"Je ne vais pas mourir maintenant…"

Elle ne le voulait pas et luttait depuis ce qui lui semblait des jours et des jours contre une fièvre qui se refusait à quitter ses yeux et son corps. Dans des accès de conscience elle voyait Elisabeth, ou Will à son chevet, qui lui souriaient toujours avec gentillesse.

Comme elle aurait aimé cesser de les inquiéter… Elle avait l'impression de ne faire que ça depuis qu'ils l'avaient accueillie sous leur toit. C'était une sensation désagréable, même si elle savait qu'ils étaient peu soucieux de tout cela. Ils l'aimaient beaucoup et la preuve lui en avait été donné quand ils lui avaient dit qu'ils voulaient nommer leur fille Paha. Elle s'était sentie honorée, mais avait refusé, après tout elle ne méritait pas tant d'égards, et Paha n'était pas son vrai prénom …

Un gémissement lui échappa alors qu'elle sombrait de nouveau dans une sorte de torpeur inconfortable qui lui rappelait ses accès de fièvres quand l'un des gardes lui avait cassé plusieurs côtes à coup de pieds. Et elle délirait sans cesse.

Des images lui envahissaient l'esprit, des visages qu'elle voyait pour la première fois et qui riaient au dessus d'elle comme s'amusant de ses souffrances.

Elle ne voulait pas mourir ainsi, et pas maintenant. Son esprit se battait comme il pouvait contre ses ombres qui revenaient sans cesse. Et cette présence qu'elle ressentait à nouveau.

"Tu te demandes pourquoi tu es là n'est-ce pas?"

Cette voix grave et profonde, celle de celui qu'elle devait appeler Maître. Celle qui la faisait se réveiller en sursaut dans sa cellule au beau milieu de la nuit en ayant l'impression qu'il murmurait dans son oreille. Des phrases incompréhensibles, mais qui la tétanisaient.

Elle se revit marchant dans les cales sales de ce navire, un garde derrière elle dont elle ne distinguait pas le visage. Aucune issue, aucun autre chemin que ce couloir froid et sombre ponctué ça et là d'une porte donnant sans doute sur une autre cellule. Mais pas un bruit. A part celui de ses pieds nus sur les planches de bois, et celui de l'eau qui battait les cloisons extérieures. Et sa respiration, sifflante à cause de ses blessures.

Quand elle ralentissait, le garde la poussait en avant.

Elle revit sa propre main se lever lentement pour se poser sur une poignée dorée après un escalier, elle était bleuie de coups et ses doigts étaient gonflés. Elle se souvint qu'elle avait pensé à cet instant qu'il lui faudrait les couper un jour.

La porte s'ouvrit devant elle et on la poussa vers le centre de cette pièce éclairée faiblement par deux bougies blanches qui ne semblaient jamais diminuer. Et cette table derrière laquelle trônait son Maître. Son visage ridé, vieux et fatigué, mais ce sourire haineux qu'il avait.

Il lui faisait peur.

"Tu te demandes pourquoi tu es ici n'est-ce pas? Il faudra me le demander. Je veux t'entendre, et je te répondrai."

Elle vit ses mains trembler, sa mâchoire lui faisait mal et elle ne pouvait pas parler.

Lui riait doucement, s'amusant à tendre l'oreille comme s'il écoutait ce qu'elle tentait de dire.

Le noir encore.

Un éclat de conscience pour re-sombrer presque aussitôt.

Des éclats de voix, des cris, des coups de feu.. Tout se mit soudain à résonner dans son esprit, alors qu'elle tentait de se boucher les oreilles, la porte de sa cellule s'ouvrit et deux mains l'empoignèrent sans ménagement. La lumière soudainement vive de l'extérieur lui brûla les yeux, tout ce qu'elle voyait c'était des ombres, des silhouettes qui tombaient près d'elle, des larmes lui ruisselaient sur les joues et elle pensa qu'elle avait perdu la vue pour toujours.

Mais ils s'habituèrent un peu, et elle devina que ce devait être le crépuscule, elle était posée sur l'épaule d'un grand homme dont la main glissait sans ménagement sur sa cuisse, alors qu'ils passaient d'un bateau à un autre.

Il y eut des rires d'autres visages aux sourires mauvais qu'elle croisait sans vraiment les voir, tant ses yeux lui faisaient mal.

"Et bien? Elle pleure la petite? Comme c'est touchant!" Fit une voix grave près d'elle. "Mettez là en cage avec les autres, on s'en occupera pour fêter ça!"

