Auteur : Isylde

Inspiration : The Lord of the Rings

Titre : Divide and Conquer

Chapitre : Réminiscences d'Emerië, T.A 324

Longueur : 14931 mots

Date : 01/05/05

Résumé : « En toi, petite fille fragile, je reconnais la gloire passée des dames de Numénor et la beauté des paysannes d'Emerië. Je vois les plaines de l'île étoilée, les côtes de notre capitale tombée, la mort d'Erendis, belle et impétueuse, je vois l'aventureux esprit d'Aldarion, je vois la force d'Ancalimë et la gracilité de Mirìel. Je vois en toi l'espoir d'un héritage humain, Fanyarë Silmarien Ravelyn. »

Goélands crieurs et mouettes curieuses se posaient indolemment sur les rochers, en contrebas, tandis que les vagues se brisaient avec violence au pied des côtes de calcaire du Harlindon. Le Golfe de Lune était prisonnier d'un étau de verdure, hautes herbes d'un vert un peu flou, se définissant en contours peu distinguables dans l'aura argentée de l'océan. Ici, les survivants du cataclysme de Numénor avaient trouvé un havre de paix, s'établissant en petites communautés indépendantes dans le labyrinthe de rochers que formaient les pas du Lindon.

Au-delà de l'horizon de pierres massives, se trouvait tout un univers, peuplé de moutons et de chevaux sauvages, d'oiseaux aux serres dorées et de coccinelles, une sorte de réminiscence de que l'île étoilée avait été créée par les valar et ayant, dans sa sublime beauté à l'intelligence terrible, causé sa destruction.

Il était un village au sud des Havres Gris qui se nommait Neige. Exclusivement peuplé de dunedain et d'humains normaux – dont les descendants avaient érigé une petite civilisation pastorale au-delà de l'immensité maritime – la petite ville formait une communauté d'à peine mille âmes, énigmatique hameau familial où les étrangers étaient rarement acceptés. Pourtant, deux elfes étaient parvenues à se faire intégrer à cette société insulaire, équine, dont les traditions semblaient fort bien ancrées dans les mœurs plus que millénaires de ces hommes et de ces femmes.

De la première elfe, arrivée enceinte à Neige, on ne savait pas grand chose. Sage-femme, elle était également appréciée pour ses qualités d'herboriste, une assistance médicinale précieuse en considérant que les humaines étaient fort fragiles en période de grossesse. Cet être, immortel et sombre, insistait pour qu'on la nommât Ithredil.

Certains des membres du conseil municipal, qui la connaissaient depuis plus de cinquante ans, savaient qu'elle était une descendante des Noldor, entités également éternelles ayant côtoyé les valar et les plus grands noms de l'histoire d'Arda. Mais nul ne pouvait deviner quelle immense tristesse se cachait derrière ces iris d'un bleu presque turquoise, puits aigue-marine sans fond recelant une vie bien remplie, ponctuée de hauts faits, que, par modestie, Ithredil taisait.

Cette dernière, par ailleurs, était souvent absente, vagabondant plus loin, vers l'est, à Minas Tirith et Fondcombe, se cultivant en consultant les archives du seigneur Elrond d'Imladris et du roi Eärendil de Gondor.

Mais était-ce réellement pour se cultiver ? Nul ne pouvait le dire. Mais en revanche, ils remarquèrent tous, à un moment donné, la présence d'un étrange anneau représentant un phénix agonisant dans ses cendres, ou alors – l'interprétation variait – un phénix engendré de sa propre déchéance.

Ce symbole ravissait le cœur de ces éphémères humains qui savaient pertinemment que l'histoire des Edain reposait sur les épaules de cette sylphide mystique aux relents nordiques, virago furieuse ayant tout perdu au nom de la liberté et pour cet amour qu'elle vouait à la mort comme à la vie.

Ironique d'avoir connu un père soldat, donnant la mort, et une mère sage-femme, offrant la vie aux femmes qui avaient été gratifiées par le don de procréer. Ithredil pouvait se libérer du fardeau de la vie, ou au contraire poser ce fardeau sur les épaules d'un nouveau-né comme la vie passée qu'elle portait en elle jour après jour, dans le souvenir de femmes brimées par leur époux, souvent oubliées des annales royales ou seuls les hommes pouvaient se permettre de se faire un nom dans une société inégalitaire. L'herboriste elfe n'avait jamais renoncé à la liberté ou à la vie. Mais dans son comportement fataliste se retrouvait une prière à la reconnaissance. Elle quémandait la mort plus que la mort ne la réclamait.

Sarcastique personnage au caractère ambigu, Ithredil était une véritable nymphe farouche, parcourant sans cesse les chemins du Lindon, d'Eriador et de Rhovanion, découvrant de nouveaux paysages, de nouveaux alliés dans sa quête éperdue de renaissance, et parfois d'étranges plantes de contrées lointaines qui poussaient indolemment dans le jardin de son cottage, aux abords du hameau de Neige. Et le seul souvenir qu'elle laissait d'elle aux villageois était une petite fille, Fanyarë Silmarien Ravelyn, enfant issue des cieux au nom de grande dame numénoréenne, réminiscence des temps passés dans les plaines aux allures de collines préservées par le vent et la pluie.

Réminiscence d'Emerië.

Sa petite enfance avait été marquée par les nombreuses absences d'une mère acariâtre, à la manière de l'innocente Ancalimë vivant dans une maisonnée toute blanche et uniquement peuplée d'être féminins, ignorée par une génitrice ingrate à son égard, car fille issue d'une union dégénérescente, détruite par deux affections conflictuelles, celle de la terre et celle de l'océan. Dans cette lutte acharnée où Ithredil, telle Yavanna, s'accrochait à toutes les choses vivantes, tandis que son défunt époux aimait les violences d'Ulmo, rien ne présageait la naissance de cette petite créature fragile habituée à la solitude et à ce paisible monde de quiétude tranquille.

La mère nommait sa fille Silmarien, ou Silmë, en souvenir d'une princesse de Numénor s'étant vue refuser le sceptre en raison des mœurs rétrogrades de ces moments éloignés où la femme se languissait dans l'absurdité de ses devoirs et l'absence de droits. Fanyarë avait été une décision de son père défunt, tué par les flots et la fascination qu'il avait pour les impétueuses tempêtes d'Ossë, qui régnait en maître sur les côtes de la Terre du Milieu.

Ithredil n'aimait guère le nom de Fanyarë, cependant les villageois s'étaient pris d'affection pour sa fille et l'appelaient 'Fëa', esprit sauvage courant dans les hautes herbes à la recherche de papillons et observant avec attention les troupeaux de chevaux sauvages qui s'attardaient sur les collines du Harlindon. Son rire enchantait toutes les doyennes du hameau de Neige.

On la voyait souvent, du haut d'une falaise, ses cheveux d'un châtain clair tirant sur le roux modelés par l'élément qui avait décimé toute présence masculine à ses côtés, regarder les voiles blanches des navires elfiques s'éloigner du continent enchanteur qui avait fait d'elle une fillette joyeuse, curieuse, au caractère enflammé et aux manières strictement humaines. Par ailleurs, son physique, entre le gracieux et le sympathique, respirait la nature et la joie. Sa peau lune parsemée de taches de rousseur lui donnait cette imperfection charmante aux yeux des mortels, et deux iris gris, interrogatifs, recelaient d'une étrange soif de connaissance.

Mais de toutes les choses, animées ou inanimées, qui l'entouraient, la fillette avait une mélancolique admiration pour une mère sévère et aigrie par les souvenirs perdus. Ithredil ne savait pas comment exprimer un amour depuis longtemps perdu. Les seuls relents d'humanité qui subsistaient dans ce corps décharné de toute émotion étaient les souvenirs qu'elle conservait de sa sporadique mémoire.

« En ces temps où l'ombre surgit des profondeurs du Mordor, les arbres deviennent dorés et leur parure automnale s'affadit dans les méandres d'un hiver qui s'approche…Le temps des Elfes est à présent révolu… » murmura Gil-Galad.

Ithredil observa longuement le noir horizon qui s'offrait à ses yeux, et, de part et d'autre, les flammes des Edain appelaient les armées Eldar à l'aide. Au loin, les étoiles se mêlaient dans un tourbillon de floue douceur lactée, tandis que cette immense galaxie formait une déchirure divine sur la voûte céleste, prête à s'affaisser sous son propre poids. Le poids de la déchéance.

La tragédie unissait les Elfes et les Humains, un seul même drame, celui de la vie. Et les acteurs, antagonistes, combattaient pour une fragile liberté acquise sur l'autel sanglant de l'égoïsme. S'avançant aux côtés du seigneur elfe, l'herboriste ferma les yeux, laissant le vent fouetter son beau visage d'enfant de la nature, et Gil-Galad s'agenouilla, prenant une poignée de terre entre ses mains et laissant le fruit de Yavanna se disperser entre ses doigts sales et calleux.

« Mon seigneur, l'hiver des elfes n'est pas encore venu. Pour Luthien et Beren, pour cette union sacrée, nous combattrons pour perpétrer l'héritage de nos ancêtres. » se consola Ithredil en entourant son frêle corps d'une fine cape d'argent.

« Elwing vous a offert une raison de vivre. C'est un don du ciel, dame Ithredil, souvenez-vous-en. » soupira Gil-Galad. « Je mourrai sur ce champ de bataille, incapable d'assurer la pérennité de mon espèce… » il s'étonna lui-même de ces mots si crus, si biologiques, ne s'intéressant qu'au coté matériel de cette création. « …la pérennité de mon peuple… »

« N'avez-vous donc plus d'espoir ? »

« Je suis vieux, Ithredil. Je ne représente plus l'espoir. A présent, c'est à vous de continuer tout ce que nous avons bâti. Et si les Eldar venaient à disparaître, vous devrez vous détourner de notre destin pour aider les Edain. Ils sont éphémères, et c'est ce qui assure la force de tous ces mortels. Ils se détruisent mutuellement mais construisent de véritables empires à l'épreuve du temps…jusqu'à la décadence inévitable d'une société archaïque. Et sur les ruines de cette dernière, d'autres humains installeront une nouvelle civilisation…Le perpétuel recommencement… »

Dans ce va-et-vient d'apogées agonisantes, Ithredil savait qu'un temps de prise de conscience serait nécessaire pour les humains. Avant de se consacrer à la fondation d'un nouveau royaume, d'une nouvelle Numénor, ils devaient traverser bon nombre d'épreuves, dont la douloureuse morsure érodée du temps, immuable sablier aux origines complexes.

« Si tel est mon destin, alors je vais le parfaire jusqu'au fanatisme. Quitte à me perdre moi-même… » murmura Ithredil. « Quitte à perdre l'espoir. »

Et, parmi les hautes herbes de la plaine, une petite fille, assise en tailleur sur un affleurement rocheux d'où était issu un ruisseau chantant, laissait son petit bout de charbon de bois glisser sur le papier rugueux, représentant un horizon gris de volutes indomptées et de brumes argentées. Les sourcils froncés, la fillette s'appliquait à reproduire très exactement chaque détail du paysage qu'elle dépeignait d'un geste précis, parfois accordé de quelques maladresses inévitables.

A sept ans, Fanyarë savait lire, écrire et compter, une chose fort rare en ces temps de disette intellectuelle où plus des trois quarts de la population de la Terre du Milieu était illettrée. Mais l'enfant, souriante et aimable, était parfois discrète, taisant sa culture pour ressembler aux autres. Ithredil avait toujours tenu à éduquer sa fille afin de lui offrir une chance de se défendre dans un monde misogyne et souvent bien rude envers les fillettes de son âge. Cependant, malgré sa discrétion, Fanyarë, curieux esprit des plaines, recherchait sans cesse de nouveaux territoires à découvrir, de nouvelles choses à apprendre, et son inlassable curiosité ne semblait pas avoir de limites.

