MUTANT X appartient à MARVEL & TRIBUNE
RAR: Merci à mes 2 commentateurs pour le chapitre précédant j'ai nommé JAY (ça faisait un bye, dis donc) et BONY
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« Ce corps mortel d'un millier de jours… »
« Où la jeunesse devient blême puis spectrale et meurt… »
Keats.
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Chapitre 7 : Joyeux Noël, Shalimar !
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(Ou « où l'on parle d'héritages … »)
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Le reste de la journée fila à la vitesse de l'éclair. Pour la première fois depuis de longues semaines, l'atmosphère du Sanctuaire sembla s'alléger considérablement et ses habitants goûter un peu de la joie de vivre qui était de mise en cette période de l'année …
Tandis que Lexa s'enfermait dans sa chambre pour prendre un peu de repos loin de tout cri et que Jesse – taille ceinte d'un large tablier immaculé – se barricadait dans la cuisine avec consigne de ne le déranger sous aucun prétexte – fusse pour une question de vie ou de mort –, Shalimar et Sammy – accompagnées de Brennan qui ne semblait guère vouloir s'éloigner à moins de 2 mètres de la féline – partirent à la recherche d'une nouvelle chambre pour l'enfant. À eux trois, ils eurent tôt fait d'y transporter les quelques pièces de mobilier nécessaires à son installation ainsi que l'ensemble de ses affaires personnelles.
Alors que Shalimar aidait la jeune fille à suspendre ses vêtements sur des cintres pour les ranger dans sa nouvelle armoire, un détail lui sauta aux yeux : Sammy ne possédait en guise de garde-robe qu'une série d'uniformes scolaires tous identiques les uns aux autres, complétés de quelques ensembles de ville ou de sport, tous bien trop sévères et trop tristes pour servir de tenue de soirée. Aussi, lorsque sur les coups de 6 heures, les Mutants X se retirèrent dans leurs chambres respectives pour se préparer au repas de réveillon, Shalimar décida-t-elle qu'il entrait dans son rôle de grande sœur de trouver quelque chose de plus approprié pour Sammy.
… Sinon, cela aurait au moins le mérite de leur faire passer un peu de temps en tête à tête …
- Quelle couleur est-ce que tu aimes porter en dehors de ton uniforme , demanda-t-elle par-dessus son épaule à l'enfant confortablement installée sur son lit.
- Euh … Je ne sais pas … Je crois … Plutôt les couleurs claires, pastelles …
C'était étrange pour Sammy d'être acceptée ici – 'l'antre' de sa sœur – et de pouvoir observer tout son saoul les choses qui constituaient son quotidien. Son intimité. Bizarrement et ce, bien qu'elles soient très loin de ses propres critères de décoration, les peaux d'animaux qui encombraient la pièce plaisaient beaucoup à l'enfant, de même que les lumières tamisées et l'air saturé de parfum, chaleureux. Elle n'aurait jamais imaginé pouvoir se sentir aussi à l'aise dans un endroit inconnu et pourtant, c'était bien le cas …
- Ah ! Je m'en doutais un peu … ça ne va pas être facile à trouver! s'exclama Shalimar en grognant depuis la penderie où elle avait partiellement disparu. – Voyons voir ça …
En l'espace d'une demi-heure, devant le regard subjugué de Sammy, le lit et les fauteuils se retrouvèrent jonchés d'un amas de robes à mesure que la féline les extirpait du placard : robes fourreaux cramoisies, tuniques ultra sexy en cuir noir ou d'autres plus simples en velours soyeux, mousseline transparente ou coton torsadé … Malheureusement toutes étaient indéniablement ou trop provocantes ou trop décolletées ou encore trop habillées pour Sammy et pour la circonstance. En désespoir de cause, Shalimar sélectionna une petite robe jaune pâle – à l'origine, une simple robe d'été, dos nu – qu'elle se rappelait avoir acheté lors d'un lointain séjour à la mer et, la tenant devant Sammy dit :
- Tu devrais peut-être essayer celle-ci, non ? Avec un gilet, sur les épaules …
Mais sa voix manquait singulièrement de conviction. Malgré tout, Sammy acquiesça : cela ne coûtait rien d'essayer … Alors qu'elle partait s'isoler dans la salle de bain pour passer ladite robe, Shalimar se laissa doucement glisser sur le sol moquetté et, la tête renversée sur le lit encombré, échappa un long soupir de découragement : elle qui possédait des vêtements à ne plus savoir qu'en faire, elle n'était même pas capable de trouver quelque chose de convenable pour Sammy ! En continuant de la sorte, elles n'arriveraient strictement à rien avant qu'il ne soit l'heure d'aller dîner … 'À part peut-être à lui donner l'allure d'une call-girl …', pensa amèrement Shalimar. 'Et pour compléter le tout', continua-t-elle sur le même mode cynique, 'je demande à Lex' de la maquiller et c'est parfait : une petite sœur prête à mettre sur le trottoir … Plus qu'à attendre les bénéfices !' Au final, Sammy allait être obligée de porter une de ses vilaines robes réglementaires ramenées de Sainte Catherine. Non que cela ait une grande importance en soit : après tout, il ne s'agissait que de bouts de tissu et d'un simple repas entre eux … Mais Shalimar ressentait l'envie de faire plaisir à sa sœur, au moins sur ce point … Un moyen comme un autre de racheter sa précédente froideur à son égard … Pourtant, c'était difficile : elles étaient tellement différentes l'une de l'autre …
