Le froid.
C'était la seule chose dont elle se souvenait, la seule chose qu'elle sentait encore malgré son engourdissement et ses pensées diffuses qui lui envoyaient des images mélangées, des souvenirs épars. Depuis combien de temps dérivait-elle ainsi?
Cela faisait combien de jours qu'elle n'avait ni bu ni manger?
Combien de temps qu'elle avait froid?
Elle eut un vague sursaut sur la planche, tentant dans une semi conscience de se recroqueviller pour contrer le froid qui l'envahissait lentement. Est-ce qu'elle allait mourir ici?
Sa tête lui faisait atrocement mal dès qu'elle essayait de penser à quelque chose de cohérent, de remettre ses idées en place. Dans une demi réalité, elle vit qu'il faisait nuit, et cela lui arracha presque un sourire amer: il n'y a pas si longtemps, elle aurait parié qu'il faisait grand jour… La notion du temps et des choses devenait plus diffuse au fur et à mesure que le froid grandissait.
Quelque chose bougea à côté de son radeau de fortune, cette vieille planche qui était la seule chose rescapée de… De quoi au juste?
Bizarrement elle ne se souvenait même plus de ce pourquoi elle était là.
La chose bougea de nouveau.
Quelque part, elle espéra que ce soit un requin ou quelque chose de dangereux, histoire d'en finir et de ne plus avoir à se demander ce qu'elle faisait là. Et ça ferait disparaître cette douleur à la tête. La chose lui attrapa le bras et elle fut tirer vers l'eau.
Finalement c'était presque mieux.
Enfin.
Le froid de la mer lui crispa tous les muscles, et puis il n'y eut plus rien.
…
…
Des voix.
Des voix lui parvenaient diffuses, lointaines, mais pourtant bien là.
Et elle n'avais plus froid.
Un sourire se dessina sur son visage: ainsi c'était ça de mourir?
Finalement tout ce qu'on racontait au sujet de la mort était faux, il n'y avait pas de lumière, pas de douceur. Seulement une impression de vide qui vous emplissait lentement, et vous faisait oublier les douleurs. Les voix semblèrent se rapprocher, après quelques secondes elle put saisir quelques mots qui auraient pu la faire sursauter si elle n'avait pas été dans une semi conscience encore loin du réel.
"Elle est en vie… Dans un sale état, mais en vie.
- Mmm.. Prenez soin d'elle pour le restant de la traversée."
Dans une lointaine réalité elle entendit des pas s'éloigner, puis une main se posa sur son front.
Son front?
Alors elle n'était décidément pas morte?
Si tel était le cas, où était-elle?
Sa conscience reprit peu à peu pieds dans la réalité, et son instinct de survie revint au galop, la faisant ouvrir les yeux. Son regard croisa presque aussitôt celui inquiet d'un homme d'un âge avancé barbu, mais au visage assez avenant, qui empestait le rhum.
"Comment vous sentez-vous miss?" Demanda-t-il d'une voix qui se voulait douce.
Elle regarda autour d'elle, soudain complètement affolée, ne reconnaissant pas cette pièce, ni cet homme, ni rien de ce qui se trouvait autour d'elle.. Dans un sursaut elle tenta de se relever, mais l'homme l'arrêta aussitôt, lui posant une main sur l'épaule en la forçant d'une pression à se rallonger.
"Ne bougez pas. Vous êtes blessée." Il lui passa un chiffon humide sur le front en lui souriant. "Vous pensez vraiment qu'on vous aurez sauvée si c'était pour vous tuer après?"
La tonalité de sa voix lui faisait un bien fou.. Cela faisait combien de temps qu'elle n'avait pas entendu ce ton amical? Elle tenta de se souvenir, mais la violente douleur à la tête revint aussitôt.
"Où suis-je?" Réussit-elle à articuler après quelques minutes d'efforts et de concentration.
Il se redressa sur son tabouret en lui adressant un large sourire.
"Enfin vous parlez! Un instant j'ai cru que vous étiez muette…
- Où suis-je?" Coupa-t-elle aussi rudement que lui permettait son faible état.
- Sur un navire, miss. Nous vous avons recueillie par nuit de tempête, au milieu de nulle part, à moitié morte."
Elle leva lentement les mains pour les passer sur son visage.
"Quel jour sommes nous?" Demanda-t-elle sans le regarder.
Il sembla un peu déstabilisé par la question, puis se pencha vers elle pour reposer le chiffon sur son front.
"Le 24 octobre miss."
Ses yeux s'ouvrirent tout grand sur le plafond de la chambre, et un court instant l'air lui manqua, faisant naître sur le visage de l'homme une réelle inquiétude.
D'après des calculs approximatifs, son dernier souvenir remontait à plus de deux semaines…
Quelque chose ne collait pas, elle ne pouvait pas être restée à errer sur l'eau pendant si longtemps sans mourir de faim ou de soif… Comment cela était-il possible?
Que s'était-il passé?
Une peur panique s'empara d'elle, lui étreignant le cœur au point de lui faire monter les larmes aux yeux, elle se sentait perdue, complètement perdue.
"Que se passe-t-il miss? Vous ne vous sentez pas bien?"
Elle tourna vers lui un regard de bête apeurée.
"Je ne me souviens de rien.. Je ne me souviens pas de ce qui s'est passé…"
L'homme devant elle baissa un instant les yeux avant de lui poser la main sur le front, dans un geste qui se voulait apaisant.
"C'est normal, vous avez du rester un bout de temps dans l'eau.. Il n'y avait pas la moindre trace de bateau autour de vous.. Reposez-vous, la mémoire vous reviendra avec vos forces. Vous êtes en sécurité ici.
- Où ici?" Demanda-t-elle plus doucement, alors qu'elle sentait ses nerfs se relâcher et le sommeil revenir la chercher.
"Vous êtes à bord du Black Pearl miss."
Ce fut la dernière phrase qu'elle entendit, elle discerna vaguement l'homme s'éloigner du lit, puis elle sombra dans un profond sommeil. Etrangement, le nom du navire l'avait rassurée, il sonnait comme quelque chose de connu à ses oreilles, quelque chose qui lui permit de dormir le plus calmement du monde.
Ce fut une longue nuit sans cauchemars.
Et pour ce qu'elle pouvait s'en souvenir, cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas dormi aussi sereinement.
Ce fut la faim qui la réveilla.
La première chose qu'elle remarqua avant même d'ouvrir les yeux, c'était qu'il n'y avait plus le moindre roulis.. Donc elle n'était plus à bord.
Alors une nouvelle fois, où?
Lorsqu'elle ouvrit enfin les yeux, ce fut pour croiser le regard d'un jeune homme en uniforme. L'uniforme de la garde anglaise. Il lui adressa un sourire un peu nerveux, puis se leva et quitta la pièce.
Elle le regarda partir avec un vague haussement de sourcils, elle devait vraiment avoir une mine affreuse pour qu'il se soit enfui comme cela. A moins qu'il n'aille prévenir quelqu'un.
Le quelqu'un arriva quelques minutes plus tard, alors qu'elle avait réussit à s'asseoir sur le lit et observait autour d'elle avec un léger sourire : cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas été dans une chambre propre.
L'homme qui venait d'entrer était plutôt agréable à regarder, il avait surtout une prestance impressionnante, sa présence se faisant sentir dans toute la pièce.
"Bonjour miss." Dit-il en s'inclinant à la façon d'un gentleman. "Vous vous sentez mieux?"
Pendant de longues minutes elle le regarda sans rien dire, elle se sentait mieux, oui, ça c'était certain, mais pour le reste..
"Je me sens surtout perdue…" Elle baissa les yeux, sentant les larmes lui monter aux yeux sans raison.
L'homme dansa un peu d'un pied sur l'autre, ne sachant pas vraiment quelle attitude adopter, puis il s'avança et prit place à côté d'elle sur le lit, toujours droit comme un "i".
"Je peux peut-être vous éclairer. Dites moi ce que vous voulez savoir."
Relevant les yeux, elle croisa son regard bienveillant et cela lui redonna un peu de courage.
"Où suis-je?
- Vous vous trouvez à Port Royal miss. Dans… Mes appartements.
- Qui êtes vous?
- Commodore Norrington miss."
Cette fois-ci elle écarquilla vraiment les yeux.
"Commodore?"
Elle n'avait qu'une vague idée des rangs dans l'armée, mais elle savait qu'un Commodore était haut placé.
"Pourquoi suis-je ici? Dans les appartements d'un Commodore…"
Devant elle il toussota légèrement avant de se lever et de faire quelques pas dans la pièce.
"A vrai dire miss, vous n'êtes pas vraiment dans mes appartements… Vous êtes dans une maison qui m'appartient un peu à l'extérieur de la ville.
- Vous ne répondez pas à la question Commodore.
- Très juste." Fit-il en toussotant de nouveau. "Nous vous avons recueillie devant la caserne il y a de cela trois jours. Un de mes hommes voulait vous porter à l'hôpital, et je l'aurais fait si je n'avais pas remarqué les… marques que vous portez aux bras."
Baissant les yeux, elle poussa un soupir en voyant les bandages qu'elle portait aux poignets, vestiges de ses années d'esclavage sur deux navires dont elle avait oublié les noms.
Se redressant au maximum elle le regarda dans les yeux.
"Je ne vois pas en quoi cela vous oblige à m'entraîner ici plutôt que dans un hôpital…"
Il dansa de nouveau d'un pied sur l'autre, fit quelques pas dans la pièce avant de se retrouver en face d'elle.
"Ne vous méprenez pas, ce n'est pas pour vous garder à mon service en toute discrétion. Il est des choses qui n'échappent pas à mes yeux. Certes, vous avez apparemment été esclave, mais vous portez également une autre marque qui a attiré mon attention.
- Laquelle?
- Vos oreilles sont percées. Autrement dit vous avez aussi porté des boucles. Or si vous aviez toujours été esclave, vous n'auriez pas eu droit à ce genre de bijoux. Donc à moi de vous poser une question : Quel est votre nom?"
Ce fut à son tour de baisser les yeux en se mordant la lèvre inférieure, bien sûr qu'elle se souvenait de son nom, vaguement, tellement vaguement qu'elle n'arrivait pas à le prononcer…
"Paha" Dit-elle sans lever les yeux. "Paha, c'est ainsi que je m'appelle maintenant.
Il haussa les sourcils.
"Paha? C'est étrange, votre visage m'est familier…
- Mieux vaut qu'il ne vous dise rien.Ca ne sert à rien."
Il eut un sourire amical pour la première fois depuis le début de notre échange et il revint s'asseoir sur le lit.
"Je me souviens vaguement d'une jeune fille qui venait en vacance ici rejoindre son père… C'est idiot, il m'est impossible de retrouver son nom.. Elle n'est plus venue du jour où…" Il la regarda longuement. "Il y a eu cette disparition du navire sur lequel elle effectuait le trajet…"
Il se releva lentement et marcha de long en large dans la pièce avant de se tourner de nouveau vers elle, les sourcils froncés. "Je n'ai pas voulu vous porter à l'hôpital car j'ai crains une affaire de ce genre, et une activité trop intense dans la ville.. Les rumeurs se répandent vite à Port Royal.. Le gouverneur a approuvé mon choix.. Mais si vous êtes effectivement la jeune fille que je crois que vous êtes, il est en autrement... Je dois en parler au gouverneur Swann. Vous n'auriez pas quelque chose qui nous donnerait plus d'indications sur vos origines? Il nous faut prévenir votre famille au plus vite dans ce cas."
Elle eut un soupir las en se rallongeant.
"Comment voulez-vous qu'il me reste quelque chose…"
Il arbora une mine confuse en se rasseyant près d'elle.
"Je suis navré, ma question n'était pas à propos."Il ôta son chapeau et la regarda longuement.
"Votre visage m'était familier. Je jurerais que c'est vous que je voyais si jeune il y a quatre ans. Miss, je pourrais moi garantir votre identité… Mais pour le gouverneur, même s'il est bienveillant, il exigera plus qu'un regard pour alerter votre éventuelle famille."
