« Alea jacta est »

( Le sort en est jeté)

CÉSAR

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" The hardest thing in this world is to live in it »

( La chose la plus dure dans ce monde, c'est d'y vivre)

Dawn, Buffy contre les Vampires, épisode 22, saison 5.

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CHAPITRE 5 : LUTTES POUR LA SURVIE…

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Le lundi 20 décembre au soir, Jesse décida qu'il était grandement le temps de faire l'acquisition d'un sapin de Noël. Puisqu'il était maintenant manifeste que Shalimar ne s'en chargerait pas elle-même, le jeune Moléculaire avait embrigadé Brennan dans sa recherche de l'arbre idéal : il avait à cœur de perpétrer la tradition. Aussi le lendemain matin, malgré les plaintes de Brennan qui pensait acheter ledit arbre au centre commercial, s'étaient-ils rendus dans la broussailleuse forêt qui entourait le Sanctuaire. Après plusieurs heures passées à patauger dans la boue, luttant difficilement contre les rafales de vent, presque aveuglés par la neige qui tombait drue, Jesse et Brennan s'étaient enfin décidés pour un majestueux sapin vert émeraude. Il était parfait : ni trop encombrant (parce qu'il fallait bien le ramener), ni trop haut (parce qu'il ne faudrait sûrement pas compter sur les talents d'équilibriste de Shalimar pour le décorer) mais suffisamment feuillu et élégant pour faire illusion.

À bord du 4/4 qui les ramenait à vive allure à la maison – le sapin fièrement dressé sur la banquette arrière bringuebalant dangereusement à chaque tournant –, Jesse se décida à poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis plusieurs jours (et qui, rétrospectivement, était peut-être la raison principale qui lui avait fait demander l'aide de Brennan) :

- Brennan, comment va Shalimar ?

- Sais pas Jess'… Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, elle m'évite depuis le jour où le Dominion nous a envoyé cette stupide vidéo – qui, soit dit entre parenthèses, ne nous a absolument rien appris sur Sammy –…

Et en plus, elle me déteste ! Mais Jesse n'aurait pas compris…

- Excuse vieux ! Je… je pensais qu'à toi au moins elle dirait quelque chose…, tenta-t-il de se justifier tout en fixant son ami dans le rétroviseur intérieur.

- Alors, rétorqua Brennan visiblement agacé, - Tu te trompes… Et regarde la route sinon on va finir dans le fossé !

Sans le savoir, Jesse avait touché la corde sensible de Brennan. Voilà plus d'une semaine que Shalimar évitait soigneusement de se trouver en présence du matérial électrique. Une semaine qu'elle ne venait plus le rejoindre dans son lit… Pourtant il rongeait son frein. Chaque soir, dès qu'il se trouvait seul dans sa chambre, il tournait en rond, broyant des idées noires sur son manque de tact, sur la détresse qui paralysait Shalimar et qu'elle ne parvenait pas à lui confier, à se demander s'il devait respecter l'isolement de la jeune femme ou au contraire, provoquer une confrontation directe avec elle… Pourrait-elle le supporter ? Et lui, pourrait-il supporter d'entendre encore de sa belle bouche les mots qui blessent ?

Mais pour être exact, Shalimar n'évitait pas seulement Brennan : elle semblait fuir pareillement tous les membres de Mutant X. La journée, comme aucune mission ne requérait sa présence dans les parties communes du Sanctuaire, la jeune femme restait enfermée dans sa chambre. Parfois elle s'entraînait au Dojo, s'éclipsant discrètement dès que quelqu'un approchait. Le soir, elle sortait chasser dans les ruelles sombres et les bars mal famés de la Grande Ville, à l'affût des criminels et des hors-la-loi sur lesquels déverser sa colère. Au petit matin lorsqu'elle rentrait enfin, épuisée mais apaisée, charriant derrière elle des effluves écoeurantes de tabac froid et de mauvais alcool, Brennan se demandait si dans les endroits interlopes qu'elle fréquentait, elle rencontrait d'autres hommes…

Il n'était pas aveugle : il savait bien qu'une fille comme elle, sexy au diable et provocante à souhait, attirait le regard des hommes. D'ailleurs, elle aimait en jouer et il aimait qu'elle en joue. Mais il savait aussi Shalimar parfaitement capable de coucher avec l'un d'entre eux, avec un inconnu, juste pour extérioriser son mal être… Pour soulager sa peine… ça n'aurait guère été la première fois (même si alors, ils ne sortaient pas encore ensemble)… Une partie de la jeune femme était obscure, parfois dure, parfois cruelle – peut-être à cause de sa mutation génétique – et Brennan ne lui en voulait pas : il l'aimait telle qu'elle était. Il était prêt à tout lui pardonner, pourvu qu'elle lui revienne à la fin…

Pourtant l'image de Shalimar abandonnée dans les bras d'un homme qui n'était pas lui, l'image de ses jolis seins hauts et fermes, de la grâce de ses muscles avec leurs pleins et leurs déliés, du grain délicat de sa peau possédés par un autre le rendait terriblement malheureux…

Le reste du trajet s'effectua dans un silence maussade seulement troublé par le craquement feutré de la neige sous les roues du 4/4, Brennan muré dans ses pensées les plus intimes et Jesse à la fois soucieux de sa conduite et vaguement conscient d'avoir vexé son ami.