Toute à sa rêverie, la féline se surprit à penser à Adam. Lui aurait su quoi dire, quoi faire pour apprivoiser Sammy, comme Jesse y était si bien parvenu. Humainement parlant cependant, les deux hommes étaient bien meilleurs que Shalimar : plus patients qu'elle, plus généreux aussi … En fait, ils se ressemblaient beaucoup. Avec un violent coup au cœur, Shalimar réalisa soudain combien Adam lui manquait … Son absence était d'autant plus flagrante en cette période de fête qu'aussi loin que Shalimar pouvait s'en souvenir, le scientifique et elle avaient toujours passé Noël ensemble, au Sanctuaire. Bien sûr, les apparences avaient joué contre Adam : il avait trahi la confiance des Mutants X, la confiance de ceux qu'ils considérait comme ses enfants : Shalimar – qu'il avait élevé lui-même, Jesse – son fils spirituel, Emma et Brennan – les deux derniers ralliés et non les moindres. Il les avait trahi et disparu avant d'avoir pu s'en expliquer … De plus, Shalimar n'était pas loin de penser que ses manigances secrètes avaient en partie concouru à la mort d'Emma … Et elle lui en voulait pour ça …
D'un autre côté, moins que quiconque d'autre, la jeune femme ne pouvait effacer le passé : c'était Adam qui l'avait recueilli, qui lui avait sauvé la vie en la sortant de la rue, qui l'avait accueilli chez lui, au Sanctuaire. Adam qui lui avait appris à développer ses capacités. Plus encore, c'était lui – le scientifique, le généticien débordé de travail – qui avait consacré des après-midi entières à enseigner à la sauvageonne qu'elle était alors l'histoire et la géographie, les mathématiques et la biologie, la politesse et l'art de se tenir en société … Lui qui avait écouté ses premiers émois amoureux et calmé ses petites peines et ses grands chagrins …
Et c'était lui aussi qui lui avait offert sa première robe de soirée.
À ce souvenir, Shalimar se leva d'un bond. Mais bien sûr ! Pourquoi n'y avait-elle pas pensé plus tôt ? Traînant le tabouret de sa coiffeuse devant la penderie restée béante, elle monta dessus. Prise d'une frénésie soudaine, la féline fourragea quelques secondes l'étagère supérieure – celle où elle mettait les choses qui ne lui servaient plus depuis très longtemps, mais dont elle ne se résolvait pas à se séparer – avant de trouver enfin ce qu'elle cherchait.
- Aaaa … aaaa … Atchoum !
- à tes souhaits! compléta Sammy qui venait d'entrer dans la chambre, vêtue de la robe jaune, pour approbation – ou dénégation – de sa sœur. Personnellement, la robe en elle-même lui plaisait bien. Néanmoins elle n'était définitivement pas de saison – à moins, peut-être, de mettre un pull et un anorak par-dessus …
Mais à la vue qui s'offrait à elle, Sammy oublia instantanément la chair de poule qui faisait se dresser les poils de ses avant-bras et ne pu retenir une exclamation de surprise : Shalimar, en équilibre sur le tabouret branlant, une vielle boîte en carton miteuse entre les mains, était prise d'une véritable crise d'éternuements intempestifs et semblait à deux doigts de s'écrouler sur le sol. Tandis que Sammy – indécise sur ce qu'elle devait faire – s'avançait gauchement pour lui venir en aide, Shalimar – incapable de prononcer le moindre mot – lui fit signe de ne pas approcher plus. Malheureusement, dans son geste, elle secoua vivement la boîte qu'elle tenait à bout de bras et un nuage de poussière, presque opaque, s'en échappa. À son tour, Sammy se mit à éternuer violement sans pouvoir s'arrêter.
- Les filles ? Est-ce que tout va bien? s'éleva la voix inquiète de Brennan derrière la porte.
- Oui, Bre ! Tout va bien , répondit Shalimar en retrouvant – partiellement – ses moyens et l'usage de la parole. – Ne t'inquiète pas !
Rassuré, le matérial s'éloigna dans le couloir. Descendant souplement du tabouret, Shalimar se précipita vers Sammy qui semblait éprouver plus de mal qu'elle à reprendre son souffle. Les larmes avaient envahi ses yeux et son visage empourpré indiquait un manque certain d'oxygène dans ses poumons suffoqués.
- Désolée, je n'aurais pas du remuer toute cette poussière …, s'excusa Shalimar en ventilant l'enfant avec de l'air pur. – Respire doucement et ça va aller …
- Me … Merci. Ça … ça va … déjà mieux …
- Et oui … Après la crainte du feu et l'abomination des chiens, c'est la sensibilité à la poussière que je préfère des désagréments dus à notre ADN modifié! railla Shalimar en veillant attentivement à que sa sœur reprenne totalement contenance.
- Que … Quoi ?
- Et bien, à cause de nos sens hyper développés, nous sommes plus sensibles que les autres personnes à certains stimuli extérieurs non organiques. Et la poussière en fait partie … Nos voies respiratoires sont facilement irritables …
- Oh ! Je comprends (Puis, après un silence) : - Les médecins disaient que j'étais asthmatique.
Shalimar haussa les épaules en signe d'impuissance et dit, coupant court à toute autre allusion à propos de leur mutation commune – pas vraiment le bon moment pour parler de ça – :
- Je crois que je viens de te trouver une robe !