Il y eut des cris de victoire autour d'elle, puis elle fut de nouveau entourée par l'obscurité qui lui fit un bien fou à mesure qu'ils descendaient dans les cales.

Mais elle n'y voyait plus rien.

Le soleil lui avait fait trop de mal et seules les lanternes lui étaient visibles, sinon elle ne voyait que des tâches de lumière qui lui vrillait les pupilles et la faisait pleurer de plus belle.

Elle savait ses larmes bénéfiques pour la douleur, aussi ne faisait elle rien pour les empêcher, même lorsqu'elle entendait des moqueries sur son passage, ou des mains qui la touchaient.

De nouveau le noir.



Le visage de Will apparut au dessus d'elle lui faisant avoir un sursaut suivit d'un geste maladroit du bras qu'il calma d'un tissus humide sur le front.

"Doucement Paha, tout va bien. Tu as fait un cauchemar à cause de la fièvre." Il lui adressa un sourire rassurant. "Rendors toi. Je suis là."

Elle fit non de la tête, elle ne voulait pas se rendormir pour revivre ses souvenirs.

Il lui appliqua doucement le tissus sur les joues en souriant toujours.

"Tu es en sécurité ici. Je veille, tu peux te rendormir, à chaque réveil tu me trouveras là, ou ce sera Elisabeth. Mais tu n'es pas toute seule. Alors rendors toi, tu as besoin de dormir Paha."

Elle tenta de bouger les lèvres, elle avait soif, mais aucun son ne sortit. Sa voix lui faisait de nouveau faux bond, comme dans son rêve, mais Will se pencha en fronçant les sourcils, semblant concentré sur le mouvement de ses lèvres pour comprendre ce qu'elle voulait.

Finalement il se redressa avec un sourire.

"Tu as soif?"

Elle hocha la tête avec un soupir de soulagement. Mais il fronça de nouveau les sourcils.

"Il va falloir que tu te redresses si tu veux boire… Tu peux y arriver?"

Paha ferma les yeux quelque seconde, bien sûr qu'elle ne pouvait pas y arriver, elle n'avait même pas la force de lever un bras…

"Je vais appeler Elisabeth, elle t'aidera."

Elle rouvrit les yeux et croisa le regard inquiet de Will, il savait qu'il ne pouvait pas la toucher, que chaque geste qu'il avait tenté la faisait se tasser sur elle même et elle savait qu'il n'aimait pas la voir comme cela. Mais elle avait confiance en lui, et elle n'allait pas passer sa vie à sursauter dès qu'on poserait une main sur elle, surtout si cette main est la plus bienveillante qui soit.

Elle fit non de la tête et bougea lentement le bras pour attirer son attention.

"Aide moi" Lui fit-elle comprendre.

Il eut un sourire et s'avança doucement pour passer un bras derrière son dos.

Elle tressaillit au contact mais serra les dents, de toute façon, même si elle avait peur, elle était trop faible pour faire le moindre mouvement.

Lentement il la redressa, s'arrêtant quelque fois pour la regarder et vérifier que tout allait bien car ses yeux chaviraient sous la fièvre.

Une fois qu'elle fut assise il s'écarta d'elle et lui servit un verre d'eau qu'il lui fit boire doucement.

Elle avait peur, horriblement peur de sentir les mains de Will dans sa nuque pour l'aider à boire, mais ce contact avait aussi quelque chose de rassurant, d'apaisant. Comme si quelque chose en elle se libérait enfin, une défense conditionnée dont le mur s'effritait encore un peu plus.

Il l'aida ensuite à se rallonger, puis se réinstalla sur sa chaise en souriant toujours.

"Je suis désolée…" Murmura-t-elle en fermant les yeux une seconde.

Will eut un haussement d'épaules.

"Tu n'as pas à être désolée, être malade arrive à tout le monde."

Paha referma les yeux pour se concentrer, elle ne voulait pas dormir maintenant et replonger dans ses cauchemars, elle avait besoin de parler.

"Tout va bien dans la maison?" Articula-t-elle après quelques secondes d'efforts.

"Oui. Tout va bien. Elisabeth se porte à merveille, bien que la petite ne fasse pas ses nuits correctement.

- Emily?