Certes, lui aussi s'inquiétait pour Shalimar, mais c'était d'une inquiétude fraternelle tranquille et confiante, toute différente des sentiments antagonistes d'angoisse, de manque physique et de jalousie qui torturaient Brennan. D'ailleurs, Jesse ignorait la nature particulière de la nouvelle relation instaurée entre ses deux amis… De plus, il avait un passé commun avec la féline bien plus long que quiconque d'autre au Sanctuaire et il savait bien que ce n'était pas la première fois qu'elle réagissait ainsi, s'enfermant – s'enferrant – dans le mutisme et la solitude. À ce titre, les semaines suivant la mort de Richard avaient été bien pires…

Dans un ultime effort pour renouer le contact, Jesse demanda d'un ton complice :

- Dis Bren', est-ce que ça te tente une petite séance de décoration de sapin de Noël ? Je suis sûr qu'à nous deux on va épater les filles !

- C'est ça ! Rêve toujours Jesse… J'ai passé l'âge de faire mumuse avec les boules et les guirlandes. Et puis, c'était ton idée, débrouille-toi !

Le matérial électrique garda la tête ostensiblement tournée en direction de sa fenêtre et du paysage enneigé qui défilait à vive allure sous ses yeux – hors de portée de Jesse –. Mais son profil témoignait suffisamment de son air revêche d'enfant boudeur. Devant le silence médusé de Jesse, il ajouta avec l'intention de blesser autant que lui-même souffrait de l'absence de Shalimar :

- Demande donc à ta brune de t'aider !


… Au même moment, au deuxième sous-sol d'un gratte ciel anonyme de la Grande Ville, se tenait une réunion ultra secrète rassemblant quelques-uns parmi les cadres supérieurs du Dominion…

Une poignée d'hommes et de femmes (guère plus d'une dizaine), costumes stricts et visages sobres coordonnés, siégeaient autour d'une longue table vernissée. Tous semblaient nerveux – de cette nervosité naturelle que conféraient de hautes responsabilités et une masse de travail trop importante –. Un seul d'entre eux paraissait vraiment agité, gros personnage au catogan grisonnant et à la mise négligée. Peut-être parce qu'obscurément ils ressentaient les sentiments contradictoires et négatifs qui émanaient de cet homme, peut-être parce qu'ils craignaient d'être contaminés par ceux-ci ou encore parce qu'ils en avaient peur, les autres membres prirent délibérément place loin de lui.

Surgie de nulle part, une voix puissante et encore jeune s'adressa directement à ce dernier :

- Avez-vous établi le contact avec Mademoiselle Pierce et l'équipe des Mutants X, comme convenu ? Nous conservent-ils toute leur confiance ?

- Oui, il semble que oui, répondit l'homme interpellé. Seul le matérial électrique a été plus difficile à convaincre. C'est une forte tête. Et la féline, Mademoiselle Fox, était absente… Néanmoins, ils vont garder l'enfant avec eux au Sanctuaire jusqu'à ce qu'elle sache utiliser ses pouvoirs, comme nous en avions décidé.

- Se doutent-ils de ce qu'elle est vraiment ?

- Non…

L'homme au catogan marqua une courte hésitation tandis que les indices livrés par lui à Lexa lui revenaient en tête. Mais c'était entre lui et elle et personne d'autre n'en serait jamais rien.

- Non, pas que je sache, reprit-il. Mais… Je pense que pour une fois nous devrions partager nos informations avec l'équipe de Mutant X. Après tout… après tout, l'enfant est la sœur de l'une d'entre eux et croyez-moi, ils ne vont pas la laisser partir comme ça…

- La sœur , railla la voix. Alors comme ça, vous vous mettez à croire à vos propres mensonges ? Voilà qui est touchant…

Des murmures étouffés se firent entendre autour de la table de travail : amusement contenu ? Crainte devant la contrariété montante de leur puissant interlocuteur ? Nul n'aurait pu le dire … Cependant lorsqu'il reprit la parole, le silence régna à nouveau dans la pièce obscure :

- Il en est hors de question ! Nous en avons déjà discuté ici même : les Mutants X ne doivent rien soupçonner. Il en va de la sauvegarde de l'humanité autant que de la sécurité de la fille. Ils sont jeunes et impétueux, nous sommes une organisation multi séculaire implantée sur 5 continents : la décision nous appartient. Bon sang, vous savez pourtant pourquoi nous faisons cela et pourquoi c'est si important !

- Et vous savez pourquoi je désapprouve la ligne de conduite du Dominion sur ce point. Nous avons pour mission de protéger la race humaine oui, mais pas de jouer les apprentis sorciers ! Et encore moins quand la vie d'une enfant innocente est en jeu ! Et ne venez surtout pas me dire qu'il ne s'agit pas d'une enfant , asséna l'homme au catogan.