Avec rêverie, elle leva les yeux au ciel, éblouie par cette pâle lumière qui obscurcissait ses sens. Le crachin du mois de novembre retombait en petites gouttelettes sur son visage rougi par la morsure indicible du froid, cette brise imperceptible, qui, fendant l'air et les plaines, parcourait des centaines de milles avant de battre avec fierté les bannières des royaumes exilés de Gondor et d'Arnor.

Puis, délaissant sa tâche, la fillette fut attirée par du mouvement, plus loin à l'est. Ses yeux d'elfe scrutaient avec insouciance la ligne de verdure qui séparait la frontière du Harlindon de celle de l'Ered Luin, au-delà des monts blancs qui se dessinaient, flous monuments sans âge.

« Quitte à perdre l'enfance, cette funeste destinée ignorante, innocente, perdue dans les mémoires futiles d'esprits volatils… »

Ithredil savait que le monde des Elfes était en passe de s'éteindre, cependant, elle s'accrochait désespérément à des lambeaux de vie sanglants, un cœur palpitant arraché à sa carcasse décharnée, le monde des Hommes. Car celui-ci était à l'épreuve du temps, comme une roche dure et encore rauque, imprécise, tardant de s'éveiller des décombres barbares.

Toutefois, ces monceaux d'humanité devaient encore trouver un sens, et ce sens, Elwing l'avait offert à son fils comme Ithredil allait l'offrir à ses amis mortels. Et dans cette libération qu'était la mort, l'elfe ressentait une certaine fragilité en elle, un certain désir de connaître, elle aussi, la vague sensation physique de ne plus appartenir à soi-même.

« Et la mort…pourrait perdre les Elfes, et non les Hommes…Les Hommes sont comme des enfants. Explorateurs acharnés dans leurs frêles connaissances, maladroits artisans de la guerre et de la paix, du sang et des cendres… »

Un chant s'éleva d'une singulière étoile, posée là, sur le royaume céleste, entre les gris nuages de pluie, et Fanyarë se prit à imaginer des mondes inconnus, car, ayant toujours rêvé de voyager, son esprit, fertile sillon de fantaisie, engendrait incessamment de nouveaux détails dans son monde, un univers ponctué de hauts faits d'arme et d'histoires d'amour perdues dans l'énigmatique des poèmes elfiques.

Mais en réalité, tous ces contes, ces légendes, ces mythes, n'étaient rien de plus qu'une unité dans la diversité, des comportements et des personnalités différentes qui menaient irrémédiablement au deuil et à la tristesse, comme si l'apogée des peuples possédait toujours la même fin. L'île étoilée, en dépit d'un éventuel changement politique, allait tôt ou tard provoquer le courroux des valar et par là même sa perte.

La fillette soupira, voyant les tièdes lueurs du hameau de Neige émerger de la mélancolique atmosphère des vagues qui s'écrasaient misérablement au pied de ces immenses falaises, seul rempart face aux habituelles colères d'Ossë. Cette fragile luminescence était désormais les seuls témoins de l'indicible, de la chute de Numénor, et au loin, plus à l'est, la brume vint couvrir les hautes herbes du Harlindon, comme une initiation aux pouvoirs mystiques de ces terres.

Malgré la présence d'humains dont le sang se tarissait et dont la vie se raccourcissait de manière exponentielle, les Havres Gris conservaient jalousement la magie qui faisait leur charme et leur beauté. Malheureusement, la perfection n'avait pas lieu d'être, et Fanyarë avait tout à fait la capacité de survivre à son peuple, en raison de son physique simple. La petite fille était jolie, rien de plus, et son timide sourire illuminait sa figure comme un rayon de soleil.

Bien éloignée de la glaciale Galadriel ou de la divine Luthien, les descendants des branches cadettes à la noblesse elfique étaient considérées comme ingrates ou ternies par la présence du sang souillé des numénoréens. Ithredil n'avait jamais eu d'ancêtres humains, mais sa fille avait reçu des qualités et des défauts humains des divinités, comme si ces dernières, dans un souci d'exactitude, n'avaient pas voulu la doter des attributs immortels, au même titre que les mortels.

« Ma fille, je le jure, sera offerte à la destinée des hommes, et ce, malgré leur réluctance à l'accepter dans leur société. » promit Ithredil au visage affadi de la jeune reine Mirìel.

Un délicat souffle s'échappait des lèvres d'essence de rose de la souveraine déchue. Battue, violée, molestée par son époux Ar-Pharazôn, Mirìel n'avait plus la force de combattre mais savait que l'intendante du palais de Numénor, congédiée par ce despote dépravé à partir des entrailles, allait conserver son héritage et sa funeste mémoire.

Au-delà de toutes les espérances, l'elfe y parvint, mais au bout de combien de sacrifices et d'années de vagabondage en terre considérée comme impie par les immortels. Son thorax se relevait et se baissait doucement au gré de sa respiration râpeuse de femme malade et affaiblie par les épreuves lui ayant été soumises.

« N'impose point une destinée forcée à ta descendance, Ithredil. Tu as déjà donné pour cette patrie, pour cette terre, pour ces hommes…et pour moi. » souffla-t-elle, de peur de cracher encore des flots de sang à cause de cette consanguinité, qui, avec les décennies, s'était accentuée au sein de la famille royale de Numénor. « Ta fille aura une vie peu commune aux elfes, peut être une présence discrète ou une mort éclatante. En tous les cas, l'héritage de ma civilisation est sauvé… »

« Mais l'île va disparaître, ses habitants vont mourir ! » s'exclama Ithredil, en crispant sa main, de colère, autour de la flamme d'une bougie.

Mirìel prit peur à cette impulsivité, et soupira tendrement en observant longuement la fumée qui s'échappait de la mèche encore chaude de la lueur. Symbole d'essoufflement, d'affadissement, de décadence, de jalousie, il était vrai que son royaume, ce royaume qui lui revenait de droit, avait perdu un peu de sa gloire et de sa grandeur passée.

« Il suffit d'une seule étincelle pour raviver la flamme, Ithredil. » dit-elle en toussotant, et son mouchoir fut teinté de multiples gouttes d'un vermeil noirâtre. « Mon sang servira à abreuver les fontaines des numénoréens. Fusses-tu la dernière, mon peuple survivra… » murmura la reine, puis elle ferma les yeux, paisiblement endormie.

Ithredil était numénoréenne d'adoption. Mais, aussi éloignée qu'elle semblait être du métabolisme et de la culture des humains, il suffisait d'un point d'attache artistique, scientifique ou littéraire pour faire la différence et transmettre l'héritage d'une brillante civilisation. Et pour cela, nul besoin de posséder un sang, il lui fallait avant tout une âme.

Ses pas la menèrent à la palissade du village. Saluant les quelques soldats qui s'étaient proposés pour monter la garde à l'entrée de Neige, Fanyarë traversa une sorte de petite place où se trouvait un puits, la mairie (souvent inoccupée, en raison du grand âge de son propriétaire) et le cottage d'herboriste de sa mère.

L'elfe, souvent absente en raison de longs voyages qu'elle effectuait de temps à autre, pendant la saison des pluies et de la neige, n'avait qu'une présence symbolique, presque crainte de la plupart des villageois, tous la respectaient et tous la craignaient en raison de ce mysticisme oriental qui se dégageait de son énigmatique rictus et de ses yeux turquoise empreints des joyaux du sud, de la région des sables. Par ailleurs, ce milieu plutôt rural et matriarcal convenait parfaitement à l'enfance d'une petite fille comme Fanyarë. Certes, elle rêvait des superbes cités elfiques, Caras Galadhon, Fondcombe ou encore les Havres Gris, mais aucun de ces lieux ne lui apportait satisfaction ou sécurité.

Ici, le village était à l'abri de quasiment tout, sauf des éléments qui se déchaînaient, en particulier le froid du nord, coupant et glacial, qui traversait la plaine de part en part pour finalement aboutir aux pieds des blanches montagnes posées sur l'horizon. Les garçons jouaient à courir autour de la petite fontaine, aspergeant leurs adversaires improvisées d'une eau à moitié givrée où flottaient encore quelques cristaux de glace, réminiscence du mois d'octobre qui fut particulièrement rigoureux.

La brise maritime soufflait sans cesse et dans toutes les directions, de sorte qu'il fut impossible pour les étrangers de se repérer dans ces grandes étendues de verdure. Fanyarë et ses amis y parvenaient sans trop de problème, la plupart des enfants étaient des fils de forgerons, d'agriculteurs ou d'éleveurs de chevaux, illettrés et donc incapables de lire une carte, mais leur sens de l'orientation était des plus précis qui soit.

L'obscurité ambiante s'avança depuis la mer jusqu'au royaume céleste du Harlindon, et, une à une, les tièdes lueurs du petit village émergèrent de la bruine comme autant de lucioles qui commençaient une étrange parade nuptiale. En effet, dans la noirceur de Varda qui posait ses joyaux sur le ciel, la luminescence des bougies et des cheminées semblait danser, danse délicieusement inconnue et à chaque fois différente dévoilée aux yeux des enfants. Les mères et les pères appelèrent leurs enfants, et tous rentraient en se promettant de se revoir le lendemain et de jouer aux grands héros de ce monde.

Enfin, seuls restèrent Fanyarë et un garçon, Declan, timide petit homme, fils de forgeron, élevé par sa grand-mère depuis sa plus tendre enfance, passé marqué par l'inexistence de ce père qui n'était guère plus qu'une ombre dans le village, un artisan talentueux jouant un rôle de frère ou d'ami plutôt que de géniteur.

Ses cheveux noirs, caressant ses tempes avec raffinement, étaient bouclés comme ceux des grands souverains de Numénor, car leur sang coulait en ses veines, mais à présent, il n'était plus qu'un cousin éloigné de cette famille royale déchue, et même ceux issus de l'île étoilée ne reconnaissaient pas la légitimité de cette famille bâtarde. Ses yeux noirs, puits sombres de mélancolie, luisaient dans les ténèbres et sa peau pâle contrastait avec le châtain flamboyant, mais toutefois fade, de la chevelure de Fanyarë.

Un chien aboya dans la distance, tandis que la porte de l'herboristerie s'ouvrait tout doucement. Le visage souriant de la grand-mère de Declan, Amani, apparut dans l'encadrement de l'entrée, et frissonnant, demanda gentiment à son petit-fils et à sa protégée de rentrer, la température baissait régulièrement toutes les heures à mesure que les couleurs pastel du crépuscule disparaissaient, laissant place à la lune blanche et à son cortège lacté d'étoiles dans l'océan encré de la nuit.

La chaleur du foyer prit les joues transies de froid des deux enfants, et non contents de devoir canaliser l'énergie de celle qui pour eux était une mère, ils se devaient également d'obéir à cette honorable et respectable ancêtre.

A quatre-vingts deux ans, Amani possédait une réelle force de caractère. Sa chevelure poivre et sel, étonnamment longue, était en contradiction avec son visage buriné par le travail agricole et les heures passées au soleil du Harlindon en tant que petite bergère. Elle aussi était illettrée, comme les autres habitants du village, mais savait au moins conter les histoires appartenant à la tradition orale des descendants de Numénor. Son autorité ne convenait pas toujours à l'indépendance que possédaient ses deux protégés, mais au moins, pas de laxisme.

Néanmoins, elle avait consacré sa vie à réparer les erreurs de son fils, comme son mariage trop hâtif avec une petite bergère de dix-sept ans, angélique mère trop vite partie dans les affres d'une difficile naissance. Declan n'avait jamais connu sa mère, ne savait pas comment l'imaginer en son esprit, et la seule présence féminine en ces lieux était en passe de s'éteindre.

« Allez, allez, rentrons vite ! Declan, enlève tes chaussures, sinon tu n'auras pas droit au dessert. Fanyarë, donne-moi ta cape, je vais la nettoyer. Où es-tu allée traîner comme ça ? Dessiner ? C'est bien beau tout ça, mais c'est moi qui vais encore nettoyer tes vêtements ! » déclara Amani, et de toute évidence la vieille femme avait une énergie et une bonne humeur infatigables.