- Mmm. Elle ne dort pas beaucoup et réveille son frère, mais ils vont bien tous les deux. Elle commence à sourire aussi un peu…"

Une fois de plus il avait compris ce qu'elle voulait sans qu'elle le lui dise, aussi se mit il à leur raconter leur vie de tous les jours, et des progrès des petits. Jack avait fait ses premiers pas quelques jours plus tôt, et commençait à baragouiner quelques sons.

Il lui parla encore, mais elle avait fermé les yeux et sa voix s'éloignait peu à peu de sa conscience, bientôt remplacée par une autre qui disait des choses qu'elle le comprenait pas vraiment.



Ses yeux s'ouvrirent de nouveau sur une cellule, mais cette fois-ci c'était une cage et elle put regarder autour d'elle, il y avait des corps endormis à côté d'elle, et d'autres prisonniers dans les cages voisines, la voix venait de celle qui était juste à côté de la sienne, elle s'approcha des barreaux et plissa les yeux pour distinguer quelque chose.

Il faisait sombre dans cette cale, et sa douleur aux yeux l'empêchait de discernait les visages, mais elle put voir qu'il s'agissait d'un homme assis par terre, adossé à la cloison qui marmonnait dans son sommeil. Apparemment il avait été battu sévèrement et pour ce qu'elle pouvait en juger, il était seul dans sa cage.

Il sursauta soudain et releva les yeux, faisant croiser leur regards, un court instant elle le vit esquisser un geste pour reculer, puis il lui adressa un signe vague de la main mais ne dit rien.

La porte de sa cage s'ouvrit d'un coup et quelques hommes entrèrent, elle se tassa sur elle-même, mais ils la virent et l'un d'eux lui empoigna le bras pour la faire se lever avec un sourire mauvais. Son cœur s'emballa quand une autre main lui attrapa une jambe, ils allaient la traîner dehors disaient-ils, par les cheveux s'il le fallait, car elle était le cadeau pour tous les hommes de l'équipage.

"Dommage qu'y est eu qu'une seule femme à bord de ce rafiot.." Fit l'un d'eux. "Elle sera sûrement morte avant la fin…"

Ses yeux s'agrandirent à ces paroles et elle tenta mollement de se débattre, mais ses forces l'avaient abandonnées. Elle poussa un hurlement et bougea les mains et les pieds pour qu'ils ne l'attrapent pas, mais ils étaient trop nombreux et les coups se mirent à pleuvoir pour la faire taire. L'un d'eux s'approcha lorsqu'elle fut trop faible pour bouger, le corps tremblant de douleur, elle le vit défaire sa ceinture.

"Puisqu'y faut te calmer ici!"

Une silhouette se releva soudain à côté de lui et il fit un pas en retrait. Une voix profonde et grave résonna dans la cage.

"Elle est à moi."

Les six hommes reculèrent.

"Elle est à moi et personne d'autre ne peut la toucher. Si l'un de vous ose la toucher de cette façon, il mourra aussitôt."

Paha fit un effort pour ouvrir les yeux et elle eut un sursaut en reconnaissant celui qu'elle se devait de nommer Maître. Il brandissait quelque chose devant eux, mais ce n'était pas une arme, plus une sorte de pierre qui semblait scintiller sous la lueur des lanternes.

L'un des hommes reprit ses esprits et lui envoya un coup de pieds qui le fit tomber et rouler près d'elle.

Elle se recula un peu plus contre les barreaux, c'était la première fois qu'elle le voyait de près, et plus que les gardes il lui faisait peur. Son visage était vieux, froissé, pourtant ses yeux brillaient étrangement dans la pénombre, elle vit sa main s'approcher d'elle lentement, une main squelettique qui tenait cette pierre. Il souleva d'un coup un côté de sa chemise et plaqua la pierre sur sa peau.

Paha hurla de douleur, le contact lui brûlait la chair, alors que lui arborait un sourire vainqueur.

"Tu m'appartiens Paha! Tu es à moi!"

Il fut tiré en arrière par les gardes qui l'entraînèrent dans une autre cage, puis ils revinrent vers elle.

"Il est plus là, on fait ce qu'on veut ma belle."

Le plus grand s'approcha, mais au moment de la toucher, il recula instinctivement.

"Et bin John? T'es impuissant maintenant?" Railla un de ses complices.

L'intéressé se releva lentement, de la sueur lui coulait sur le front.

"Vous faites ce que vous voulez les gars, mais moi j'y touche pas. Elle est maudite cette garce.