Chacun de ses mots tombait dans le silence comme un claquement de fouet, tandis que ses petits yeux porcins lançaient des éclairs de rage. Soudain, il se leva si brusquement que son siège bascula en arrière et vint heurter le sol dans un sinistre fracas.

- Je crois…, reprit-il en toisant de toute sa hauteur ses collègues restés assis, un doigt boudiné dressé dans leur direction dans un geste éminemment menaçant, - Je crois que je vais réfléchir à l'opportunité de révéler quelques uns de nos secrets aux Mutants X…

- C'est une réflexion totalement inconsidérée , tonna la voix. – Et vous savez que le Dominion ne le permettra jamais !

- Faites votre sale boulot, je ferais le mien , lâcha son interlocuteur avant de quitter définitivement la pièce, signifiant que pour lui la conversation était close.

Pourtant, ses derniers mots sonnaient comme un défi à peine dissimulé qui flotta dans la salle encore longtemps après son départ.

Les autres membres, restés impassibles pendant toute la durée de l'échange houleux qui venait d'avoir lieu devant eux, guettèrent la lente progression de ses pas traînants dans le couloir – pas qui auraient paru bien lourds s'ils n'avaient été assourdis par une épaisse moquette –. Quand ils furent devenus parfaitement inaudibles, la tension se relâcha quelque peu dans la pièce et la voix rompit le silence d'un ton étonnement maîtrisé :

- Je m'occuperais donc moi-même de ce problème… Bien ! Maintenant, passons à la vraie raison de cette réunion. Herr Besme ? Votre rapport ?

- Ach ya, naturlich…, répondit un homme avec un fort accent guttural qui dénotait une origine germanique quasi certaine.

C'était un homme d'un certain âge déjà, d'allure distinguée et vêtu d'un uniforme militaire compliqué. Il portait une moustache soigneusement taillée et une barbe encore plus finement ciselée qui, dans un autre contexte et si elle n'avait été aussi rousse que l'ambre, aurait fait la joie des petits enfants le soir de Noël. De cet attribut cependant, il tenait son cruel surnom : Barbe Rousse, qui était tout sauf anecdotique…

- Nous surveillons le Sanctuaire 24 heures sur 24 et une équipe de nos meilleurs membres suit chacune des sorties de la féline. Pour les autres, ils quittent rarement la montagne, étant donné que nous ne leur confions plus aucune mission… Enfin, puisque nous ne pouvons plus compter sur la coopération de Mademoiselle Pierce, nous avons fait en sorte de réactiver les caméras et les micros de surveillance installés lors de la construction du Sanctuaire, à l'insu d'Adam Kane… Et… Et… J'ai le plaisir de vous annoncer qu'ils fonctionnent encore parfaitement , conclut-il avec un sourire sardonique accroché aux lèvres.

- Bien, approuva la voix. – Merci, Herr Besme. (Puis, s'adressant à l'ensemble de ses collaborateurs :) Vous devez impérativement comprendre que nous devons être en mesure de saisir la première occasion de nous emparer de la fille. Grâce à… à notre ami contestataire, nous sommes assurés qu'elle ne quittera pas le Sanctuaire sans une bonne raison et que les Mutants X feront tout pour la protéger. Mais ils ne se méfieront pas de nous si nous parvenons à les contrôler assez habilement… et à garder leur confiance intacte. Des questions ?

Assise en face de Barbe Rousse, une jeune femme se manifesta, ses yeux grands écarquillés derrière des lunettes sévères, son corps plantureux également sanglé dans une tenue militaire :

- Miss Myers ?

- Monsieur, mes soldats souhaitent s'assurer à nouveau du mot d'ordre du Dominion, en cas de confrontation avec un ou plusieurs membres de Mutant X. Vous avez dit vous-même qu'ils ne laisseraient sûrement pas partir la fille sans riposter…

Une nouvelle fois, la tension fut palpable dans la pièce. La réponse fusa, claire, tranchante et froide comme l'acier :

- Le même qu'en Cornouailles. La fille est la priorité absolue, nous ne pouvons tolérer qu'elle ne nous échappe encore une fois. Jusqu'à présent, l'équipe d'Adam Kane a fait du bon travail, c'est indéniable. Cependant… Cependant, elle n'est pas irremplaçable.

Puis la voix ajouta, sans qu'il soit possible de distinguer si elle s'adressait à elle-même ou bien à l'ensemble des membres réunis :

- De toute manière, je doute que les Mutants X constituent un réel obstacle dans l'affaire qui nous intéresse présentement. Ils vont très bientôt être confrontés à… à un certain autre problème… un problème de vie ou de mort, qui va requérir toute leur attention…


- Et celui-ci , proposa Brennan en désignant à Jesse une étagère surchargée de petits flacons en cristal rose, surmontée d'une banderole de la même couleur qui annonçait entre deux anges joufflus : « Envie de déclarer votre flamme sous le sapin ? Offrez-lui

- « Amorrrrrrrrr », déchiffra Brennan en accentuant exagérément le 'r', un large sourire sur les lèvres.