Il voulut lui prendre la main mais elle la retira prestement, le cœur s'accélérant d'un coup.
"Ne me touchez pas." Souffla-t-elle en se recroquevillant autant que lui permettait ses blessures.
"Je suis navré.. N'y voyez là aucun geste déplacé de ma part…" Il toussota de nouveau. "Vous devez avoir faim non? Pouvez-vous marcher?
- Je crois que oui.."
Il se releva avec un sourire.
"Bien. Des vêtements sont à votre disposition dans la pièce d'à côté, je vais demander à Emma qu'elle vienne vous aider à vous laver."
Il se dirigea vers la porte mais au moment de la franchir il se tourna vers elle et s'inclina.
"Je viendrais vous chercher quand vous serez prête miss, nous irons déjeuner."
Quelques minutes plus tard, une femme d'un certain âge entra dans la pièce, le visage avenant et le sourire aux lèvres. Sans un mot elle s'approcha du lit, puis tendit la main à Paha, qui la regarda avec un froncement de sourcils.
"Venez miss. Je vais vous aider à faire votre toilette, parce que vous avez vraiment mauvaise mine… N'ayez pas peur, je ne vais pas vous manger!"
Elle leva doucement la main et la posa dans celle tendue d'Emma, c'était une main pleine et rassurante, sans doute une main qui avait caressé maints enfants pour les rassurer. Elle avait depuis longtemps banni tout contact avec les gens, mais cette main lui fit du bien, l'emplissant de bien être, et un sourire naquit sur son visage, puis disparut aussitôt.. Le sourire pour les autres était aussi quelque chose qu'elle avait banni de son comportement.
"Eeeeh! Mais n'est-ce pas un sourire que je viens d'apercevoir sur cette frimousse sale?" Fit Emma en riant doucement. "Je pourrais en avoir un autre quand vous serez propre? Je suis sûre qu'il est magnifique!"
Disant cela elle l'entraîna vers la pièce voisine, où trônait une baignoire en fonte et des bacs d'eau chaude fumants.
"Je vais m'occuper de vous, vous n'allez plus vous reconnaître après!" Dit-elle en riant tout en commençant à ôter sa chemise.
Elle se crispa aussitôt et fit volte face, le visage soudain déformé par la peur.. Emma la regarda avec un froncement de sourcils, puis ses yeux s'agrandirent un instant en voyant les marques sur ses poignets, et celles sur son dos… Elle fit pourtant ce qu'elle put apparemment pour contrer sa surprise et éviter qu'elle ne la voit, puis poussa un petit soupir en murmurant une brève prière.
"Maudits soit ces hommes" Furent les seuls mots que Paha entendit alors qu'elle ôtait elle-même la chemise avant de se recroqueviller dans la baignoire.
Emma lui fit un sourire tendre en versant lentement l'eau.
"Vous n'avez rien à craindre ici miss. Mr Norrinton est un homme bon et un vrai gentleman. Cela fait trente ans que je suis au service de cette famille, je l'ai vu grandir vous savez…"
Elle se mit à lui raconter la vie du Commodore, ce qu'il avait fait pour en arriver là et surtout comment elle l'avait vu progresser lentement…
"Pourquoi n'a-t-il pas d'épouse alors?" Demanda soudain Paha alors que la femme lui rinçait les cheveux. "S'il est le gentleman que vous décrivez."
Emma reposa le seau avec un soupir avant de s'asseoir sur le bord de la baignoire pendant qu'elle se séchait.
"Il a failli épouser la fille du gouverneur, il y a deux ans de cela, mais elle était depuis toujours amoureuse d'un ami d'enfance à elle, un forgeron, alors il a cédé sa place."
Paha arrêta le mouvement de la serviette sur ses cheveux pour la regarder.
"Elisabeth?
- Vous connaissez la fille du gouverneur?
- Ce nom m'est venu tout seul à l'esprit… j'ai du jouer avec elle il y a longtemps…" Son mal de tête la reprit et elle laissa passer un soupir avant de regarder Emma de nouveau. "Le Commodore est un homme au grand cœur, pour l'avoir laissée choisir… Il est peu d'hommes au monde qui ferait preuve de tant de bonté."
La vieille femme hocha la tête avec un sourire, puis se releva pour l'aider à s'habiller, mais une fois de plus elle l'en empêcha.
"Je suis navrée.. Mais je préfère le faire seule.
- Je comprends mon enfant, je comprends."
Elle considéra les vêtements avec un froncement de sourcil, c'était une très belle robe, mais elle ne savait plus du tout comment ce genre de vêtements se mettaient.. Elle se tourna alors vers Emma avec une mine confuse.
"Vous n'auriez pas un pantalon et une chemise je vous prie? Je n'ai plus l'habitude de porter ce genre de robes et…
- Un pantalon? Pour une demoiselle? Mais il en est hors de question! Je vais vous aider à l'enfiler."
Cette fois-ci, Paha ferma les yeux et lui tendit la robe.. Il faudrait bien un jour que ses craintes ne disparaissent, et puis il s'agissait de s'habiller ici, pas le contraire…
Une forte douleur lui enserra le cœur mais elle ne dit rien, se mordant la lèvre inférieure pour contrer ses larmes. Elle ne voulait pas pleurer ici. Elle eut l'impression que la séance d'habillage dura des heures tant elle se concentrait pour ne pas s'enfuir en courant…
Quand enfin, elle fut prête, Emma la considéra avec un sourire.
"Vous êtes ravissante ma fille… Vous ressemblez d'ailleurs beaucoup à Miss Turner. La fille du gouverneur, c'est son nom depuis qu'elle est mariée."
Paha hocha la tête, le regard un peu absent, elle entendit encore Emma lui parler, mais la voix se faisait de plus en plus ténue, comme si elle s'éloignait. Son mal de crâne la reprit, le nom Turner évoquait quelque chose en elle, elle l'avait déjà entendu. Prononcé par quelqu'un d'autre. Une vague silhouette se dessina dans son esprit alors qu'elle avait fermé les yeux, une silhouette après laquelle elle courait depuis plus de deux ans.
Depuis cette journée.
"Miss? Miss? Vous allez bien?"
Elle fronça les sourcils, il lui fallait retrouver le nom de ce visage. Elle le connaissait, mais sa mémoire lui faisait faux bond.
"Miss!"
Ouvrant de nouveau les yeux, elle croisa le regard affolé d' Emma qui lui avait pris la main et la serrait doucement.
"Vous m'avez fait peur miss… J'ai cru que vous alliez vous évanouir.. C'est le corset qui est trop serré?
- Non, tout va bien… J'ai juste mal à la tête, ça va passer."
Lorsqu'elles passèrent la porte de la salle de bain, le Commodore était déjà dans la chambre, posté devant la fenêtre, les mains derrière le dos. Il se retourna à leur approche et eut un haussement de sourcils en les voyant approcher.
"Et bien… Hum.. Voilà une transformation radicale…" Il eut un sourire maladroit avant de s'incliner de nouveau. "Miss, vous êtes ravissante.
- Merci." Fit-elle, touchée par le compliment mais incapable de lui sourire.
Elle aurait aimé pourtant, mais pour l'instant, elle avait plus envie de pleurer devant tant de gentillesse qu'autre chose. Cela faisait trop longtemps que personne ne lui avait parlé de la sorte. Emma quitta la pièce silencieusement, la laissant appuyée contre une canne qui l'aiderait à marcher sans l'aide de quelqu'un.
"Comment vont vos blessures?
- J'ai connu mieux je pense, mais elles me font moins mal qu'il y a trois jours."
Il se tourna au moment de passer la porte pour la regarder avec un froncement de sourcils.
"Puis-je vous demander où vous étiez il y a trois jours?
- Le Black Pearl.
- Pardon?
- J'étais à bord du Black Pearl. Ou du moins il me semble… Ils m'avaient recueillie dans l'eau, et soignée. Je ne sais pas combien de temps je suis restée à bord, ni combien de temps je suis restée à dériver sur l'océan.. Mais s'ils n'avaient pas été là, je serais probablement morte."
Le Commodore eut un petit rire nerveux en tirant la chaise devant elle dans une salle à manger immense, avec une table couverte de nourriture…
Il s'installa ensuite en face d'elle alors qu'un domestique se mettait en devoir de les servir.
"Cela m'étonne et ne m'étonne pas…" Fit-il comme pour lui-même.
- Je ne comprends pas…" Dit-elle en relevant difficilement les yeux du jambon fumant qu'il y avait dans son assiette.
Le Commodore la regarda un instant avec un sourire amusé.
"Mangez, vous devez être affamée."
Elle ne se fit pas prier plus que ça et entama avec plaisir la viande qui se trouvait dans l'assiette, et qui en quelques coups de fourchette, n'y fut plus qu'un souvenir… Malgré sa faim, elle mangeait lentement, plus obligée par les marques à ses poignets qui tiraient sa peau que parce qu'elle voulait faire bonne figure. Relevant les yeux pour attraper un verre d'eau, elle croisa le regard attendri du Commodore.
"Vous ressemblez vraiment à cette jeune fille qui jouait avec Elisa… Miss Turner à une époque.
- Mes souvenirs ne sont pas encore très fiables, je retrouve des morceaux par moments." Répondit-elle en reposant sa fourchette. "Puis-je vous poser une question Commodore?
- Je vous en prie.
- Vous avez changé d'expression quand j'ai parlé du Black Pearl. Pourquoi?"
Il baissa les yeux un instant, joignant les mains au dessus de la table, semblant plongé dans ses pensées, puis il la regarda de nouveau.
"Parce que le Black Pearl est un navire de pirates. Les plus connus dans les mers des Caraïbes, et même au delà je crois. Parce qu'il est étonnant qu'ils vous aient si gentiment déposée devant la caserne."
Il marqua une pause avant de reprendre. "Mais il est vrai que leur capitaine n'est pas un tueur, ni un maître d'esclaves. C'est la seule chose dont on pourrait les remercier parmi tous leurs vols, c'est qu'ils ne font jamais aucune victime, ni aucun prisonnier."
Il se leva et fit quelques pas pour se poster près de la fenêtre.
"A vrai dire, nous les traquons sans relâche depuis des années, mais il nous est impossible de les rattraper, leur navire est le plus rapide que j'ai jamais vu. Quant à l'endroit où il mouille quand ils ne parcourent pas les mers, nous ignorons où il se trouve. Le plus vraisemblable serait Tortuga, la ville des pirates, mais il nous est impossible de nous en approcher."
Se tournant soudain vers elle, il lui adressa un sourire tendu.
"Je suis navré, ces histoires ne sont pas très passionnantes, j'espère avoir tout de même répondu à votre question.
- Oui…" Dit-elle doucement en finissant un fruit.
Norrington reprit place en face d'elle, toujours aussi droit.
"Vous sentez-vous capable de sortir? J'aimerais vous présenter au gouverneur Swann."
Elle hocha lentement la tête, se demandant où tout cela allait la mener.
Ses paroles à propos du Black Pearl avaient éveillé des choses en elle, des choses sur lesquelles elle ne parvenait pas à mettre de nom. Etrangement, elle avait l'impression que ses souvenirs autant que son destin étaient lié de près ou de loin à ce navire…
Finalement ils ne quittèrent la demeure de Norrington que deux jours plus tard, car elle ne s'était pas sentie capable de marcher sur une trop longue distance. Une calèche les emmena jusqu'au centre de la ville, où le Commodore l'aida à en descendre, puis il la guida au travers un dédale de rues.
L'animation dans la ville était à son comble, pour ce qu'elle s'en souvenait, Port Royal avait toujours eu des commerces florissants qui avaient fait sa renommée au travers du monde marchand.. et pirate… .Les marchands se partageaient la rue avec les militaires qui veillaient au bon déroulement des transactions, ou tout simplement au calme de la ville. Tous s'inclinaient sur le passage du Commodore, qui répondait chaque fois d'un hochement de tête, avançant lentement à côté d'elle en lui lançant de fréquents regards, comme pour s'assurer que tout allait bien.