« Oui, grand-mère… » répétait Declan sans cesse, comme pour accélérer un peu le rythme épuisant des paroles de la vieillarde.

Fanyarë, elle, ne disait rien. Un petit sourire aux lèvres, elle confia sa cape crasseuse aux mains expertes et habiles d'Amani, enleva ses bottes et les laissa sur le pas de la porte. Les cheveux en bataille, elle se dirigea dans le petit salon de l'herboristerie, et s'assit sur un des fauteuils de velours rouge de la pièce, reposant ses pieds sur ce tissu à la fois doux et raffiné, signe intérieur de richesse indiquant les goûts sophistiqués d'Ithredil en matière de décoration intérieure.

Ayant offert un toit à Amani, son fils et son petit-fils, l'elfe savait qu'elle côtoyait, une fois de plus, le commun des mortels, au lieu de s'installer, par exemple, dans la demeure que Cirdàn avait mise à sa disposition aux Havres Gris. Ressentant ce besoin de disparaître et d'élever sa fille loin de l'univers mondain des rois et reines, princes et princesses, marquis, comtes, ou encore barons, Ithredil avait contribué au relatif bonheur de cette famille désunie ne comptant que des femmes et des enfants.

Dans cette volonté de construire un monde presque exclusivement féminin ou enfantin, un havre de paix s'était créé à Neige, où tous les enfants venaient pour admirer les beaux ouvrages rapportés de Numénor, qui avaient désormais une place de choix dans la bibliothèque de Fanyarë. Ils n'observaient que les images, ne comprenant pas que cette succession de caractères elfiques formaient des mots qui avaient un sens.

Contant les histoires des anciens temps, Fanyarë avait en elle cette noblesse numénoréenne, perdue dans les flots et renaissant en cette fille d'immortels comme un souvenir de tout ce qui avait été perdu. Les enfants du village ne comprenaient pas ce farouche tempérament qui consistait à s'éduquer soi-même, prenant la lecture et l'écriture pour un véritable art et non plus un simple loisir où un moyen de se démarquer de l'ignorance populaire.

Mystérieuses fresques et tristes couleurs pastel se côtoyaient en une explosion affadie des œuvres elfiques, jadis si colorées et si vives et ne comportant désormais qu'une bien mélancolique beauté, à la limite de la précieuse fragilité. Déjà, les superpositions de lavande, de gris et de blanc s'effritaient en une mosaïque agonisante de tons évanescents.

Toutefois, ces légendes picturales, ces peintures énigmatiques et ces gravures autant belles qu'incompréhensibles offraient beaucoup de subsistance imaginative, et rien de plus n'était nécessaire. Chacun avait son rôle dans la société, et les intellectuels, élite cultivée et parfois hautaine, était conspuée et ignorée, car jugée inutile en des temps où seul comptait l'héritage oral des anciens. Et leur illettrisme ne les empêchait pas de demeurer vifs et respectueux de leur environnement. Rien de plus n'était nécessaire à leur bonheur.

La petite fille laissait ces flammes dansantes se refléter en courbes élégantes sur son iris gris de tempête, perdue dans ses pensées et la contemplation de cette douce chaleur imprégnant chaque recoin du salon. Elle était vêtue d'une étrange robe verte, et d'un délicat corset brun modelant avec tendresse la courbe de ses hanches qui se marquait subtilement, sans trop de précocité ou d'exagération quant à ses lacets qui tenait lâchement sa robe de satin vert en place. Un motif bronze affadi, presque effacé par le temps, semblait orner le bas de son jupon, art mystérieux des temps jadis, mais également tenue vestimentaire ancienne, tellement ancienne qu'elle voulait faire paraître antique.

Cette robe avait été portée par Ithredil lors de son enfance, car les habits elfiques duraient des millénaires sans que ces derniers tombassent en poussière. Un pendentif bronze et émeraude étincelait à son cou, traçant la ligne séparant son chignon du doux tissu du vêtement, nuque de vilain petit canard devenant au fil des années cygne, nuque enfantine tellement fragile et facilement exposée aux griffes de l'avidité humaine, cheveux sauvages à l'extrême, battus par les vents, caressés par le zéphyr de juillet et harcelés par l'indomptable brise de décembre.

Oui, Fanyarë était malgré tout jolie, une beauté que peu de gens semblaient partager, eux qui ne la trouvaient que sympathique. Les valar avaient parfois d'étranges goûts. Comment cette peau parsemée de taches de rousseur pouvait-elle se rapprocher ne serait-ce qu'un peu de la perfection d'Ithredil ?

En réalité, la petite fille n'avait absolument rien d'elfique, si ce n'était ses oreilles pointues et ses manières s'apparentant parfois à la noblesse des princesses d'antan, Idril Celebrindal ou Luthìen, Ancalimë ou Mirìel.

Amani, réprimant une toux inquiétante, posa des pâtisseries aux noix sur la petite table faisant face au doux foyer rougeoyant de la cheminée, et alla vaquer à ses occupations dans la cuisine.

Elle les mangea avec appétit, mais avec un triste regard de mélancolie, bien loin de la curiosité naturelle de l'enfant. Avec application, la fillette dévora également chaque petite miette. Perdue dans ce silence sans fin, Fanyarë se retrouvait dans le ventre d'un serpent infini, celui de l'intériorisation des sentiments et des émotions, s'apparentant soit à de la discrétion, soit à un mal-être.

En tous les cas, elle était en ce point semblable à sa mère, individualiste et silencieuse, utilisant le pouvoir de la plume et du fusain pour s'exprimer et effectuer des représentations réalistes, mais légèrement tourmentées, du monde qui l'entourait.

Tel un petit chiot curieux, elle parcourut lentement cette spacieuse bibliothèque à la chaleureuse atmosphère, ses petits doigts blancs effleurant un à un les surfaces rugueuses, d'un velours terni par la poussière et l'humidité, de ces vieux grimoires immémoriaux qui formaient pour elle un univers à part entière. Cet univers semblait uniquement axé sur le passé et les mythes, la fantaisie et la magie, tandis que sa mère se réfugiait dans la troublante réalité d'une vie dévouée à la sauvegarde du futur des hommes. Et pourtant, Ithredil regrettait le passé et Fanyarë le vivait avec intensité, inspirée par la futur plutôt que de le craindre.

Penchant la tête sur le côté, la fillette s'arrêta juste en face d'une haute étagère, et, levant ses yeux ingénus vers un rideau dissimulant quelque chose qui ne pouvait être vu, se demanda quels mystères se trouvaient encore enfouis, prisonniers entre les murs de ce vieux cottage.

Une petite corde, cachée derrière un manifeste de tactiques militaires, avait été apparemment dissimulée pour ne pas révéler ce qui se trouvait caché derrière le lourd tissu, sans doute un coffre, ou un accès à un souterrain, ou encore un tableau. Mais quel intérêt de cacher une œuvre d'art, si ce n'était de l'interdire pour une raison ou pour une autre ? Pourquoi dissimuler de belles choses tout en les conservant ? Pourquoi n'avait-elle jamais pensé à regarder derrière ce rideau ? Hypnotisée, littéralement attirée par ce velours de sang qui s'agitait au gré d'un courant d'air, Fanyarë s'apprêta à tirer la cordelette afin de dévoiler ce qui s'y cachait, lorsque soudain…

« Teintée d'un sang qui n'est pas mien, je me repentis aujourd'hui de mes crimes… » susurra une voix féminine.

Amani, d'un toussotement chevrotant, la fit sursauter. Sortant des plis de sa robe un petit tissu sale, couvert de taches brunes, la vieille femme le porta à ses lèvres et laissa échapper quelques gouttes de sang de sa bouche déjà gercée.

« Teintée de sang… » chuchota la petite fille, sans vraiment comprendre ce que cela signifiait.

Le mouchoir d'Amani avait déjà été maculé de ce pourpre de vie jadis. La petite fille savait pertinemment ce que cela voulait dire, mais dans ses rêves, elle voyait tellement de gens morts et de cadavres ensanglantés…Ce trépas, nécessaire à l'aboutissement d'une vie, en commençait une nouvelle. Amani était perdue à la vie, et lentement la mort la prenait, insidieuse veuve à la cruauté dépassant l'entendement, et pourtant douce amante lorsqu'il s'agissait de libérer de la douleur et de la peine. Car Fanyarë avait un étrange don, celui de comprendre la mortalité et ses désagréments, ayant vécu l'éphémère toute son enfance sans pour autant l'atteindre et le ressentir en tant que tel.

Elle imaginait alors une étreinte de père, une étreinte masculine, une étreinte inexistante, si lointaine qu'elle ne semblait n'être plus qu'un souvenir. Mais était-ce réellement un souvenir, une mémoire, cette main tremblante qui se posait sur le ventre rebondi d'une femme enceinte ? Ce simple contact d'homme avait-il pu changer l'état d'esprit même de l'enfant qu'était aujourd'hui Fanyarë ? Cependant, cette étreinte protectrice la rassurait, la protégeait du froid mordant et de ces rides, de cette vieillesse qu'elle craignait de contracter, comme la peste, comme une maladie. Elle était protégée par ce dont elle craignait le plus : la mort, cette mort omniprésente et qui l'empêchait de trépasser.

Un jour d'été de la même année, un jeune garçon plus âgé qu'Ancalimë vint chez eux, chargé d'une commission par les gens d'une ferme d'écart, et Ancalimë le trouva par hasard, qui mâchonnait du pain et buvait du lait derrière la maison, dans la cour de ferme attenante. Il la dévisagea avec irrévérence et continua de boire ; puis, posant son bol :

« Ecarquille-les donc, si ça te dit, Grands Yeux ! » s'exclama-t-il. « Tu es jolie, mais trop maigre. Tu veux manger ? » et il sortit un quignon de pain.

« Allez, file ! Ibal ! » s'écria une vieille femme qui sortait de la laiterie. « Et ne ménage pas tes longues jambes, ou tu auras oublié le message que je t'ai donné pour ta mère avant même d'arriver à la maison ! »

« Pas besoin d'un chien de garde là où tu es, mère Zamîn ! » s'exclama le gamin, et avec un grognement et un cri, il sauta la barrière à claire-voie et dévala la colline à toutes jambes.

Zamîn était une vieille paysanne qui avait son franc-parler et ne se laissait guère intimider, même par la Dame Blanche. Sa main ridée ramassa le quignon de pain et la chope de lait délaissés par l'ingrat garçon, et tout en pestant contre le sale caractère de ces gamins irrespectueux, étonna la petite Ancalimë par son comportement.

« C'était quoi, cette chose bruyante ? » dit Ancalimë.

« Un garçon. » dit Zamîn. « Si cela te dit quelque chose ! Mais comment saurais-tu ce que c'est ? Ca mange et ça casse, le plus clair du temps. Celui-là n'a jamais fini de manger – mais non sans profit pour lui. Un beau gars ! Voilà ce que trouvera son père à son retour ! Mais s'il tarde trop, il aura peine à le reconnaître. Et il y en a d'autres, dont je pourrais dire autant ! »

« Le garçon a donc aussi un père ? » demanda Ancalimë.

« Assurément ! » dit Zamîn. « Ulbar, un des bergers du puissant Seigneur là-bas tout au sud, le Seigneur des moutons, nous l'appelons, un parent du roi. »

« Mais alors, pourquoi le père du garçon n'est-il pas à la maison ? »

« Mais, herinkë… » dit Zamîn. « ... parce qu'il a entendu parler de ces Aventureux, et il s'est mis à les fréquenter, et il est parti avec ton père, le Seigneur Aldarion ; mais les valar seuls savent où et pourquoi ! »

Ainsi, dans cette méconnaissance paternelle, Fanyarë se demandait si Ithredil l'avait connu. Une chose était certaine, tous ceux qui avaient été amputés d'une partie de leur mémoire ou de leur identité se devaient de trouver ce qui leur manquait, et apparemment, Ancalimë avait reçu de ce père absent une force de caractère, comme Fanyarë l'aspiration au rêve et non au voyage et Declan une certaine tendance à cacher ses talents et ses qualités. Toutefois, rien ne les empêchait d'avoir eu ou d'avoir un destin des plus grands, mais des plus tristes. Cependant, la petite fille ne voulait pas que cela arrivât.

