Les Liseuses.
Chapitre dix: "Regarder le futur les yeux clos".
Kyo s'appuya sur le Tenro. Il n'était plus le seul à recevoir les coups, maintenant, et ça, c'était bien. Déjà un grand pas en avant. Il avait pu frapper Arashi plusieurs fois avec succès et celui-ci repeignait à présent le dallage de marbre en écarlate. Par contre, lui aussi avait été blessé au genou gauche, ce qui le déstabilisait grandement, et ça, c'était mauvais. Chacun connaissait à présent toutes les techniques de l'autre, ce n'était plus qu'une question de talent et de réflexes.
Kiseki était, elle aussi, arrivée, se plaignant de la lenteur de son amant. Contrariée de le voir en difficulté, elle se joignit à la bataille. Elle se mit d'accord avec ses deux amies pour une stratégie.
-Ping-pong, les filles?
Kiseki avait sortit son éventail, Geshi, un grand bâton, semblable à celui d'Akari et Tsukiyo distribuait des coups de genoux et de coude au petit bonheur. Et le ping-pong consistait à se renvoyer mutuellement leurs adversaires en les frappant le plus fort possible. Akira, Bontenmaru et Tigre rouge, en l'occurrence. Un fulgurant plat de la main aux côtes dégagea ce dernier qui alla s'encastrer dans le décor, des petits oiseaux voletant autour de sa tête. Akira profita de l'ouverture laissée par Tsukiyo pour l'acculer un peu plus loin. Evitant ses attaques dévastatrices de son mieux, il parvint à sa hauteur. Akira agrippa avec force le poignet de Tsukiyo et la colla fermement contre lui, l'empêchant de bouger. Leurs visages étaient très près.
-Je ne pensais pas que tu étais un garçon aussi entreprenant, badina t-elle en cherchant une faille dans sa défense pour arriver à s'échapper.
Akira prit son air le plus mystérieux et…embrassa Tsukiyo. La Liseuse des Cartes ouvrit grand les yeux, en sentant la langue du samurai aux deux sabres s'introduire dans sa bouche sans autorisation, et en entendant une voix très lointaine dans son esprit hurler diverses imprécations à l'attention de l'aveugle. Mais tout s'évanouit lorsqu'un fuda fut vicieusement apposé sur sa poitrine.
-Fffffiiiuuuuu, siffla Tigre, à moitié dans les vapes à cause de sa rencontre assez dure avec un mur trop solide pour son bien, super technique! Files-la à Kyo!
Akari s'approcha de lui et guérit l'entaille qu'il avait à la tête en un tour de main.
-Et vous, vous faites quoi? Fit-il en regardant ceux qui ne se battaient pas.
-Supervisation et logistique, dirent Akari, Yukimura, Sasuke et Okuni en cœur.
-Ouias…en fait vous faites rien…
-T'as tout pigé, rétorqua Akari, tout sourire.
Chokkan voulut accourir pour aider celle qu'il devait protéger mais Shinrei se dressa devant lui.
-Ton adversaire à l'ordre du jour, c'est moi.
-Rectification, c'est nous! Fit Mugen en serrant les poings à s'en faire saigner; s'accordant par la même un haussement de sourcil de Shinrei.
-Je peux venir? demanda Hotaru, s'incrustant dans le mouvement, flairant le bon combat.
-Non! s'écria Heiwa, furieuse, pointant son naginata sur lui. Tu m'as manqué de respect l'autre fois! Tu es partit en plein milieu!
-……..ho, fit-il en essayant de se rappeler de quoi elle parlait, et puis, n'y parvenant toujours pas, il reprit avant de se retourner vers Chokkan, Mugen et son frère,…vraiment désolé...On peut se battre, alors?
-NNNOOOONNNNN! Hurla Heiwa en tapant du pied par terre, hors d'elle.
-Bon, soupira Mugen, résigné, je vais le faire, alors.
-Toi, ne viens pas me traîner dans les pattes, ratée.
Les prunelles bicolores du Yohko étincelèrent de rage sous l'insulte. Ses crocs apparurent nettement lorsqu'il se jeta sur la gardienne céleste et les lui planta férocement dans l'épaule. La jeune femme hurla sous la violente douleur, le renard ayant fermement refermé ses mâchoires sur elle, décidé à ne pas la lâcher de sitôt.
-Bien, on fait comment? Demanda Shinrei, qui voulait se battre contre Chokkan en même temps que son "adorable petit frère".
-…pierre papier ciseaux? Suggéra innocemment le blond.
-Ca me va…. Pierre, papier…ciseaux!….