D'un même mouvement, les deux sœurs s'assirent à terre et, le plus délicatement possible, Shalimar entreprit d'ouvrir le carton. Les souvenirs l'assaillirent à nouveau : elle venait juste d'avoir 15 ans et Adam, avec lequel elle vivait depuis plusieurs années déjà, devait donner une conférence importante dans un congrès qui rassemblerait des scientifiques venus du monde entier. Il avait préparé son allocution pendant de longues semaines – répétant le texte devant la jeune fille parfois attentive mais le plus souvent dissipée –. La conférence serait suivie d'un cocktail et d'un bal. Et Adam avait émis le souhait que Shalimar l'accompagne …
Ce serait la première fois qu'elle sortirait en société … Et elle avait d'abord été un peu réticente … L'idée de voir tant de médecins réunis ne l'enchantait guère … Mais Adam avait insisté, bien sûr. Pour l'occasion – et parce qu'il se doutait que cela la ferait céder – il lui avait même acheté une jolie robe de soirée … Rétrospectivement, Shalimar s'interrogea sur la manière dont le scientifique avait choisi cette tenue : comment avait-il su ce qui lui plairait – parce qu'indéniablement, la robe avait plu à la jeune fille qu'elle était alors – et ce qui lui irait – même si, grâce à tous les tests qu'il effectuait sur elle, il connaissait ses mensurations par cœur –. Qu'avait-il dit à la vendeuse du magasin de luxe où il s'était rendu exprès et qui l'avait sûrement aidé dans son choix ? À présent, la jeune femme se rendait compte combien cela avait du être très important pour Adam, qu'elle soit présente à ses côtés, ce soir là … Ce n'était pas qu'un simple test, comme elle l'avait naïvement cru à l'époque …
Doucement, Shalimar déposa le couvercle de la boîte sur le sol, dévoilant des feuilles de papier de soie rose pâle soigneusement pliées. Du bout des doigts, elle dégagea cette légère protection et en sortit une robe de satin blanche, tout aussi soigneusement rangée. Shalimar sourit. La robe était bien comme dans son souvenir : la douceur lisse et froide du satin, les jolis imprimés asiatiques en volute, les petits boutons fantaisies si difficiles à attacher pour ses mains encore ignorantes des secrets féminins … Une ligne épurée qui avait avantageusement soulignée ses formes naissantes … Comme elle avait été fière de porter cette tenue ! Comme elle avait été fière quand les connaissances d'Adam l'avaient complimenté sur sa 'charmante fille'. Et comme elle avait été heureuse qu'Adam ne rectifie pas l'erreur … Depuis lors – et même si elle était rapidement devenue trop étroite et trop courte – la féline avait précieusement conservé cette robe …
- L'homme qui m'a élevé – Adam Kane, celui qui à construit cet endroit – me l'a offert quant j'avais ton âge …, expliqua-t-elle à Sammy.
- Elle est très belle …, dit l'enfant, caressant admirativement les motifs compliqués du buste. Et après un silence : - Comment était-ce ? Je veux dire, comment c'était ton enfance, ici ?
La question prit Shalimar de court : c'était assez inattendu … et elle n'aimait pas trop parler du passé, de sa jeunesse. Trop d'images tristes et cruelles. Pourtant elle répondit, désireuse de partager cette partie d'elle-même avec Sammy et, parce que tout au fond de son cœur, la féline éprouvait le besoin d'évoquer Adam, ne serais-ce que pour quelques minutes :
- Et bien … Après qu'Adam m'ait recueilli vers l'âge de 13 ans, j'ai vécu ici, avec lui, pendant plusieurs années. Je n'allais pas à l'école, comme toi : c'est lui qui me donnait des cours … Mais je n'étais jamais seule : il y avait toujours plein de nouveaux mutants au Sanctuaire. Certains ne restaient que quelques heures, quelques jours, le temps qu'Adam les aide à se mettre à l'abri. D'autres restaient plus longtemps, comme Nikky … Quand j'avais ton âge, c'était ma meilleure amie. Nous étions très proches l'une de l'autre, toujours à faire les 400 coups … Au grand dam de Adam … De vraies gamines ! Et puis Jesse est arrivé aussi
À mesure que son récit progressait et que les souvenirs de son enfance affluaient à sa mémoire, les yeux de la féline se mirent à briller d'une étrange lueur nostalgique.
- Finalement, quand j'ai eu 17, 18 ans j'ai eu envie de découvrir le monde, de côtoyer des gens ordinaires. Adam l'a compris et il m'a permis de quitter le Sanctuaire. J'ai pris un appartement en ville, je me suis inscrite à l'université, j'ai eu des copines, des petits amis … Un job. Et … quand quelques années après, il m'a rappelé pour que je devienne un membre honoraire de Mutant X, je suis revenue parce que je savais que c'était là ma place ! Voilà , acheva Shalimar, passant rapidement sur certains détails – peu glorieux – des circonstances de son retour au Sanctuaire.
Après tout, ce qu'elle venait de dire, était la stricte vérité – une vérité un peu aménagée, certes – mais la vérité quand même. Et Sammy, les bras noués autour de ses épaules dans une vaine tentative pour se réchauffer, avait l'air heureuse de la confidence. Elle demanda :
- Et qu'est-ce qui est arrivé à Mr Kane ?