Les deux mutants se trouvaient parmi les rayons encombrés d'une parfumerie, Brennan ayant enfin (et de bonne grâce) accepté d'accompagner Jesse (qui ne démordait pas de son idée initiale) dans sa recherche d'un cadeau 'spécial' pour Lexa.

En effet, le moléculaire avait passé toute son après-midi à décorer le sapin de Noël qu'ils avaient ramené le matin même au Sanctuaire. Et il avait dû le faire seul, désespérément seul, Lexa lui ayant refusé son aide en prétextant un travail urgent à finir – à l'évidence, elle était peu touchée par l'esprit des fêtes – et Shalimar restant toujours introuvable…

Lâchement réfugié dans sa chambre, Brennan avait entendu Jesse se débattre avec les branches épineuses du conifère, se maculant ainsi les doigts de sève collante à l'odeur si tenace, grogner de mécontentement en démêlant les guirlandes toutes entortillées d'avoir été mal rangées l'année précédente, pester enfin, au moment d'installer la belle étoile scintillante de paillettes dorées au sommet de l'arbre… Mais, après une chute mémorable où Jesse avait manqué se rompre le cou, il avait finalement déclaré forfait : cette année, puisque Shalimar ne daignait pas s'en charger, ils devraient se passer d'étoile !

Cependant, pris de remords et alerté par le bruit de la chute, Brennan était accouru pour secourir son ami. Devant l'air dépité et abattu de celui-ci (et parce qu'il voulait se faire pardonner sa mesquinerie du matin, dans la voiture), le matérial électrique avait cédé.

…Et voilà pourquoi, le soir même, Jesse et lui se trouvaient ensemble au centre commercial…

- « Amor » c'est plutôt joli, non ? En plus, Lexa n'a pas dit un jour qu'elle trouvait l'Italie irrésistible ? À moins qu'elle ne parlait des italiens…

- Ah ah ah, très drôle Brennan , railla Jesse en s'emparant du flacon en forme de cœur que tenait le matérial électrique.

Dans sa grande main, il paraissait ridiculement petit. Et un peu vulgaire.

- Essence de rose, extrait de gingembre et de fleur de pavot. Sirop de sucre et cetera et cetera..., énuméra-t-il à haute voix. – C'est marrant, on dirait les ingrédients pour confectionner un gâteau !

- Ou bien un cocktail aphrodisiaque, riposta Brennan.

Jesse déboucha délicatement la petite bouteille de cristal qu'il porta à son nez.

- Ouh là là ! Bon sang , grimaça-t-il en se reculant vivement.

Le sourire de Brennan s'élargit encore, creusant deux mignonnes fossettes au coin de ses lèvres charnues. Il retint difficilement l'accès de fou rire qui montait en lui, conscient qu'ils n'attiraient déjà que trop les regards sur eux. Effectivement, les femmes présentes dans la boutique se retournaient largement sur ces deux beaux jeunes hommes joyeux, qui parlaient forts et qui étaient visiblement esseulés.

- Parfait, vraiment parfait si Lexa veux éloigner des rats , dit Jesse en reposant le parfum sur son étagère, exactement à l'endroit plus sombre et dépourvu de tout grain de poussière qui indiquait son emplacement précis. Loin de lui.

- Dommage ! Ça t'aurait évité une explication…

Jesse haussa les épaules et fit mine de n'avoir rien entendu.

- Sortons. Je crois que ce n'était pas une bonne idée, du parfum, de toute manière, répondit-il à la place, entraînant fermement son ami hors de la boutique aseptisée.

Il commençait à se sentir un peu à l'étroit, au milieu de tous ces éclairages artificiels et de ces rayons trop rapprochés les uns des autres et chargés à l'excès.

À l'extérieur, ils furent immédiatement happés par le flot frénétique et ininterrompu des clients du centre commercial effectuant leurs derniers achats de Noël. Partout, des annonces géantes et des guirlandes lumineuses clignotaient de mille feux dans la nuit tombante, promettant monts et merveilles à quiconque achèterait le dernier produit à la mode… Des groupes de jeunes gens, des couples ou des familles entières déambulaient, l'air heureux, les joues rouges et leurs cheveux cachés sous d'épais bonnets de laine… Les bras chargés de sacs multicolores, ils semblaient tous pressés de regagner leurs foyers, où ceux qu'ils aimaient les attendaient sûrement pour le dîner… Un groupe de lutins en rollers les dépassa en trombe, agitant leurs clochettes carillonnantes… Un peu plus loin, une chorale entonnait des chants traditionnels … L'esprit des fêtes de fin d'année enveloppait l'atmosphère comme dans une boule à neige de taille humaine.

Un instant déstabilisé par tant de monde et de bruit, Brennan s'immobilisa au milieu de l'allée, perdant rapidement Jesse de vue, lequel ne s'était aperçu de rien. Une femme, encombrée de paquets et remorquant à bout de bras deux bambins souriants et barbouillés du sucre d'une pomme d'amour, bouscula le matérial électrique.

- Hé !

- Désolée ! Et joyeux Noël à vous , lança-t-elle gaiement par-dessus son épaule sans s'arrêter.

