé, Harry ! » lui cria t'il, plutôt rouge et irrité. « Ne perds pas ton temps avec un serpent ! »
Harry lui envoya un regard noir, puis un étrange sourire. « Tout va bien, Ron. N'oublies pas que je sais comment parler aux serpents ! »
Lily essayait d'ignorer le rouquin malpoli. Il semblait faire de son mieux pour provoquer une bagarre, et Lily ne comprenait pas pourquoi. C'est vrai, il y avait toujours eu une rivalité entre Gryffondor et Serpentard, mais elle avait toujours cru que les Serpentards étaient les agresseurs. En y réfléchissant, elle se rendit compte que ce garçon la traitait comme James et Sirius avaient traité Severus. C'était très désagréable. Elle décida de l'ignorer pour le moment, puisque Harry essayait de se montrer sympathique.
« Comment ça, tu sais comment parler aux serpents ? »
Harry rougit et baissa les yeux. « Je suis un Fourchelangue. » C'était dit avec désinvolture, mais elle en était quand même soufflée.
« C'est incroyable ! C'est très rare. » Tu ne tiens pas ça de moi, mon garçon, pensa t'elle. Ils croisèrent un professeur dans le couloir.
« Bonjour, Professeur Lupin, » dit Harry. Lupin leur donna à tous deux un regard amusé et un petit sourire, en les regardant passer.
Lily baissa la voix. « J'ai toujours du mal à y croire. Remus Lupin est mon Professeur. » Essayant de se remonter le moral, elle demanda à Harry. « Il est bon ? »
Harry sourit, avec sincérité cette fois. « C'est le meilleur. Il m'a appris comment invoquer un Patronus pendant ma troisième année ! Ca m'a sauvé la vie. »
« Et concernant… » elle chercha désespérément comment poser la question qui l'intéressait avec tact, et échoua. Tant pis. « Tu savais qu'il était un loup-garou à ce moment-là ? »
« Pas avant la fin de l'année. »
Elle chuchota. « C'est toujours un secret ? »
Harry rit avec amertume. « Plus maintenant. Le Professeur Rogue a répandu la nouvelle, et l'a fait renvoyer. Mais il est revenu, » dit-il avec une satisfaction farouche. « Tout le monde est au courant, et les parents qui ont un problème avec lui peuvent garder leurs enfants chéris à la maison ! »
« Comment est Severus en Potions ? »
Harry s'arrêta et la regarda. Lily remarqua qu'il avait tiqué quand elle avait mentionné le prénom de Severus.
« C'est un enfoiré de première. Je suis désolé, mais je n'ai pas d'autre façon de le décrire. Il m'a traité comme un moins que rien dès le premier jour, ma posé des questions auxquelles aucun enfant élevé par des moldus, sauf Hermione, n'aurait pu savoir répondre. Peut-être que ça ira pour toi. Tu es à Serpentard, et vous avez été amis par le passé. Je n'en sais rien. Mais en ce qui me concerne, il est mauvais. C'est un professeur pourri, et il fait honte à Poudlard. Tu jugeras par toi-même. »
Ils se remirent à marcher. Lily prit une inspiration. « Je suis désolée que tu aies eu de si mauvais moments. Je sais qu'il est rancunier comme personne. Je verrai si je peux faire quelque chose. »
« Je ne veux pas que tu te retrouves au milieu de tout ça. » Il accélérait, entraîné par son hostilité, et Lily devait trottiner pour suivre son rythme.
« Ne dis pas de bêtises. A quoi servent les amis ? »
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En Potions, Lily se retrouva une fois de plus accaparée par les Serpentards. Ils se serraient autour d'elle, selon Hermione, d'une façon désagréablement possessive. Elle fut soulagée quand le Professeur de Potions fit son entrée dans le donjon et les ramena au calme. Il s'est lavé les cheveux, remarqua Hermione. Elle se souvint qu'il avait été plus soigné ces derniers jours, également. Il y avait une nouvelle vitalité dans son pas, et il avait l'air curieusement content de lui-même. Son regard survola la classe, et revint se poser sur Lily.