Elle voulait vivre intensément chaque aspect de sa vie, et même si cette idée la répugnait, elle le savait, elle serait irrémédiablement poussée au voyage afin de connaître ses origines, son passé, et le contexte dans lequel et pour lequel elle avait été conçue. Amani ne pouvait pas comprendre cet aspect d'une existence qui allait se révéler riche et aussi belle que celle des souveraines de Numénor.

La beauté prenait ses superbes formes dans l'horreur d'un viol ou d'une maladie, d'une vieillesse ou d'un combat sanglant contre la misogynie, en tous les cas, les femmes se révélaient plus opiniâtres que les hommes, et usaient de leurs charmes et de leur intelligence pour parvenir à leurs fins. Et si leur apparence ne suffisait pas, le contrôle mental qu'elles pouvaient avoir sur les faibles esprits était une arme redoutable, plus puissante que l'ingratitude diplomatique de ces rois arrogants et imbus de leur personne.

Fanyarë portait en elle le fol espoir d'Ithredil, celui de défier les hommes, les elfes, celui de prévaloir face à toutes ces lois martiales instaurées par les hommes pour les femmes, alors que les femmes devraient soumettre leur loi, la loi naturelle, celle faite par les femmes et les hommes pour les femmes et les hommes. C'était aussi simple que cela. Mourir, s'effacer, ou se battre. Dans ce monde aussi injuste que totalitaire, rien ne se faisait sans révolution sociale, artistique, littéraire ou militaire.

« Je me demande ce qu'est devenu mon père… » songea Fanyarë, égarée dans ce vagabondage de pensées adultes qui n'étaient pas les siennes, des pensées qui rongeaient le peu d'innocence qui restait encore en elle.

« On dit qu'il est parti, un matin, vers l'océan, et qu'il n'est jamais revenu. Il a rejoint Aldarion dans sa vie, et Erendis dans la mort. Nul ne sait ce qu'il est advenu de lui, mais encore aujourd'hui, certains elfes disent de lui qu'il était courageux et indépendant. »

Elrond s'avança auprès de l'elfe, et caressa doucement cette triste tempe humectée de larmes et de fatigue. Depuis quelques temps déjà, Ithredil s'était éloignée de ces côtes qui lui avaient pris son époux, ou n'avaient fait que prendre sa vie passée, car personne, pas même les grands rois de la Terre du Milieu, ne pouvait deviner ce qui se cachait derrière ces orbes lapis-lazuli cerclés d'émeraude, aussi énigmatiques que les profondeurs océanes et aussi mystificateurs que les silmarils.

« Est-il réellement mort, Ithredil ? » questionna le seigneur elfe. « Est-il réellement mort comme le croit votre petite fille ? »

Elle posa son regard sur les cristaux iridescents qui étincelaient parmi les pins et les bouleaux entourant la forêt d'Imladris. Au loin, les toits élancés des maisons se démarquaient de la cime des arbres et semblaient resplendir du gracieux art domestique des elfes, s'accordant à la fois au milieu naturel et aux goûts des elfes.

« Je ne puis répondre à cette question, seigneur Elrond. » dit-elle simplement. « Ce serait remettre l'éducation de Silmarien en cause… »

« …Fanyarë. » corrigea Elrond.

« …Fanyarë, si vous y tenez. » chuchota-t-elle, répugnant à devoir utiliser le prénom choisi par son époux pour sa fille. « D'ailleurs, le choix de son nom ne dépendait pas de moi, et il est parti maintenant…encore une marque de ma faiblesse. »

« Qu'elle soit Silmarien ou Fanyarë, cela importe peu. Mais sachez, Ithredil, que votre fille ne sera pas toujours disposée à transmettre un héritage qu'elle n'a jamais connu. Il se peut même qu'elle refuse de porter assistance aux descendants d'Ancalimë. »

Baissant les yeux, elle détourna ses iris turquoise de la beauté pour les enfermer dans un carcan obstiné de noirceur et de haine. Son visage dégoûté faisait transparaître cette étrange beauté séductrice et à la fois ulcérée et instigatrice.

« Seuls les valar pourront nous le dire… » conclut-elle. « Si Numénor n'est qu'un souvenir, je lui ai transmis une partie de ma mémoire, et bientôt, mes souvenirs resurgiront en elle…y compris les souvenirs de son père. »

En effet, depuis la mort de la mère de Declan, aucun signe de vie n'avait été envoyé depuis les Havres Gris, le port d'attache du géniteur supposé de Fanyarë. Ithredil faisait en sorte de ne jamais en parler, surtout pas en présence de sa fille, une sorte d'annihilation mémorielle où même les rares émotions qu'éprouvait l'elfe envers son défunt époux avaient été effacées.

Toute trace de ce géniteur indésirable n'étaient plus, comme si les valar eux-mêmes avaient décidé que Fanyarë n'avaient pas droit à un père. Et puis les disparitions soudaines, en ces sombres temps, n'étaient pas inhabituelles. Les gens ne posaient pas de questions. Ils laissaient le temps faire son œuvre et l'érosion de l'esprit son oubli. Enfoncée dans les ténèbres d'une froide féminité, la fillette pouvait-elle encore concevoir l'amour paternel ?

« S'il se souvient encore de moi. » déclara Ancalimë. « S'il n'est pas réellement perdu dans le royaume d'Ulmo comme le prétend ma mère. »

« Qu'en penses-tu ? Penses-tu qu'il t'a oubliée ? Qu'il se cache dans les ténèbres, attendant que tu abandonnes tes recherches ? Ta mère ne ment pas, il est perdu. Mais, il lui reste maintenant à retrouver son chemin, et tu devras l'y assister, car c'est une longue route semée d'embûches et de barrages qu'il te faudra contourner. » dit Zamîn.

Malheureusement, ce souvenir ne suffisait pas à expliquer l'absence de père. Tout au plus, ce père avait une raison de ne pas être à ses côtés. Et puis, la profonde aversion qu'avait Ithredil envers les genres masculins l'empêchait tout simplement de fréquenter les rudes créatures qu'étaient ces mâles orgueilleux et misogynes. Elle savait qu'elle devrait se contenter de ce qu'elle possédait, la mémoire de sa mère, et continuer sa quête de la vérité, de plus en plus de ses aspirations humaines, éloignées de toute caractéristique elfique, telle qu'elle soit.

Parfois préoccupée par les choses les plus simples, comme s'habiller, lire, écrire et demeurer dans l'anonymat de ce petit village, parfois prise par des questions plus existentielles et plus matures, la fillette était un subtil mélange de maturité incomplète et d'innocence pas tout à fait pure, Fanyarë était certes entière et naïve, mais cela pouvait se manifester dans un penchant comme dans un autre.

Contrairement à Ithredil, qui elle possédait la connaissance, la volonté et le courage d'arriver à ses aspirations, Fanyarë ne possédait ni la vérité, ni le courage, mais elle avait la volonté. Cela allait-il être suffisant pour combattre ses démons intérieurs et repousser les mensonges ? Nul ne le savait, pas même Ithredil. Mais cet héritage humain était bien loin de ses préoccupations. Numénor, toutefois, semblait avoir un impact important sur sa vision du monde qui l'entourait, car les thèmes entourant l'histoire de l'île étoilée étaient universels.

Et ces thèmes, comme celui de Morgoth, pouvaient se révéler d'une terrifiante et blessante exactitude, comme si la volonté de l'esprit était de choquer les mémoires et les sentiments d'une petite fille de sept ans qui ne comprenait pourquoi cela avait eu et pourquoi certaines choses qui lui semblaient évidentes ne l'étaient pas forcément aux yeux des adultes. Fanyarë se souvenait de détails qui ne lui appartenaient pas, et pourtant, elle tenait l'épée, tuait, et était aveuglée par les murmures séducteurs d'une vile créature, issue à la base de la beauté des elfes et du thème d'Iluvatar.

« ITHREDIL ! » un cri fendit l'air froid des ténèbres tandis qu'un homme blessé traversait l'étendue d'eau affleurant la surface de la plaine, crispant ses doigts noircis sur une blessure infectée. « ESPECE DE TRAITRE ! » hurla-t-il, posant son regard éperdu sur les étoiles.

Plusieurs soldats numénoréens entourèrent cette silhouette courbée, comme autant de vautours munis de leurs griffes, épées étincelantes ; et de leurs arcs et flèches, becs acérées et encore dégoulinants d'une chair vivace et humectée par les fluides visqueux d'un corps en état de décomposition. L'homme haleta, penché au-dessus de la surface irrégulière d'un petit ruisseau, observant cette eau claire devenant peu à peu pourpre, souillée de son sang. Reprenant son souffle, il se retourna et vit toutes ces capes le harceler de cris et de hurlements à glacer le sang.

« VAS-TU DONC MASSACRER TOUS LES MEMBRES DE LA CONSPIRATION JUSQU'AU DERNIER ! » s'écria-t-il, sa voix haineuse se répercutant sur les collines, comme un mystérieux murmure d'antan.

L'écho emplit tout le lieu, et l'homme ferma les yeux, resserrant le poing autour d'un objet qui était cher aux yeux d'Ithredil, le phénix aux yeux de braise, cette braise vermeille qui teintait les tempes et le torse de l'homme, s'accrochant à son unique espoir, sa foi en la liberté et la justice. Ses compagnons décédés, assassinés par le pouvoir en place, et lui-même n'avaient rien de conspirateurs.

C'était cette sorcière elfe, cette intendante du palais, qui avait trahi ses semblables et qui méritait la mort ! Elle avait conspiré contre la justice et l'égalité, conspuait la démocratie et louait la royauté totalitaire et despotique ! Malgré le danger qui se présentait à lui, l'homme resta digne lorsque la lame étincelante d'Ithredil se posa sur son cou, feignant un mouvement tranché gracieux. Le redoutable visage de l'elfe apparut de l'ombre, empli de colère et de rage. L'homme écarquilla les yeux sans ciller, et l'observa longuement.

Son torse se relevait et s'abaissait au gré de sa respiration irrégulière. Il allait mourir, il le savait, mais allait tomber avec honneur et joie, joie d'un sacrifice au nom de la liberté et contre le système inégalitaire elfique. Leur arrogance et leur beauté ne devaient pas conduire Numénor à sa perte.

Mais, s'il avait réussi à tromper Ithredil, Sauron, lui, restait impuni du mal qu'il avait fait, de ces instigations politiques aussi mauvaises que mensongères. Vêtue d'une tunique de combat bleue marine veinée d'or, l'intendante se tenait là, arme à la main, prête à trancher cette tête d'un coup net, ne laissant aucune trace de cet assassinat légalisé par le vouloir de Sauron et de ses marionnettes, les rois souverains de l'île étoilée.

« Tu n'as aucune idée du crime que tu as commis. » déclara-t-elle simplement.

« Quelle crime ai-je donc commis ? Celui de vouloir tuer Sauron ? Mais enfin, ne vois-tu pas à quel point il est mauvais et dépravé ? Il va causer notre perte, et les rois de Numénor seront cupides et avides de pouvoir. Rien ne pourra cesser la décadence inévitable de mon peuple. Pas même ma mort. Pourquoi accepter de servir un empire tyrannique ? » questionna l'homme, ulcéré.

« Tu es coupable d'avoir essayé d'attenter à la vie du porteur du sceptre de Numénor et à celle de son loyal conseiller, Sauron. »

« Tu es aveugle ! » s'écria l'homme.