Subitement, Brennan se retrouva malgré lui glacé de la tête aux pieds, submergé par un sentiment de malaise presque physique, lorsqu'il réalisa combien il se sentait agressé par la jovialité qui régnait ici, par la bonne humeur de ces inconnus qui évoluaient autour de lui, alors que son propre cœur saignait à vif dans sa poitrine… Agressé et également parfaitement déplacé… Pourquoi était-il permis que d'autres soient si heureux alors que lui-même était si triste et seul ? Maintenant qu'il avait goûté au bonheur de partager sa vie et ses nuits aux côtés de Shalimar, il était malade de la sentir si loin de lui…

- Héo ! Brennan ! Ça va ? Qu'est-ce que tu fais ?

- Jesse !

Brennan soupira de soulagement. Non, il n'était pas seul. Pas totalement, du moins. Le malaise se dissipa aussitôt.

- Je… Je te cherchais.

- Alors viens ! J'ai quelque chose à te montrer , annonça fièrement Jesse en tirant son ami par le bras. – Pendant que tu rêvais à je-ne-sais-quoi, j'ai trouvé le cadeau !

Il semblait aussi excité qu'une puce. Toujours agrippé à la manche de la veste de Brennan comme s'il craignait de le perdre encore une fois, il lui fit traverser l'allée centrale, passer devant divers commerces de sucreries, d'appareils électroménagers et autres papeteries, librairies, maroquineries… Finalement, Jesse vint les planter devant la vitrine d'un luxueux magasin de vêtements féminins. « à la mode de Paris », déclarait l'enseigne ornée d'une Tour Eiffel miniature souriante et coiffée d'un bonnet rouge.

- C'est là !

- …

- Regarde le mannequin du milieu, Brennan, pas celui de gauche ! Le pull , ralla Jesse, exaspéré. – T'imagine quand même que je vais lui offrir de la lingerie pour Noël ? Et que j'irais la choisir avec toi, par-dessus le marché ?

- Tu vas offrir un pull-over à Lexa pour Noël , demanda Brennan sans relever la boutade, mais visiblement totalement dépassé par la situation.

À son tour, il examina le pull en question, sorte de petite chose bleu pâle et toute plucheuse, avec un col roulé et des manches ultra longues. Tandis qu'il tentait de visualiser Lexa portant le vêtement, la seule pensée (peu amène) qui lui vint à l'esprit fut que la brune était nettement plus dodue que le mannequin de plastique… Mais mieux valait garder cette pensée pour lui, d'autant plus que les vendeuses devaient certainement disposer d'autres tailles en réserve…

- Ben oui, pourquoi pas , argumenta Jesse. Ça plait toujours aux filles, ce genre de cadeau, non ? Je me souviens en avoir offert un à Shal un jour, pour son anniversaire. Elle était ravie. Et puis… C'était sympa de la voir le porter… Me dire que c'était moi qui l'avait choisi pour elle et tout et tout… Tu comprends ?

- Hum… Moui…

Brennan se concentra pour que son effarement ne s'affiche pas trop clairement sur son visage. Trop souvent, il oubliait combien Jesse était… Jesse ! C'est-à-dire naïf, le nez plongé dans ses ordinateurs et… un peu bizarre en ce qui concernait les filles ! Brennan se souvint s'être demandé comment son ami avait pu fréquenter une femme aussi sophistiquée qu'Alisha Keary (ou plutôt, comment une femme comme elle avait pu fréquenter un type simple comme Jesse). Maintenant, Brennan se rappelait bien pourquoi il avait pensé cela alors …

- Il est joli, non ? Et puis… et puis, j'aime bien quand Lexa porte du bleu, ça fait ressortir la couleur de ses yeux…, avoua maladroitement Jesse, s'enfonçant encore un peu, ses propres yeux fixés sur ses chaussures.

- Oui, peut-être, concéda Brennan, touché malgré lui par la gêne du moléculaire. – Entrons, alors !

Une demi heure après, Jesse avait fait l'acquisition du fameux pull-over 'azuré' (comme le proclamait l'étiquette) 100 pour 100 cachemire (toujours assuré par l'étiquette) taille 38 (trouvée par les bons soins d'une très diligente vendeuse) en échange d'une somme qui avait paru assez colossale à Brennan pour une simple boule de laine délavée… Mais Jesse n'avait absolument pas bronché lorsque ladite vendeuse lui avait annoncé le prix à payer en caisse et avait même été jusqu'à afficher un sourire béat quand elle avait emballé le vêtement dans un élégant papier cadeau argenté. Brennan se souvint alors d'une autre donnée concernent Jesse qu'il avait trop souvent tendance à oublier : sa gentillesse envers ceux qu'il aimait…

- Merci messieurs et bonnes fêtes , leur souhaita la jeune vendeuse tandis qu'ils quittaient la boutique.

Dehors, à présent, la nuit était complètement tombée et les passants se faisaient déjà plus rares dans les rues. L'estomac de Brennan (qui de dépit n'avait rien avalé depuis le petit déjeuner) se rappela à lui par un gargouillis fort peu élégant.