A plusieurs reprises il la protégea de son bras quand un ivrogne ou un chariot passait trop près.
Ces attentions la touchait beaucoup, mais son attention était plutôt retenue par toute l'agitation qui se déroulait sous ses yeux… Ces dernières années elle avait été complètement privée de toute cette vie, et cela la ravissait presque plus que tout.
Ils parvinrent enfin à la caserne, où tous les soldats la saluèrent en même temps que le Commodore, qui se pencha vers elle discrètement.
"Voyez ces deux jeunes gens là-bas?" Il désigna en même temps deux soldats un peu à l'écart qui la regardait passer avec un franc sourire.
"Ce sont eux qui vous ont trouvée.
- Il me faudra les remercier alors.
- Je pense que la simple vue de votre personne en bonne forme leur est suffisante, mais si vous y tenez, je les convoquerais tout à l'heure."
Paha hocha la tête en leur adressant un signe de la main qui les fit sourire de plus belle avant qu'ils ne s'en retournent à leurs occupation.
Lorsqu'il ouvrit devant elle une lourde porte, elle se trouva en face d'un imposant bureau sur lequel s'entassaient de nombreux papiers plus ou moins rangés, où un homme d'âge avancé à la longue perruque grisonnante y écrivait quelques notes.
Il releva les yeux en les entendant entrer, et eut un large sourire amical.
"Commodore! Je vous attendais.
- Bonjour Gouverneur."
Paha tenta de faire une révérence, autant que lui permettait ses blessures.
"Bonjour Gouverneur."
Celui-ci la considéra longuement.
"Est-ce la demoiselle que vous avez secouru?
- Oui Monsieur. Miss Paha monsieur, ainsi qu'elle se nomme elle-même."
Le gouverneur haussa un sourcil.
"Et vous pensez qu'elle appartient à ces pauvres gens disparus dans cet .. affreux événement il y a quatre années de cela?
- Oui Monsieur. Elle n'a bien sûr aucun moyen de prouver son identité, pourtant…"
Le vieil homme lui lança un regard bienveillant en s'approchant un peu.
"Commodore… Je vous croirais les yeux fermés, vous le savez, mais je ne peux officiellement pas alerter tout le monde si nous ne sommes pas sûr.
- Je comprends Gouverneur." Coupa Paha en faisant un pas en avant. "Rien ne vous oblige à faire quoi que ce soit. Le Commodore a tenu à me présenter à vous, et je l'en remercie, cependant, je ne demanderai qu'une seule faveur.
- Faites mon enfant.
- Je souhaiterais m'installer ici pour un certain temps, n'ayant nulle part où aller… M'autoriseriez vous à rester à Port Royal?"
Le gouverneur fronça un sourcil, puis lança un regard au Commodore qui ne bougea pas avant de baisser de nouveau les yeux vers elle.
"Je n'y vois aucun inconvénient. Si le destin vous a mis sur la plage de Port Royal, nous n'allons pas aller à son encontre… Le seul ennui c'est que je ne peux pas vous garantir de logement… Commodore, pourriez-vous…
- Ce sera avec plaisir Gouverneur.
- Bien, dans ce cas, vous logerez chez lui en attendant que…"
La porte s'ouvrant derrière eux le coupa net dans sa phrase, puis un sourire ravi se dessina sur son visage à mesure que s'approchait une ravissante jeune femme qui s'inclina devant tous.
"Bonjour Commodore.
- Bonjour Miss Turner…
- Bonjour Père."
Elle s'arrêta soudain en les considérant longuement.
"Je dérange sans doute, excus…"
Son regard se posa sur Paha qui l'observait avec intensité. Son visage lui était familier.
"On se connaît non?" Fit soudain la jeune femme en fronçant les sourcils.
"Elisabeth?"
Elles se regardèrent un moment sans rien dire, sous les regards intrigués des deux hommes, alors que la jeune femme avait un air mi interrogateur, mi désolé.
"Je suis sûre de te connaître.. On jouait ensemble non? Je suis navrée je n'arrive pas à me souvenir de ton nom"
Paha aurait voulu lui sourire, mais une fois de plus son organisme ne voulut pas répondre à ses demandes, et elle se contenta de lui faire un vague geste de la main.
"Elisabeth…" Fit le gouverneur en clignant des yeux. "Est-ce que par hasard tu connaîtrais cette jeune femme?
- Père…" répondit-elle le regard soudain adoucit. " Oui je la connais, vous avez oublié cette jeune fille qui venait jouer avec moi chaque année pendant ses vacances?
- Cela me dit vaguement quelque chose… Mais tu es sûre que tu ne commets pas d'erreurs?
- Pas le moins du monde père."
Norrington fit un pas en avant.
"Si je puis me permettre Gouverneur, Miss Paha a mentionné le nom de votre fille avant tout le monde ici… Preuve qu'elles se connaissent."
Le gouverneur parut quelques peu ennuyé, fit quelques pas dans la pièce les mains derrière le dos, plongé dans ses pensées, puis il se retourna vers eux.
"Le fait que ma fille l'ai reconnu ne change rien… Je ne peux malheureusement pas intercéder dans son sens pour prévenir une éventuelle famille...
- Père.." Fit Elisabeth en s'avançant. "Je suppose que… Paha n'a donc nulle part où aller?
- En effet oui.. Le Commodore s'était porté volontaire pour l'héberger si nous..
- Je suis sûre que Will sera ravi de faire sa connaissance. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient Commodore, et vous père, je souhaiterais l'inviter à la maison.."
Le gouverneur eut un petit sourire mal à l'aise en se tournant vers Paha.
"Je suis navré, nous discutons de votre situation sans même demander votre avis…
- Ce n'est rien.. Mais si vous me le demandez, je préfèrerais m'installer chez votre fille.." Elle se tourna vers Norrington. "Commodore, je vous remercie pour vos attentions, vous êtes un vrai gentleman, pourtant je me sentirais plus à l'aise chez quelqu'un dont je me souviens.. Si cela ne vous dérange pas.
- Pas le moins du monde miss." Répondit-il en souriant. "Vous savoir chez Miss Turner est une bonne chose.
- Dès que j'aurais pu travailler un peu, je vous rendrais la robe Commodore."
Il eut un petit rire en faisant un geste de la main.
"Gardez la. Prenez cela comme un cadeau de bienvenue à Port Royal.
- Merci.."
Elisabeth voulut lui prendre le bras, mais elle s'écarta presque brutalement, les laissant tous surpris, excepté Norrington qui avait déjà eu cette réaction.
"Je suis navrée… Un réflexe.." chuchota-t-elle.
La jeune Turner eut une expression désolée sur le visage, puis lui sourit de nouveau en l'invitant d'un geste à sortir.
"Viens. Je t'emmène à la maison. Tu te sens de marcher?
- Ca devrait aller oui…"
Sur le pas de la porte elle se tourna et remercia le gouverneur et le commodore d'un dernier signe de tête, puis suivit Elisabeth qui la guida lentement au travers de la caserne.
Paha remarqua qu'elle semblait lutter contre sa curiosité, pour ne pas lui demander ce qui s'était passé pendant ces quatre années. Pour ne pas demander de renseignements sur le jour où elle avait disparut.
Pour avoir écouter au portes du navire sur lequel elle était, Paha savait que beaucoup de rumeurs avaient circulé sur l'attaque qui avait précédé son enlèvement. Certains avaient pensé qu'il s'agissait de Pirates, d'autres avaient soulevé l'idée que ce soit des sauvages d'autres contrées..
Elle eut un court sourire amer: ils seraient bien tous surpris d'apprendre que c'était des anglais, et pas des pirates… Malheureusement, elle n'avait jamais pu voir qui ils étaient, étant toujours à fond de cale ou dans les cuisines, mais c'était un grand navire.. Elle se souvenait vaguement du visage du propriétaire du navire, celui qu'elle avait servi pendant un peu plus de deux années, et qui lui avait prit son nom..
Elle n'avait d'ailleurs jamais compris pourquoi ils avaient attaqué ce bateau de transport sur lequel elle se trouvait pour rejoindre son père, ni pourquoi elle n'avait jamais revu les autres passagers. Est-ce qu'ils les avaient tous tué pour ne garder qu'elle? C'était stupide.
Mais de nombreuses nuits sans sommeil avaient suivi cette journée, de nombreuses nuit où heures après heures, elle avait tenté de comprendre ce qui lui arrivait. Tentant de mettre un nom sur les visages qu'elle croisait entre deux barreaux de cellule. Mais toutes ses questions étaient restées sans réponses, et elle avait fini par renoncer, et seulement survivre sur ce navire.
Et puis une autre attaque. Cette fois ci des pirates.
Et puis une nouvelle cellule, de nouveaux gardiens… Et puis l'impression de ne plus vivre vraiment. Et puis…
"Nous y voilà!" Fit la voix enjouée d'Elisabeth.
Paha releva les yeux pour se trouver face à une grande bâtisse, assez simple, mais très jolie. Elle était entourée d'un grand jardin où travaillait un vieil homme.
"Jim. Notre jardinier… J'aurais aimé m'en occuper moi-même, mais j'ai eu Jack, et Will m'a ordonné de ne plus m'occuper de rien…
- Jack?
- Notre premier fils. On lui a donné le nom d'un vieil ami…"
Elle lui fit un clin d'œil, puis son expression changea devant la mine soudain crispée de Paha.
"Tu vas bien?
- Oui… C'est juste que.. Jack… Jack.. Ce nom me dit quelque chose.."
Elisabeth lui adressa un regard bienveillant, entama un geste pour la prendre par les épaules mais se ravisa avec un sourire.
"Tu auras tout le temps de retrouver tes souvenirs.. Ne force pas, je suis sûre qu'ils reviendront d'eux même."
Disant cela elle lui fit signe de la suivre et la guida vers la maison.
Avant même qu'elle pose sa main sur la poignée, la porte d'entrée s'ouvrit devant elles, sur un homme absolument charmant, qui eut un large sourire en s'avançant pour prendre Elisabeth dans ses bras.
"Tu as pu voir ton père?
- Oui.. Mais, oh.. J'ai complètement oublié de lui demander pour la forge… je suis navrée, j'ai rencontré un imprévu dans son bureau…"
Disant cela elle s'écarta de lui et se plaça aux côtés de Paha.
"Je te présente Paha. Elle va loger chez nous quelques temps, si tu n'y vois pas d'inconvénient, c'est une vieille amie. Sa famille vit en France. Paha, je te présente Will, mon époux."
Turner la regarda avec un sourire un peu timide qu'elle ne put pas lui rendre, mais elle fit ce qu'elle put pour adoucir son regard.
"Enchantée Mr Turner… Et navrée de m'imposer ainsi dans votre maison..
- Je n'y vois aucun inconvénient miss, si vous êtes une amie d'Elisabeth, vous êtes la bienvenue.
- Merci.
- Juste une chose, appelez moi Will.
- Merci… J'essaierai."
Il eut un franc sourire puis baissa les yeux et fronça les sourcils.
"Mon dieu que vous est-il arrivé?
- C'est un peu long à expliquer…" Commença-t-elle avec une mine confuse.
"Oui, nous en parlerons après dîner." Coupa Elisabeth en poussant William vers l'intérieur et en faisant signe à Paha de rentrer.
Le grand hall d'entrée la laissa sans voix pendant quelques secondes, de ce qu'elle se souvenait, même dans sa famille il n'y en avait jamais eu d'aussi grands… Elle resta à observer chaque détails pendant un long moment, puis Elisabeth s'approcha doucement et lui tendit son bras.
"Ne te laisse pas impressionner par le hall, ce n'était pas vraiment ce que nous avions demandé, mais l'architecte avait la folie des grandeurs, le reste est beaucoup plus simple, tu viens? Je te fais visiter."
Paha regarda le bras tendu vers elle et au prix d'un effort qui lui fit mal au crâne, elle posa sa main dessus, faisant naître un grand sourire sur le visage de son amie.