- Maudite? Tu te moques de qui? Pas la peine de te chercher des excuses si t'es qu'un trouillard. Dégage de là, je vais me la faire."

Elle ferma les yeux et crispa la mâchoire, attendant le choc ou le contact, mais il n'y eut rien. Elle souleva les paupières pour discerner les six visages qui exprimaient une profonde terreur. Celui qui était le plus près se signa devant elle, puis secoua la tête en s'essuyant le front avant de se tourner vers les autres.

"On peut pas se la faire définitivement… Par contre on peut se passer les nerfs dessus. Et moi ça me met en rogne de voir que c'est même pas un butin utile!"

Il lui envoya un coup de pieds dans les côtes qu réveilla d'anciennes douleurs et elle se plia en deux avec un gémissement.

Du coin de l'œil elle vit un poing se diriger vers elle, mais il fut arrêter par une main qui venait de passer entre les barreaux.

"Vous êtes mauvais les gars… S'acharner sur une gamine… Vous faiblissez."

La voix était sifflante, essoufflée, et en inclinant un peu le visage, elle discerna la silhouette qu'elle avait vu adossée à la paroi, et bien qu'elle ne put de nouveau pas voir son visage, elle eut la confirmation qu'il avait été battu, car du sang perlait de son bras, et de sa chemise dépassaient des bleus.

Les gardes se tournèrent vers lui en riant soudain.

"Et bien quoi? Tu n'as pas eu ton comptant toi non plus?"

Ils sortirent de sa cage pour ouvrir la voisine et empoignèrent le pauvre homme qui avait même du mal à marcher, mais qui les narguait toujours.

Un des hommes s'arrêta devant sa cage et la pointa du doigt.

"Toi! T'en fais pas, dès que ton "maître" passe l'arme à gauche, c'est toi qui y passe. D'ici là, on viendra t'habituer aux coups…"

Il cracha vers elle et quitta la cale.

Ensuite elle entendit des bruits de coups étouffés, des rires, et cela dura une bonne partie de ce qui devait être la nuit avant qu'il ne ramène cet homme, inconscient, qu'ils jetèrent sans ménagement dans sa cage.

Instinctivement elle vint se coller à la paroi proche de l'endroit où il était tombé, ramena ses genoux contre elle et se mit à sangloter, pour la première fois depuis ce qui lui semblait être des années. Dans ses sanglots elle murmurait des merci inaudibles, il venait sans doute de lui sauver la vie, et elle ne pouvait rien faire pour lui..

Un nouveau trou noir, un semblant de conscience, elle vit Elisabeth en chemise de nuit qui lui tenait les poignets plaqués contre le lit. Elle était essoufflée et des traces d'ongles étaient visibles sur le bas de son visage.

Pourtant elle lui sourit en lui caressant les cheveux, voyant qu'elle était calme de nouveau.

"Sssshhh.. Tout va bien Paha. Ce n'est qu'un cauchemar. Tout va bien."

Elle laissa échapper un gémissement alors qu'elle se sentait partir de nouveau, d'un dernier sursaut conscient elle vit les lèvres d'Elisabeth qui bougeaient toujours, mais elle n'entendit plus rien.





De nouveau sa cage. De nouveau les gardes. Les coups qui pleuvaient plusieurs fois par jour, mais elle avait changé de cellule. Elle eut un sursaut en sentant un corps près du sien, et instinctivement elle se recula autant qu'elle pouvait en se collant à la paroi. Elle ne savait pas qui c'était ni comment elle était arrivée là, mais lorsqu'elle se tourna vers ce qui était son ancienne cage, il n'y avait plus personne, seulement une silhouette qui lui adressa un sourire mauvais en s'approchant lentement.

Son Maître.

Il colla son visage aux barreaux et la regarda longuement alors qu'elle s'éloignait un peu de lui, et son visage changea d'expression. Elle n'y avait toujours vu que de la haine, et soudain elle y lisait une peine profonde, comme s'il s'était résigné à quelque chose après des jours et des jours de réflexion. Une douleur lucide qui brillait dans ses yeux, une douleur contre laquelle il savait qu'il ne pouvait pas lutter. Il lui adressa un pauvre sourire.

"Je vais bientôt mourir Paha. J'espérais qu'on viendrait nous chercher avant, mais ce n'est pas le cas, ils sont en retard. D'ici un jour ou deux je ne serai plus là, et alors…" Il fut pris d'un quinte de toux qui le maintint plié en deux pendant de longues minutes avant qu'il parvienne à reprendre son souffle.