- Ok Brennan ! C'est moi qui invite, je te dois bien ça !


L'homme au catogan émergea du hall d'entrée du gratte ciel avec l'impression d'être un miraculé. Il savait qu'en jouant avec le Dominion, il jouait sa propre vie et s'étonnait de ne pas encore avoir reçu une balle dans le dos. Chaque pas posé dans les couloirs sombres du QG de l'Organisation, lui rappelait l'affreuse sensation de traverser un champ truffé de mines.

Mais probablement voulaient-ils s'assurer de ses intentions avant de le liquider… Parce qu'il savait bien que c'était là leur intention, à eux, de se débarrasser de lui. C'était ainsi que le Conseil du Dominion fonctionnait : qui n'était plus avec eux, était contre eux et devait finalement mourir… Auparavant, il en avait déjà été lui-même le témoin autant que l'acteur…

C'est pourquoi son visage n'afficha aucune expression de surprise lorsque, sortant sur le boulevard encombré par circulation de début de soirée, il remarqua du coin de l'œil deux hommes qui le prenaient discrètement en filature. Cela n'avait pas (ou relativement peu) d'importance : il s'y attendait et il était prêt à mener bataille…

Cela faisait déjà quelques mois qu'il s'était détaché du Dominion, qu'il n'adhérait plus à ses théories utopiques et profondément élitistes. Après trente années de bons et loyaux services passées au sein de l'Organisation, il savait maintenant qu'elle n'était que mensonges et hypocrisie… En réalité, la rupture couvait depuis beaucoup plus longtemps déjà, mais sa rencontre avec la jeune mercenaire Lexa Pierce, avait été le déclencheur de tout le reste.

Malgré ce qu'il lui avait laissé paraître, la mutante lui avait tout de suite plu : intelligente et caustique, pragmatique et courageuse, elle allait jusqu'au bout de ses engagements sans jamais trahir son éthique personnelle. S'il avait pu revivre sa propre jeunesse, cela aurait été sa ligne de conduite… Mais sa véritable jeunesse avait été bien trop décevante pour qu'il envisage de la recommencer (à supposer que cela fut possible). De plus, homme, il avait immédiatement été charmé par la sensualité capiteuse que Lexa dégageait inconsciemment dans chacun de ses mouvements… Et surtout, ils avaient un point commun non négligeable. Comme lui, Lexa était victime d'un chantage exercé par le Conseil du Dominion : ils l'aideraient à retrouver son jumeau si elle mettait ses talents de mercenaire à leur service.

Pour sa part, ils détenaient la sœur cadette de l'homme au catogan. Ou plutôt, ils fournissaient le traitement qui maintenait la mutante malade en vie. Or, quelques mois plus tôt, ils avaient déclaré que le traitement coûtait beaucoup trop cher à l'Organisation et que celle-ci en stoppait l'approvisionnement autant que le financement. Cela revenait à condamner la femme. C'était un avertissement pour le frère.

Alors, il avait eu beau supplier, frapper à toutes les portes, solliciter toutes ses connaissances, seule Lexa Pierce avait accepté de l'aider. À charge de revanche, évidemment. Ensemble, ils avaient réussi à sortir la malade des locaux du Dominion pour l'expédier dans les Mondes Souterrains. Ainsi, elle pourrait y mourir en paix. C'était peu, mais c'était déjà beaucoup…

Autrement dit, l'homme au catogan n'avait plus rien à perdre et une promesse à tenir. Il allait révéler à Lexa et aux Mutants X la véritable identité de la jeune Samantha Fox et les risques qu'elle encourait. Ensuite, il leur demanderait de l'envoyer dans les Mondes Souterrains afin qu'il retrouve sa sœur. En espérant que cela ne soit pas déjà trop tard…

Alors qu'il traversait la rue pour rejoindre son break noir, ses deux mystérieux poursuiveurs lui emboîtèrent le pas. Une rafale de vent s'engouffra dans le manteau de l'un d'entre eux, en écarta les pans, révélant l'éclat métallique d'une arme.


Confortablement installés dans un box isolé d'un restaurant bon marché, Jesse et Brennan s'attaquaient à leur dessert que le Moléculaire avait tenu à commander : une fabuleuse pile de pancakes tous chauds. Après un court silence pendant lequel chacun des deux mutants dégusta avec plaisir une petite crêpe nappée de sirop d'érable, Jesse annonça subitement :

- Brennan, il faut que je te parle.

- écoute, le coupa vivement son ami. Reposant le verre qu'il tenait à la main, il s'essuya la bouche du revers de sa manche, prêt à livrer bataille. - Si c'est encore à propos de Shal'

- Non ! Non, ça ne concerne pas Shalimar, du moins pas directement. C'est… c'est à propos de moi.

- De toi ?

- Oui.