-…J'ai gagné, Shinrei…
-DOH!
-Hotaru a triché,…mais cela ne nous regarde pas, ma chère Okuni, commenta Yukimura, pince-sans-rire.
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Tigre plaqua la note magique contre le front de Kiseki, manquant de justesse de se faire couper la main dans l'opération. Bontenmaru récupéra le corps de Yuya alors que la Liseuse, privée de volonté, s'effondrait comme un pantin dont on aurait coupé les fils. L'affrontement avait été particulièrement ardu, Kiseki ayant retenu la leçon du précédent, et utilisant son pouvoir de prescience avec sagacité. Elle avait prévu tous leurs mouvements, offensifs comme défensifs et avait déjoué tous leurs plans. Bontenmaru avait fait preuve d'une remarquable ingéniosité pour la contraindre à dévoiler ses faiblesses. Notamment la perte d'énergie flagrante qu'entraînait l'emploi à outrance de sa capacité de voyance.
-Là, c'est mon tour, sourit Yukimura en se campant sur ses jambes.
Au moment où Geshi reculait, forcée d'esquiver un coup d'Akira, revenu pour l'occasion, il bondit sur elle. Aidé par sa vitesse phénoménale, il faucha Geshi en plein vol, les projetant tous les deux quelques mètres plus loin, dérapant, ou plutôt glissant, sur le sol lisse. Le souffle coupé, la Liseuse des Etoiles peina à retrouver une respiration normale. Mais Yukimura ne lui en laissa pas le temps. Attrapant le fuda que lui tendait négligemment Akari, juste à côté, il sourit gentiment au Tanuki.
-Au plaisir de ne plus se revoir, mademoiselle.
Il tira son corps inanimé à l'abri, avec les deux autres.
-Opération "Liseuses Out", terminée! conclu Bontenmaru en faisant craquer son dos meurtri. Où en sont les autres?
-Kyo à l'air d'avoir le dessus contre Arashi, Hotaru s'amuse bien avec l'autre blondinet dont je retiens pas le nom, Mugen est en train de lacérer la tête de la fille au naginata à coup de griffes, résuma Sasuke, déphasé, absorbé par le dernier combat.
-C'est mignon à cet âge là, marmonna le colosse, trop bas pour qu'on l'entende.
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-Espèce de sale…
Heiwa repoussa Mugen, le repoussant le plus loin possible. Le visage couvert de plaies sanglantes donnait encore plus de poids à la fureur de la gardienne céleste. Le Yohko esquiva tous les coups de naginata avec une facilité déconcertante et surtout énervante. Il semblait s'amuse à la faire tourner en bourrique, sautillant autour d'elle, la forçant se déplacer pour essayer de le toucher.
-Mais bats-toi, peste!
-Mais c'est ce que je fais. Quand je disais que tu n'étais pas perspicace…
-Qu'est-ce que tu veux dire? s'écria t-elle, en nage.
-Regarde tes pieds.
Elle se figea lorsqu'elle baissa les yeux sur le sol. Un véritable réseau de racines s'était tissé autour des jambes d'Heiwa, bougeant avec elle, n'entravant pas ses mouvements pour ne pas se faire repérer. Tout à coup, les plantes se resserrèrent, emprisonnant la gardienne céleste, remontant jusqu'aux bras, les lui plaquant sans difficultés contre le corps, malgré sa résistance acharnée.
-Tu comptes me transpercer avec tes laitues? Ricana t-elle en fin de compte. Tu as de l'espoir!
-Ho, non! Je sais très bien que tu en réchapperais. Tu es une dure à cuire, Heiwa, sourit l'enfant.
Ca cachait quelque chose, et Heiwa ne savait pas si elle voulait savoir quoi. Généralement quand Mugen avait ce sourire la…
-Par contre, ce que je ne sais pas…et tu vas sans doute pouvoir me le dire…c'est: est-ce que tu réussiras à survivre sans la partie supérieure de ton corps?
Mugen agita un doigt et un minuscule tubercule transperça doucement le dallage pour grandir en accéléré. En six seconde, une plante mature de plusieurs mètres de haut se dressait devant la femme, immobilisée et livide. La première pensée qui traversa l'esprit de Shinrei était que cette chose ressemblait à une araignée. Une ignoble araignée difforme, effrayante et écœurante. Une aberration de la nature. Les feuilles du "végétal" étaient dentelées, craquelées à certains endroit, déchirées à d'autres. Quant à la fleur, si on pouvait appeler ça comme ça, elle aurait pu être jolie…s'il n'y avait pas des dents de la taille de la main de Bontenmaru l'intérieur de chaque pétale. Ceux-ci, d'un blanc crasseux et maladif, se contractaient et s'ouvraient, produisant un rythme aux sonorités malsaines. Un souffle fétide semblait agiter la créature, la faisant bouger tel un animal décharné, salivant déjà de son festin. Sasuke recula, son instinct lui ordonnant clairement d'aller se faire voir ailleurs.