- Oh … Nous l'ignorons …, la voix de Shalimar se fit plus hésitante. – Adam a disparu, il y plusieurs mois de cela. Peut-être qu'il est mort, peut-être qu'il se cache pour se protéger …
Pendant un instant, Sammy craignit d'avoir dépassé les limites de sa nouvelle intimité avec sa sœur : les yeux dans le vague, Shalimar se mordillait distraitement la lèvre, l'air peiné.
- Désolée, je ne voulais pas …, s'excusa-t-elle, ramenant la féline à la réalité.
Celle-ci la jaugea d'un œil critique et, changeant de sujet, dit :
- Je pense que la robe t'irait … Et sinon, on pourra toujours demander à Jesse de la reprendre vite fait pour toi … Mais je pense quand même que ça devrait aller sans ça …
Effectivement, une fois Sammy revêtue de ladite robe blanche, force était de constater qu'il n'y avait strictement rien à y reprendre. C'était comme si – avec 15 ans de différence – les 2 sœurs avaient eu – au centimètre près – la même grandeur, le même poids, les mêmes tours de taille, de poitrine et de hanche … Probablement pour en admirer l'effet dans son dos, Sammy avait relevé ses longs cheveux, dégageant gracieusement sa nuque et ses épaules, se coiffant exactement comme Shalimar lorsque elle-même avait porté la robe. La ressemblance était d'autant plus troublante … Cependant, l'enfant – plantée devant le psyché de sa sœur – semblait proprement ravie de ce qu'elle voyait et Shalimar, heureuse d'avoir résolu le problème, ne se força pas pour lui dire son sentiment :
- C'est absolument parfait, Sammy ! Elle est à toi !
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Quelques heures plus tard, Shalimar et Lexa – attirées par les joyeux éclats de voix qui s'en échappaient – pénétrèrent ensemble dans la salle des ordinateurs où se trouvaient déjà Jesse et Brennan. Or, dès le seuil, elles marquèrent un même temps d'arrêt, bouche bée et les yeux écarquillés comme si elles voyaient la pièce pour la toute première fois …
Contrairement à d'ordinaire, la grande pièce était intégralement plongée dans une obscurité tamisée, seulement obtenue – les lumières ayant été éteintes – par l'intense flamboiement d'une dizaine de chandeliers, disposés au petit bonheur la chance, à même le sol. Dans cette ambiance ténébreuse, les décorations de Noël clignotaient d'autant plus gaiement.
- Waouh ! 21 heures ! Vous êtes pile à l'heure les filles ...
Fidèle à sa promesse de préparer une digne soirée de réveillon pour l'équipe – et probablement au prix d'un effort surhumain – Jesse avait réussi à traîner la lourde table en acajou patiné de la cuisine exactement au pied du majestueux arbre de Noël. Les cinq chaises étaient installées face à face – sauf une qui présidait (réservée au cuisiner pour qu'il puisse facilement se lever) – dans un soucis évident de célébrer l'union retrouvée des Mutants X.
- Et bien ! Quel luxe …, constata Lexa avec un léger sourire sardonique sur les lèvres en fixant le moléculaire qui s'approchait pour les accueillir. – Je ne savais même pas que nous possédions ce genre de choses ici …
À la grande fierté de Jesse, la – pourtant si critique – jeune femme attarda un regard approbateur sur la nappe blanche empesée qui recouvrait élégamment la table. Celle-ci était dressée dans les règles de l'art : serviettes en tissu immaculées, service de porcelaine nacrée, verres à pied – visiblement en cristal –, couverts en argent fin …, le tout disparaissant presque sous la masse de victuailles festives déjà amenées : airelles et canneberges délicieusement acidulées, cerneaux de noix frais, kumquats oranges vifs si parfaitement ronds, raisin noir aux grains délicats, marrons chauds et fondants, dattes fourrées à la pâte d'amande multicolore … Enfin, pour égayer l'ensemble, Jesse avait intercalé entre chacune des cinq assiettes de petites branches de sapin qui tranchaient joliment par leur côté naturel.
- En fait, le service et tout le reste appartenaient à ma grand-mère. Elle m'a tout légué, à sa mort … Elle savait que mon grand-père n'en ferait aucun usage …, expliqua Jesse en riant.
- … Tandis que toi, tu es une ménagère accomplie! compléta Lexa.
Mais son évidente admiration démentait la raillerie. C'était un nouvel aspect de la personnalité de Jesse que Lexa découvrait tout d'un coup et elle ne savait pas encore si elle l'appréciait ou non. Repasser, coudre, dresser une table … constituaient autant de choses que Jesse avait apprises dans cette enfance dorée, passée dans les jupes de sa nurse et des ses si nombreuses sœurs et cousines.
- C'est vraiment magnifique, Jesse! le complimenta à son tour Shalimar.
Devant tant d'éloges sincères, les joues du jeune moléculaire se marbrèrent. Alors, pour cacher son trouble, il entreprit de détacher le nœud du tablier qu'il portait encore par-dessus son costume chic. L'exclamation de Brennan qui se tenait en retrait derrière lui, détourna heureusement l'attention :
- Hé ! Shal' ! Lexa ! Vous n'avez pas respecté le marché! s'écria-t-il, en désignant de la main les tenues respectives des deux jeunes femmes.
En effet, à cause de son bras accidenté, Lexa avait sacrifié la robe de soirée exigée par Jesse pour une fine tunique cramoisie rebrodée de fils d'or – à manches longues –, qu'elle portait sur un simple pantalon noir. Ses cheveux, coiffés en une lourde natte de jais qui se balançait librement dans son dos, ajoutés à ses yeux cernés de noir, achevaient de lui donner l'air séduisant d'une danseuse orientale.