"Mais tu m'appartiens, et même mort je te garde pour moi.

- Pourquoi? Qui êtes vous?"

Il eut un petit rire en faisant un geste de la main.

"Qui je suis? C'est une bonne question. Ce serait trop long à t'expliquer. Mais tu le sauras un jour, si tu survis ici, ce dont je doute maintenant que la vie me quitte."

Elle s'approcha de lui lentement, le foudroyant du regard, c'était à cause de lui tout ça, c'était lui qui avait fait attaquer le navire qui aller à Port Royal, c'était de son fait, c'était de sa faute si elle avait tout perdu, jusqu'à son nom et ses souvenirs.

"Inutile de me regarder comme ça. J'aurais préféré ne pas mourir, mais nos sauveurs sont en retard, ce qui te laisse à la merci de ces brutes.

- Rendez moi mon nom et ma vie."

Il éclata de rire soudain, déclenchant une nouvelle quinte de toux qui ne l'empêcha pas de continuer à rire entre deux hoquets de douleur. Après quelques secondes il reprit son sérieux et la fixa intensément.

"Te rendre ton nom? Il est à moi. Tu es à moi. Que tu le veuilles ou non! Et pour toujours.

- Je ne comprends pas ce que vous me voulez… Pourquoi moi? Où sont toutes les personnes qui étaient avec moi sur le navire? Celles qui étaient dans cette cage il y a quelques jours…

- Quelques jours? Ma pauvre enfant, cela fait plus d'un an que tu es dans la cage voisine." Il secoua la tête avant de la fixer de nouveau. "Mais ce n'est pas étonnant que tu ne te rendes compte de rien.. Ils vous emmènent sans cesse, toi et ton compagnon. Etonnant d'ailleurs qu'il ne soit pas encore mort.. Ils ne le ménagent pas. Toi tu es à moi c'est normal, mais lui… Il est résistant ce pirate." Il marqua un pause pour reprendre son souffle puis continua. "Mais pour répondre à ta question Paha, tous ces gens sont morts. Tous."

Elle se recula instinctivement en se plaquant la main sur la bouche.

Un an?

Comment avait-elle pu perdre ainsi la notion du temps?

Sa main heurta le corps inerte de l'homme qui l'accompagnait et elle sursauta de nouveau en s'en éloignant rapidement.

"Pourquoi tu t'en écartes? Tu n'as vraiment rien à craindre de lui Paha. Il les provoque sans cesse pour qu'ils l'emmènent à ta place…

- Vous mentez.. Je ne m'en souviens pas."

Il eut un petit rire en collant un peu plus son visage aux barreaux comme s'il voulait passer au travers.

"Réfléchis pauvre Paha, tu ne savais même pas que tu avais déjà passé plus d'un an ici.. Comment pourrais-tu te souvenir de ce genre de détails?" Il fouilla un instant dans sa poche et lui lança un petit flacon. "Quoiqu'il en soit, prends ceci. C'est un onguent qui apaisera vos douleurs.. Il est évident que je vais mourir bientôt, tu en auras besoin."

Il se retourna et s'adossa aux barreaux doucement en toussant un peu.

"Oui.. Je vais bientôt mourir.. Je ne pensais pas en finir si vite, mais si c'est ainsi.."

Il marmonna ensuite de longues phrases sans queues ni têtes, ou du moins dont elle ne parvenait pas à saisir le sens.

Lentement elle ramassa le petit flacon et s'avança un peu vers les barreaux.

"Pourquoi vous faites ça? Vous m'avez kidnappée sur ce navire en tuant tout l'équipage, vos gardes m'ont battue jours après jours pendant plus de deux ans, vous vous amusiez de mes tortures, et maintenant vous me soignez?"

Il tourna à peine le visage vers elle, ses yeux brillants de nouveau de cet éclat malsain.

"Il faudra que tu me cherches, pour retrouver ton nom, et moi je n'ai aucun intérêt à ce que tu meures ici.

- Mais si vous mourez ici? Pourquoi je devrais vous chercher?"

Il lui adressa un sourire mauvais.

"Je sais beaucoup de choses, et toi tu en as à apprendre. La curiosité t'y poussera, comme elle te pousse maintenant à me parler par delà tes délires fiévreux.."

Elle le regarda longuement sans comprendre de quoi il parlait, puis se pencha vers lui de nouveau.