"Tu n'as rien à craindre ici." Lui glissa-t-elle à l'oreille pour la rassurer un peu.
Bien sur qu'elle n'avait rien à craindre, elle le savait parfaitement, mais on ne fait pas disparaître quatre ans de réflexes conditionnés comme cela… Même si elle aurait voulu paraître moins sèche aux yeux de ceux qui maintenant prenaient soin d'elle.
Lorsque le dessert fut prit, ils passèrent dans le salon pour s'installer confortablement près du feu avec leur thé. Pendant le repas, ils avaient tous les deux d'une courtoisie à toute épreuve, évitant au maximum de lui demander ce qui s'était passé. Ils avaient plutôt évoqué leur histoire à eux depuis leur mariage, la construction de la maison et la naissance du petit Jack qui était absolument adorable.
Ils attendaient d'ailleurs un deuxième enfant qui n'était pas prévu avant quelques mois, mais William savait qu'il lui fallait un apprenti à la forge, qui avait aussi besoin d'être restaurée… Elisabeth lui expliqua que c'était pour cela qu'elle était venu voir son père cet après-midi, mais elle avait du coup oublié de lui demander l'autorisation pour les travaux..
Paha les avait observé pendant tout le repas, écoutant d'une oreille ce qu'ils lui racontaient, non pas que cela l'ennuyait au contraire, cela lui faisait du bien d'entendre parler joyeusement autour d'elle. Mais elle avait perdu l'habitude des discussions, perdu l'habitude d'écouter attentivement ce qu'on lui disait… Penser à autre chose, voilà ce qu'elle avait appris pendant ces sombres années où seuls les rats finalement avaient été agréable avec elle… Les rats, et ce visage sur lequel elle ne parvenait pas à mettre de nom..
Elisabeth et William s'installèrent sur le sofa en face d'elle, blottis l'un contre l'autre, la main de Will sur le ventre de la jeune femme, en geste protecteur du futur père qu'il serait pour la seconde fois.
Lorsque la nourrice vint porter Jack dans les bras de sa mère pour qu'elle l'endorme, Elisabeth regarda longuement Paha puis lui fit un sourire.
"Tu veux le porter un peu?"
Elle les regarda avec un air un peu désemparé, elle ne savait pas du tout comment faire, mais ils l'encouragèrent tellement de leurs sourires qu'elle finit par tendre les mains.
La nourrice y déposa le bébé doucement, pendant qu'Elisabeth lui donnait quelques indications pour bien le prendre, de façon à ce qu'elle et lui soient confortablement installés.
Après quelques secondes où elle ne sut pas vraiment quoi faire de cet enfant, elle se sentit étrangement envahie d'une paix qu'elle n'avait pas connu depuis longtemps et elle le serra doucement contre elle en s'enfonçant dans le fauteuil.
Le petit Jack ne la quittait pas des yeux et tenta à plusieurs reprises de lui attraper le menton…
Elle le calla contre son bras droit, faisant soudain peu attention à ses poignets qui saignèrent un peu de nouveau sous l'effort, puis elle leva le bras gauche et lui donna son doigt, qu'il attrapa vivement.
Aucun sourire n'apparut sur son visage, mais le couple n'y prêta guère attention, ayant apparemment senti que tout allait pour le mieux, et ils avaient tous les deux le visage radieux.
Pourtant lorsqu'elle releva la tête pour les regarder de nouveau, elle vit leur expression changer lentement pour se transformer peu à peu en peine évidente.
"Tout va bien?" Demanda doucement William en se penchant un peu.
Paha hocha la tête doucement, se rendant alors compte que les larmes ruisselaient sur ses joues sans qu'elle ne s'en soit aperçue. Elle les essuya vivement d'un revers de sa manche, et rebaissa les yeux sur le bébé qui la regardait toujours, les yeux rieurs.
"Bonjour Jack…" Murmura-t-elle en faisant un peu bouger son doigt. "Tu me rappelles quelqu'un tu sais?"
Pendant encore un temps qu'elle ne saurait décrire, elle resta là, les yeux figés dans ceux de l'enfant, qui finit doucement par s'endormir dans ses bras, alors qu'elle le berçait lentement.
Lorsqu'il fut bel et bien endormi, elle releva les yeux vers Elisabeth et lui désigna le bébé du menton, elle se leva alors et le prit doucement avant de se diriger vers les étages, la laissant seule avec son époux.
Après quelques minutes de silence, il se frotta les mains l'une contre l'autre, en fixant un point que lui seul devait voir, puis soudain il fronça les sourcils et se leva d'un bond pour venir vers elle.
"Vous saignez! Vos blessures se sont réouvertes.."
Il voulut lui prendre les poignets pour regarder, mais elle se dégagea brusquement une fois de plus, et l'espace de quelques secondes, elle vit de l'incompréhension sur son visage qui se changea en une profonde inquiétude.
Il s'installa à même le sol en face d'elle sans la quitter des yeux.
"Vous avez du vivre des moments difficiles miss…"
Elle releva lentement les yeux pour le fixer un moment.
"Je vous en prie William, cessez de m'appeler miss… Je ne suis plus une miss. On m'a pris mon nom il y a près de quatre ans maintenant.
- Comment cela?" Dit-il en fronçant les sourcils.
- Je ne veux pas en parler…"
Il secoua la tête.
"Très bien, dans ce cas parlez moi d'autre chose. Racontez-moi ce qui vous est arrivé. Elisabeth et moi ne voulons que votre bien, alors n'ayez aucune crainte à ouvrir votre cœur ici." Il s'approcha un peu plus et leva les mains, les laissant à quelques centimètres au dessus de ses poignets.
"Je l'ai vu.. J'ai vu derrière vos larmes tout à l'heure, j'ai vu la joie de porter Jack. Vous avez besoin d'aide maintenant. Racontez-moi ce qu'il vous est arrivé." Il posa ses mains sur ses poignets.
Elle prit une profonde inspiration pour calmer cette peur qui lui tordait l'estomac, et ne bougea pas les bras, bien que tous ses muscles se soient raidis au point de lui en faire mal.
"Racontez nous ce qu'il s'est passé il y a quatre ans. Même si ce sont des souvenirs décousus. Cela pourra nous aider."
Elle le regarda longuement, sans vraiment entendre ce qu'il continuait à lui dire alors qu'Elisabeth était revenue et l'observait avec un sourire attendri. Son visage lui était familier, pourtant elle savait qu'elle n'avait jamais vu cet homme avant. Son nom lui était familier, et c'était cet homme dont elle ne parvenait pas à trouver le nom qui lui en avait parlé.
Elle se souvenait au moins de ça.
Alors elle ouvrit la bouche.
Et des sons en sortirent.
Elle raconta cette attaque, menée par un bateau tellement rapide que même le navire sur lequel elle se trouvait n'avait pas pu le distancer malgré les alertes.
Les cloches avaient retenti, les quelques gardes qui se trouvaient à bord s'étaient postés sur le pont pour repousser un quelconque abordage, et tous les passagers avaient été renvoyés à l'intérieur.
La bataille avait apparemment fait rage sur le pont, tous les hommes en âge de porter le fusil avait été envoyé pour contenir l'attaque, mais rien n'avait suffit.
Il y en avait chaque fois un peu plus.
Dans un mouvement de panique, elle s'était retrouvée projetée contre un mur, et compressée par les autres jeunes filles qui hurlaient là, elle s'était évanouie.
Lorsqu'elle avait repris conscience, elle était à fond de cale, en compagnie de quelques rats.
Et elle était seule.
On l'avait affublée d'un pantalon sale et d'une chemise trop grande, elle avait des fers aux poignets, et de nombreuses blessures couvraient son corps. Elle ne savait pas si on l'avait battue pendant son absence, ou si elle s'était faite piétiner par les jeunes femmes sur le bateau…
Alors avait commencé les longues journées sans personne à qui parler, sans bruit alentour si ce n'est le craquement des planches à cause du roulis, et le couinement des rats. Et de temps en temps, des pas.
Une fois seulement ils s'étaient arrêtés devant la porte de sa cellule. La porte s'était ouverte, et on l'avait traînée dehors, dans une cale sale, pour finalement atterrir dans une cuisine tout aussi répugnante. Et elle avait cuisiné sans relâche pendant des mois, dormant à même les sacs de nourriture, se nourrissant de quelques restes qui subsistaient après les repas.
Ensuite on était revenue la chercher, et elle était sortie.
On l'avait emmenée sur le pont, la nuit, car, entendait-elle, elle n'aurait pas supporter la lumière du jour, étant restée trop longtemps enfermée dans la pénombre. Il y avait un fauteuil sur le pont, et un homme qui était assis dedans.
Elle avait tenté de voir quelque chose, de distinguer un quelconque indice qui lui dirait où elle se trouvait, mais ils avaient pris soin de choisir une nuit sans lune… Rien. Il n'y avait rien qui pouvait indiquer sur quel navire elle était.
Dans la pénombre elle tenta de discerner le visage de celui qu'elle devait appeler Maître. Il avait une voix grave, une voix profonde qui semblait venir du plus profond de ses entrailles. Lentement il lui avait parlé de choses qu'elle n'avait pas compris, lui disant qu'elle était la seule à pouvoir le servir, et que pour cela il lui fallait un nom. Il lui avait parlé d'îles lointaines et de navires fantômes, et il lui avait parlé dans des langues qu'elle n'avait jamais entendu…
Ensuite elle était retournée à fond de cale, et son calvaire avait recommencé, avec en plus la venue de gardiens qui avaient ordre de la battre chaque jour, sans la tuer.
Will ferma les yeux un instant en serrant fort la main d'Elisabeth dans la sienne, tout en murmurant une brève prière.
"Alors ils te….
- Non.. Cela leur était apparemment interdit.. Ils me battaient, c'était tout."
Et lorsque l'un d'eux lui avait brisé un os, il lui avait mis une attèle, et plus personne n'était venu pendant tout le temps qu'avait duré la guérison.
Elle ne savait pas dire combien de temps elle était restée à bord de ce navire, à déposer des plats devant des portes closes où elle entendait parler anglais, à ne pas dormir la nuit car elle sentait une présence permanente dans sa cellule..
Pendant quelques temps elle avait cru qu'elle devenait lentement folle, alors elle se répétait sans cesse les leçons apprises en cours pour tenter de ne pas sombrer. Gravant sur les planches les mots de vocabulaire espagnol qu'elle relisait chaque jour…
Et puis, sans doutes un peu plus de deux ans plus tard, selon ses calculs approximatifs, le navire avait subit une attaque. Cette fois ci des pirates.
Alors avait commencé une autre période de douleurs, dans une autre cale, mais cette fois ci c'était une cage, et non une cellule dans laquelle elle était. Elle avait alors pu parler avec d'autres prisonniers.
Elle avait de nouveau servi de défouloir à certains membres de l'équipage, mais aucun ne la violenta vraiment, comme si personne ne le pouvait…
Jusqu'à ce jour, il y a sans doute plus d'un an.
Sa voix mourut dans le salon, laissant une espèce de sombre silence envahir la pièce, un silence qui s'éternisa un peu, refroidissant l'atmosphère, aidé par un orage qui s'était levé au dehors.
Will se déplaça pour aller fermer les fenêtres alors qu'Elisabeth s'était levée pour prendre les mains de Paha dans les siennes. Cette fois ci elle ne bougea pas. Comme si le fait de parler avait un peu exorcisé sa peur.
La jeune femme lui sourit en se penchant pour voir ses yeux.
"Nous allons t'aider Paha. Nous allons t'aider à retrouver cet homme qui a pris ton nom." Elle se redressa pour regarder son époux. "N'est-ce pas Will?"
Le jeune homme se passa une main dans les cheveux.
"Oui.. J'aimerais oui.. Mais je ne vois pas comm…" Il eut soudain un sourire alors que le tonnerre se déchaînait dehors. "Oui…. Attendons que le bébé naisse, nous aurons alors une aide précieuse…"
Paha les regarda tour à tour sans comprendre, puis il y eut un éclair, et puis plus rien.