« TU ES FOU ! » résonna la voix de l'elfe dans les collines.

Les soldats fidèles à la cause d'Ithredil tressaillirent. Un vent glacial soufflait sur la plaine, et, fendant l'air, les cris d'encouragement des hommes scandèrent dans la froide atmosphère des plaines d'Emerië. Enfin, une lame scinda le vent en deux parties distinctes, et la gorge du traître fut tranchée.

La moitié du visage d'Ithredil était comme défiguré, souillé de ce sang de la trahison, de la haine et de l'irrespect. La dépouille tomba au sol en un bruit sourd, et sa main s'entrouvrit, laissant la bague Phénix tomber sur la terre ingrate de la province.

Comme par magie, les lèvres de la tête s'animèrent et laissèrent échapper quelques râles nerveux, et un seul mot sortit de sa bouche, un mot effrayant, un mot inimaginable, un mot qui, malgré tous les efforts des rois et d'Ithredil de faire taire cette rumeur, allait bouleverser le sort de Numénor et le sceller à tout jamais.

« L'Œil… » chuchota-t-il, ses yeux s'entrouvrant puis se fermant définitivement.

Plus qu'un meurtre organisé, l'erreur d'Ithredil était impardonnable. Les yeux du phénix s'illuminèrent de rubis, et l'elfe fut incapable de récupérer ce fer rougeoyant de terreur. A peine fut-elle capable de lire les inspirations calcinées de la bague, inscrites dans la paume de la main du cadavre.

La petite fille posa de nouveau son regard de tempête sur la douceur énigmatique du rideau de velours aux couleurs changeantes, et ferma les yeux.

« Perya-ro ar mahta-ro… » lut-elle en caractères d'elfique quenya. « Diviser et Conquérir… » conclut-elle, les yeux emplis de cette indicible horreur.

Le réveil fut brutal, et ainsi Ithredil ne put jamais se repentir du meurtre qu'elle avait commis, vagabondant dans ses cauchemars et cette voix de Sauron qui se répétait sans cesse en son esprit, 'diviser et conquérir', 'diviser et conquérir', 'diviser et conquérir'. Et mourir pour la liberté. Cette notion, personne ne l'avait énoncée avant cet homme, et à cet instant, toute connaissance sur la démocratie fut perdue d'un seul coup de lame elfique, orchestrée par l'esprit malsain du pire des êtres, suppôt et héritier de Morgoth.

Des étincelles de sang parsemèrent l'herbe humectée de la rosée du crépuscule, tandis que le tintement de l'épée tombant au sol ponctua les congratulations des hommes qui la félicitaient d'avoir tué ce traître. Elle venait de donner la mort à un intellectuel, un brillant homme, mortel, qui lui avait compris les motivations et les desseins de Sauron. Mais il était trop tard pour pleurer, et seules les larmes de sang et de violence pouvaient apaiser la colère et l'incompréhension de l'elfe.

Ithredil avait récupéré son dû, cette bague, et ce qui lui revenait de droit n'était plus que la mort et la désolation. Elle avait vendu son âme au diable.

Se glissant dans l'eau brûlante de son bain, la petite fille se remémorait de la scène qu'elle venait d'entrevoir, entre obscurité et luminescence de cette redoutable lame qui tuait tout, y compris l'espoir. Et cette épée elfique, gravée de runes lunaires, n'avait rien d'angélique ou d'une arme de défense. Elle servait à tuer, et était entre les mains de sa mère, cette mère qu'elle croyait tellement douce, tellement parfaite, et qui finalement s'était laissée prise au piège de la sournoise manipulation, exécrant toute tentative de pourparlers, écartant toute possibilité de repentir.

Dans la moite atmosphère de la salle d'eau, la fillette appréciait cette sérénité et cette ambiance emplie d'effluves et de parfums subtils et variés, souvent issus d'une fabrication orientale, d'où émanait ce mystère enivrant et lointain, cet énigmatique attirant, ce mystique religieux mêlant allègrement couleurs crépusculaires et tons chaleureux, senteurs entêtantes et volutes transparentes de rideaux de velours, de satin ou encore de brocard.

Rose et jasmin, cannelle et mûre, framboise et ylang-ylang, toutes ces fleurs aux formes et aux couleurs inconnues embaumaient tous les tissus, et les petites pétales d'un rose pâle qui flottaient sur la surface de l'eau offraient une texture légèrement plus fluide et souple, tout à la fois agréable et délicieusement tiède. Ce baume apaisant de plantes éloignait Fanyarë de la froide et haïe réalité, cette réalité qui en dépit de tous ses dangers semblait néanmoins intéressante, certes repoussante, mais grande, au-delà de toutes les frontières du Harlindon ou même de l'Ered Luin.

Ce monde, l'enfant le voyait au-travers des livres qu'elle lisait, des histoires qu'elle inventait ou des dragons et des balrôgs qu'elle dépeignait avec imagination. Tous les enfants elfes savaient bien dessiner, Fanyarë n'était pas une exception, mais les croquis au fusain qu'elle faisait étaient plus fantaisistes que réellement naturels. On y voyait des phénix et des héros, des paysages qu'elle rendait plus fantastiques qu'ils ne l'étaient déjà et des monstres.

De sa petite main imaginative, la fillette imaginait qu'elle signait un autre chef d'œuvre, mais attristée à l'idée de devoir perdre tous ceux qu'elle aimait et le cadre de vie dans lequel elle avait passé son enfance. Inévitable, la morsure du temps et de la mélancolie allait faire son œuvre, inéluctable érosion à laquelle elle allait assister sans pouvoir y changer quoi que ce soit.

Entre ses petits doigts de cristal, veinés de canaux pourpres où coulaient le sang des elfes, Fanyarë prit une pétale asséchée de rose rouge, admirant ce vermeil si proche de ses lèvres…admirant aussi la beauté veloutée de ce teint de sombre écarlate aux reflets chaleureux d'un violet crépusculaire.

« Teintée de sang… » songea-t-elle.

En effet, Ithredil avait déjà essayé, tentative avortée de sauver une civilisation qui devait mourir. C'était ainsi. Numénor devait trouver sa subsistance au fond des abysses océanes, tout comme les elfes, qui quittaient déjà la Terre du Milieu, en quête d'un autre territoire plus vaste et à la hauteur des aspirations de l'élite. La masse, elle, suivait ce mouvement d'exode sans vraiment l'approuver.

Fanyarë, elle, voyait parfois les voiles s'éloigner des belles côtes de ces landes désormais réservées aux humains, et ne voulant pas partir seule, attendrait l'amour d'une personne avant de s'éloigner de la Terre du Milieu, du Harlindon et des Havres Gris et d'oublier tout ce qui avait eu lieu sur ces terres, sur les sentiers en terre battue des montagnes et les collines des plaines du Rohan, sur les hauteurs de la ville de Minas Tirith comme sur les rapides d'un torrent impétueux, elle allait oublier ses racines et le monde qui l'avait vu naître.

« Oublier… » déclara Cirdàn, « …c'est renaître… »

Renaître ? Comment renaître sur des côtes blanches et stériles, parfaites, avec seulement un soleil et pas de lune, aucune entité, juste un masque d'hypocrisie et de noblesse, terre promise finalement bien amère et bien triste ? Comment accepter d'abandonner un peuple mortel à lui-même, si apte à se détruire et à chercher involontairement sa propre décadence ? Comment une petite fille de huit ans pouvait-elle abandonner tout ce qu'elle avait connu par collectivisme ?

L'exode des elfes consistait en une fuite, lente mais organisée, de la plus belle race d'Aman…mais également de la plus dangereuse et de la plus intelligente de toutes. Laissant le monde aux rapaces humains, poussés par la convoitise, l'avidité, la jalousie et la luxure à commettre des abominations. Et Ithredil, imprégnée de cette culture humaine, en avait fait les frais.

Société patriarcale par nature, la civilisation des hommes était misogyne, faisant la guerre et la paix, la diplomatie et la politique, et aucun mâle ne se souciait ni des femelles, ni de leur progéniture, demeurant aux confins biologiques d'une pensée n'ayant guère avancé. Pourtant, Fanyarë le sentait, quelque chose allait changer, comme une poussée dans la brise océane, comme un murmure parmi la tempête, un détail allait tout bouleverser et changer sa vie. L'ombre avançait doucement au-dessus du ciel de Neige, et bientôt, de petits flocons vinrent effleurer les flous carreaux de la fenêtre. Le vent hurlait à la mort comme une meute de loups affamés, et les vagues déchaînées s'acharnaient à creuser les immuables parois des falaises d'obsidienne.

Sortant de son bain et mettant sa petite robe de nuit en satin blanc, la petite fille s'approcha de la surface froide et moite de la fenêtre et commença, de son doigt, à dessiner d'étranges courbes dont elle-même ne possédait pas la signification exacte. Renflouer ses pires souvenirs comme ses meilleurs lui offrait cette capacité à faire des choses qu'elle ne comprenait mais qu'elle éprouvait le besoin de faire.

Collant son nez rougi par la température extérieure glaciale sur la dureté de ce cristal à peine poli et fort ingrat, elle savait que sa mère devait revenir cette nuit, et comme un espoir de ralentir cette folle chevauchée qui allait l'éloigner de son village natal, Fanyarë pria de toutes ses forces que, si elle devait quitter le Harlindon, il lui fallait trouver les réponses à ses questions, et ce qui était arrivé au puissant navire de son père, perdu dans les flots. Puis, retirant sa fine phalange et son souffle brûlant de la fenêtre, la petite fille se rendit compte qu'elle venait de dessiner quelque chose qui lui était familier, un animal particulier qu'elle voyait souvent étinceler dans la braise, créature mythique à la symbolique particulière, puissance immortelle gracieuse et terrifiante. vit dans le reflet, à la fois le phénix, son visage enfantin et inquiet, et la silhouette d'Ithredil, qui tel un fantôme venait s'abriter sur le pas de sa porte.

« Et que représente cette étrange créature ? » murmura Mirìel en voyant le scintillement de la bague d'Ithredil.

« C'est un présent d'Ancalimë qu'elle m'a confié avant sa mort. J'étais alors chargée de protéger l'intégrité du royaume et de celle de son fils, Anàrion. Je crois qu'elle avait pressenti la folie d'Ar-Pharazôn et les évènements qui ont failli conduire Numénor à sa perte. » expliqua l'elfe d'une voix attristée.

« Numénor est déjà perdue, et Tar-Ancalimë, mon ancêtre, avait raison…Tu es la seule, bien la seule, à garantir la survie de notre royaume. Tu l'as garanti pendant plus de trois mille ans, investie de la mission d'Elwing. » soupira Mirìel.

« Je dois encore combattre pour la survie de ces terres. N'as-tu donc plus d'espoir ? » supplia Ithredil.

« Estel… ?» demanda-t-elle rêveusement. « Il est trop tard. »

Espoir… ?

La bougie défaillante s'effaça quelques instants, plongeant la pièce dans une sournoise obscurité. Mirìel crispa sa fragile main sur ses poumons râpeux et fatigués, sentant qu'une chose solide obstruait sa gorge et ne facilitait pas sa respiration. Le dernier souffle de la royauté numénoréenne était en passe de s'éteindre, mais cela ne comptait plus. Souveraine aussi bafouée que toujours reléguée à ses principes de l'honneur et de la justice, la reine savait que son époux forcé allait être puni pour ses actes, mais que son peuple devait également être châtié pour ses crimes et son inévitable décadence.