Jesse s'empara nerveusement du sucrier posé sur la table. Quand il se remit enfin à parler, sa voix avait un air faussement enjoué qui fit sursauter Brennan :

- Brennan… Depuis que Sammy est parmi nous, tu sais que j'ai dû effectuer tout un tas d'examens sur elle. Pour étudier l'état de sa mutation, déterminer pourquoi elle ne se manifeste que maintenant, pourquoi son implant sub-dermique a subitement cessé de fonctionner… Ce genre de trucs là, quoi … Et comme on pouvait s'y attendre chez une adolescente (une adolescente passablement perturbée qui plus est), j'ai établi que sa mutation était très peu stable. Voir même carrément chaotique… Merde , jura-t-il tout d'un coup.

Un flot de sucre en poudre s'échappait de la main du moléculaire et entre les jointures de son poing fermé, le sucrier en verre avait disparu : Jesse venait de le dématérialiser inconsciemment sous le regard inquiet de Brennan.

- On est pas là à cause Sammy, n'est-ce pas , demanda ce dernier, que la tension et la nervosité qui émanaient visiblement de Jesse gagnaient à son tour.

- Non. Mais ses problèmes m'ont amené à repenser à certaines choses qu'avait dites Adam avant sa disparition, sur nos mutations à nous tous. Sur… sur le temps qu'il me reste à vivre…

À ces mots pourtant abrupts, Brennan soupira de soulagement. Il voyait enfin où Jesse voulait en venir et tenta de le réconforter :

- C'est ça qui te préoccupe, Jesse ? Tu sais, Adam nous a trompé sur tellement de sujets… Il nous a caché des choses… On ne peut être sûr de rien…

- Oui, oui je sais , s'impatienta Jesse, balayant les objections de Brennan d'un large signe de main. Ou bien peut-être était-ce pour se débarrasser des grains de sucre qui restaient collés à ses doigts. Puis il enchaîna : - Je sais déjà tout cela, Brennan. Mais attends la suite : je me suis soumis moi-même aux analyses requises. Et… Et Adam avait raison.

- Non…

C'était à peine plus qu'un murmure qui s'échappa de la bouche de Brennan.

- S'il te plait, Brennan, laisse-moi finir… Mon organisme est littéralement en train de se désagréger. Mes cellules humaines ne se renouvellent plus, du moins plus assez vite ni en assez grand nombre pour remplacer celles qui meurent chaque minute… C'est notre ADN modifié qui les étouffe à mesure que ma mutation se développe. C'est comme s'il voulait prendre possession de l'ensemble de mon corps. Mais… nous ne pouvons pas vivre sans la combinaison des deux, ADN humain et ADN modifié. Autrement dit…, acheva Jesse.

Le moléculaire semblait presque détaché de ce qu'il racontait, comme s'il ne s'agissait pas de lui, de sa propre survie, mais d'un cas d'école. Ou comme s'il avait déjà accepté l'inexorable.

- Autrement dit, j'ai atteins la limite de l'espérance de vie calculée pour moi par Adam…

- Mais… Mais… Que… Est-ce que… Est-ce que tu en es sûr ? C'est impossible , balbutia Brennan sous le choc.

C'était tellement plus facile de nier, de rejeter l'ignoble perspective.

- Affirmatif Brennan ! J'ai acheté un test, fait pipi sur la barre et elle a viré au rouge !

Un voile d'incompréhension passa devant les yeux de Brennan, masquant un instant la détresse qui s'y était installée. Puis, il comprit la plaisanterie :

- Putain Jesse ! Ne rigole pas avec ça ! Et après un silence : - Il y a forcément quelque chose à faire, quelque chose à tenter pour stopper l'engrenage ! Non ?

- Si, si bien sûr Brennan , répondit Jesse, d'une voix à nouveau sérieuse et étonnement ferme. – Je n'ai jamais dit que je baissais les bras, ok ? Écoute, malgré ses torts, Adam était un grand scientifique. Il a beaucoup travaillé sur ce problème, depuis très longtemps. Il a écrit des tonnes et des tonnes de pages, réalisés des expériences à n'en plus finir pour essayer de nous sauver de cette dégénérescence… Je suis en train de plancher dessus et s'il y a quelque chose à en tirer, je le trouverais…

- Je t'aiderais.

- Je sais Brennan, répondit Jesse en gratifiant son ami d'un sourire éclatant. – C'est pour cela qu'il fallait que je te le dise. Tu es le seul… Mais promets moi : tu ne dois surtout pas en parler à Shalimar, pas avant que j'ai trouvé une solution, un antidote, un peu d'espoir, quelque chose… Ou avant qu'il ne soit définitivement trop tard… Elle a déjà assez de soucis comme ça en ce moment… Et puis elle est encore trop fragile depuis que…

Sans qu'il n'ait besoin de prononcer son nom, l'espace d'un instant, le souvenir d'Emma plana tristement entre les deux mutants.

- C'est d'accord, Brennan ?

- Oui, je te le promets ! Et… Et pour Lexa , demanda Brennan tandis que l'idée du cadeau 'spécial' qu'ils avaient cherché tout l'après-midi lui revenait à l'esprit.

Finalement, Jesse était tout sauf naïf, réalisa ce dernier. Au contraire, il essayait de tous les préparer de son mieux à la terrible échéance qui risquait de les toucher sous peu.