-Je vous présente Marguerite, fit joyeusement Mugen en caressant affectueusement la chose. Mais, Heiwa, toi, tu la connais, Marguerite, tu as essayé de la tuer, il y a longtemps dans la forêt quand elle n'était encore qu'une petite pousse. Elle a eu plus de chance que mes parents, et…elle rêve de t'embrasser, depuis le temps…hein, ma beauté?
La plante eut un sifflement suraigu, se dressa devant sa future victime, ses pétales s'ouvrant derrière elle, comme la collerette d'un cobra prêt à mordre mortellement sa proie.
-Mugen est devenu cinglé…, murmura Tigre, les pupilles dilatées par la peur.
-Mu…Mugen…tu ne va quand même pas…tu es intelligente…que te rapporterais ma mort? bafouilla la gardienne céleste
-Enooooormément de satisfaction. Pourquoi?
-N…non, implora Heiwa,…tu es une…je….ne me tue pas!
-…tu sais, d'un certain point de vue, ce n'est pas moi qui vais te tuer, c'est Marguerite. Ensuite, le "ne me tue pas"…c'est drôle venant de toi, vu le nombre de personne qui t'ont supplié et demandé grâce et que tu as exécuté sans scrupules ni vergogne…tu n'as plus le droit de dire "ne me tue pas".
-Non….! NON!
Il claqua des doigts. Maguerite frémit.
-A table, Marguerite.
L'assemblé sursauta lorsqu'une gerbe de sang éclaboussa le sol et les murs alentours. Les pétales dorénavant écarlates, tranchaient par à-coup dans le cadavre, dévoraient avec un plaisir évident le corps encore chaud. L'ignoble craquement provoqué par la brisure des os résonnait d'autant plus dans le silence morbide qui s'était installé. Le visage d'Okuni tourna graduellement au vert. Elle eut un haut le cœur.
-…Je…je crois que je vais vomir…, prévint-elle avec un hoquet.
-C'était cool, hein? s'enquit Mugen, guilleret, essuyant d'un revers de la manche une trace de sang, pas le sien, sur sa joue. Bien digne de moi, tout ça!
-Quelle modestie, railla Akira en croisant les bras.
-Quand vous êtes génial, les gens prennent souvent votre franchise pour de la vanité, renifla dédaigneusement le Yohko, faussement hautain.
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Chokkan sauta de côté. Il se plaça derrière Hotaru et lui fit une clé de bras très efficace.
-Tu te défends bien. Mais tu peux faire mieux que ça. Montre-moi.
-…
Hotaru fit glisser son pied sous son sabre, à terre, et d'une impulsion, le propulsa en l'air, l'agrippa de sa main libre. Il fendit l'air à l'endroit où se trouvait initialement Chokkan, mais ce dernier ne l'avait pas attendu. Il avait changé de position, sortant de l'angle d'attaque d'Hotaru. Et il lui tenait toujours le bras. Ca commençait à faire mal.
-Si tu ne fais pas d'effort, je vais te le casser, promit Chokkan en accentuant la pression sur le membre malmené.
Hotaru tenta de se dégager, mais rien n'y fit
-Si tu le prends comme ça…
La douleur s'amplifia jusqu'à ce qu'un "crac" sonore retentisse. Le bras d'Hotaru pendait contre son flanc, inerte.
-Motivé, ou je dois m'occuper du deuxième?
Une gerbe de feu fonça vers lui, destinée à l'engloutir et n'en laisser aucune trace. Chokkan eut ce qui se rapprochait le plus d'un sourire pour lui et effectua un saut périlleux, les flammes le loupant de peu. Le sabre de son ennemi passa à trois centimètres de son oreille, sectionnant une mèche de cheveux blonds. Les lames s'affrontèrent plusieurs fois sans parvenir à trancher la chair.
-Tu es heureux, ici?
-Je dois la vie à Tsukiyo-sama et aux autres. Et il y a de bons combats.
-Comme ceux où tu tues des gens innocents, connard! brailla Mugen de plus loin.
-Ils avaient transgressé les règles. Maintenant tais-toi, renarde.
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-Renarde? répéta Akari, incrédule.