C'était la seule chose dont elle se souvenait, la seule chose qu'elle sentait encore malgré son engourdissement et ses pensées diffuses qui lui envoyaient des images mélangées, des souvenirs épars. Depuis combien de temps dérivait-elle ainsi?
Cela faisait combien de jours qu'elle n'avait ni bu ni manger?
Combien de temps qu'elle avait froid?
Elle eut un vague sursaut sur la planche, tentant dans une semi conscience de se recroqueviller pour contrer le froid qui l'envahissait lentement. Est-ce qu'elle allait mourir ici?
Sa tête lui faisait atrocement mal dès qu'elle essayait de penser à quelque chose de cohérent, de remettre ses idées en place. Dans une demi réalité, elle vit qu'il faisait nuit, et cela lui arracha presque un sourire amer: il n'y a pas si longtemps, elle aurait parié qu'il faisait grand jour… La notion du temps et des choses devenait plus diffuse au fur et à mesure que le froid grandissait.
Quelque chose bougea à côté de son radeau de fortune, cette vieille planche qui était la seule chose rescapée de… De quoi au juste?
Bizarrement elle ne se souvenait même plus de ce pourquoi elle était là.
La chose bougea de nouveau.
Quelque part, elle espéra que ce soit un requin ou quelque chose de dangereux, histoire d'en finir et de ne plus avoir à se demander ce qu'elle faisait là. Et ça ferait disparaître cette douleur à la tête. La chose lui attrapa le bras et elle fut tirer vers l'eau.
Finalement c'était presque mieux.
Enfin.
Le froid de la mer lui crispa tous les muscles, et puis il n'y eut plus rien.
…
…
Des voix.
Des voix lui parvenaient diffuses, lointaines, mais pourtant bien là.
Et elle n'avais plus froid.
Un sourire se dessina sur son visage: ainsi c'était ça de mourir?
Finalement tout ce qu'on racontait au sujet de la mort était faux, il n'y avait pas de lumière, pas de douceur. Seulement une impression de vide qui vous emplissait lentement, et vous faisait oublier les douleurs. Les voix semblèrent se rapprocher, après quelques secondes elle put saisir quelques mots qui auraient pu la faire sursauter si elle n'avait pas été dans une semi conscience encore loin du réel.
"Elle est en vie… Dans un sale état, mais en vie.
- Mmm.. Prenez soin d'elle pour le restant de la traversée."
Dans une lointaine réalité elle entendit des pas s'éloigner, puis une main se posa sur son front.
Son front?
Alors elle n'était décidément pas morte?
Si tel était le cas, où était-elle?
Sa conscience reprit peu à peu pieds dans la réalité, et son instinct de survie revint au galop, la faisant ouvrir les yeux. Son regard croisa presque aussitôt celui inquiet d'un homme d'un âge avancé barbu, mais au visage assez avenant, qui empestait le rhum.
"Comment vous sentez-vous miss?" Demanda-t-il d'une voix qui se voulait douce.
Elle regarda autour d'elle, soudain complètement affolée, ne reconnaissant pas cette pièce, ni cet homme, ni rien de ce qui se trouvait autour d'elle.. Dans un sursaut elle tenta de se relever, mais l'homme l'arrêta aussitôt, lui posant une main sur l'épaule en la forçant d'une pression à se rallonger.
"Ne bougez pas. Vous êtes blessée." Il lui passa un chiffon humide sur le front en lui souriant. "Vous pensez vraiment qu'on vous aurez sauvée si c'était pour vous tuer après?"
La tonalité de sa voix lui faisait un bien fou.. Cela faisait combien de temps qu'elle n'avait pas entendu ce ton amical? Elle tenta de se souvenir, mais la violente douleur à la tête revint aussitôt.
"Où suis-je?" Réussit-elle à articuler après quelques minutes d'efforts et de concentration.
Il se redressa sur son tabouret en lui adressant un large sourire.
"Enfin vous parlez! Un instant j'ai cru que vous étiez muette…
- Où suis-je?" Coupa-t-elle aussi rudement que lui permettait son faible état.
- Sur un navire, miss. Nous vous avons recueillie par nuit de tempête, au milieu de nulle part, à moitié morte."
Elle leva lentement les mains pour les passer sur son visage.
"Quel jour sommes nous?" Demanda-t-elle sans le regarder.
Il sembla un peu déstabilisé par la question, puis se pencha vers elle pour reposer le chiffon sur son front.
"Le 24 octobre miss."
Ses yeux s'ouvrirent tout grand sur le plafond de la chambre, et un court instant l'air lui manqua, faisant naître sur le visage de l'homme une réelle inquiétude.
D'après des calculs approximatifs, son dernier souvenir remontait à plus de deux semaines…
Quelque chose ne collait pas, elle ne pouvait pas être restée à errer sur l'eau pendant si longtemps sans mourir de faim ou de soif… Comment cela était-il possible?
Que s'était-il passé?
Une peur panique s'empara d'elle, lui étreignant le cœur au point de lui faire monter les larmes aux yeux, elle se sentait perdue, complètement perdue.
"Que se passe-t-il miss? Vous ne vous sentez pas bien?"
Elle tourna vers lui un regard de bête apeurée.
"Je ne me souviens de rien.. Je ne me souviens pas de ce qui s'est passé…"
L'homme devant elle baissa un instant les yeux avant de lui poser la main sur le front, dans un geste qui se voulait apaisant.
"C'est normal, vous avez du rester un bout de temps dans l'eau.. Il n'y avait pas la moindre trace de bateau autour de vous.. Reposez-vous, la mémoire vous reviendra avec vos forces. Vous êtes en sécurité ici.
- Où ici?" Demanda-t-elle plus doucement, alors qu'elle sentait ses nerfs se relâcher et le sommeil revenir la chercher.
"Vous êtes à bord du Black Pearl miss."
Ce fut la dernière phrase qu'elle entendit, elle discerna vaguement l'homme s'éloigner du lit, puis elle sombra dans un profond sommeil. Etrangement, le nom du navire l'avait rassurée, il sonnait comme quelque chose de connu à ses oreilles, quelque chose qui lui permit de dormir le plus calmement du monde.
Ce fut une longue nuit sans cauchemars.
Et pour ce qu'elle pouvait s'en souvenir, cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas dormi aussi sereinement.
Ce fut la faim qui la réveilla.
La première chose qu'elle remarqua avant même d'ouvrir les yeux, c'était qu'il n'y avait plus le moindre roulis.. Donc elle n'était plus à bord.
Alors une nouvelle fois, où?
Lorsqu'elle ouvrit enfin les yeux, ce fut pour croiser le regard d'un jeune homme en uniforme. L'uniforme de la garde anglaise. Il lui adressa un sourire un peu nerveux, puis se leva et quitta la pièce.
Elle le regarda partir avec un vague haussement de sourcils, elle devait vraiment avoir une mine affreuse pour qu'il se soit enfui comme cela. A moins qu'il n'aille prévenir quelqu'un.
Le quelqu'un arriva quelques minutes plus tard, alors qu'elle avait réussit à s'asseoir sur le lit et observait autour d'elle avec un léger sourire : cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas été dans une chambre propre.
L'homme qui venait d'entrer était plutôt agréable à regarder, il avait surtout une prestance impressionnante, sa présence se faisant sentir dans toute la pièce.
"Bonjour miss." Dit-il en s'inclinant à la façon d'un gentleman. "Vous vous sentez mieux?"
Pendant de longues minutes elle le regarda sans rien dire, elle se sentait mieux, oui, ça c'était certain, mais pour le reste..
"Je me sens surtout perdue…" Elle baissa les yeux, sentant les larmes lui monter aux yeux sans raison.
L'homme dansa un peu d'un pied sur l'autre, ne sachant pas vraiment quelle attitude adopter, puis il s'avança et prit place à côté d'elle sur le lit, toujours droit comme un "i".
"Je peux peut-être vous éclairer. Dites moi ce que vous voulez savoir."
Relevant les yeux, elle croisa son regard bienveillant et cela lui redonna un peu de courage.
"Où suis-je?
- Vous vous trouvez à Port Royal miss. Dans… Mes appartements.
- Qui êtes vous?
- Commodore Norrington miss."
Cette fois-ci elle écarquilla vraiment les yeux.
"Commodore?"
Elle n'avait qu'une vague idée des rangs dans l'armée, mais elle savait qu'un Commodore était haut placé.
"Pourquoi suis-je ici? Dans les appartements d'un Commodore…"
Devant elle il toussota légèrement avant de se lever et de faire quelques pas dans la pièce.
"A vrai dire miss, vous n'êtes pas vraiment dans mes appartements… Vous êtes dans une maison qui m'appartient un peu à l'extérieur de la ville.
- Vous ne répondez pas à la question Commodore.
- Très juste." Fit-il en toussotant de nouveau. "Nous vous avons recueillie devant la caserne il y a de cela trois jours. Un de mes hommes voulait vous porter à l'hôpital, et je l'aurais fait si je n'avais pas remarqué les… marques que vous portez aux bras."
Baissant les yeux, elle poussa un soupir en voyant les bandages qu'elle portait aux poignets, vestiges de ses années d'esclavage sur deux navires dont elle avait oublié les noms.
Se redressant au maximum elle le regarda dans les yeux.
"Je ne vois pas en quoi cela vous oblige à m'entraîner ici plutôt que dans un hôpital…"
Il dansa de nouveau d'un pied sur l'autre, fit quelques pas dans la pièce avant de se retrouver en face d'elle.
"Ne vous méprenez pas, ce n'est pas pour vous garder à mon service en toute discrétion. Il est des choses qui n'échappent pas à mes yeux. Certes, vous avez apparemment été esclave, mais vous portez également une autre marque qui a attiré mon attention.
- Laquelle?
- Vos oreilles sont percées. Autrement dit vous avez aussi porté des boucles. Or si vous aviez toujours été esclave, vous n'auriez pas eu droit à ce genre de bijoux. Donc à moi de vous poser une question : Quel est votre nom?"
Ce fut à son tour de baisser les yeux en se mordant la lèvre inférieure, bien sûr qu'elle se souvenait de son nom, vaguement, tellement vaguement qu'elle n'arrivait pas à le prononcer…
"Paha" Dit-elle sans lever les yeux. "Paha, c'est ainsi que je m'appelle maintenant.
Il haussa les sourcils.
"Paha? C'est étrange, votre visage m'est familier…
- Mieux vaut qu'il ne vous dise rien.Ca ne sert à rien."
Il eut un sourire amical pour la première fois depuis le début de notre échange et il revint s'asseoir sur le lit.
"Je me souviens vaguement d'une jeune fille qui venait en vacance ici rejoindre son père… C'est idiot, il m'est impossible de retrouver son nom.. Elle n'est plus venue du jour où…" Il la regarda longuement. "Il y a eu cette disparition du navire sur lequel elle effectuait le trajet…"
Il se releva lentement et marcha de long en large dans la pièce avant de se tourner de nouveau vers elle, les sourcils froncés. "Je n'ai pas voulu vous porter à l'hôpital car j'ai crains une affaire de ce genre, et une activité trop intense dans la ville.. Les rumeurs se répandent vite à Port Royal.. Le gouverneur a approuvé mon choix.. Mais si vous êtes effectivement la jeune fille que je crois que vous êtes, il est en autrement... Je dois en parler au gouverneur Swann. Vous n'auriez pas quelque chose qui nous donnerait plus d'indications sur vos origines? Il nous faut prévenir votre famille au plus vite dans ce cas."
Elle eut un soupir las en se rallongeant.
"Comment voulez-vous qu'il me reste quelque chose…"
Il arbora une mine confuse en se rasseyant près d'elle.
"Je suis navré, ma question n'était pas à propos."Il ôta son chapeau et la regarda longuement.
"Votre visage m'était familier. Je jurerais que c'est vous que je voyais si jeune il y a quatre ans. Miss, je pourrais moi garantir votre identité… Mais pour le gouverneur, même s'il est bienveillant, il exigera plus qu'un regard pour alerter votre éventuelle famille."