- Bah ! C'est très joli quand même, cette tenue! tenta Jesse pour venir au secours de Lexa – et en rougissant de plus belle lorsqu'il se rendit compte de l'ambiguïté de sa phrase –.
À côté de Lexa, Shalimar esquissa un sourire amusé.
Au contraire de son amie, Shalimar avait effectivement revêtu une luxueuse robe de soirée vert émeraude qui faisait très avantageusement ressortir sa fragile blondeur. Et Brennan – moins que quiconque – ne pouvait se plaindre de la manière dont la robe évasée révélait les formes et le corps parfait de la féline. Une sensation de chaleur lui vrilla les reins tandis qu'il remarquait simultanément le décolleté vertigineux et proprement affolant de son amante et le collier en or ciselé qui y reposait gracieusement.
- Shal', toi aussi, tu es ravissante, comme toujours! ajouta Jesse, s'enfonçant de plus belle.
Par tact, il n'évoqua pas l'inélégante paire de chaussettes de sport blanches – et visiblement trop grande pour elle – que Shalimar portait en guise de chaussures et qui avait fait dire à Brennan qu'elle n'avait pas respecté le marché. Jesse sentait obscurément qu'il y avait derrière cela une histoire de sexe – ou en tout cas, une histoire intime – qu'il n'avait pas foncièrement envie d'entendre avant de passer à table …
- Merci Jesse, approuva Shalimar. – Quant à toi, Brennan … Tu aurais pu mettre une cravate plutôt que de nous critiquer, Lex' et moi !
- Jesse! appela Sammy de la cuisine. – Je crois que la cuisson de la dinde est terminée !
Ce fut un repas de réveillon parfaitement réussi. La dinde cuisinée par Jesse et surveillée par les bons soins de Sammy était exquisément rôtie, sa farce moelleuse à souhait et accompagnée de légumes et de pommes de terre à profusion. Comme le matin même autour de la table du petit déjeuner, l'atmosphère était chaleureuse et les conversations légères allaient de bon train. Pour la première fois depuis son arrivée au Sanctuaire, Sammy se mêla – dans la mesure du possible – à la discussion de ses aînés. Le champagne aidant, les plaisanteries et éclats de rire se suivaient à un rythme soutenu …
Cependant, quiconque eût étudié la scène de l'extérieur (et de plus près) aurait rapidement remarqué des fêlures dans la quiétude générale, révélatrices d'un avenir plus qu'incertain … Le souci que Jesse apportait au bien-être de Lexa – laquelle donnait pourtant admirablement le change –, affleurait dans chacun de ses mouvements. Il avait vu le rictus de douleur se peindre sur son visage lorsque Brennan avait serré la jeune femme entre ses bras pour lui souhaiter « un joyeux Noël » et, à ce moment là, Jesse aurait volontiers assommé le brusque matérial. Même si, évidemment il ne pouvait pas savoir … Il y avait aussi ces regards inquiets de Shalimar vers sa sœur qui disaient sa tristesse du passé. Et sa peur de l'avenir. Sans qu'elle ne sache pourquoi, son instinct de féline lui faisait pressentir une trêve de courte durée …
Finalement, lorsqu'ils eurent achevé le dessert – une magnifique bûche glacée au chocolat et à l'orange confite parsemée d'éclats de nougatine – Jesse annonça, la voix pleine d'entrain :
- Et maintenant, si vous voulez, je propose que nous dansions !
Brennan grimaça au ton enjoué de son ami. Il ne pouvait s'empêcher de penser que Jesse en faisait trop : les décorations, les tenues de soirée, la luxueuse table, le festin … Chacune de ces choses proclamaient tout haut ce que Jesse pensait probablement tout bas : 'Cette année, je veux que tout soit parfait' ' Cette année est peut-être la dernière année que nous passons Noël ensemble' … C'était pour cette raison – et non pour taquiner Shalimar – que Brennan n'avait pas mis de cravate. Avec le costume sombre et la chemise de flanelle et aussi parce qu'il n'en portait jamais sauf dans quelques rares occasions, une cravate lui aurait donné l'impression de se rendre à un enterrement … L'enterrement des espérances d'avenir de Jesse.
De l'autre côté de la table, Shalimar – qui semblait n'avoir rien perçu du malaise de Bennan – leva sa coupe de champagne dans sa direction, un sourire charmeur dessiné sur ses lèvres délibérément humectées. Dieu ! Qu'elle était splendide !
- C'est une merveilleuse idée Jesse! répondit-elle d'une voix un peu rauque, sans quitter Brennan du regard. – J'ai très envie de danser …
L'invite était claire … Les yeux toujours plongés dans ceux du matérial, Shalimar huma inconsciemment le liquide ambré et pétillant contenu dans son verre avant de l'avaler. Avec délectation. Fasciné, Brennan guetta la déglutition, suivit du regard le trajet imaginé du champagne à travers le corps de la belle féline. D'abord la langue, muqueuse charnue et si douce sous ses baisers. Ensuite la gorge palpitante, puis la poitrine chaude, si tendre. Enfin, le ventre de Shalimar qu'il savait être si accueillant …
- Héo ! Brennan ? Shalimar ? Vous m'entendez , demanda moqueusement Lexa.
