-Reno, je… je m'excuse d'avoir utilisé une Matéria contre toi.
-C'est Tseng qui t'oblige à t'excuser?
Il est furieux. Ma simple vue semble lui donner de l'urticaire. Il faut dire que le ton de mes excuses n'avait rien de sincère…
-Oui.
-Évidemment, maugrée-t-il.
Il est cloué au lit, une simple chemise d'hôpital bleue sur les épaules. Les installations médicales de la Shin-Ra n'ont rien de bien original… elles sont simplement plus efficaces.
-Alors tu ne regrettes rien.
-La seule chose que je regrette, c'est ta présence au sein des Turks, Reno.
Heureusement, il n'a aucune arme sous la main, aucune Matéria, rien…
-Et moi, ce que je regrette, c'est que tu sois venue au monde, petite salope! Et ta soirée avec Rufus, c'était comment? Est-ce que vous avez enfin conclu?
Je le regarde d'un air dégoûté.
-Il ne s'est rien passé, voyons, il n'y a que toi qui t'imagines ce genre de perversités!
-Ah oui?
Qu'est-ce que c'est que ce sourire de carnassier? On dirait un prédateur qui veut achever sa proie…
-Et les journaux, ils inventent de perversités eux aussi?
Il me jette un amas de papier à la figure. Je l'attrape de justesse, et je regarde la couverture…
-Oh non…
-Hé oui! Alors, c'est qui le pervers entre nous deux?
À la première page s'étale, en couleurs et en haute définition, une photo prise au moment où Rufus m'a embrassée. Les photographes. Il y avait des photographes de presse à cette soirée. Pourquoi n'y ai-je pas fait attention?
-Ta jolie petite tête blonde fait la une des journaux, 'Lena, j'espère que tu es fière de toi! Tu es la honte des Turks, à t'exhiber ainsi. Et où est-ce que tu as pris une robe aussi…
Pas la peine d'en écouter davantage. Je ne veux plus rien entendre, plus rien voir, plus rien ressentir. J'en ai assez de pleurer, assez d'avoir honte de moi-même, assez de me sentir l'objet de tous les regards… Je quitte la chambre de Reno qui ricane dans mon dos, et je prends l'ascenseur.
Qu'est-il arrivé à mon calme habituel? Je ne suis plus une tueuse, une Turk, une élite de la Shin-Ra… Je ne suis plus moi-même…
Au contraire, Elena. Tu redeviens ce que tu t'es toujours caché : une femme…un être doux, sentimental… tout le contraire de ce régime de pensée que tu t'imposes depuis des années… Tu es une femme avant d'être tout ce que tu crois être devenue. Turk, tueuse…
Ding! Le bureau de Rufus. Je dois y aller, je ne dois pas fuir, je dois le confronter, une fois pour toutes. Je ne prends pas la peine de frapper à sa porte et j'entre directement. Heureusement, il est seul.
-Rufus, espèce de salaud! Qu'est-ce que ça veut dire?
Il sursaute. Je suis rouge, encore rouge, mais cette fois de colère. Au diable la politesse, au diable le vouvoiement.
-Elena! Mais que…
Je lance le journal sur son bureau. Ses yeux d'agrandissent alors qu'ils scrutent la photo.
-Oh… je vois…
-Si tu vois, tu pourrais m'expliquer? Pourquoi est-ce que cette photo est sur la couverture d'un journal?
-Ma chère, tu devais bien t'attendre à ce qu'on en parle… après tout, je suis un homme connu…
-Comment oses-tu prendre cela à la légère? Je suis une Turk, moi, pas une potiche célèbre! J'ai une identité à faire oublier!
-Tu exagères, on te reconnaît à peine… tu portais tant de maquillage…
-Rufus, je démissionne.
-Quoi?
Victoire. Enfin, son sourire a disparu de ses lèvres. J'aurai au moins réussi à accomplir un point sur ma liste-de-choses-à-faire-absolument-avant-de-mourir.
-Non, attends… tu ne peux pas être sérieuse!
-Je ne peux plus être une Turk, Rufus, ni votre garde du corps.
Il prend sa tête entre ses mains.
-Elena… j'ai besoin de toi…
-Vous vous trouverez un autre garde du corps. Je ne peux plus rester ici, j'ai honte de me trouver entre ces murs.
-Non, tu ne comprends pas…
Il se lève de son fauteuil. Sa tête est basse, ses gestes sont lourds, maladroits.
-Il n'y a personne d'autre… non… J'ai toujours obtenu tout ce que je désirais, mais toi… je ne pourrais pas…
Chaque fois qu'il s'approche de moi, j'ai l'impression que le ciel va me tomber sur la tête. Il est toujours trop près, toujours trop… dangereux…
-Il n'y a que toi… depuis ton arrivée parmi les Turks, il n'y a que toi… Tu ne peux pas m'abandonner, Elena.
Il me serre dans ses bras. J'ai la tête contre sa poitrine, je sens son coeur battre à vive allure, je sens son parfum, son odeur à la fois douce et très âcre… très masculine… Je ressens sa chaleur, je ressens le tremblement de ses membres, je ressens ses baisers dans ma chevelure, et il n'y a plus rien d'autre.
Il m'aime. Il m'aime vraiment.
-Rufus…
Il desserre son étreinte, et je regrette déjà la force de ses bras.
-Je suis désolé, Elena…
-Rufus…
Je l'embrasse. Ses lèvres ne sont pas que des lèvres, elles n'ont pas que leur simple goût de lèvres. Elles goûtent l'amour. Je laisse sa langue entrer dans ma bouche, je laisse ses doigts parcourir ma courte chevelure blonde, de ma nuque à mon dos, de mon dos au creux de mes reins…
Il est beau. Il sent bon. Il est riche et célèbre. Il a troublé mon âme. Il m'aime.
Je vais l'aimer. Je l'aimerai de toute mon ambition, de tout mon orgueil, de toute ma fierté, de toute ma force, de toute ma violence, de toute ma naïveté, de toutes mes peurs. Je n'ai rien d'autre à lui offrir : il prendra ce qu'il voudra.