« Fuis pendant qu'il est encore temps, gardienne de nos traditions. Fuis en Terre du Milieu, c'est ta reine qui te le commande, fuis loin de ces côtes dépravées, fuis, loin de moi, loin d'Ar-Pharazôn, loin de la vengeance des valar… »

' Fuis…'

« Alors, je partirai. » décida Ithredil, et elle s'éloigna de la couche de la souveraine agonisante. « Mais sache que je ne fais qu'obéir à tes ordres, et que si jamais aucun navire ne voulait me mener en Terre du Milieu, j'attendrai la mort à tes côtés. »

« Merci, Ithredil. » commanda la reine. « Tu peux disposer, à présent. »

S'éloignant de la sombre silhouette de la reine, l'elfe détacha ses fragiles doigts de ceux, tremblants, de cette belle dame sombrant dans la mélancolie et le fatalisme.

« Oui, ma dame. » murmura Ithredil en s'inclinant respectueusement à la manière numénoréenne, dernière relique de la culture qui allait reposer dans les abîmes abyssales du royaume d'Ulmo.

« Ithredil ? »

« Oui ? » dit-elle en se retournant.

« Ne sois pas triste pour moi. Je suis morte le jour où Ar-Pharazôn m'a pris pour femme. »

« Et moi je serai morte le jour où Numénor ne sera plus. Je serai morte lorsque vous serez morte, ma dame. Je vais donc bientôt mourir, et vagabonder dans les allées de l'immortalité en voyant tous les joyaux des hommes s'effacer un à un dans les ténèbres. Quand il ne restera plus rien, je n'aurai plus aucune raison de vivre… »

« Là est ta destinée, Ithredil : tu ne peux la changer. »

Ouvrant brusquement la porte d'entrée, Ithredil s'engouffra dans le salon de l'herboristerie, là où l'attendait Amani, prête à enlever son manteau et à l'installer dans un des fauteuils. Mais, refusant son aide, l'elfe retira sa cape, souleva délicatement son capuchon et laissa apparaître son visage. Emacié et fatigué, marqué par de grises cernes de tristesse et de deuil, Ithredil paraissait changée.

Ses habits noirs de vagabonde et les armes qu'elle portait à sa ceinture indiquaient clairement que son voyage n'avait pas été de tout repos. Crispant ses beaux doigts sur sa tunique, elle la souleva par-dessus sa tête, la fit tomber au sol, dévoilant une sorte de corset de couleur sombre, indéfinissable, parfois bleu marin et parfois noir, parfois brun et parfois rouge pourpré. Amani admira longuement ce corps d'immortelle parfaite, marqué de quelques cicatrices ça et là et de blessures un peu plus récentes, suintant viscéralement d'un sang noir et infecté ou d'un liquide de vie vermeil propre et clair.

La vieillarde referma donc la porte avec empressement, ravivant le feu et posant les vêtements mouillés de l'elfe en face du foyer, prenant ses armes et les nettoyant précautionneusement avec un chiffon poussiéreux. La lame était encore couverte d'un sang séché et amer, un sang monstrueux d'orque ou de warg. Mais le plus terrifiant pour Amani était certaine de découvrir qu'il n'y avait pas que du sang d'ennemi sur cette épée. De la chair en état de décomposition, restée dans les interstices énigmatiques des runes lunaires, semblaient clairement d'origine humaine.

Pinçant ses lèvres, la vieille femme se retint de poser des questions, de peur de s'attirer le courroux de sa protégée qu'elle aimait comme une fille mais qu'elle ne pouvait s'empêcher de haïr, par moments, pour son comportement indifférent envers sa propre enfant. Elle admira longuement le pommeau, le coupant de la lame, et toutes les inscriptions qui y étaient gravées, impressionnée par le talent jadis des forgerons de Doriath, car cette arme appartenait au père d'Ithredil, un soldat disparu durant une campagne militaire. Epée paternelle et violente, mais également épée défensive, arc de point bâtard, flèches gobelins, couteau gondorien, toutes ces choses qui servaient plus à la défense d'un rôdeur qu'à l'offensive gratuite.

Et dire que ces mains tueuses et redoutables avaient également donné naissance à une multitude d'enfants ! Herboriste et sage-femme, guerrière et historienne, diplomate et géographe, Ithredil possédait de nombreux talents, de nombreuses qualités, accumulés tout au long de son immortelle existence, mais la femme cultivée et pacifiste par nature qu'elle était se révélait parfois d'une franche et horrible cruauté envers ceux qu'elle considérait comme ses ennemis. Certes, elle haïssait les armes mais s'en servait, et aimait les enfants mais ne voulait pas s'occuper de la sienne.

« Je… » commença Ithredil d'une voix rauque et voilée, teintée de cette noblesse elfique caractéristique des descendants du premier âge. « Je…je n'ai pas pu venir avant. Des affaires en Gondor. » dit-elle, concise et brève.

« Fanyarë vous a beaucoup réclamée. » déclara Amani, fronçant les sourcils, inquiétée par le comportement pensif de l'elfe. « Vous avez été absente longtemps, je ne pense que vous seriez capable de la reconnaître. »

Un timide sourire illumina le visage boueux et rougi par le froid, se dessinant dans la lumière au lieu de se dissimuler dans l'obscurité ambiante. La tiède chaleur émanant du foyer offrait cette atmosphère ambrée, mielleuse et crépusculaire, et à l'abri de la neige et du vent, Amani ressentait cet intense sentiment de sécurité tandis que l'elfe ne demandait qu'une seule chose, sortir de cet étouffant carcan familial pour retrouver les chemins et les plaines, les ruisseaux et les montagnes de la Terre du Milieu. Trop longtemps contrite dans un milieu bureaucratique, Ithredil ne voulait plus de ces cottages bien rangés, de ces jardins bien entretenus.

« Reconnaître… ? Va-t-elle me reconnaître, dans cet état ? » demanda Ithredil.

« J'en doute. » répliqua Amani d'un ton condescendant. « Vous n'êtes plus que l'ombre de vous-même. »

« Originellement, je ne suis qu'une ombre, Amani. Un témoin se réfugiant dans sa passivité et sa lâcheté. J'ai bien conscience de mon humanité…et Fanyarë risque d'être jetée sur l'échiquier de la vie en tant que reine, et non guerrière. »

« Est-ce une reine que vous attendez là ? » dit Amani. « Non. Votre fille est bien plus qu'une reine, c'est une déesse. Une divinité des plaines. Une divinité sauvage… »

« Ce n'est qu'une enfant. »

« Etes-vous certaine de vouloir en faire une reine ? »

« Je ne suis plus sûre de rien. Mais… » murmura Ithredil. « …elle devra s'acquitter de sa tâche tôt ou tard, vous le savez aussi bien que moi. »

« Elle n'est pas souveraine de son destin. Elle ne l'a jamais été. Croyez-vous que son tempérament s'accordera parfaitement à vos aspirations, Ithredil ? Les valeurs que je lui transmets ne sont pas les vôtres. »

« La sauvagerie… »

« L'intégrité. » corrigea Amani. « Vous ne suivez pas vos idéaux, Ithredil, je le sais. Vous acquérez l'honneur et la force, au détriment de vos espoirs. »

« Une enfant ne peut pas porter tout mon héritage. Mais elle peut l'apprendre. Quant à mon espoir, il est depuis longtemps déchu. Il ne me reste que la déchéance…et l'éloignement. »

« Cet éloignement vous détruit. Petit à petit, vous dépérissez, faute de n'avoir pu élever votre fille comme vous l'auriez voulu. »

« Ce que je veux… » soupira-t-elle.

Elle voulait les hautes herbes, l'espace sauvage, indomptable et à ce jour indompté, méconnu et conspué par les grands de ce monde. Ce n'était pas une rôdeuse, mais une aventurière, en quête de choses inimaginables, de connaissances que personne d'autre ne pouvaient posséder, de plantes et de fleurs curatives et néanmoins totalement inconnues de la civilisation occidentale qu'étaient les régions de l'Eriador et du Rhovanion.

Sa chevelure d'un châtain clair, bouclée et soyeuse, se divisait en plusieurs teintes plus ou moins sombres, plus ou moins flamboyantes, donnant ainsi un dégradé de couleurs gracieux mais affadi par le temps et la neige qui tombait encore abondamment sur les plaines du Harlindon. Elle s'assit doucement sur un des fauteuils faisant face au foyer, et ferma les yeux, cachant ses lèvres gercées et les humectant de l'eau qui perlait encore du bout de ses phalanges. Ce baume apaisant la détendit un peu, mais un peu seulement, car Amani devinait encore le sillon des larmes qui avaient coulé sur son visage.

D'où provenaient ces larmes, la vieille femme ne pouvait pas le savoir, mais tout ce qui avait attrait à cette elfe était un mystère, de ses iris turquoises à son apparence plus belle que n'importe quel elfe – désormais bâtard en raison du modeste et de l'ingrat sang qui coulait en leurs veines – en Terre du Milieu.

Celeborn, Cirdàn et Galadriel étaient eux aussi issus du premier âge ou des temps antérieurs à la chronologie, et eux seuls possédaient cette beauté commune aux réels descendants directs des plus nobles branches des familles elfiques. Ithredil était la quatrième, mais son contact prolongé avec les hommes avait quelque peu terni sa beauté, ne laissant qu'une pâle copie de la petite fille découvrant la magie de Luthien qu'elle avait été.

« Et…a-t-elle grandi ? » questionna Ithredil, ne semblant que peu intéressée du sort de sa progéniture. « Je veux dire, a-t-elle mûri ? » inquiète, sans doute, de savoir si sa fille était en âge de comprendre son destin ou pas.

« Plus que vous ne pouvez l'imaginer. » répliqua simplement Amani en lui préparant son dîner. « Elle me pose sans cesse des questions, notamment sur son père. Tenez, aujourd'hui par exemple… »

« Je ne veux pas le savoir. » coupa Ithredil d'un ton sec, indiquant qu'elle ne devait pas aborder le sujet de son défunt époux.

« Pourtant, un jour, Fanyarë demandera le droit à la vérité, et là, Ithredil, vous n'aurez plus le choix. Vous seule pouvez lui apporter les réponses à ses questions, et le plus tôt sera le mieux. »

« Le plus tôt…sera le mieux ?» se demanda-t-elle. « Espérons que les valar retardent cette échéance, je ne veux pas avoir affaire à mes propres démons…Je ne veux plus faire face à mon passé, je veux corriger mes erreurs et transmettre l'héritage à ma fille, rien de plus. Numénor est morte, je m'en sens responsable, mais la seule manière de le faire est de transmettre graduellement tout ce que je sais. »

« Une petite fille de sept ans est incapable de comprendre tous vos souvenirs, Ithredil. Savez-vous au moins à quelles terreurs cette enfant doit faire face ? Vous possédez ce dur passé, ne l'imposez pas aux autres. »

« J'y suis forcée. Sinon, qui perpétrera la légende de Numénor ? Tout ce savoir perdu aux oubliettes des annales elfiques ? Cela ne doit pas arriver. »

« Et tous les meurtres, les batailles et les conservations politiques, qu'en fera-t-elle ? Et de tout ce sang versé, qu'en fera-t-elle ? » questionna Amani d'un ton indigné. « Votre absence, Ithredil, est une infamie aux cauchemars qu'elle vit sans cesse depuis plus de deux ans. Depuis le jour où vous avez décidé de sortir de votre deuil et de porter à nouveau cet anneau maudit ! »

« La mort de mon époux a été un bouleversement. Cela a été l'élément déclencheur de la mémoire de Numénor, je ne peux plus l'arrêter. L'évolution est en passe de commencer, les cauchemars de ma fille ne feront que s'accentuer jusqu'à ce qu'elle les comprenne enfin. »

Avec mélancolie, elle scruta le moindre détail de l'anneau phénix aux yeux de sang et de cendres. Son bec, ouvert dans un hurlement d'agonie et de renaissance, un hurlement de mort à la postérité, crachait du feu et ses griffes, sous tension et crispées, semblaient attaquer un ennemi invisible et sournois, le temps. Puis, elle releva les yeux, observant la silhouette ridée et courbée de la vieille femme, sachant que la renaissance du phénix n'avait jamais lieu chez les humains. Bien au contraire, érodés par les successives épreuves qui s'imposaient à eux, maladies, guerres et paix, les hommes se devaient de mourir afin d'offrir un héritage plus court et plus facile à transmettre à leurs descendants. Ithredil, elle, devait offrir une histoire de trois mille ans à sa fille, par le biais de ce phénix que l'on disait investi de pouvoirs magiques.