-Je me disais bien qu'il y avait un truc qui me tournicotait depuis tout à l'heure…Heiwa a toujours parlé de toi au féminin. Alors…
Sasuke ouvrit de grands yeux. Yukimura sourit grandement: lui, il le savait déjà. Mugen regarda fixement Bontenmaru, ennuyé.
-Z'êtes vraiment pas fins, vous le savez? articula Mugen, blasée.
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Hotaru soupira. C'est dans ces moments là qu'il aimerait savoir faire un Suzaku… Et son bras qui l'handicapait…..s'il se le coupait? Akari pourrait toujours le recoller plus tard….Non, Shinrei allait encore piquer une crise. Une vraie mère poule, celui-là…
-Maoen, flammes du roi des ténèbres, marmonna t-il.
-Comme fais-tu pour faire du feu de cette façon, demanda Chokkan, curieux, mine de rien.
-Secret professionnel. Si je te le disais, il faudrait que je te tue.
-Je vois…fit son adversaire, dépité.
Le shiseiten s'élança et toucha le gardien céleste au ventre. Indifférent à la profonde entaille, ce dernier répliqua impitoyablement par un coup latéral aux côtes.
-Tu es bon. Pourquoi ne pas nous rejoindre? Tu apprendrais beaucoup.
-Nhhh, grimaça Hotaru. Je me bats pour sauver les gens qui me sont chers. Vous, vous vous battez pour continuer un rêve dénué d'intérêt et mort depuis des siècles. Ca ne marcherait pas.
-….c'est possible. Même probable, en fait. Mais malgré tout, je dois obéir aux ordres.
Il se mit en position d'attaque, son sabre légèrement en retrait, et Hotaru fit de même. Le premier soupira amèrement et reprit.
-En d'autres circonstances…nous aurions pu être amis… Que tout se joue sur ce dernier coup.
Les deux se jaugèrent. Et leurs lames hurlèrent.
-Ha…
Un katana chuta à terre avec un bruit métallique. Le sabre d'Hotaru fiché en plein ventre, Chokkan s'écroula, vidé de ses forces. Il regarda le plafond, les bras en croix, attendant la mort.
-Akari, appela Hotaru, tu peux le soigner?
Confus, Chokkan observa le chaman lui adresser un gentil sourire et agiter son bâton au-dessus de ses blessures les plus importantes. Il tourna la tête vers Hotaru, accroupi à côté. Pourquoi le soignaient-il?
-Je t'ai battu. Ta vie est à moi, non? fit-il laconiquement.
-…Tu es un drôle de type, murmura t-il.
-C'est toi qui es bizarre…
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-Tu es vraiment lent à la détente, Onime no Kyo. A quoi te sers de m'affronter, puisque de toute façon tu ne reverras pas Yuya?
-La ferme.
Les mains de Kyo se crispèrent sur le manche de Tenro.
-Enfin, sois lucide…, fit-il en rajoutant de l'huile sur le feu. Elle n'a jamais existé par elle-même. Depuis sa naissance, elle ne vivait que pour devenir le corps d'accueil de Kiseki. C'est triste pour toi, mais c'est comme ça.
-Assez joué, rétorqua froidement l'enfant mibu. Tu va connaître la véritable souffrance.
Kyo enclencha les Full Red Eyes™. Son aura ténébreuse et démoniaque se déploya et envahit l'endroit, s'insinuant dans tous les espaces libres. Mugen glapit comme si on l'avait mordue et s'enfuit se réfugier derrière Yukimura en frissonnant et en claquant des dents. Sasuke fit de même, sans toutefois se presser, fierté masculine oblige.
-Je croyais que c'était un bakemono, moi! Pourquoi vous n'avez pas dit que c'était un Oni! Couina t-elle, terrorisée.
-T'es pas fine non plus, se moqua Tigre en se frottant énergiquement les bras.
-Va donc jouer à colin-maillard au bord de la falaise, grogna Mugen en se serrant contre le guerrier des Sanada qui protesta à mi-voix pour la forme.
Hotaru traîna Chokkan, qui sentait le froid mordre dans ses plaies encore ouvertes, et le fit s'asseoir avec eux.
-Bienvenue dans la bande des allumés, lança Tigre.
-…
L'héritier Tokugawa s'éloigna ostensiblement.
-Oy, ce type dégage autant de chaleur qu'un boa mort, confia t-il à Akira, au chevet des trois Liseuses endormies.
-Regardes plutôt ce qui se passe, lui conseilla l'aveugle.
Kyo fit soudain exploser sa puissance et il la canalisa dans son katana.
-Mais il veut raser le pays, ce con? S'écria Bontenmaru, écarquillant les yeux.