« Mademoiselle… Jones, » dit-il de sa voix grave. Lily, intimidée, lui rendit son regard avec une attention polie. « Malgré les excellentes notes de votre ancienne école, vous pourriez y avoir une ou deux choses à apprendre sur la façon dont on prépare les Potions à Poudlard. Il serait bon que vous travailliez avec quelqu'un qui a des résultats irréprochables. En conséquence, il va y avoir quelques changements. »
Le cœur d'Hermione se mit à accélérer. Rogue n'était pas si mauvais finalement ! Il allait la laisser s'asseoir avec Lily !
Rogue continua suavement, « Monsieur Malefoy, je compte sur vous pour que la transition de Mademoiselle Jones vers notre cours se fasse sans encombres. » Lily alla s'asseoir à côté de Drago, qui était seul à sa table depuis le début du semestre. Drago rayonnait positivement, et accueillit Lily avec un peu plus d'enthousiasme que strictement nécessaire. Pansy, assise à coté de Daphné, observait la scène les yeux plissés.
Hermione soupira. Elle n'aurait pas pu laisser tomber Harry de toute façon. Tous les deux étaient assis côte à côte dans le donjon, étant les deux seuls Gryffondors assez déterminés pour venir sur ce champs de bataille. Les deux années auxquelles ils devaient survivre avant les ASPIC et la liberté étaient interminables. Harry endurait les classes stoïquement, ignorant les moqueries, l'hostilité, et les notes outrageusement basses que lui octroyait Rogue.
Amèrement, il avait expliqué sa position à Hermione au début de l'année. « Les notes qu'il me donne n'ont aucune importance. La seule chose qui compte, c'est que je décroche un ASPIC en Potions à la fin de ma septième année, et il n'a aucun contrôle là-dessus. Tout ce que j'ai à faire, c'est de m'asseoir en cours et d'apprendre mes leçons. »
Hermione admirait son obstination et le lui avait dit, mais elle considérait que c'était un test déraisonnable de la maturité de Harry, et une addition inutile à ses problèmes et soucis. Une fois de plus, elle était incapable de comprendre les motivations de Dumbledore. Ç'aurait été si facile de faire la leçon à Rogue, et ça ne remettrait pas en cause sa position en tant qu'espion. Une pensée mauvaise, lancinante lui vint à l'esprit. Et si torturer Harry était un privilège accordé à Rogue ? Peut-être qu'on lui avait laissé Harry comme un os à ronger ? Ou est-ce que défendre Harry contre Rogue ne valait pas le risque de perdre la loyauté de Rogue ?
C'étaient des idées affreuses, et Hermione les chassa de son esprit, se concentrant sur la création d'une solution Nutrix parfaite. Un complément alimentaire ancien et fiable. Peut être utilisé comme substitut au lait maternel, peut être utilisé pour nourrir les blessés, peut être utilisé dans des situations extrêmes, quand la nourriture ordinaire manque et que la nourriture conjurée ne convient pas. Les sorciers explorant de territoires inconnus, comme l'Arctique, emportaient généralement avec eux de la solution Nutrix. Apparaître n'était pas toujours une options dans des territoires non familiers, et ils avaient tous appris, pendant leur troisième année, comment l'expédition de Aberforth et Delacour avaient rejoint le Pôle Sud en 1712, soutenus largement par la solution Nutrix. Binns avait réussi à faire passer l'expédition pour une morne balade en banlieue.