De dos, Amani sentait le regard découragé et épuisé de l'elfe. Oui, elle n'accordait qu'une importance mémorielle à sa fille, son enfant, son sang, la chair de sa chair, et pourtant cette maternité pour la vieille femme avait un penchant de maladresse, Ithredil ne savait pas comment élever un enfant et ne saurait sans doute jamais comment s'y prendre avec la déroutante naïveté et innocence de l'enfance.

« En vérité, je crois être incapable de m'occuper correctement de Silmarien…ou Fanyarë, comme vous la nommez dans le village…Je me sens à présent prisonnière de ce lieu où je me sentais jadis en sécurité. » expliqua Ithredil.

Cette confusion des prénoms de la petite fille, élaborée à partir d'un désaccord entre un homme et son épouse, devenait de plus en plus complexe à mesure que les années passaient. Fanyarë avait toujours tenu à ce qu'on l'appelle ainsi, et refusait obstinément tout changement, et ce malgré l'entêtement de sa mère. La fillette avait un caractère de feu, et si sa génitrice décidait de l'envoyer en voyage avec elle, les conflits deviendraient de plus en plus nombreux et Fanyarë ne serait plus réceptive à l'oppressant héritage des souvenirs de Numénor et d'Ithredil entremêlés.

La jeune femme s'avança devant la ruine et le désespoir, le sang et le deuil. Cette immense porte, qui jadis avait été scellée de l'Anneau de Melian, n'était plus qu'une arche vide où demeuraient tristement quelques lambeaux d'un bois vermoulu et de gonds rongés par l'amère morsure de la rouille. La pluie battante s'engouffrait dans les interstices laissés par ces belles bannières dont les couleurs affadies n'offraient même plus de contraste avec le ciel, volute grise et triste, en opposition avec cet hiver qui avait été chassé par Luthien lorsqu'elle était encore présente dans le royaume d'Elu Thingol. Laissée à l'abandon, la puissance civilisation qui donnait de la joie et de la beauté au Beleriand n'était guère plus qu'une cité fantôme et une multitude de petites villes où planait l'odeur de la mort, là où même les animaux sauvages ne voulaient pas s'aventurer par peur des troupes de Morgoth qui rôdaient encore dans les environs.

Cela faisait longtemps qu'Ithredil n'avait plus peur des orques, et des wargs, et des gobelins. Elle en avait assez de fuir, alors elle n'avait d'autre choix que d'admirer la décadence d'empires les plus brillants les uns que les autres, mais aveuglés par cette luxure et cette opulence qui s'offraient à eux. Aveuglé par les Silmarils, Fëanor avait lentement sombré dans cette folie instigatrice où les frères tuaient les sœurs et où les fils trahissaient leurs pères. Thingol avait proposé une alliance aux nains, alliance symbolisée par leurs joailleries respectives. Mais sceller un collier naugrim à la perfection artisanale elfique était une mauvaise chose, et cela causa la perte du grand roi qui périt sous les coups de hache des nains, jadis amis, et désomais ennemis. Et ils allaient le rester des millénaires, jusqu'à l'avènement d'un conflit qui allait occuper toute la durée du troisième âge, ce qu'on appella la Guerre de l'Anneau. L'heure, toutefois, n'était pas à se disputer un Anneau maléfique, mais à réparer tout le mal qui avait été fait. Cela prendrait nécessairement du temps, mais le temps pansait toutes les blessures, y compris les plus profondes et les plus secrètes, mais également les plus évidentes, comme ces maisons sans toit et ce palais sans vie, trônant sur la grande place de la capitale de Doriath, Menegroth.

« Et maintenant, la seule chose qui demeure en ton empire, Thingol, est l'espoir que tu as placé entre mes mains…je n'étais qu'une fille du peuple, et ton épouse, ta tendre et chère épouse, elle, avait raison en m'offrant la mémoire. Mais ne suis-je qu'une porteuse de la mémoire, Thingol ? NE SUIS-JE QU'UNE PORTEUSE DE L'INFAMIE, MELIAN ! Ne suis-je… » murmura-t-elle, le calme après la tempête.

Elle soupira. Ici, à Beleriand, tout avait été ravagé. Tout, y compris la maison d'Ithredil. S'avançant au-delà des larges avenues, elle s'engouffra dans le dédale des maisonnettes et des appartements des quartiers populaires, trouvant à chaque fois quelques bijoux, et des mauvaises herbes qui poussaient entre les pavés, doucement mus par un vent d'ouest, frais et impétueux. Ithredil se pencha au-dessus des pétales desséchés d'une fleur qu'elle connaissait bien, une fleur qui avait accueilli la naissance de Luthien comme autant d'oriflammes argentés à la luminescence givrée, comme dépourvue de toute chaleur. Quelques petites baies dorées reposaient encore au sol, et, en les effleurant de ses blanches phalanges, il s'en échappa une poudre d'or qu'Ithredil savait dotée d'un haut pouvoir guérisseur. Mais cette guérison feignait à présent de ne savoir qu'orner les dernières pierres d'un royaume mis à bas par la convoitise et la haine.

« Niphredil… ? » se demanda l'elfe. « Serait-ce là la plante de Luthien ? Serait-ce…le secret de Luthien… ? »

La niphredil. Petite étoile givrée qui ne poussait que dans les clairières les plus pures de Beleriand. Emergeant de la terre, une délicate candeur semblait émaner des profondeurs terrestres et resplendir de cette beauté que seuls les elfes savaient façonner, à leur guise, donnant à leur art des formes autant diverses que reconnues dans le monde artisanal. Plus loin, le vent maritime apportait d'étranges nouvelles d'une âme qui vagabondait en chantant et en dansant, comme Tinuviel le faisait jadis, enchantant les bardes tels d'amoureux enfants.

Et on disait qu'Ithredil avait nommée d'après cette jolie fleur, mais cela n'était qu'une légende. La racine de son prénom remontait en réalité à des temps plus anciens où les valar et les elfes vivaient en paix sous la lumière des arbres. Depuis, cette langue oubliée avait été perdue, comme avait été perdue la grandeur de Doriath et la splendeur de Numénor. A chaque fois, l'elfe était investie d'une mission de protectrice, mais elle ne semblait en réalité qu'une bien piètre observatrice de l'apogée qui s'offrait à elle puis de la décadence dont elle se rendait, inconsciemment, responsable.

« Oh, Luthien, je crois n'être qu'une actrice passive du drame humain qui a eu lieu en ces terres…Je ne suis pas à la hauteur de ma présence ici…Je ne suis pas là pour voir tout le monde et rester toute seule… » chuchota-t-elle, en une prière adressée aux étoiles. « Survivante parmi les flammes, je reste debout lorsque les autres tombent, et je crains que cela est ma malédiction. Et ma destinée. »

Plus tard dans la nuit, alors que la lune étincelait de ce redoutable éclat qui rendait l'orage aussi versatile qu'une pluie d'étincelles argentées, un bruit vint réveiller la maisonnée et Ithredil fut la première à mettre sa cape, descendre les escaliers en trombe et ouvrir la porte. Une série d'éclairs zébrèrent le ciel tandis que la neige se mêlait à l'averse en une boue désagréable et coupante. Les deux enfants, réveillés par cet assourdissant vacarme des éléments qui se déchaînaient, furent surpris de voir qu'Amani se trouvait de dos, dans l'encadrement de la porte.

Faiblement éclairée par une frêle bougie tremblotante, la vieille femme grelottait de froid et pourtant restait sur le pas de la porte, telle une fantomatique vierge offerte aux éléments furieux. Declan crispa sa petite main d'enfant sur le pan de la robe de sa grand-mère, et lui lança un regard interrogatif. Amani lui fit un triste et regrettable sourire d'esprit évanescent, puis continua à regarder l'étrange scène qui avait lieu sur la petite place de Neige. Dans l'obscurité, le petit garçon et son ancêtre ne purent guère discerner quoi que ce soit. A peine pouvait-on distinguer deux silhouettes informes et battues par le vent maritime, harcelées par la pluie, perdues dans l'immensité neigeuse de la surface neigeuse du Harlindon. Fanyarë, elle, sentait ce danger oppressant qui désormais lui nouait les entrailles et comprimaient ses sens dans un étau indifférence de fadeur et de grisaille. Il n'y avait aucune douleur en elle, aucune compassion, aucun sentiment enfantin présent en son cœur. C'était comme si une autre personne s'appropriait son corps, une personne qui avait jadis été une enfant malheureuse et un esprit fier et droit. Mais cette droiture, Fanyarë ne pouvait pas la ressentir, ni la comprendre.

Loin, dans cette neige écarlate d'un sang imaginaire, la givre venait de jeter son dévolu sur l'étendue sablonneuse de la place, alors que ces deux ombres, énigmatiques étrangers, se révélèrent être en réalité Ithredil, plus fine et plus chétive comme tous les elfes, et la noble stature d'un rôdeur du nord, au visage mal rasé, à la chevelure entre le roux et le brun, teintée de poivre et sel, aux yeux perçants, d'un vert si puissant et si artificiel qu'il paraissaient avoir été ciselés d'une main de maître, d'un joaillier numénoréen ou d'un bijoutier elfe. Quoi qu'il en soit, cet homme, étranger, au visage dur, buriné par le travail et les années de voyage hors des sentiers battus, possédait cette impression de mélancolie et de fatigue extrême. Le regard de petite elfe de la fillette sondait les profondeurs de l'âme de ce vagabond, et elle vit que ses intentions n'étaient pas mauvaises. En réalité, s'il eût été rasé et s'il arborait un sourire au lieu d'un froncement de sourcils fort inquiet et pensif, l'enfant aurait pu le trouver charmant, voire même accueillant. Mais l'heure n'était pas aux préjugés, Fanyarë le savait, la venue de cet homme allait l'arracher au doux foyer d'Amani pour la lancer dans la vie adulte du voyage et de la haine, de l'hypocrisie et de la démagogie. Sans vouloir l'avouer, elle avait peur. Peur de ce lendemain alors qu'elle vivait jusque là du jour au jour, peur de ce futur qu'elle ne voulait pas assumer, peur de ce passé qui n'était pas le sien, peur de cet inconnu pourtant si exaltant mais cachant bien des secrets et bien des mensonges…

Oh, et ces mensonges se répétaient en son esprit…Encore et encore et encore, mélodie hargneuse, harmonie narquoise dans la brume du mystère, jamais la fillette n'avait ressenti une telle froideur face à des événements qui étaient loin de l'être. Voyant sa mère, tellement belle, tellement douce, tellement distante et tellement énigmatique, posant ses belles mains dans l'étreinte et la protection de cet aventurier, elle sentait monter en elle une envie de partir en voyage et de découvrir ces couples dont parlaient ces légendes, ces dames elfes qui avaient choisi la mortalité par amour, afin d'épouser l'humaine avec lesquels elles rêvaient de passer le reste de leur existence. Mais de quelle existence s'agissait-il ? Fanyarë avait-elle le choix ? Toutes ces questions, posées par la petite fille, ne trouvaient aucune réponse. Mais, à cet instant, elle observait longuement le regard terrifié d'Ithredil et la présence rassurante de cet homme dont elle ne savait rien. Toutefois, rien ne présageait que cela fusse si grave. A moins que…

Non. Quitter Neige si tôt, alors que le printemps venait à peine de commencer ? Les valar autorisaient-ils de telles injustices ? Le destin de sa mère était-il à ce point triste et à ce point extraordinaire ? En y réfléchissant bien, Ithredil avait toujours été présente au mauvais moment et au mauvais endroit, ce qui faisait d'elle un poussiéreux grimoire d'histoire à la couverture de velours et de soie, d'or et d'argent, de bronze et d'airain, parfaite, belle niphredil à peine éclose mais ne recelant que des pétales, des pages vierges. Vierges de tout détail compromettant, vierges de toute histoire dérangeante, vierges de toutes ces choses qui avaient conféré à Ithredil la capacité unique à ressembler aux humains. Et peut être était-ce ce dont elle rêvait, d'être une humaine ? Pour Fanyarë, petite fille de sept, cela était une notion incompréhensible, inconcevable, et cependant à jamais imprescriptible. Car jamais ces images infâmes n'allaient être effacés de son esprit, l'infâme alliance entre un humain descendant de Numénor et une elfe ayant vécu sur l'île étoilée une majeure partie de son existence.