- Hein ? Quoi ?
Les deux mutants interpellés tressautèrent de concert comme des enfants pris en faute. Shalimar reposa bruyamment son verre sur la table.
- Hum … Non, rien. Oubliez !
Mais le charme était rompu. Se levant de table, Brennan rejoignit Jesse et Sammy qui se tenaient à côté du gramophone installé là pour l'occasion par le moléculaire. Il s'agissait visiblement d'un très vieil appareil. Par endroits, le bois semblait en avoir été rongé par d'invisibles et voraces petites bestioles et le pavillon métallique – aussi grand qu'une écoutille de bateau – était terni. Malgré tout, lorsque Jesse activa adroitement le mécanisme, une mélodie grésillante s'éleva dans la pièce, étonnement sonore :
My funny Valentine
Sweet comic Valentine
You make me smile with my heart
Your looks are laughable
Unphotographable
Yet you're my favourite work of art
- Frank Sinatra, indiqua le moléculaire aux 4 autres.
- Ohohoh … Et 'Maurice Chevalier' ... 'Joséphine Baker' ... 'Charles Trenet' : 'La Mer' ..., énuméra Brennan, butant contre les mots français, tandis qu'il maniait avec circonspection la pile de 33 tours placée à côté du gramophone : - Bon sang Jesse ! D'où est-ce que tu tiens ces antiquités ? Non attends, je sais : ta grand-mère … T'aurais pas quelque chose d'un peu plus … d'un peu plus moderne ?
- La ferme Brennan! le railla Jesse, faisant rire les filles.
Is your figure less than Greek
Is your mouth a little weak
When you open it to speak
Are you smart ?
Inutile de chercher à expliquer au matérial combien lui, Jesse Kilmartin, aimait le charme désuet de ces vieilles chansons ainsi que le grattement irrégulier de l'aiguille sur le vinyle usé des disques … Ils avaient bercé les longues vacances pluvieuses qu'il ne manquait pas de passer chaque été dans le manoir écossais de ses grands parents … Jeune fille, sa grand-mère – pourtant issue d'une illustre famille de l'aristocratie anglaise – s'était engagée auprès de la Croix Rouge comme infirmière volontaire pendant la Seconde Guerre Mondiale. Elle avait rencontré son futur mari – et le grand-père de Jesse – sur le front de Normandie. C'était un tout jeune GI américain. Par miracle autant que par bravoure, il avait survécu à l'enfer des combats et, ensemble ils avaient fêté la Libération au son des mélodies d'amour françaises et autres succès populaires de l'époque – comme Frank Sinatra, par exemple –.
But don't change a hair for me
Not if you care for me
Stay little Valentine stay
Each day is Valentine's day
Brennan ne se trompait finalement pas lorsqu'il soupçonnait Jesse de penser cette soirée comme l'une des dernières soirées de fête qui lui serait donnée de vivre. Tandis qu'il entraînait Sammy – laquelle dansait étonnement bien – dans une suite de figures compliquées, le moléculaire gravait dans sa mémoire chacun des détails heureux qu'il avait sous les yeux.
Is your figure less than Greek
Is your mouth a little weak
When you open it to speak
Are you smart?
D'abord Brennan et Shalimar ondulant au rythme de la musique dans une étreinte si serrée que – dans n'importe qu'elle autre circonstance – elle aurait paru formidablement indécente. Comment ai-je fait pour ne rien voir ? se demanda à nouveau Jesse – pour la centième fois au moins depuis le début de la soirée – tant il était évident que la féline et le matérial s'aimaient, qu'ils étaient amants et heureux de l'être …
But don't you change one hair for me
Not if you care for me
Stay little Valentine stay
Each day is Valentine's day (1)
Ensuite Lexa ... La jeune femme était assise sur le sofa. Les yeux clos, abandonnée aux accords grésillants du slow, elle se balançait doucement d'arrière en avant. Des mèches noires indisciplinées s'échappaient follement de sa lourde natte. Comme il aurait aimé – ne serait-ce qu'un instant – les tenir entre ses doigts pour en apprécier la texture veloutée …
Ils dansèrent encore longtemps dans la lumière tamisée, jusqu'à tard dans la nuit, changeant régulièrement de cavalières et de disques … Brennan n'émit plus aucun jugement sur la sélection musicale opérée par Jesse … Puis, finalement, d'inéluctables signes de fatigues se firent sentir. Sammy et Shalimar – de manière similaire – baillèrent à s'en décrocher la mâchoire de plus en plus fréquemment et de plus en plus bruyamment à chaque fois. Depuis de longues minutes déjà, Lexa s'était assoupie d'un sommeil profond.
- Je crois qu'il est temps pour toi d'aller te coucher, enjoignit gentiment Jesse à Sammy.
L'enfant ne protesta pas. Outre le fait qu'elle avait appris à respecter les ordres dispensés par ses aînés, elle se sentait épuisée : la journée avait été longue et riche en événements.
- Oui, acquiesça-t-elle en dissimulant poliment un énième bâillement derrière sa main droite. – Bonne nuit !
Une fois Sammy sortie, Brennan annonça à son tour son intention d'aller dormir. Mais Jesse, qui tentait d'éveiller Lexa le plus délicatement possible, interrompit le matérial avant qu'il n'ait le temps de quitter la pièce :
- Non attend Brennan ! Il faut que nous parlions tous les 4. Lexa et moi avons plusieurs choses à vous dire, à toi et à Shal'. C'est pour ça que j'ai envoyé Sammy au lit.