- Lexa ne sait rien non plus… Je … Je…, bafouilla le moléculaire, perdant son assurance, se troublant vraiment pour la première fois depuis le début de la conversation. – Je ne peux pas lui en parler… pas encore… pas maintenant que je… que nous…

Visiblement incapable de finir sa phrase, il se contenta de hausser les épaules en signe d'impuissance.

- T'inquiète pas Jesse, je comprends et je garderais ton secret. Mais… Mais tu devrais peut-être envisager d'en parler à Lexa quand même. Elle est forte tu sais… Et… et elle pourrait peut-être nous aider à trouver un antidote. Elle a encore beaucoup de relations au sein des anciens membres de GénomeX et du Dominion.

- Merci Brennan. Oui, peut-être…

Un silence pesant s'installa dans le box entre les deux jeunes hommes tandis que Jesse semblait plongé dans ses pensées. Il ne fallait pas être un génie pour deviner qu'elles se tournaient toutes vers Lexa. Pour se donner une contenance, Brennan porta un morceau de pancake jusqu'à sa bouche, mais le goût douceâtre du sirop d'érable sur la crêpe froide l'écœurait à présent. Il reposa bruyamment sa fourchette, rappelant Jesse à la réalité.

- Jesse… Je suis déso…

- Non Brennan ! Ne dis rien , le coupa son ami. – Et ne me regarde pas avec cette tête d'enterrement ! Je ne vais pas mourir demain, ok ? Ni après demain, d'ailleurs. Mais les premiers symptômes commencent déjà à apparaître. Par moment, je ne contrôle plus vraiment mes dons, avoua-t-il, amer, en désignant le petit tas de sucre sur la table.

- J'ai déjà fait pire…

- Oui. Mais à terme, je vais perdre intégralement ma faculté de modifier la matière… C'est pour cela que je voulais que tu saches. Si on est amené à se battre… Je risque de vous faire défaut et je ne veux surtout pas mettre l'un d'entre vous en danger…


Brennan poussa le jet de la douche au maximum. Le bruit des gouttes d'eau tombant en cascade l'enveloppa entièrement tandis que petit à petit la vapeur embrumait les parois de la cabine, le coupant de tout ce qui se trouvait au-delà…

Sitôt rentré au Sanctuaire, il s'était précipité dans sa chambre, se sentant les nerfs trop à vif pour affronter une nouvelle situation de crise avant le lendemain. Pourquoi ? Ce simple mot résonnait dans son esprit avec une vigueur incroyable depuis les révélations de Jesse. Pourquoi tous ceux qui comptaient dans sa vie l'abandonnaient-ils ? D'abord Emma et Adam, ensuite Shalimar qui faisait comme s'il n'existait pas et maintenant Jesse, Jesse son meilleur ami, dont les jours étaient menacés… Quand cela s'arrêterait-il ?

L'eau fouettait sa peau dénudée avec trop de violence pour que cela soit agréable. Mais Brennan s'en moquait. Debout sous le jet, les jambes arquées et les bras appuyés contre le mur de faïence, il tentait d'endiguer les poussées d'angoisse qui lui traversaient le corps. Il avait désespérément besoin de se raccrocher à quelque chose, quelqu'un, n'importe quoi…

Brennan pris soudain conscience qu'il tremblait sous la douche, son corps entier secoué de frissons incontrôlables. Est-ce qu'il pleurait ? Il n'aurait su le dire… Mais l'eau avait beau être brûlante - sa peau le piquait et il voyait obscurément ses pieds et ses mains devenir rouge écarlate -, il ne parvenait pas à se réchauffer. Le froid, la peur, la solitude, l'avaient pénétrés trop profondément. Il lui fallait quelque chose qui pourrait vaincre ce froid-là… Mais quoi ? Un thé ? Un whisky ? La chaleur d'un autre corps ? Shalimar…

Mues par l'intense confusion qui habitait le matériel électrique et par le trouble sentiment que c'était la seule solution pour retrouver un peu de chaleur, ses mains glissèrent d'elles-mêmes le long de son torse mouillé, pour venir se nicher au creux de ses cuisses. La jeune femme lui manquait tellement que c'en était douloureux …

Lorsqu'il sortit de la salle de bain, plusieurs longues minutes plus tard, Brennan se sentait un peu mieux. Filtrant sous le seuil de la porte de sa chambre, les bruits familiers du Sanctuaire (en l'occurrence, des éclats de voix entre Jesse et Lexa) reprirent leurs droits. Vagabondant dans le vide, le regard du matérial électrique s'attarda par hasard sur un cliché abîmé, montrant Adam au bras d'une Shalimar souriante et détendue. Alors, un éclair de lucidité s'imposa avec une force rare dans son esprit. Brennan réalisa combien ses amis avaient besoin de son aide bien plus que lui de la leur… C'était à lui d'être fort, c'était pour cette raison que Jesse lui avait parlé.

Ainsi, il se jura solennellement qu'aujourd'hui était la seule et unique fois où il s'était permis de craquer…


A suivre ...