Rogue se déplaçait dans les rangs, conseillant tranquillement les Serpentards, et moquant les autres avec de fausses louanges, ou ricanant ouvertement. Pour le reste, il était inhabituellement silencieux. Il n'y avait pas de Neville Londubat en ASPIC de Potions. Neville lui-même se débrouillait plutôt bien dans ses classes d'ASPIC, aidé en cela par sa nouvelle baguette, qui lui convenait mieux. Son niveau en Charmes et en Transfiguration s'était amélioré, il était un élève mieux que doué en Défense, et son niveau en Botanique lui ouvrait la voie pour un apprentissage dans ce domaine. Neville commençait à voir les possibilités d'une vie après Poudlard : ce n'était pas nécessaire d'être bon en tout pour réussir hors de l'école. Il n'avait besoin d'être bon que dans une matière pour se trouver une carrière. Pour le reste, les Charmes et la Transfiguration étaient pour la vie de tous les jours, et la Défense pour s'assurer d'avoir une vie de tous les jours.
Leur Potion Nutrix se présentait bien : crémeuse, blanc-perle, et délicatement émulsifiée. Elle fit un signe de tête à Harry. Il se considérait comme un élève médiocre en Potions, mais ce n'était pas le cas. Hermione se demanda brièvement combien de Maîtres de Potions potentiels avaient appris à détester cette matière à cause de leur Professeur. Une honte, vraiment.
Rogue s'était arrêté près de Lily et Malefoy. « Excellent résultat. Dix points à Serpentard. » Il leur offrit un petit sourire, les lèvres serrées.
Morag McDougal, derrière Harry et Hermione, chuchota à Terry Boot. « Il aime bien cette Jones. Ça se voit. »
« Je l'aime bien moi aussi. Elle est… whaouh ! »
Rogue s'approcha de Harry et Hermione, et regarda leur travail avec dédain. Il était sur le point de leur débiter ses habituels sarcasmes, la bouche tordue de la façon familière et détestée, quand il vit que Lily les regardait. Rogue marqua une pause.
« Un travail acceptable. Mettez-le en bouteille. » Lily continuait à le regarder. Rogue articula lentement. « Un point à Gryffondor. »
Il y eut un concert de murmures, comme du vent sifflant contre du verre. Rogue tourna le dos. Hermione prit les mains de Harry dans les siennes et les leva au dessus de leurs têtes, dans un geste de triomphe silencieux. Pour Hermione, c'était le meilleur moment de tous ses cours de Potions. Elle savait qu'elle le paierait ce soir.
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A sept heures, elle était en route pour les donjons. Elle n'avait pas fait attention à son dîner, mangeant automatiquement alors que Harry racontait, pour la dixième fois, la saga de 'leur point'. Il avait regardé vers la table de Serpentard, et avait reçu en réponse un sourire discret. Ron était soupçonneux, encore plus quand elle lui dit où elle passerait la soirée.
« Sacrebleu ! Dumbledore veut que tu sois l'assistante de Rogue ? Pourquoi tu n'as pas refusé ? »
« Sérieusement, Ron ! C'est une opportunité formidable. Ça fera bonne impression plus tard dans mes références. »
Ron croisa le regard de Harry, et désigna Hermione d'un signe de tête. « Folle à lier. Elle l'a toujours été. »
Lavande se pencha par dessus la table. « Tous les vendredis, Hermione ? Et pour Halloween ? »
Hermione la regarda sans comprendre. Parvati se mit à rire. « Le bal, bien sûr. A moins que tu n'y viennes avec Rogue ? » Les filles éclatèrent de rire, et le rire se propagea à toute la table de Gryffondor une fois que la blague fut répétée et déformée.
Dumbledore avait décidé qu'il y aurait un bal pour Halloween pour les élèves de quatrième à septième année. C'était une ancienne tradition, qu'il avait décidé de remettre au goût du jour. La Fête d'Halloween, aussi splendide qu'elle soit, n'était qu'un autre repas fantastique à Poudlard. Le seul problème avec ce bal étaient les inévitables crises d'angoisse concernant qui irait avec qui. Peut-être que c'était l'idée que Dumbledore se faisait d'un contre-feu. Si les élèves s'inquiétaient de ne trouver personne avec qui aller danser, ils oublieraient de s'inquiéter des terreurs actuelles menaçant le monde sorcier.