- Oh …
- Je veux savoir comment et pourquoi Lexa a été blessée! exigea autoritairement Shalimar soudain bien réveillée en se campant solidement face à Jesse.
- Ok, répondit simplement celui-ci. – Mais ça risque d'être long : nous ferions mieux de nous installer confortablement …
Joignant le geste à la parole, le moléculaire donna l'exemple en prenant place sur le sofa à côté de Lexa. Leurs épaules se touchèrent mais elle ne se dégagea pas – soit qu'elle fut encore trop ensommeillée pour le faire, soit qu'elle souhaita ainsi lui apporter son soutien –. Comme la jeune femme avait replié ses longues jambes sur le canapé, ses pieds nus virent naturellement se nicher au chaud, sous la cuisse de Jesse. Il ne protesta pas. En face d'eux, Brennan et Shalimar s'assirent dans 2 fauteuils séparés. Cette dernière dit enfin :
- Vas-y, Jesse, nous t'écoutons …
Alors, d'une voix monocorde, Jesse entreprit de résumer toute la situation depuis le début : les examens effectués sur Sammy et son ADN identique à celui de Shalimar, leurs recherches conjointes à Lexa et à lui qui n'avaient rien donné, l'unique piste du certificat de décès de Madame Fox. À ce stade du récit, Shalimar demanda dans un murmure :
- Alors comme ça, Sammy disait vrai ? Elle est morte ? J'aurais du le savoir …
Malgré tout, la féline éprouvait du mal à se sentir touchée – à se sentir directement concernée – par le destin de cette femme qu'elle avait finalement assez peu connue.
- Non, Shal'. Bien sûr que non, tu ne pouvais pas le savoir, rétorqua fermement Lexa. – C'était il y a 15 ans, tu n'étais qu'une enfant et ton père te l'a caché … Comment aurais-tu pu le savoir ?
- Oui, peut-être que tu as raison … Et … Et de quoi est-ce qu'elle est morte ?
- J'y viens …, répondit Jesse en reprenant son récit.
Il parla de leur visite nocturne au cimetière de Martha's Vineyard, de la tombe abandonnée consacrée à Madame Fox. Il omit néanmoins de préciser comment Lexa et lui-même avaient profané la dernière demeure de celle-ci et comment ils avaient ouvert son cercueil. Shalimar n'avait pas certes besoin de connaître ce détail. Ce qu'elle ignorait ne pouvait la faire souffrir.
- Et là-bas, acheva-t-il enfin : - Nous avons été abordé par le contact de Lexa au Dominion …
- Monsieur Porcin? interrogea Brennan prenant la parole pour la première fois.
- Lui-même. Il nous a raconté avoir quitté le Conseil du Dominion parce qu'il était en désaccord avec eux. À propos de Sammy. C'est eux qui ont tenté de l'enlever, en Cornouailles. Puis il y a eu une fusillade et il a été tué. Et Lexa … Lexa … a été blessée …
Jesse s'interrompit au souvenir des circonstances de l'accident – et de sa propre culpabilité –. Ce fut donc Lexa qui acheva le récit à sa place :
- Avant de mourir, mon contact a eu le temps de nous apprendre certaines choses sur Sammy et sur ta famille, Shal'. Et il nous a aussi laissé une disquette qui disait tout le reste …
- Mais je ne comprends pas. Pourquoi en ont-ils après Sammy? interrogea Brennan, perplexe. – Ce n'est qu'une gamine …
- Et bien justement … Ce n'est pas qu'une gamine. Shal'…, commença Jesse avec un embarras croissant en se tournant vers la féline. – C'est difficile à dire mais … mais …
- Sammy n'est pas ta sœur, c'est ton clone! acheva brusquement Lexa, coupant court aux tergiversations du moléculaire. – Joyeux Noël Shalimar! ajouta-t-elle avec dérision.
Cette dernière phrase se répercuta ironiquement dans le silence écrasant qui s'installa subitement entre les 4 jeunes gens et que personne ne semblait vouloir prendre l'initiative de rompre. Finalement Brennan exprima son incrédulité :
- Le clone de Shalimar ? Mais c'est impossible, c'est du délire ! Cette technologie n'existe pas encore ! C'est à peine si les généticiens arrivent à cloner une chèvre …
- Les mutants non plus ne sont pas sensés exister, je te rappelle, Brennan …, répliqua calmement Jesse.
- Mais c'est différent ! Nous … Nous sommes le fruit d'une expérience qui a mal tourné et … Shal' tu ne vas pas croire ça, quand même ?
Trois paires d'yeux se tournèrent simultanément dans la direction de la jeune femme qui jusqu'alors était restée totalement silencieuse.
- Et bien …, commença-elle avec hésitation tandis que lui revenait en mémoire l'image de Sammy dans la robe blanche, si semblable à elle-même adolescente. – Et bien … Je … Tu ne peux pas le savoir, Bre, mais la ressemblance physique est tellement … tellement forte entre nous 2 … (Puis, s'adressant à Jesse) : - Tu dis que nos ADN sont identiques ?
- Dans les moindres détails …
- Mais comment est-ce possible ?
L'apparente acceptation de Shalimar cloua les objections de Brennan : si la féline cédait, il ne pouvait qu'en faire autant. Il se tourna à son tour vers Jesse pour obtenir plus d'informations.