Ils avaient désormais du mal à tenir debout, malmenés par les vagues d'énergie produites par Kyo. Même Arashi luttait pour rester sur ses deux jambes. Le tueur de mille hommes plaça Tenro de la même manière que s'y allait utiliser un banal mizuchi. La lame pulsait d'une lumière aveuglante.
-Prépares-toi à subir le coup le plus dévastateur du Vent Divin Obscur, Arashi.
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Yuya cligna péniblement des yeux, sortant de sa catatonie, au milieu de l'immensité blanche.
-Ca sent l'odeur de Kyo….
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Le gardien céleste réprima un frisson lorsque les yeux totalement rouges de Kyo se vrillèrent dans les siens, fouillant au plus profond de son âme.
Dans l'ombre de Kyo, immense dans son dos, se mêlèrent celles de Suzaku, Biakko, Genbu et Seiryu, s'entrelaçant comme des anguilles. Une aile de l'oiseau de feu déborda, retournant dans le flot mouvant, chassée par la queue de Seiryu. Une patte griffue entailla la surface du marbre du sol. Une carapace déforma l'image, l'arrondissant. Lentement, presque à regret, les ombres se fondirent en une seule. Progressivement, tandis que l'ombre de Kyo disparaissait, la lame de Tenro se teintait de noir. Le noir des ténèbres. Des ombres. L'œil rouge de Suzaku étincela au fil de l'épée.
-Ils sont dedans, murmura Okuni, fascinée.
-Comment….la lame est devenue noire? Souffla Arashi.
-He, ricana Kyo, pourquoi crois-tu que l'ont qualifie d'"Obscure" le Vent Divin?
Akira déglutit, respira à fond, cherchant à retrouver son calme. Il se retourna en direction des autres.
-Je crois que ce serait judicieux de nous mettre à l'abri, non?
-Bonne idée, admirent-ils sans mal.
Ronin, informatrice, shaman, bakemono divers et variés se carapatèrent ou furent déplacés en quatrième vitesse, s'entassant comme ils purent dans un trou préalablement creusé par Bontenmaru.
-En avant pour le spectacle, déclara Yukimura, enjoué.
-On va tous mourir, fit Mugen, désespérée.
-Mais non, assura Shinrei, Kyo sait maîtriser sa force.
-Vu comment il a pété les plombs, j'en serais pas aussi sûr, si j'étais toi…, le nuança Akira.
-Borf, au moins on partira heureux, fit Bontenmaru en mettant une tape dans le dos de l'aveugle.
-Quelqu'un à du pop-corn? demanda Hotaru.
-Et on est obligé de rester là à attendre comme des glands? supplia Tigre, qui n'avait pas trop d'envies suicidaires pour le moment.
-Peureux, accusa Sasuke en haussant les épaules, mais tremblant toujours.
-Haaaa, mon Kyo en pleine action, quel bonheur!
-Du calme Akari, tu va finir par t'oublier, ricana Okuni, jalouse.
Chokkan sourit.
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Si les spectateurs s'attendaient à quelque chose d'impressionnant, ils furent servis. En premier lieu, Kyo abaissa juste Tenro, de façon à ce que la pointe rentre en contact avec le sol. Et, brusquement, il taillada l'air, remontant la lame vers le haut, jusqu'à ce que la poignée bute contre son épaule. L'attaque fonça sur Arashi, prenant peu à peu forme, Licorne immaculée à la corne tranchante comme le meilleur des sabres. L'amant de Kiseki était statufié. Non seulement par la force dégagée par cette licorne, mais aussi par sa beauté. Une beauté mortelle. Le collision fut rude, une explosion assourdissante engendrant une onde de choc terrifiante, secouant les fondations du palais même. Arashi vola sur une vingtaine de mètres avant de s'écraser contre un pilier, en sang et inerte.
-L'as-tu ressentie, la splendeur destructrice de Kirin, Arashi? Murmura calmement Kyo en rengainant Tenro et en quittant les Full Red Eyes™. Ca va aller, vous autres?
-On va bien, s'exclama Bontenmaru du bunker improvisé. Les gosses et mam'zelle Okuni sont dans les choux, mais ça va.
Shinrei s'extirpa du trou et scruta le décor. Tout avait été ravagé par l'explosion. Il siffla, impressionné.
-Pourquoi tu ne l'as pas sortit contre l'Ex?
-J'étais trop crevé, avoua l'enfant mibu en tomba en tailleur d'épuisement. Et les filles?