Il voulut lui prendre la main mais elle la retira prestement, le cœur s'accélérant d'un coup.
"Ne me touchez pas." Souffla-t-elle en se recroquevillant autant que lui permettait ses blessures.
"Je suis navré.. N'y voyez là aucun geste déplacé de ma part…" Il toussota de nouveau. "Vous devez avoir faim non? Pouvez-vous marcher?
- Je crois que oui.."
Il se releva avec un sourire.
"Bien. Des vêtements sont à votre disposition dans la pièce d'à côté, je vais demander à Emma qu'elle vienne vous aider à vous laver."
Il se dirigea vers la porte mais au moment de la franchir il se tourna vers elle et s'inclina.
"Je viendrais vous chercher quand vous serez prête miss, nous irons déjeuner."
Quelques minutes plus tard, une femme d'un certain âge entra dans la pièce, le visage avenant et le sourire aux lèvres. Sans un mot elle s'approcha du lit, puis tendit la main à Paha, qui la regarda avec un froncement de sourcils.
"Venez miss. Je vais vous aider à faire votre toilette, parce que vous avez vraiment mauvaise mine… N'ayez pas peur, je ne vais pas vous manger!"
Elle leva doucement la main et la posa dans celle tendue d'Emma, c'était une main pleine et rassurante, sans doute une main qui avait caressé maints enfants pour les rassurer. Elle avait depuis longtemps banni tout contact avec les gens, mais cette main lui fit du bien, l'emplissant de bien être, et un sourire naquit sur son visage, puis disparut aussitôt.. Le sourire pour les autres était aussi quelque chose qu'elle avait banni de son comportement.
"Eeeeh! Mais n'est-ce pas un sourire que je viens d'apercevoir sur cette frimousse sale?" Fit Emma en riant doucement. "Je pourrais en avoir un autre quand vous serez propre? Je suis sûre qu'il est magnifique!"
Disant cela elle l'entraîna vers la pièce voisine, où trônait une baignoire en fonte et des bacs d'eau chaude fumants.
"Je vais m'occuper de vous, vous n'allez plus vous reconnaître après!" Dit-elle en riant tout en commençant à ôter sa chemise.
Elle se crispa aussitôt et fit volte face, le visage soudain déformé par la peur.. Emma la regarda avec un froncement de sourcils, puis ses yeux s'agrandirent un instant en voyant les marques sur ses poignets, et celles sur son dos… Elle fit pourtant ce qu'elle put apparemment pour contrer sa surprise et éviter qu'elle ne la voit, puis poussa un petit soupir en murmurant une brève prière.
"Maudits soit ces hommes" Furent les seuls mots que Paha entendit alors qu'elle ôtait elle-même la chemise avant de se recroqueviller dans la baignoire.
Emma lui fit un sourire tendre en versant lentement l'eau.
"Vous n'avez rien à craindre ici miss. Mr Norrinton est un homme bon et un vrai gentleman. Cela fait trente ans que je suis au service de cette famille, je l'ai vu grandir vous savez…"
Elle se mit à lui raconter la vie du Commodore, ce qu'il avait fait pour en arriver là et surtout comment elle l'avait vu progresser lentement…
"Pourquoi n'a-t-il pas d'épouse alors?" Demanda soudain Paha alors que la femme lui rinçait les cheveux. "S'il est le gentleman que vous décrivez."
Emma reposa le seau avec un soupir avant de s'asseoir sur le bord de la baignoire pendant qu'elle se séchait.
"Il a failli épouser la fille du gouverneur, il y a deux ans de cela, mais elle était depuis toujours amoureuse d'un ami d'enfance à elle, un forgeron, alors il a cédé sa place."
Paha arrêta le mouvement de la serviette sur ses cheveux pour la regarder.
"Elisabeth?
- Vous connaissez la fille du gouverneur?
- Ce nom m'est venu tout seul à l'esprit… j'ai du jouer avec elle il y a longtemps…" Son mal de tête la reprit et elle laissa passer un soupir avant de regarder Emma de nouveau. "Le Commodore est un homme au grand cœur, pour l'avoir laissée choisir… Il est peu d'hommes au monde qui ferait preuve de tant de bonté."
La vieille femme hocha la tête avec un sourire, puis se releva pour l'aider à s'habiller, mais une fois de plus elle l'en empêcha.
"Je suis navrée.. Mais je préfère le faire seule.
- Je comprends mon enfant, je comprends."
Elle considéra les vêtements avec un froncement de sourcil, c'était une très belle robe, mais elle ne savait plus du tout comment ce genre de vêtements se mettaient.. Elle se tourna alors vers Emma avec une mine confuse.
"Vous n'auriez pas un pantalon et une chemise je vous prie? Je n'ai plus l'habitude de porter ce genre de robes et…
- Un pantalon? Pour une demoiselle? Mais il en est hors de question! Je vais vous aider à l'enfiler."
Cette fois-ci, Paha ferma les yeux et lui tendit la robe.. Il faudrait bien un jour que ses craintes ne disparaissent, et puis il s'agissait de s'habiller ici, pas le contraire…
Une forte douleur lui enserra le cœur mais elle ne dit rien, se mordant la lèvre inférieure pour contrer ses larmes. Elle ne voulait pas pleurer ici. Elle eut l'impression que la séance d'habillage dura des heures tant elle se concentrait pour ne pas s'enfuir en courant…
Quand enfin, elle fut prête, Emma la considéra avec un sourire.
"Vous êtes ravissante ma fille… Vous ressemblez d'ailleurs beaucoup à Miss Turner. La fille du gouverneur, c'est son nom depuis qu'elle est mariée."
Paha hocha la tête, le regard un peu absent, elle entendit encore Emma lui parler, mais la voix se faisait de plus en plus ténue, comme si elle s'éloignait. Son mal de crâne la reprit, le nom Turner évoquait quelque chose en elle, elle l'avait déjà entendu. Prononcé par quelqu'un d'autre. Une vague silhouette se dessina dans son esprit alors qu'elle avait fermé les yeux, une silhouette après laquelle elle courait depuis plus de deux ans.
Depuis cette journée.
"Miss? Miss? Vous allez bien?"
Elle fronça les sourcils, il lui fallait retrouver le nom de ce visage. Elle le connaissait, mais sa mémoire lui faisait faux bond.
"Miss!"
Ouvrant de nouveau les yeux, elle croisa le regard affolé d' Emma qui lui avait pris la main et la serrait doucement.
"Vous m'avez fait peur miss… J'ai cru que vous alliez vous évanouir.. C'est le corset qui est trop serré?
- Non, tout va bien… J'ai juste mal à la tête, ça va passer."
Lorsqu'elles passèrent la porte de la salle de bain, le Commodore était déjà dans la chambre, posté devant la fenêtre, les mains derrière le dos. Il se retourna à leur approche et eut un haussement de sourcils en les voyant approcher.
"Et bien… Hum.. Voilà une transformation radicale…" Il eut un sourire maladroit avant de s'incliner de nouveau. "Miss, vous êtes ravissante.
- Merci." Fit-elle, touchée par le compliment mais incapable de lui sourire.
Elle aurait aimé pourtant, mais pour l'instant, elle avait plus envie de pleurer devant tant de gentillesse qu'autre chose. Cela faisait trop longtemps que personne ne lui avait parlé de la sorte. Emma quitta la pièce silencieusement, la laissant appuyée contre une canne qui l'aiderait à marcher sans l'aide de quelqu'un.
"Comment vont vos blessures?
- J'ai connu mieux je pense, mais elles me font moins mal qu'il y a trois jours."
Il se tourna au moment de passer la porte pour la regarder avec un froncement de sourcils.
"Puis-je vous demander où vous étiez il y a trois jours?
- Le Black Pearl.
- Pardon?
- J'étais à bord du Black Pearl. Ou du moins il me semble… Ils m'avaient recueillie dans l'eau, et soignée. Je ne sais pas combien de temps je suis restée à bord, ni combien de temps je suis restée à dériver sur l'océan.. Mais s'ils n'avaient pas été là, je serais probablement morte."
Le Commodore eut un petit rire nerveux en tirant la chaise devant elle dans une salle à manger immense, avec une table couverte de nourriture…
Il s'installa ensuite en face d'elle alors qu'un domestique se mettait en devoir de les servir.
"Cela m'étonne et ne m'étonne pas…" Fit-il comme pour lui-même.
- Je ne comprends pas…" Dit-elle en relevant difficilement les yeux du jambon fumant qu'il y avait dans son assiette.
Le Commodore la regarda un instant avec un sourire amusé.
"Mangez, vous devez être affamée."
Elle ne se fit pas prier plus que ça et entama avec plaisir la viande qui se trouvait dans l'assiette, et qui en quelques coups de fourchette, n'y fut plus qu'un souvenir… Malgré sa faim, elle mangeait lentement, plus obligée par les marques à ses poignets qui tiraient sa peau que parce qu'elle voulait faire bonne figure. Relevant les yeux pour attraper un verre d'eau, elle croisa le regard attendri du Commodore.
"Vous ressemblez vraiment à cette jeune fille qui jouait avec Elisa… Miss Turner à une époque.
- Mes souvenirs ne sont pas encore très fiables, je retrouve des morceaux par moments." Répondit-elle en reposant sa fourchette. "Puis-je vous poser une question Commodore?
- Je vous en prie.
- Vous avez changé d'expression quand j'ai parlé du Black Pearl. Pourquoi?"
Il baissa les yeux un instant, joignant les mains au dessus de la table, semblant plongé dans ses pensées, puis il la regarda de nouveau.
"Parce que le Black Pearl est un navire de pirates. Les plus connus dans les mers des Caraïbes, et même au delà je crois. Parce qu'il est étonnant qu'ils vous aient si gentiment déposée devant la caserne."
Il marqua une pause avant de reprendre. "Mais il est vrai que leur capitaine n'est pas un tueur, ni un maître d'esclaves. C'est la seule chose dont on pourrait les remercier parmi tous leurs vols, c'est qu'ils ne font jamais aucune victime, ni aucun prisonnier."
Il se leva et fit quelques pas pour se poster près de la fenêtre.
"A vrai dire, nous les traquons sans relâche depuis des années, mais il nous est impossible de les rattraper, leur navire est le plus rapide que j'ai jamais vu. Quant à l'endroit où il mouille quand ils ne parcourent pas les mers, nous ignorons où il se trouve. Le plus vraisemblable serait Tortuga, la ville des pirates, mais il nous est impossible de nous en approcher."
Se tournant soudain vers elle, il lui adressa un sourire tendu.
"Je suis navré, ces histoires ne sont pas très passionnantes, j'espère avoir tout de même répondu à votre question.
- Oui…" Dit-elle doucement en finissant un fruit.
Norrington reprit place en face d'elle, toujours aussi droit.
"Vous sentez-vous capable de sortir? J'aimerais vous présenter au gouverneur Swann."
Elle hocha lentement la tête, se demandant où tout cela allait la mener.
Ses paroles à propos du Black Pearl avaient éveillé des choses en elle, des choses sur lesquelles elle ne parvenait pas à mettre de nom. Etrangement, elle avait l'impression que ses souvenirs autant que son destin étaient lié de près ou de loin à ce navire…
Finalement ils ne quittèrent la demeure de Norrington que deux jours plus tard, car elle ne s'était pas sentie capable de marcher sur une trop longue distance. Une calèche les emmena jusqu'au centre de la ville, où le Commodore l'aida à en descendre, puis il la guida au travers un dédale de rues.
L'animation dans la ville était à son comble, pour ce qu'elle s'en souvenait, Port Royal avait toujours eu des commerces florissants qui avaient fait sa renommée au travers du monde marchand.. et pirate… .Les marchands se partageaient la rue avec les militaires qui veillaient au bon déroulement des transactions, ou tout simplement au calme de la ville. Tous s'inclinaient sur le passage du Commodore, qui répondait chaque fois d'un hochement de tête, avançant lentement à côté d'elle en lui lançant de fréquents regards, comme pour s'assurer que tout allait bien.