- Et bien … C'est encore assez confus, avoua Jesse. – Apparemment, il y a 15 ans, Monsieur Fox a conclu un marché avec Génome X. Il a accepté qu'ils effectuent des tests sur toi, que … que tu serves de cobaye pour leurs expériences sur l'embryon humain, le clonage … Désolé, Shal'. En échange, Génome X fournissait à ton père un double de toi. Mais un double fiable, pas … pas 'malade', pas mutant, – d'où la présence du gouverneur sub dermique – pour empêcher l'évolution de la mutation.
- Et ma mère ?
- Justement, elle est morte parce qu'elle s'y opposait. Il semblerait qu'elle ait été abattue par des agents de l'ASG. Et … que ton père ne s'y soit pas opposé. Il était au courant. Ça … le meurtre … a eût lieu, chez vous, à Martha's Vineyard. Ensuite, il a inventé cette histoire de mort en couches. D'une pierre, deux coups : il expliquait aux yeux de tous la disparition de sa femme et la présence d'un nouveau-né.
- Mais alors qui … qui a 'porté' Sammy ? Qui sont ses parents ?
- Génétiquement parlant, les parents de Sammy sont les tiens. Mais sinon j'imagine … J'imagine que l'on peut dire qu'elle n'a pas de parents … La disquette explique les détails de l'expérience : Sammy n'a été portée par personne. Le scientifique de Génome X qui a conduit les recherches a mis en place une sorte d'utérus artificiel autonome …
- Stop Jesse! s'emporta Shalimar pour la première fois depuis le début de la conversation. – Je … Je ne suis pas encore prête à entendre ça ! C'est … C'est monstrueux ! Comment … Comment peut-on faire ça à quelqu'un ?
Mais aucun des ses amis ne pouvait apporter de réponse à la question. Après un silence, la féline reprit, haletante – bouleversée – :
- Et … Et quand elle va savoir … Elle … Sammy … Ma sœur … Mon … clone ! Elle va me détester !
Shalimar n'aurait jamais cru que ce simple constat – que sa toute nouvelle sœur puisse la haïr – pourrait la blesser à ce point. Pourtant, c'était le cas …
- Je suis désolé, Shal' mais ça n'est pas tout encore …, asséna Jesse. – à l'époque, dans les années 80, le clonage n'était encore qu'une technologie expérimentale, balbutiante. Sammy est le seul sujet à avoir survécu. Et il semble que se soit uniquement grâce à l'implant sub dermique exigé par ton père. Jusqu'à présent, cet implant neutralisait l'ADN mutant de Sammy. Or, c'est justement dans cet ADN que résident les … les anomalies … qui ont coûté la vie aux autres clones … Et il est maintenant désactivé …
- Ce qui signifie ?
- Je ne sais pas vraiment …, concéda Jesse.
Il détestait devoir se faire l'avocat du diable. Annoncer le pire. Pourtant, il le devait :
- Personne ne connaît les tenants et les aboutissants du clonage humain pour la bonne raison que cela n'avait encore jamais été fait auparavant. Et encore moins sur des mutants … C'est pour cette raison que le Dominion veut à tout prix récupérer Sammy, parce qu'elle est unique et que nous devons tout faire pour qu'il échoue. Mais … Maintenant que l'implant est désactivé … Elle risque de subir le même sort que les autres enfants …
- Qui est ?
- La disquette parle de certains disfonctionnements du cœur … des poumons … du système immunitaire ou du foie. De cancers aussi. D'un vieillissement prématuré, d'arthrite ... Tout est possible, Sammy peut également ne rien développer de tout ça! acheva Jesse en arrêtant la macabre énumération.
À nouveau, un silence de plomb plana dans la pièce. Chacun chercha quelque chose à dire … Un réconfort. De l'espoir. Mais qu'y avait-il à dire pour atténuer l'horreur d'une telle situation ? N'importe quel mot eût été vain … Soudain, Shalimar bondit de son siège, sa main gauche crispée sur son cœur. Elle était blanche comme un linge.
- Shal'? demanda Brennan angoissé. – Qu'est-ce que tu as ?
- Sammy ! Sammy ! Vite, elle est en danger …, hoqueta la féline.
- Non Shal'… Calme-toi! tenta de la raisonner Jesse. – Sammy ne va pas tomber malade maintenant dans la seconde, voyons …
Dévisageant le moléculaire comme s'il délirait, la féline se dégagea de son étreinte et dit :
- évidemment, je sais qu'elle ne va pas tomber malade dans la seconde ! Mais là, elleest en physiquement en danger. Je … Je le sens … Dans ma chair …
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... Au même moment, vêtue simplement de sa chemise de nuit blanche, courrant à toutes jambes, Sammy sortit sur le toit du Sanctuaire.
Les mots entendus à travers la porte de la salle des ordinateurs résonnaient dans sa tête. Un clone … Pas de parents … Utérus artificiel … Anomalies … Disfonctionnements … Cancer … Clone …
… à l'instant même où elle posa le pied dehors, où elle prit conscience qu'elle n'était pas seule, où elle sentit la petite piqûre au creux de son cou, Sammy comprit son erreur …
Mais il était déjà trop tard … Elle n'eût même pas le temps de prononcer un mot avant de tomber, inanimée, sur le sol.
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TBC
(1) Comme je l'ai déjà dit (ou plutôt Jesse) la chanson n'est évidement pas de moi mais de Frank Sinatra !