Ce serait agréable de se faire inviter par quelqu'un, si toutefois ce quelqu'un n'était pas Ron. Ils s'étaient essayés à la romance l'été précédent, et ça n'avait pas été beau à voir. Hermione avait entendu dire que 'les opposés s'attirent'. Ces opposés ne devaient pas l'être autant qu'elle et Ron. Ils n'avaient rien fait d'autre que de se disputer. Ils n'avaient rien en commun, et Hermione s'était rendu compte qu'elle n'était pas désespérée d'avoir un petit ami au point d'arrêter de lire et de prétendre être fascinée par les subtilités des statistiques de la Ligue de Quidditch. Attends, ce n'est pas vrai. Notre point commun, c'est Harry. Parler d'un autre garçon avec son petit ami n'est pas une base rationnelle pour une relation de couple.
Tout compte fait, peut-être que de passer Halloween dans les donjons ne serait pas si mal, au lieu de passer la soirée à prétendre être une cavalière loyale.
La porte de la classe de Potions était fermée. Pendant un instant, elle se demanda si elle pourrait frapper, se sauver en courant et dire à Dumbledore qu'elle avait attendu le Professeur Rogue, mais qu'il n'était pas là. Elle craignait que ce ne soit pas possible.
Elle prit une profonde inspiration, et frappa à la porte. Il n'y eut pas de réponse, et pendant un moment elle pensa qu'elle pourrait s'échapper. Sa fantaisie mourut au son du sonore 'Entrez' de Rogue. Il était penché sur un chaudron d'argent, remuant méticuleusement. De la fumée s'élevait d'un alambic proche en volutes grises, et Hermione pensa, non pour la première fois, au poème de Browning « Le Laboratoire. »
Rogue ne lui accorda aucune attention, restant concentré sur le mélange à l'odeur âcre de son chaudron. Hermione fit le tour de ses connaissances en Potions pour analyser de quoi il s'agissait, mais elle ne pouvait pas se prononcer sans plus de renseignements. Elle avança vers la table de travail, et attendit.
Rogue continuait à remuer, dans un motif de spirales vers l'extérieur, répété par quatre. Un mélange curatif, alors. L'odeur suggérait une potion pour un bandage, ou cicatrisante.
« Est ce que c'est du Novum Corium, Professeur ? » demanda t'elle avec ce qu'elle pensait être suffisamment d'aplomb.
Rogue l'ignora, continuant à mélanger suivant ce rythme quasi hypnotique. Hermione était fascinée, et entre l'odeur et la mouvement de mélange, elle commençait à avoir la tête qui tournait un peu. Une membrane ressemblant à de la peau commençait à se former sur le dessus de la mixture. Elle avait une couleur rose vive désagréable, et Hermione détourna le regard.
« J'aurais dû m'en douter. Vous détournez les yeux au moment critique. »
Les yeux d'Hermione revinrent immédiatement sur le Maître de Potions. Il était toujours concentré sur sa potion, et son mouvement de mélange commençait à ralentir. « Apportez-moi le bocal bleu de la seconde étagère, et l'entonnoir d'argent, en dessous. »
Le bocal était rutilant, ouvert et prêt pour la potion. Hermione alla chercher les objets demandés et les apporta à son Professeur. Rogue décanta l'horrible boue rose, scella soigneusement le bocal, et tourna le dos à Hermione. « Nettoyez le chaudron, l'entonnoir, la louche et la table. »
S'il vous plaît. Compléta Hermione avec ressentiment. Rogue notait des observations dans un livre vert décati. Son journal de potions, pensa Hermione avec excitation, ressentant plus de désir que Ron n'en avait jamais provoqué chez elle. Je donnerais n'importe quoi pour pouvoir lire ce qu'il y a dedans !
Hermione commença à laver les objets avec précaution, prenant garde de ne pas laisser la potion entrer en contact avec sa peau. La potion était gluante, et accrochait désespérément au fond du chaudron. Hermione mourrait d'envie d'avoir sous la main une des éponges à récurer de sa mère.