A plusieurs reprises il la protégea de son bras quand un ivrogne ou un chariot passait trop près.
Ces attentions la touchait beaucoup, mais son attention était plutôt retenue par toute l'agitation qui se déroulait sous ses yeux… Ces dernières années elle avait été complètement privée de toute cette vie, et cela la ravissait presque plus que tout.
Ils parvinrent enfin à la caserne, où tous les soldats la saluèrent en même temps que le Commodore, qui se pencha vers elle discrètement.
"Voyez ces deux jeunes gens là-bas?" Il désigna en même temps deux soldats un peu à l'écart qui la regardait passer avec un franc sourire.
"Ce sont eux qui vous ont trouvée.
- Il me faudra les remercier alors.
- Je pense que la simple vue de votre personne en bonne forme leur est suffisante, mais si vous y tenez, je les convoquerais tout à l'heure."
Paha hocha la tête en leur adressant un signe de la main qui les fit sourire de plus belle avant qu'ils ne s'en retournent à leurs occupation.
Lorsqu'il ouvrit devant elle une lourde porte, elle se trouva en face d'un imposant bureau sur lequel s'entassaient de nombreux papiers plus ou moins rangés, où un homme d'âge avancé à la longue perruque grisonnante y écrivait quelques notes.
Il releva les yeux en les entendant entrer, et eut un large sourire amical.
"Commodore! Je vous attendais.
- Bonjour Gouverneur."
Paha tenta de faire une révérence, autant que lui permettait ses blessures.
"Bonjour Gouverneur."
Celui-ci la considéra longuement.
"Est-ce la demoiselle que vous avez secouru?
- Oui Monsieur. Miss Paha monsieur, ainsi qu'elle se nomme elle-même."
Le gouverneur haussa un sourcil.
"Et vous pensez qu'elle appartient à ces pauvres gens disparus dans cet .. affreux événement il y a quatre années de cela?
- Oui Monsieur. Elle n'a bien sûr aucun moyen de prouver son identité, pourtant…"
Le vieil homme lui lança un regard bienveillant en s'approchant un peu.
"Commodore… Je vous croirais les yeux fermés, vous le savez, mais je ne peux officiellement pas alerter tout le monde si nous ne sommes pas sûr.
- Je comprends Gouverneur." Coupa Paha en faisant un pas en avant. "Rien ne vous oblige à faire quoi que ce soit. Le Commodore a tenu à me présenter à vous, et je l'en remercie, cependant, je ne demanderai qu'une seule faveur.
- Faites mon enfant.
- Je souhaiterais m'installer ici pour un certain temps, n'ayant nulle part où aller… M'autoriseriez vous à rester à Port Royal?"
Le gouverneur fronça un sourcil, puis lança un regard au Commodore qui ne bougea pas avant de baisser de nouveau les yeux vers elle.
"Je n'y vois aucun inconvénient. Si le destin vous a mis sur la plage de Port Royal, nous n'allons pas aller à son encontre… Le seul ennui c'est que je ne peux pas vous garantir de logement… Commodore, pourriez-vous…
- Ce sera avec plaisir Gouverneur.
- Bien, dans ce cas, vous logerez chez lui en attendant que…"
La porte s'ouvrant derrière eux le coupa net dans sa phrase, puis un sourire ravi se dessina sur son visage à mesure que s'approchait une ravissante jeune femme qui s'inclina devant tous.
"Bonjour Commodore.
- Bonjour Miss Turner…
- Bonjour Père."
Elle s'arrêta soudain en les considérant longuement.
"Je dérange sans doute, excus…"
Son regard se posa sur Paha qui l'observait avec intensité. Son visage lui était familier.
"On se connaît non?" Fit soudain la jeune femme en fronçant les sourcils.
"Elisabeth?"
Elles se regardèrent un moment sans rien dire, sous les regards intrigués des deux hommes, alors que la jeune femme avait un air mi interrogateur, mi désolé.
"Je suis sûre de te connaître.. On jouait ensemble non? Je suis navrée je n'arrive pas à me souvenir de ton nom"
Paha aurait voulu lui sourire, mais une fois de plus son organisme ne voulut pas répondre à ses demandes, et elle se contenta de lui faire un vague geste de la main.
"Elisabeth…" Fit le gouverneur en clignant des yeux. "Est-ce que par hasard tu connaîtrais cette jeune femme?
- Père…" répondit-elle le regard soudain adoucit. " Oui je la connais, vous avez oublié cette jeune fille qui venait jouer avec moi chaque année pendant ses vacances?
- Cela me dit vaguement quelque chose… Mais tu es sûre que tu ne commets pas d'erreurs?
- Pas le moins du monde père."
Norrington fit un pas en avant.
"Si je puis me permettre Gouverneur, Miss Paha a mentionné le nom de votre fille avant tout le monde ici… Preuve qu'elles se connaissent."
Le gouverneur parut quelques peu ennuyé, fit quelques pas dans la pièce les mains derrière le dos, plongé dans ses pensées, puis il se retourna vers eux.
"Le fait que ma fille l'ai reconnu ne change rien… Je ne peux malheureusement pas intercéder dans son sens pour prévenir une éventuelle famille...
- Père.." Fit Elisabeth en s'avançant. "Je suppose que… Paha n'a donc nulle part où aller?
- En effet oui.. Le Commodore s'était porté volontaire pour l'héberger si nous..
- Je suis sûre que Will sera ravi de faire sa connaissance. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient Commodore, et vous père, je souhaiterais l'inviter à la maison.."
Le gouverneur eut un petit sourire mal à l'aise en se tournant vers Paha.
"Je suis navré, nous discutons de votre situation sans même demander votre avis…
- Ce n'est rien.. Mais si vous me le demandez, je préfèrerais m'installer chez votre fille.." Elle se tourna vers Norrington. "Commodore, je vous remercie pour vos attentions, vous êtes un vrai gentleman, pourtant je me sentirais plus à l'aise chez quelqu'un dont je me souviens.. Si cela ne vous dérange pas.
- Pas le moins du monde miss." Répondit-il en souriant. "Vous savoir chez Miss Turner est une bonne chose.
- Dès que j'aurais pu travailler un peu, je vous rendrais la robe Commodore."
Il eut un petit rire en faisant un geste de la main.
"Gardez la. Prenez cela comme un cadeau de bienvenue à Port Royal.
- Merci.."
Elisabeth voulut lui prendre le bras, mais elle s'écarta presque brutalement, les laissant tous surpris, excepté Norrington qui avait déjà eu cette réaction.
"Je suis navrée… Un réflexe.." chuchota-t-elle.
La jeune Turner eut une expression désolée sur le visage, puis lui sourit de nouveau en l'invitant d'un geste à sortir.
"Viens. Je t'emmène à la maison. Tu te sens de marcher?
- Ca devrait aller oui…"
Sur le pas de la porte elle se tourna et remercia le gouverneur et le commodore d'un dernier signe de tête, puis suivit Elisabeth qui la guida lentement au travers de la caserne.
Paha remarqua qu'elle semblait lutter contre sa curiosité, pour ne pas lui demander ce qui s'était passé pendant ces quatre années. Pour ne pas demander de renseignements sur le jour où elle avait disparut.
Pour avoir écouter au portes du navire sur lequel elle était, Paha savait que beaucoup de rumeurs avaient circulé sur l'attaque qui avait précédé son enlèvement. Certains avaient pensé qu'il s'agissait de Pirates, d'autres avaient soulevé l'idée que ce soit des sauvages d'autres contrées..
Elle eut un court sourire amer: ils seraient bien tous surpris d'apprendre que c'était des anglais, et pas des pirates… Malheureusement, elle n'avait jamais pu voir qui ils étaient, étant toujours à fond de cale ou dans les cuisines, mais c'était un grand navire.. Elle se souvenait vaguement du visage du propriétaire du navire, celui qu'elle avait servi pendant un peu plus de deux années, et qui lui avait prit son nom..
Elle n'avait d'ailleurs jamais compris pourquoi ils avaient attaqué ce bateau de transport sur lequel elle se trouvait pour rejoindre son père, ni pourquoi elle n'avait jamais revu les autres passagers. Est-ce qu'ils les avaient tous tué pour ne garder qu'elle? C'était stupide.
Mais de nombreuses nuits sans sommeil avaient suivi cette journée, de nombreuses nuit où heures après heures, elle avait tenté de comprendre ce qui lui arrivait. Tentant de mettre un nom sur les visages qu'elle croisait entre deux barreaux de cellule. Mais toutes ses questions étaient restées sans réponses, et elle avait fini par renoncer, et seulement survivre sur ce navire.
Et puis une autre attaque. Cette fois ci des pirates.
Et puis une nouvelle cellule, de nouveaux gardiens… Et puis l'impression de ne plus vivre vraiment. Et puis…
"Nous y voilà!" Fit la voix enjouée d'Elisabeth.
Paha releva les yeux pour se trouver face à une grande bâtisse, assez simple, mais très jolie. Elle était entourée d'un grand jardin où travaillait un vieil homme.
"Jim. Notre jardinier… J'aurais aimé m'en occuper moi-même, mais j'ai eu Jack, et Will m'a ordonné de ne plus m'occuper de rien…
- Jack?
- Notre premier fils. On lui a donné le nom d'un vieil ami…"
Elle lui fit un clin d'œil, puis son expression changea devant la mine soudain crispée de Paha.
"Tu vas bien?
- Oui… C'est juste que.. Jack… Jack.. Ce nom me dit quelque chose.."
Elisabeth lui adressa un regard bienveillant, entama un geste pour la prendre par les épaules mais se ravisa avec un sourire.
"Tu auras tout le temps de retrouver tes souvenirs.. Ne force pas, je suis sûre qu'ils reviendront d'eux même."
Disant cela elle lui fit signe de la suivre et la guida vers la maison.
Avant même qu'elle pose sa main sur la poignée, la porte d'entrée s'ouvrit devant elles, sur un homme absolument charmant, qui eut un large sourire en s'avançant pour prendre Elisabeth dans ses bras.
"Tu as pu voir ton père?
- Oui.. Mais, oh.. J'ai complètement oublié de lui demander pour la forge… je suis navrée, j'ai rencontré un imprévu dans son bureau…"
Disant cela elle s'écarta de lui et se plaça aux côtés de Paha.
"Je te présente Paha. Elle va loger chez nous quelques temps, si tu n'y vois pas d'inconvénient, c'est une vieille amie. Sa famille vit en France. Paha, je te présente Will, mon époux."
Turner la regarda avec un sourire un peu timide qu'elle ne put pas lui rendre, mais elle fit ce qu'elle put pour adoucir son regard.
"Enchantée Mr Turner… Et navrée de m'imposer ainsi dans votre maison..
- Je n'y vois aucun inconvénient miss, si vous êtes une amie d'Elisabeth, vous êtes la bienvenue.
- Merci.
- Juste une chose, appelez moi Will.
- Merci… J'essaierai."
Il eut un franc sourire puis baissa les yeux et fronça les sourcils.
"Mon dieu que vous est-il arrivé?
- C'est un peu long à expliquer…" Commença-t-elle avec une mine confuse.
"Oui, nous en parlerons après dîner." Coupa Elisabeth en poussant William vers l'intérieur et en faisant signe à Paha de rentrer.
Le grand hall d'entrée la laissa sans voix pendant quelques secondes, de ce qu'elle se souvenait, même dans sa famille il n'y en avait jamais eu d'aussi grands… Elle resta à observer chaque détails pendant un long moment, puis Elisabeth s'approcha doucement et lui tendit son bras.
"Ne te laisse pas impressionner par le hall, ce n'était pas vraiment ce que nous avions demandé, mais l'architecte avait la folie des grandeurs, le reste est beaucoup plus simple, tu viens? Je te fais visiter."
Paha regarda le bras tendu vers elle et au prix d'un effort qui lui fit mal au crâne, elle posa sa main dessus, faisant naître un grand sourire sur le visage de son amie.