Et si Fanyarë ne savait pas parler l'elfique, ou du moins, pas encore, les mots qui coulaient de la bouche de sa mère tel un doux ruisseau aux tendres clapotis, lui semblaient familiers, comme si…la langue de son peuple avait toujours été inscrite en sa mémoire. Cette mémoire collective, elle n'en n'avait que faire, mais plus tard, cela serait sans doute d'une utilité certaine. Hypnotisée par ce vocabulaire, cette grammaire, cet accent si étrange, si lointain, et pourtant si proche de ce qu'elle était, Fanyarë se prit à rêver de ces mondes elfiques détruits par la convoitise de Morgoth et la corruption qui s'était ardemment exercée au sein des différentes familles royales des sindar et des noldor. Roulant la langue pour donner des sonorités bien distinctes à chaque mot qu'elle prononçait, la petite fille, inconsciemment, traduisait chacune de ses paroles. Elle comprenait chacun de ces mots, et pourtant ne les avait jamais entendus.

« Vàquetin ana valcanëse…mì ta ohta. Ta nàya, là sì… » murmura-t-elle, indignée.

Je refuse de la torturer…au nom de cette guerre. Ce n'est pas la sienne, pas encore…

Cette voix si suppliante, si affligeante, terriblement mélancolique, perçait les oreilles de la petite fille et rendaient ses sens aussi confus que s'ils fussent eux aussi perdus dans les éléments de l'eau et de la terre entremêlés ensemble dans une mélodie anarchique de sentiments bannis. Et le feu, entre autres, venait ponctuer cette grise noirceur où pas même la beauté d'Ithredil ne semblait émerger.

« Uinlyë arwa i-cilmë, hiril nîn Ithredil. Arwalyë mi i-men yassen vanwa selma hirse, arwalyë nyarinse manen na nurta ve nurtalyë mi vanwië lùmë. Arwalyë sina hehtanë norë, apa lëo roquense. » répliqua le rôdeur d'une voix se voulant rassurante.

Vous n'avez pas le choix, ma dame Ithredil. Il faut la mener en un lieu où personne ne pourra la trouver, il faut lui apprendre à se cacher comme vous vous êtes cachée par le passé. Il faut fuir ces terres maudites, avant que l'ombre ne la prenne.

Son apparence de soldat mercenaire était rude, et son visage marqué par les années de combat acharné et d'escarmouches sanglantes recelait de cette ancienne noblesse numénoréenne qu'Ithredil avait connu, jadis, auprès des rois et des reines de l'île étoilée. Mais ses armes étaient uniques, forgées en Terre du Milieu par ses soins, et également gravées, comme la lame de l'elfe, de runes imaginaires et d'incantations magiques destinées à renforcer le pouvoir destruction du fer guerrier.

Dans cette neige omniprésente qui tourbillonnait autour de leurs deux silhouettes tel un voile d'ithildin au-dessus de leurs têtes, ils formaient un véritable couple à l'épreuve du temps, malgré l'éphémère de ce Sedric et l'éternelle existence d'Ithredil.

Leurs habits, crasseux, couverts de boue, de sang, et de quelques flocons de neige insultant leur beauté et leur prestance naturelles, semblaient néanmoins, quoique affadis, issus de ces grands héros ayant marqué l'histoire d'Aman.

Et, dans un souci d'équité face à leurs ennemis, ils refusaient tout bijou et toute parure inutile. La seule chose qui étincelait désormais dans ce tourment hivernal était l'anneau phénix et ses yeux vermeils qui se démarquaient de toute autre ombre perdue dans le givre environnant. Cependant, ces yeux n'avaient plus rien de redoutables, ils étaient terrifiés.

« Nyahìna nà nya eressë estel, Sedric. Vandan, àva vaquetan nya aryon faica. Sina nà ilya maquetnyë nalyë. » implora-t-elle en caressant son visage.

Mon enfant est mon seul espoir, Sedric. Je t'en supplie, ne spolie pas mes efforts inutilement. C'est tout ce que je demande de toi.

« Ohta nà harë, hiril nîn. » prévint Sedric.

La guerre est proche, ma dame.

Fermant les yeux, l'elfe semblait se plonger dans une de ces réflexions sans fin, des matières en lesquelles elle n'avait aucune connaissance. Et pourtant, quelle situation familière, en un temps où les décisions devaient être prises rapidement… !

« Que se passe-t-il, grand-mère ? » ce fut Declan qui brisa le pesant silence de l'elfe, la réveillant de sa rêverie où elle fouillait sa mémoire en quête de réponses.

Ithredil n'en trouva malheureusement aucune.

« Je ne sais pas. » répondit Amani. « On dirait qu'ils préparent un événement important. Quelque chose agite la frontière à l'est. Ce rôdeur est ici pour nous avertir du danger. »

« Quel danger ? » questionna Fanyarë de sa petite voix fluette.

La vieille femme haussa les épaules, n'en sachant rien. Toutefois, cette poussière acariâtre qui se levait au-delà des montagnes de l'horizon étaient le signe d'une montée de l'ombre en Terre du Milieu.

« Peut être que les orques ont fui le Mordor pour venir ici… » songea Declan.

La magie se mit alors en place et au lieu de voir des plaines encore vertes lorsque Sauron n'était pas encore en Terre du Milieu, Fanyarë vit la mort, la désolation, et les yeux du phénix qui se formaient dans la brume de l'embrasement de l'horizon. Et faisant face à cette infamie calcinée et rougeoyante, la petite fille voyait une belle cité blanche dont les bannières, représentant un arbre blanc, claquaient au vent.

« La région de l'ombre. Sauron vient d'émerger. » répliqua le rôdeur en s'avançant vers la petite fille.

Cette dernière se contenta de lui darder un regard fier et droit, et Sedric reconnut, dans la clairière de ses yeux, le fougueux caractère de la belle Ancalimë, cette obstination, cet entêtement si marqué et le tempérament sauvage d'une fille élevée dans le nord, dans le froid, la pluie, la neige et le vent. Pourtant, rien dans sa farouche apparence n'indiquait qu'elle était la fille d'Ithredil Ravelyn, l'une des dernières descendantes de la pureté elfique. C'est alors que Sedric prit les petites mains de l'enfant et les serra entre les siennes, gantées de velours et légèrement tremblantes.

Erendis aurait souhaité prévenir la rencontre entre Ancalimë et son père, mais elle craignait d'aller trop loin et de perdre la faveur du Roi ; et les membres du Conseil avaient depuis longtempsmanifesté leur mécontentement de ce qu'elle élevât l'enfant à la campagne. Aussi lorsque Aldarion revint à cheval avec Hendrech, Ancalimë se tenait sur le seuil aux côtés de sa mère. Et elle était là, debout, toute droite et raide comme elle, et ne lui fit aucune grâce ou civilité, tandis qu'il mettait pied à terre et montait les marches vers elle.

« Qui es-tu ? » dit-elle. « Et pourquoi me fais-tu lever de si bonne heure, avant que quiconque dans la maison soit éveillé ? »

Aldarion la devisagea attentivement, et bien qu'il gardât une contenance sévère, en son for intérieur, il souriait, car il discernait en elle une enfant de son propre sang et non de celui d'Erendis, et cela en dépit de toute l'éducation qu'elle avait reçue.

« Il fut un jour où tu me connaissais, Dame Ancalimë. » dit-il. « Mais qu'à cela ne tienne. Aujourd'hui je ne suis qu'un messager venu d'Armenelos, te faire souvenir que tu es la fille de l'Heritier au Roi ; et (pour autant que je puisse juger) que tu seras son Héritière à son tour. Tu ne vivras pas toujours en ces lieux. Mais maintenant, Dame, va-t'en retrouver ton lit jusqu'à ce que ta chambrière soit levée, veux-tu ! Je suis pressé de voir le Roi. Au revoir ! » et il baisa la main d'Ancalimë et descendit les marches, il se mit en selle et, avec un geste d'adieu, il s'éloigna.

Erendis, seule à la fenêtre, le regarda qui chevauchait sur la pente de la colline, et remarqua qu'il se dirigeait vers Hyarastorni et non vers Armenelos. Alors elle pleura, de chagrin sans doute, mais plus encore de rage. Elle s'était attendue à plus de contrition de sa part, et qu'après l'avoir dûment réprimandé, elle eût le loisir de lui accorder son pardon, pour peu qu'il l'en eût priée, mais il l'avait traitée comme si elle était seule coupable et, à la face de sa fille, l'avait ignorée.

Trop tard, elle se rappela les paroles de sa mère, il y a bien longtemps, et elle vit en Aldarion quelque chose d'imposant, qui ne pouvait se domestiquer, animé d'une volonté implacable plus dangereuse encore lorsqu'elle agissait à froid. Elle se leva et se détourna de la fenêtre et elle songea, ulcérée, aux outrages subis.

« Dangereux ! » dit-elle. « Je suis d'un acier difficile à rompre. Et il pourrait bien s'en apercevoir, quand bien même il serait Roi de Numénor ! »

« En toi, petite fille fragile, je reconnais la gloire passée des dames de Numénor et la beauté des paysannes d'Emerië. Je vois les plaines de l'île étoilée, les côtes de notre capitale tombée, la mort d'Erendis, belle et impétueuse, je vois l'aventureux esprit d'Aldarion, je vois la force d'Ancalimë et la gracilité de Mirìel. Je vois en toi l'espoir d'un héritage humain, Fanyarë Silmarien Ravelyn. » dit-il avec un sourire aux lèvres.

« Avant de mourir, Ithredil… » commença Gil-Galad. « …J'aimerais vous donner un conseil. » chuchota-t-il en crispant sa main calleuse sur le pommeau de son épée. »

« Tu es une réminiscence d'Emerië, Fanyarë. » conclut Sedric.

La petite fille était trop abasourdie pour dire quoi que ce soit, à vrai dire, elle ne comprenait rien aux paroles de cet homme, de cet inconnu qui protégeait ses fines phalanges du froid, qui caressait délicatement sa tempe d'un geste affectueux, qui admirait ces minuscules taches de rousseur qui parsemaient ce visage encore trop enfantin pour être considéré comme féminin.

Au-delà de l'absence des oreilles pointues et de cette grâce qui caractérisait la race elfique, Fanyarë remarqua qu'ils avaient au moins une chose en commun, et c'était les taches de rousseur.

La petite fille sentait aussi une certaine difformité. Difformité qui le détruisait, petit à petit. Un mal le rongeait de l'intérieur, un mal invisible et méconnu, un mal qu'elle ne pouvait définir et que pourtant elle ressentait avec douleur et incompréhension.

Ses doigts de guerrier, sans doute calleux et ensanglantés de plaies infectées, tremblaient d'une maladie oh combien abhorrée par les populations humaines. Et ses membres pourrissaient de l'intérieur, sa peau se rétractait en un monceau de chair à peine humain.

Ce mal n'était pas la mort.

« Divisez et conquérez, Ithredil. » souffla-t-il. « Divisez et conquérez. »

Et la luminescence de l'anneau s'éteignit.

© Copyright Isylde - 2005

© Copyright J.R.R Tolkien – 1955