Bontenmaru, aidé par Yukimura, Akari, Akira et Tigre sortirent les inconscients de la fosse. Sasuke s'était réveillé en cour de route et titubait encore quand Yukimura l'agrippa par le bras pour éviter qu'il ne tombe tête la première. Mugen cligna des yeux, pas tout à fait en phase avec la réalité. Les Liseuses reposaient l'une à côté de l'autre.
-Et la question à cent ryo est: que fait-on, maintenant? demanda Bontenmaru, perplexe.
-Qu'est-ce que j'en sais, moi! s'insurgea Mugen alors que tous se tournaient vers elle, minus Kyo. Je suis que Nibi!
-On va tout simplement attendre qu'il se montre, répondit Kyo en sortant sa pipe et en la bourrant de tabac.
-Qui ça "il"? fit Tigre, interloqué.
-Le meilleur manipulateur d'âme du Japon.
Il prit une longue bouffée de tabac dans ses poumons et la savoura un moment. Une voix amusée et bien familière retentit alors dans ce qui fut autrefois un couloir somptueux.
-Le meilleur? Ho, Kyo, tu vas me faire rougir.
-Quand on parle du loup…Tu es en en retard…Kyoshiro.
L'ex pharmacien de la paix et de l'amour apparu, dans son sempiternel kimono blanc brodé du yin et du yang. Il dépassa le groupe, tendu par sa simple présence et, à genoux, caressa la joue de Sakuya, affecté.
-Je suis désolé….le message de mademoiselle Okuni a mit du temps avant de me parvenir. Je suis venu aussi vite que possible dès que j'ai su.
-Pas d'excuses, serviteur. Débrouilles-toi seulement pour les faire revenir à la normale, ordonna Kyo, impassible.
Hochant la tête en souriant, il plaça sa main à quelques centimètres de la figure de sa bien-aimée. Une douce lumière s'en dégagea. Il fronça les sourcils et retira sa main.
-Je vois. Je vais utiliser la même technique que lorsque je t'ai scellé au fond de moi, Kyo. Mais comme c'est une technique interdite, l'unique fois où j'ai pu la mettre en pratique, c'était…enfin, je ne sais pas trop ce que ça va donner…
-Fais juste de ton mieux, Kyoshiro, fit Tigre, le regard confiant.
Le Mibu le regarda, sans voix, surprit de la foi de son ancien ami envers lui. Tous les autres acquiescèrent, d'accord. Lui qui pensait qu'ils le détesteraient après ce qu'il avait fait…mais en fait, leur amitié était comme le lierre. Plus on le coupait, plus il repoussait pour revenir à la charge et envahir le terrain. Kyoshiro sourit grandement.
-Ok.
Il clôt les paupières pour se concentrer. Une nouvelle fois, la main s'illumina, mais ce fut une auréole rouge qui s'en empara. Kyo contracta instinctivement les muscles de sa mâchoire, se souvenant involontairement du mauvais quart d'heure que lui avait fait passer cette damnée lumière. La lumière fut absorbée, passant de Kyoshiro à la shamane. Le Mibu retira le fuda d'un geste vif. Immédiatement Sakuya gémit et papillonna des cils, signe qu'elle se réveillait. Prêt à toute éventualité, notamment celle d'un échec, la bande se mit en garde. Pour rien puisque la jeune femme se jeta au cou de Kyoshiro, en larmes.
-Kami-sama, Kyoshiro, j'ai eu si peur! Ces gens sont venus m'enlever, et….
Akira soupira de soulagement. Ca avait l'air de fonctionner…
-Tout va bien maintenant, calmes-toi. Je dois encore ranimer Yuya et Tokito, fit-il en s'écartant de lui avec délicatesse.
-Ho, oui, bien sûr! Je vais me pousser…!
Elle se prit le pied dans la coutume de son hakama et tomba par terre. Elle se releva en frottant le crâne et en riant de sa propre déconfiture.
-Oui, c'est bien elle, pas d'erreur, commentèrent Yukimura, Shinrei et Akira, souriant.
Ce dernier s'avança comme Kyoshiro allait s'occuper de Tokito. Même opération. Tokito se releva, sans parler. La tête baissée, devant Akira, elle ne prononçait pas la moindre parole. Un silence de mort planait. Quelque chose ne s'était pas bien passée?
-Toooooooooiiiiiiiii, commença Tokito en prenant un ton grave et dangereux.
-Je crois qu'il ferait mieux de commencer à courir, suggéra Yukimura, son expérience des femmes l'ayant rompu aux sautes d'humeurs inexpliquées de ces créatures étranges et pourtant si attirantes.