« Mais qu'est-ce que vous pensez que vous êtes en train de faire ? »
Rogue la dévisageait, incrédule et dégoûté.
« Je nettoie le matériel, Monsieur… »
« Vous êtes une sorcière oui ou non ? »
« Pardon ? » Oh. « Je suis autorisée à utiliser la magie ? »
« Le Directeur, dans sa grande sagesse, à décrété que vous seriez mon assistante. Par conséquent, vous n'êtes techniquement pas en retenue. J'ai mieux à faire que de vous regarder faire la vaisselle comme une moldue. Nettoyez les ustensiles tout de suite. J'ai un autre travail pour vous. »
Quelques instants plus tard elle se tenait devant son bureau. Il lui donna des ordres sans même se donner la peine de la regarder. « Préparez un forte infusion de Platycerium. Coupez les racines en cubes de taille égale, trois millimètres de côté. »
Hermione resta devant lui, écumant. Elle alla jusqu'à la réserve, y prit les racines, et s'installa à la table de travail. Je ne suis pas une Elfe de Maison. Même les Elfes de Maisons ne devraient pas être traités comme des Elfes de Maison. « De rien, » marmonna t'elle.
Rogue continuait à écrire. « Est-ce que j'entends une tentative pitoyable de sarcasme ? » Hermione était muette, n'osant pas lui dire ce qu'elle pensait.
« J'espère que non, » continua t'il, « parce que j'ai accepté de vous superviser comme une faveur pour le Directeur, et que ça le peinerait certainement d'entendre votre ingratitude. »
« Mon ingratitude ? »
Rogue avait quitté son bureau et s'était retrouvé penché sur elle à une vitesse effrayante. Hermione essaya de reculer, mais il y avait une table derrière elle.
« Est-ce que vous savez pourquoi vous êtes là ? »
« Je suis punie pour avoir préparé une potion interdite… »
« Gamine stupide. Dumbledore vous a dit que c'était digne d'Azkaban, et vos vous en tenez à votre vision vertueuse de Gryffondor. »
« J'ai fait ce qui était juste, » réussi t'elle à dire, prête à le défier lui, et le Ministère. « Vous en auriez fait autant pour Lily. »
Il la regarda, le regard indéchiffrable. « Ah, mais en ce cas précis, je ne suis pas le coupable. Non. C'est l'un des Gryffondors chouchous de Dumbledore, qui n'a pas seulement trempé un doigt, mais qui a plongé assez profondément dans la Magie Noire. » Il eut sourire mauvais. « De la Nécromancie ! A Poudlard ! » cita t'il en imitant l'accent écossais de McGonagall. « Vous auriez dû voir combien elle était horrifiée. »
Les yeux d'Hermione brûlaient, et elle essayait de toutes ses forces de ne pas pleurer devant cet homme sans pitié. Elle voulait tant l'approbation de ses Professeurs que l'idée de la consternation de McGonagall la blessait profondément.
« Je ne doute pas, » commença t'il, la regardant avec un sourire amer, « je ne doute pas que vous soyez au courant des mes anciennes allégeances. » Hermione trouvait leur proximité prolongé presque intolérable. Il la dévisagea un moment et poursuivit. « Dans ma jeunesse, je pensais que les limites étaient pour les autres. J'étais plein d'arrogance intellectuelle, tout comme vous aujourd'hui. Je savais que j'étais meilleur, plus intelligent, plus rapide, supérieur à mes camarades de classe. Quelqu'un s'est rendu compte de cette faiblesse, quelqu'un de très mauvais. Je me suis agenouillé devant lui en échange de ce que je croyais être une liberté sans limite d'explorer mes idées. Au lieu de cela, je me suis trouvé lié à un fou et je porterais sa marque jusqu'au jour de ma mort. Vous êtes ici pour m'assister, c'est vrai, mais aussi pour voir à quoi mène une telle arrogance. Je possède une qualification unique pour vous enseigner cette leçon. »
Hermione était horrifiée. « Le Directeur ne peut pas croire que je vais me tourner vers la Magie Noire, » protesta t'elle.