"Tu n'as rien à craindre ici." Lui glissa-t-elle à l'oreille pour la rassurer un peu.
Bien sur qu'elle n'avait rien à craindre, elle le savait parfaitement, mais on ne fait pas disparaître quatre ans de réflexes conditionnés comme cela… Même si elle aurait voulu paraître moins sèche aux yeux de ceux qui maintenant prenaient soin d'elle.
Lorsque le dessert fut prit, ils passèrent dans le salon pour s'installer confortablement près du feu avec leur thé. Pendant le repas, ils avaient tous les deux d'une courtoisie à toute épreuve, évitant au maximum de lui demander ce qui s'était passé. Ils avaient plutôt évoqué leur histoire à eux depuis leur mariage, la construction de la maison et la naissance du petit Jack qui était absolument adorable.
Ils attendaient d'ailleurs un deuxième enfant qui n'était pas prévu avant quelques mois, mais William savait qu'il lui fallait un apprenti à la forge, qui avait aussi besoin d'être restaurée… Elisabeth lui expliqua que c'était pour cela qu'elle était venu voir son père cet après-midi, mais elle avait du coup oublié de lui demander l'autorisation pour les travaux..
Paha les avait observé pendant tout le repas, écoutant d'une oreille ce qu'ils lui racontaient, non pas que cela l'ennuyait au contraire, cela lui faisait du bien d'entendre parler joyeusement autour d'elle. Mais elle avait perdu l'habitude des discussions, perdu l'habitude d'écouter attentivement ce qu'on lui disait… Penser à autre chose, voilà ce qu'elle avait appris pendant ces sombres années où seuls les rats finalement avaient été agréable avec elle… Les rats, et ce visage sur lequel elle ne parvenait pas à mettre de nom..
Elisabeth et William s'installèrent sur le sofa en face d'elle, blottis l'un contre l'autre, la main de Will sur le ventre de la jeune femme, en geste protecteur du futur père qu'il serait pour la seconde fois.
Lorsque la nourrice vint porter Jack dans les bras de sa mère pour qu'elle l'endorme, Elisabeth regarda longuement Paha puis lui fit un sourire.
"Tu veux le porter un peu?"
Elle les regarda avec un air un peu désemparé, elle ne savait pas du tout comment faire, mais ils l'encouragèrent tellement de leurs sourires qu'elle finit par tendre les mains.
La nourrice y déposa le bébé doucement, pendant qu'Elisabeth lui donnait quelques indications pour bien le prendre, de façon à ce qu'elle et lui soient confortablement installés.
Après quelques secondes où elle ne sut pas vraiment quoi faire de cet enfant, elle se sentit étrangement envahie d'une paix qu'elle n'avait pas connu depuis longtemps et elle le serra doucement contre elle en s'enfonçant dans le fauteuil.
Le petit Jack ne la quittait pas des yeux et tenta à plusieurs reprises de lui attraper le menton…
Elle le calla contre son bras droit, faisant soudain peu attention à ses poignets qui saignèrent un peu de nouveau sous l'effort, puis elle leva le bras gauche et lui donna son doigt, qu'il attrapa vivement.
Aucun sourire n'apparut sur son visage, mais le couple n'y prêta guère attention, ayant apparemment senti que tout allait pour le mieux, et ils avaient tous les deux le visage radieux.
Pourtant lorsqu'elle releva la tête pour les regarder de nouveau, elle vit leur expression changer lentement pour se transformer peu à peu en peine évidente.
"Tout va bien?" Demanda doucement William en se penchant un peu.
Paha hocha la tête doucement, se rendant alors compte que les larmes ruisselaient sur ses joues sans qu'elle ne s'en soit aperçue. Elle les essuya vivement d'un revers de sa manche, et rebaissa les yeux sur le bébé qui la regardait toujours, les yeux rieurs.
"Bonjour Jack…" Murmura-t-elle en faisant un peu bouger son doigt. "Tu me rappelles quelqu'un tu sais?"
Pendant encore un temps qu'elle ne saurait décrire, elle resta là, les yeux figés dans ceux de l'enfant, qui finit doucement par s'endormir dans ses bras, alors qu'elle le berçait lentement.
Lorsqu'il fut bel et bien endormi, elle releva les yeux vers Elisabeth et lui désigna le bébé du menton, elle se leva alors et le prit doucement avant de se diriger vers les étages, la laissant seule avec son époux.
Après quelques minutes de silence, il se frotta les mains l'une contre l'autre, en fixant un point que lui seul devait voir, puis soudain il fronça les sourcils et se leva d'un bond pour venir vers elle.
"Vous saignez! Vos blessures se sont réouvertes.."
Il voulut lui prendre les poignets pour regarder, mais elle se dégagea brusquement une fois de plus, et l'espace de quelques secondes, elle vit de l'incompréhension sur son visage qui se changea en une profonde inquiétude.
Il s'installa à même le sol en face d'elle sans la quitter des yeux.
"Vous avez du vivre des moments difficiles miss…"
Elle releva lentement les yeux pour le fixer un moment.
"Je vous en prie William, cessez de m'appeler miss… Je ne suis plus une miss. On m'a pris mon nom il y a près de quatre ans maintenant.
- Comment cela?" Dit-il en fronçant les sourcils.
- Je ne veux pas en parler…"
Il secoua la tête.
"Très bien, dans ce cas parlez moi d'autre chose. Racontez-moi ce qui vous est arrivé. Elisabeth et moi ne voulons que votre bien, alors n'ayez aucune crainte à ouvrir votre cœur ici." Il s'approcha un peu plus et leva les mains, les laissant à quelques centimètres au dessus de ses poignets.
"Je l'ai vu.. J'ai vu derrière vos larmes tout à l'heure, j'ai vu la joie de porter Jack. Vous avez besoin d'aide maintenant. Racontez-moi ce qu'il vous est arrivé." Il posa ses mains sur ses poignets.
Elle prit une profonde inspiration pour calmer cette peur qui lui tordait l'estomac, et ne bougea pas les bras, bien que tous ses muscles se soient raidis au point de lui en faire mal.
"Racontez nous ce qu'il s'est passé il y a quatre ans. Même si ce sont des souvenirs décousus. Cela pourra nous aider."
Elle le regarda longuement, sans vraiment entendre ce qu'il continuait à lui dire alors qu'Elisabeth était revenue et l'observait avec un sourire attendri. Son visage lui était familier, pourtant elle savait qu'elle n'avait jamais vu cet homme avant. Son nom lui était familier, et c'était cet homme dont elle ne parvenait pas à trouver le nom qui lui en avait parlé.
Elle se souvenait au moins de ça.
Alors elle ouvrit la bouche.
Et des sons en sortirent.
Elle raconta cette attaque, menée par un bateau tellement rapide que même le navire sur lequel elle se trouvait n'avait pas pu le distancer malgré les alertes.
Les cloches avaient retenti, les quelques gardes qui se trouvaient à bord s'étaient postés sur le pont pour repousser un quelconque abordage, et tous les passagers avaient été renvoyés à l'intérieur.
La bataille avait apparemment fait rage sur le pont, tous les hommes en âge de porter le fusil avait été envoyé pour contenir l'attaque, mais rien n'avait suffit.
Il y en avait chaque fois un peu plus.
Dans un mouvement de panique, elle s'était retrouvée projetée contre un mur, et compressée par les autres jeunes filles qui hurlaient là, elle s'était évanouie.
Lorsqu'elle avait repris conscience, elle était à fond de cale, en compagnie de quelques rats.
Et elle était seule.
On l'avait affublée d'un pantalon sale et d'une chemise trop grande, elle avait des fers aux poignets, et de nombreuses blessures couvraient son corps. Elle ne savait pas si on l'avait battue pendant son absence, ou si elle s'était faite piétiner par les jeunes femmes sur le bateau…
Alors avait commencé les longues journées sans personne à qui parler, sans bruit alentour si ce n'est le craquement des planches à cause du roulis, et le couinement des rats. Et de temps en temps, des pas.
Une fois seulement ils s'étaient arrêtés devant la porte de sa cellule. La porte s'était ouverte, et on l'avait traînée dehors, dans une cale sale, pour finalement atterrir dans une cuisine tout aussi répugnante. Et elle avait cuisiné sans relâche pendant des mois, dormant à même les sacs de nourriture, se nourrissant de quelques restes qui subsistaient après les repas.
Ensuite on était revenue la chercher, et elle était sortie.
On l'avait emmenée sur le pont, la nuit, car, entendait-elle, elle n'aurait pas supporter la lumière du jour, étant restée trop longtemps enfermée dans la pénombre. Il y avait un fauteuil sur le pont, et un homme qui était assis dedans.
Elle avait tenté de voir quelque chose, de distinguer un quelconque indice qui lui dirait où elle se trouvait, mais ils avaient pris soin de choisir une nuit sans lune… Rien. Il n'y avait rien qui pouvait indiquer sur quel navire elle était.
Dans la pénombre elle tenta de discerner le visage de celui qu'elle devait appeler Maître. Il avait une voix grave, une voix profonde qui semblait venir du plus profond de ses entrailles. Lentement il lui avait parlé de choses qu'elle n'avait pas compris, lui disant qu'elle était la seule à pouvoir le servir, et que pour cela il lui fallait un nom. Il lui avait parlé d'îles lointaines et de navires fantômes, et il lui avait parlé dans des langues qu'elle n'avait jamais entendu…
Ensuite elle était retournée à fond de cale, et son calvaire avait recommencé, avec en plus la venue de gardiens qui avaient ordre de la battre chaque jour, sans la tuer.
Will ferma les yeux un instant en serrant fort la main d'Elisabeth dans la sienne, tout en murmurant une brève prière.
"Alors ils te….
- Non.. Cela leur était apparemment interdit.. Ils me battaient, c'était tout."
Et lorsque l'un d'eux lui avait brisé un os, il lui avait mis une attèle, et plus personne n'était venu pendant tout le temps qu'avait duré la guérison.
Elle ne savait pas dire combien de temps elle était restée à bord de ce navire, à déposer des plats devant des portes closes où elle entendait parler anglais, à ne pas dormir la nuit car elle sentait une présence permanente dans sa cellule..
Pendant quelques temps elle avait cru qu'elle devenait lentement folle, alors elle se répétait sans cesse les leçons apprises en cours pour tenter de ne pas sombrer. Gravant sur les planches les mots de vocabulaire espagnol qu'elle relisait chaque jour…
Et puis, sans doutes un peu plus de deux ans plus tard, selon ses calculs approximatifs, le navire avait subit une attaque. Cette fois ci des pirates.
Alors avait commencé une autre période de douleurs, dans une autre cale, mais cette fois ci c'était une cage, et non une cellule dans laquelle elle était. Elle avait alors pu parler avec d'autres prisonniers.
Elle avait de nouveau servi de défouloir à certains membres de l'équipage, mais aucun ne la violenta vraiment, comme si personne ne le pouvait…
Jusqu'à ce jour, il y a sans doute plus d'un an.
Sa voix mourut dans le salon, laissant une espèce de sombre silence envahir la pièce, un silence qui s'éternisa un peu, refroidissant l'atmosphère, aidé par un orage qui s'était levé au dehors.
Will se déplaça pour aller fermer les fenêtres alors qu'Elisabeth s'était levée pour prendre les mains de Paha dans les siennes. Cette fois ci elle ne bougea pas. Comme si le fait de parler avait un peu exorcisé sa peur.
La jeune femme lui sourit en se penchant pour voir ses yeux.
"Nous allons t'aider Paha. Nous allons t'aider à retrouver cet homme qui a pris ton nom." Elle se redressa pour regarder son époux. "N'est-ce pas Will?"
Le jeune homme se passa une main dans les cheveux.
"Oui.. J'aimerais oui.. Mais je ne vois pas comm…" Il eut soudain un sourire alors que le tonnerre se déchaînait dehors. "Oui…. Attendons que le bébé naisse, nous aurons alors une aide précieuse…"
Paha les regarda tour à tour sans comprendre, puis il y eut un éclair, et puis plus rien.