-JE VAIS TE TUER! hurla t-elle en l'attrapant par le col et se secouant comme un prunier. COMMENT AS-TU OSE! MISERABLE PETIT VERS DE TERRE! M'EMBRASSER SANS MA PERMITION ET EN PLUS TE LAISSER DRAGUER PAR CETTE, CETTE, CETTE…! CETTE £$#&!
Akira resta sans voix, prenant son premier cours pratique de psychologie féminine appliquée. Sakuya mit ses manches devant sa bouche, rougissante, en entendant l'insulte colorée, choqué par un vocabulaire indigne d'une jeune femme.
-Whaaaa, je le connaissais pas, celui-ci, fit Mugen, admirative.
-Tokito jalouse…on aura tout vu, railla Tigre.
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-Et ainsi finit Tokugawa Hidetada, dit Tigre rouge, incrusté vivant dans une dalle de marbre, déclama Akari en guise d'oraison funèbre.
-….arg….suis pas mort…
-Ca peut s'arranger, menaça Tokito, une veine affleurant à la tempe.
-Et si on s'occupait de Yuya? Proposa Bontenmaru.
Kyoshira calla la tête de la chasseuse de primes contre son genou et débuta son sortilège.
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Yuya…
-Cette voix…Kyoshiro? …Kyoshiro, c'est toi? S'exclama la jeune femme en faisant des tours sur elle-même pour localiser la provenance de la voix.
Oui, Yuya…Il faut que tu reviennes avec nous…
-Crois bien que ce n'est pas de la mauvaise volonté, mais je pense que je vais avoir du mal, fit-elle sur le ton de la plaisanterie.
Ne t'en fais pas, laisses-toi guider, et tout ira bien…Sakuya et Tokito sont déjà réveillées. Il ne manque plus que toi.
-Je suis prête et plus que prête de quitter cet endroit lugubre. Vas-y!
-NON!
Kiseki apparut à côté d'elle comme l'aurait fait un fantôme. Sous sa première apparence. Elle franchit à grands pas la courte distance qui les séparait et l'agrippa fermement pas le bras.
-Tu vas rester ici! exigea t-elle, furibonde.
-Tu plaisantes! Certainement pas! J'ai des amis qui m'attendent! Laisses-moi!
Yuya tenta de se dégager mais la Liseuse avait une poigne solide. A son grand étonnement, des larmes se dévoilèrent au coin des yeux de celle-ci. De longs sanglots hystériques ne tardèrent pas à secouer la Tengu. Kiseki la lâcha et se laissa tomber par terre, pleurant désespérément.
-Je ne veux pas que tu partes! Si cela arrivait…je ne reverrais plus Arashi! Je veux encore le toucher, lui parler, l'entendre rire, le voir faire l'imbécile… je sais que…je vais mourir s'il me laisse…
-Kiseki…
Yuya soupira. Elle pouvait comprendre son point de vue, mais elle ne pouvait pas non plus lui laisser son corps.
-Kiseki. Tu as aimé Arashi d'une façon remarquable…quelle femme ne serait pas capable de mourir plusieurs fois pour celui qu'elle aime de tout son cœur…tu as réussis à trouver ce moyen, mais… en cherchant à aimer le plus longtemps possible, connais-tu le nombre de vies as-tu détruites? Tu sais combien l'amour est important et qu'on est toutes pretes à faire des sacrifices pour lui. Tout en sachant cela…les jeunes filles que tu as possédées n'ont jamais eu le bonheur de le connaître. Et même si elles en étaient proches... tu le leur as arraché…
La Liseuse leva la tête vers son réceptacle, la lèvre tremblotante.
-…J'aime Kyo. Autant que tu aimes Arashi. Souviens-toi de la souffrance que tu as ressentit lorsque tu as cru qu'il avait t'être enlevé. Cette souffrance, je l'ai, aujourd'hui….laisses-moi l'aimer…au moins un peu…un dixième de ce que tu as vécu, toi…s'il te plait.
La bakemono se fit silencieuse. Le cœur de Yuya se mit à battre très fort dans sa poitrine.
-…non.
-Quoi?
-…non, répeta t-elle, une lueur de folie dans les prunelles. Si je dois rester ici…tu resteras avec moi. Pour l'éternité!
Kiseki se jeta sur Yuya de toute sa force, l'emprisonnant entre ses bras. Hurlant pour la raisonner, Yuya s'aperçu avec horreur que ses jambes s'enfonçaient dans l'étrange matière qui formait le sol de l'immensité blanche, entraînant le reste de son corps dans le processus. Kiseki aussi se fondait dedans, et l'empêchait de faire quoique ce soit.
-Oui, tu vas rester avec moi!