Rogue sourit, incrédule. « Ma chère Mademoiselle Granger, vous l'avez déjà fait. »
« Ce n'est pas vrai ! Quoi que j'aie fait, je ne l'ai pas fait pour moi, mais pour quelqu'un d'autre. Les motifs comptent, quoi que vous en disiez. Lily est une bonne chose, et le fait qu'elle soit en vie est une bonne chose. Je ne servirais jamais Volde… Voldemort. Je préférerais mourir. »
« J'imagine que vous pensez parler de façon très courageuse, » se moqua t'il, la regardant par dessus son nez. « Ce n'est pas le cas. Vous parlez comme une adolescente stupide qui ne connaît rien de la vie. Vous en savez si peu que vous êtes prête à abandonner la votre comme une vieille chaussette. Votre ignorance n'est pas à votre crédit. Vous pensez être héroïque, mais à ce point de votre vie vous n'avez simplement rien à perdre. »
« Il y a neuf personnes au monde qui ont le pouvoir de vous envoyer à Azkaban pour le reste de vos jours. Vous n'y pensez pas maintenant, mais je peux vous assurer que dans les années à venir vous ne penserez plus à grand'chose d'autre. Vous vous demanderez lequel d'entre nous à un grief contre vous, ou parle dans son délire, faisant de vous l'objet d'un commérage amusant, ou vous dénonce à son petit ami en confidence, et vous pousserez un soupir de soulagement à l'annonce de la mort de l'un d'entre nous. Oui, » il eut un rictus, « même la mort de Dumbledore, de McGonagall, ou du loup-garou, ou de votre précieux Potter, parce que chacune de ces morts vous donnera un peu plus de sécurité. Vous vous demanderez, avec le temps qui passe, quel jour la découverte et la disgrâce tomberont sur vous. Le jour de votre remise de diplôme ? Celui de votre mariage ? Le matin où vous enverrez votre enfant à Poudalrd pour la première fois ? Est-ce que l'un des neufs, sur son lit de mort, hanté par ce terrible secret, ne laissera pas une lettre de confession et de dénonciation ? »
« Chaque choix que vous faites change votre destinée. Est-ce que vous réalisez, je me le demande, à quel point votre chois de pratiquer la Nécromancie à affecté votre futur ? Ca vous a certainement fermé des portes. Vous ne serez jamais Préfet en Chef, et vous pouvez dire adieux à un apprentissage avec les Professeurs McGonagall, Flitwick et Chourave. Pour le loup-garou, je ne saurais dire. Peut-être, » murmura t'il, approchant la bouche de son oreille, « qu'il vous considérera comme une camarade maléfique. »
Il recula, la regardant comme si elle était quelque chose qu'il aurait trouvé sous la semelle de ses bottes.
« Coupez les racines, préparez l'infusion, et disparaissez. »
Hermione eut du mal à se maîtriser. Elle se tenait debout, tremblante de rage, et comprenait enfin à quel point Harry pouvait détester cet homme. Il semblait totalement indifférent à sa présence, assis calmement à son bureau, la plume grattant rapidement dans son grand livre de cuir vert.
Elle ravala quelques larmes d'apitoiement sur elle-même, et se mit à couper les racines en cubes mathématiquement égaux.
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ndt : je n'étais pas sûre de ma traduction du poème, alors j'ai choisi de ne pas le laisser dans le corps du texte.
Il donne quelque chose de ce genre :
« Maintenant que j'ai ajusté mon masque,
Afin de regarder à travers ces volutes de fumée blanche,
Je te vois qui accomplis ton œuvre dans cette forge démoniaque…
Dis-moi, quel est le poison qui me libérera d'elle ? »