"Pourquoi suis-je ici Maître?"

Son visage froissé se retourna vers elle et l'observa pendant un temps indéfinissable.

"Pourquoi cette question?

- Vous disiez que si je vous la posais, vous me donneriez la réponse. Je vous le demande."

De nouveau un long silence avant qu'il ne lui adresse un autre sourire.

"Parce que tu m'as été donnée. Depuis longtemps. Je suis venu chercher mon dû sur ce navire de transport." Il lui tourna le dos. "Maintenant laisse moi mourir, et soigne toi."

Au travers des barreaux elle lui attrapa l'épaule et le força à se retourner.

"Vous laissez mourir? Pas avant que vous me disiez qui m'a donné? Je veux des réponses.

- Si tu survis tu les auras. Vas te soigner, et panse ce pirate aussi, il le mérite."

Il se dégagea de sa main et alla lentement s'installer de l'autre côté de la cage, face à elle, mais il ne la regardait plus.

Sa main retomba le long des barreaux avant qu'elle ne s'en éloigne lentement pour s'asseoir à côté du corps toujours inerte de l'homme qui partageait sa cellule. Une fois là elle ramena ses genoux sous son menton et fixa le torse du pirate qui se levait et s'abaissait lentement au rythme de sa respiration, il était couvert de coups, de blessures, et elle l'était beaucoup moins…

Doucement elle ouvrit la petite bouteille, et la posa à côté d'elle. Ses mains tremblaient, mais elle lui devait bien de s'occuper un peu de lui, et puis d'aussi loin qu'elle se souvienne, il ne s'était jamais montré agressif envers elle. D'un geste hésitant elle écarta le tissus sale et déchiré qui constituait le reste de sa chemise, et avec un bout de la sienne à peu près propre, elle appliqua doucement l'onguent sur les blessures.

Le pirate eut un sursaut et ouvrit lentement les yeux, faisant de nouveau se croiser leur regard dans la pénombre, mais les contour de son visage restaient indistincts.

Dans les ténèbres elle distingua tout de même un faible sourire, puis ses lèvres remuèrent un moment avant qu'il réussisse à émettre un son.

"Merci petite fille…"

Elle lui fit un signe de tête en continuant à appliquer le produit qui semblait faire effet immédiatement, refermant les plaies les plus béantes.

Il leva lentement sa main et la posa sur son bras, lui faisant cesser ses mouvements.

"Gardes en pour toi."

Elle serra les dents, elle n'avait pas l'intention d'en laisser pour ses propres blessures, elle n'avait rien de grave à part une âme brisée, et elle voulait qu'il s'en sorte, peut-être plus qu'elle même. Sa vie allait disparaître avec ce vieil homme dans la cage voisine de toute façon, alors pourquoi se soigner…

"Il y en aura assez." Murmura-t-elle en reprenant son application.

Il lui adressa un sourire un peu plus franc.

"Je suis obligé de te croire."

Discrètement elle vida le reste de la bouteille sur le lambeau de tissus et lui soigna le dos, l'aidant à se retourner pour y avoir accès. La seule chose qu'elle remarqua alors était qu'il avait les cheveux très longs pour un homme, et que les coups de bâton et de lanière en cuir avait du pleuvoir, pas un centimètre de peau n'avait été épargné.

Elle se plaqua une main sur la bouche devant le spectacle de cette chair qui s'était infectée par endroits, et des larmes lui montèrent aux yeux alors qu'elle passait lentement le tissus sur les blessures et qu'elle voyait qu'il se tendait sous la douleur, sans dire un mot. Mais l'onguent fut efficace ici aussi, et les chairs moisie se refermèrent proprement, ne laissant que des blessures superficielles. Mais elle ne pouvait rien faire contre les os brisés, et son omoplate gauche devait l'être, étant donné le bleu qu'il avait à ce niveau là. Il était à ce point affaiblit qu'il parvenait à dormir sur le dos malgré cette blessure…

Lorsqu'elle l'aida de nouveau à se retourner, il lui adressa un autre sourire en posant sa main sur son bras une nouvelle fois.

"Compagnons d'infortune petite fille… Navré qu'on se rencontre dans ces conditions…"

Elle lui sourit et allait lui répondre, mais la porte de la cage s'ouvrit brusquement , laissant entrer deux gardes qui lui envoyèrent un coup de pieds pour l'éloigner de lui, puis il empoignèrent le pirate pour le relever.