-NOOONNNN!
La matière
blanche était visqueuse, et elle paniqua vraiment lorsqu'elle
réalisa qu'elle allait finir par se noyer.
Yuya!
0o0
-L'âme que Kiseki essaye de la retenir! Fit Kyoshiro, épouvanté et paniqué. Elle essaye de la tuer!
yuya était agitée de convulsion et du sang perla aux commissures de ses lèvres.
-Fais quelque chose, alors! s'exclama Tigre, affolé.
-JE FAIS TOUT CE QUE JE PEUX! Hurla Kyoshiro, sortant de ses gonds.
Toute la troupe sursauta. Jamais Kyoshiro n'avait été dans cet état là. Même lors du combat avec Kyo. Yuya comptait énormément pour lui, comme Sakuya.
-Mais…je ne peux rien faire, reprit-il, la voix étrangement hachée.
0o0
Elle perdait pied de plus en plus. La matière blanche envahissait sa bouche et son nez comme l'auraient fait de l'eau ou du sable. Elle se débattit encore mais rien à faire: Kiseki ne lâchait pas. Epuisée, elle songea à se laisser couler. Se n'était pas si désagréable que ça, de mourir…
Yuya…
Kyoshiro? …Non, plus grave…Kyo? Yuya sourit ironiquement. Il ne l'avait jamais appelée par son prénom. Voilà qu'elle avait des hallucinations…
Yuya…reviens…
Elle eut une hésitation.
-Ho et puis merde! pensa t-elle avec force.
Yuya recula la tête en arrière, sous le regard intrigué et fou de Kiseki. Le coup de boule prit par surprise la Liseuse, qui à moitié assommée, desserra son étreinte. La chasseuse de prime, retrouvant ses vieux réflexes, en profita pour la faire basculer et, prenant appui à pieds joints sur la cage thoracique du bakemono, se projeta en haut en poussant sur ses jambes.
-NOOOOONNNN! S'écria Kiseki qui coulait toujours, tendant inutilement la main vers elle pour la retenir.
Mais Yuya, aidée par l'énergie du désespoir, nageait en direction de la surface. Au fur et à mesure qu'elle sentait se rapprocher, ses forces l'abandonnaient. Son souffle devenait irrégulier et erratique. Elle avait de plus en plus de mal à bouger. Pourtant, il fallait….il fallait qu'elle y arrive!
Le bout de ses doigts émergea à l'air libre.
Encore quelques petits centimètres….
YUYA!
0o0
-Kyo…, tenta Shinrei, abattu, …Yuya... ne respire plus… Et ça fait déjà deux minutes…
Kyo tenait la jeune femme contre lui, l'appelant désespérément depuis ce qui lui semblait une éternité. Les épaules de Tigre rouge étaient secouées par de longs sanglots douloureux. Les cheveux d'Akari dissimulé son visage baigné de larmes et les pleurs de Kyoshiro surmontaient les tentatives de réconfort de Sakuya. Tokito se réfugia sans mot dire dans le cou d'Akira. Elle avait finit par beaucoup apprécier la chasseuse de prime. Personne n'osait y croire. Après toutes ces épreuves, Yuya, qui était là depuis le début, qui avait partagé leurs joies et leurs peines, était….
Bontenmaru laissa échapper un cri de bête blessée à mort. Yukimura posa une main sur la tête de Sasuke et le dirigea vers lui, pour le serrer dans ses bras, le garçon se laissant faire sans opposer de résistance, mou comme une poupée de chiffon.
Dans ce mutisme à peine entrecoupé de pleurs, la respiration explosive prise par Yuya, ressembla à un coup de canon.
Il y eut un moment de flottement et d'incrédulité. Et puis…
-YUYAAAAA!
Ils se jetèrent tous sur elle pour la serrer contre eux. Toussotant, Yuya ne sembla pas immédiatement saisir où elle se trouvait et la masse joyeuse arrivant droit sur elle lui arracha un petit cri désaccordé. Elle prit conscience que, oui, c'était bien Kyo qui la tenait contre lui et que, oui, il souriait et qu'il était, oh putain oui, vachement sexy comme ça. Elle rougit imperceptiblement et sourit à son tour.
-J'ai hurlé tellement fort, murmura t-elle.
-Et on t'a entendu, répondit Kyo sur le même ton.
Avant de se pencher pour l'embrasser, il lui souffla à l'oreille.
-Bon retour chez nous, Yuya.
Il saisit sa main.
La força à le
regarder.
Et il lui ferma les paupières.
Pour regarder
le futur des yeux clos.
-suite à l'épilogue-