"Aller Sparrow! C'est ton heure mon grand! Le capitaine est en rogne…"

Au moment de passer la porte de la cage, il releva la tête et joignit les mains devant lui avec un sourire.

"Merci à toi petite fille.. On se retrouve tout à l'heure…"

De nouveau il disparut dans la pièce où ils l'emmenaient elle aussi quelques fois, même si la plupart du temps ils la battaient dans cette cellule.. De nouveau des bruits de coups étouffés, des rires, toujours les mêmes, et puis soudain, des bruits de pas précipités, des éclats de voix, et la porte de sa cage qui s'ouvrit soudain, laissant entrer deux autres gardes qui lui attrapèrent les poignets et la soulevèrent sans mal.

En passant devant la cage voisine, les larmes se mirent à couler sur ses joues : son Maître était mort.

Au moment de passer la porte de la pièce, elle ravala pourtant ses pleurs, elle ne voulait pas les amuser.

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Paha ouvrit soudain les yeux, croisant presque immédiatement le regard rassurant de Will qui lui adressa un large sourire.

"La fièvre a enfin baissé Paha.. Comment te sens-tu?"

Elle se sentait confuse, des images lui étaient revenues en mémoire pendant son inconscience, des souvenirs et des discussions dont elle avait oublié l'existence, mais qui lui avaient apporté de nouveaux éléments de réponses. C'était un peu flou dans son esprit, mais elle se souvenait des mots du vieil homme qui était son Maître. Elle le savait maintenant. Et elle voulait le retrouver, et connaître enfin tout le fond de cette histoire, toute la partie cachée de sa vie. A cet instant, et parce qu'elle l'avait vu dans ses délires, elle était sûre qu'il était quelque part, et où qu'il soit, elle le retrouverait.

Tous ces jours à lutter contre la fièvre lui avaient remis certaines choses en mémoire, mais beaucoup de détails restaient à éclaircir, et elle avait de nouveau oublié le nom de cet homme qui était avec elle dans la cage… Elle tenta de se souvenir, mais la migraine la reprit insidieusement, aussi referma-t-elle les yeux quelques secondes.

Oui, il fallait qu'elle retrouve son Maître, et toutes les pièces seraient réunies.

Le visage de Will la ramena doucement vers la réalité, et elle observa autour d'elle : ce n'était pas sa chambre.

"Où suis-je?

- A bord du Black Pearl, nous faisons route vers Tortuga pour retrouver la trace de ce Loup Blanc."

Elle se releva lentement, aidée par la main de Will.

"Nous sommes sur un navire? Mais.. Elisabeth?

- Elle va très bien, mais elle est restée à Port Royal avec les enfants, même si elle aurait bien voulu venir.

- Pourquoi es-tu là Will? Tu devrais être avec eux…"

Il secoua la tête.

"Il est hors de question que je te laisse seule à bord de ce navire et pour cette aventure. Qui plus est… Le Capitaine a insisté pour que je vienne.

- Le Capitaine?"

Une voix venant de l'entrée de la cabine les fit se retourner.

"Capitaine Jack Sparrow missy, pour vous servir."

Il lui fit une révérence avant de s'avancer avec un plissement d'yeux, les bras un peu écartés comme s'il avait besoin de cela pour garder l'équilibre.

"Bienvenue à bord de mon précieux Black Pearl Missy, et ravi de voir que vous vous portez mieux."

Paha le regarda longuement, sans savoir pourquoi son cœur s'était emballé au nom Sparrow, et cette silhouette lui disait quelque chose..

"Oui, vous m'avez déjà vu si c'est à cela que vous pensez.."

Il s'avança vers elle et lui fit une autre révérence, alors que Will lui lançait un regard intrigué.

Elle le vit se pencher un peu vers elle en agitant la main devant son nez, les sourcils froncés.

"Chez ce jeune homme, on nous a présenté, mais vous aviez de la fièvre et je ne suis pas sûr que vous vous en souveniez…

- Non en effet…"

Il se redressa lentement en se penchant un peu en arrière, l'air sceptique.

"Oooh.. Et bien tant pis dans ce cas.. Bienvenue tout de même."

Il lui fit une autre révérence puis se détourna en agitant les bras vaguement et quitta la pièce, sans attendre de réponse.

Paha le regarda partir avec une pointe au cœur, elle ne se souvenait pas de l'avoir vu chez Will, pas précisément en tout cas, mais cette impression de déjà vu devait alors venir de là.