Je ne pouvais le croire, huit mois, deux semaines, quatre jours, six heures, et quarante minutes après que Teyla, tabassée et malmenée, Rodney et Aiden étaient revenus, seuls, déclarant qu'ils n'avaient franchement aucune idée de l'endroit où se trouvait le Major Sheppard, John passa la porte en trébuchant.
Lorsque la porte s'était activée et que le code d'identification de John avait été reçu, j'étais restée figée sur place, je ne pouvais plus bouger, c'était comme si tout mon corps venait de se mettre en grève. Je ne sais pas qui a décidé de baisser le bouclier mais avant que je ne le sache, il se tenait debout dans la salle de la porte, donnant l'air d'avoir été traîné en enfer avant d'être ramené.
Il se tenait là et je n'étais pas prête à le croire. Ma tête me criait de ne pas avoir confiance, que la chose que je désirais le plus venait juste de passer la porte, que ça ne pouvait réellement être lui, qu'il était mort et que je devais être en train de rêver – j'avais rêvé de son retour tant de fois, et à chaque fois des scénarios différents. Mon coeur me criait d'accepter ce que je voyais, qu'il était vraiment là, qu'il était réel.
Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés debout là à nous regarder pendant que toutes les personnes autour restaient calmes et retenaient leur souffle. Je savais qu'ils avaient espérés que peut-être maintenant j'aurais enfin – d'après leur opinion – cette dépression émotionnelle que j'aurais du avoir il y a longtemps, sans réaliser que j'en avais déjà eu plusieurs en privé.
J'ai ignoré les regards choqués et stupéfaits que tout le monde me lança lorsque j'ai tourné le dos à John, lui ordonnant de se faire escorter jusqu'à l'infirmerie. Je refusais de croire que c'était vraiment lui jusqu'à ce que Carson lui fasse tous les examens possibles pour soit prouver soit réfuter que l'homme qui se tenait dans cette pièce était John Sheppard.
J'ai ignoré le silence qui planait dans la salle lorsque je suis sortie. Il devenait de plus en plus fréquent ces jours-ci et quelques fois cela m'ennuyait, mais au moins ils avaient arrêté d'essayer de me faire parler, ce qui était déjà quelque chose.
Depuis plusieurs heures, je suis assise dans l'obscurité de ma chambre, incapable de me forcer à aller à l'infirmerie même après que Carson m'ait contacté pour me dire que pour autant qu'il puisse dire, c'était vraiment John. Je ne comprends pas pourquoi je ne peux tout simplement pas me laisser aller à accepter que c'est vraiment lui, qu'il n'ait pas mort et qu'il est finalement rentré à la maison.
Je regarde les reflets du clair de lune sur le morceau de verre cassé alors qu'il déchire la peau de mon bras. Quand je suis assise seule, avec un morceau de verre dans ma main et que je m'entaille, c'est comme si rien d'autre ne comptait, il n'y a plus de décisions de vie ou de mort à gérer, il n'y a plus de douleur et à ce moment précis je suis presque en paix. Je ne me coupe pas pour tuer, quelques personnes le font. Je me coupe pour m'enfuir, pour dire quelque chose... Car tout tourne autour de moi, tout est si confus et douloureux et je me sens si perdue et si seule... Je dois juste le faire. Ce sont différentes choses qui déclenche ce processus : une mauvaise journée, des sentiments, des pensées... des souvenirs. Les bons souvenirs font plus mal que les mauvais.
D'habitude je n'entaille que l'intérieur de mes paumes ; dissimulé mais malgré tout visible si quelqu'un s'inquiète assez pour y regarder de près. Mais quelques fois quand les choses deviennent vraiment moches, je me coupe l'avant bras ou même la jambe. Une partie de moi est satisfaite de ça mais une autre partie souhaite effacer ces cicatrices... au moins les plus évidentes. Je me sens plus déconcertée par ça que par tout le reste. Je me sens gênée à propos du fait de m'entailler et cependant d'en être fière en même temps, je veux que les gens les voient cependant je ne veux pas, je veux que les gens sachent cependant je ne veux pas... Je ne suis pas sûre de savoir encore ce que je veux.
Quelques fois je me sens juste si fatiguée, mon coeur me fait mal, ma vue se brouille et mon esprit devient une spirale hors de contrôle. Je ne suis pas sûre de savoir quoi faire de tout ça et finalement je ne fais rien. C'est comme de la colère sans la puissance, sans l'énergie. Je me sens que le morceau de verre brisé que je tiens dans ma main ; déchirée, perdue, seule, désorientée, nerveuse... Mais plus ni entière ni intacte. Je sais que je ne devrais pas faire ça, je sais que ce n'est pas bien... mais j'en ai besoin, j'ai besoin de le faire pour ne pas devenir folle.
« Bordel, qu'est-ce que tu crois être en train de faire ? » J'ai sursauté au son de cette voix familière, n'ayant pas entendu John entrer dans la pièce. Se laissant tomber à côté de moi, John a retiré le morceau de verre de ma main, utilisant une partie de sa chemise pour essayer d'endiguer le flot de sang.
« Va t'en. » je murmure, ne désirant pas qu'il me voit comme ça. J'ai essayé de m'éloigner de lui, mais John a resserré sa prise sur mon bras et m'a rapproché de lui, puis m'a enveloppé dans une étreinte réconfortante.
C'est à ce moment que j'ai finalement réalisé que c'était lui, qu'il était vraiment réel et j'ai commencé à pleurer. John est parvenu à me relever doucement et à me coucher sur le lit sans jamais enlever ses bras autour de moi. Allongée sur le lit, j'ai enfoui mon visage dans son épaule et j'ai sangloté avec encore plus de désespoir qu'avant. Les pitoyables sanglots tourmentaient mon corps alors que John s'accrochait désespérément à moi.
Je sais qu'il est troublé et effrayé à propos de ce qu'il m'a vu faire, mais à cet instant je sais que tout ce qui compte pour lui est de s'assurer que je vais bien et ça me fait pleurer encore plus. Le voici à peine revenu d'on ne sait où, après être passé par on ne sait quoi et tout ce qu'il pense à faire est d'essayer de me réconforter alors que ça devrait être l'inverse et pour ça je me méprise.
Une soudaine bouffée de rage est montée en moi et j'ai lutté pour m'éloigner, je ne voulais pas de sa pitié ni de son réconfort, je ne l'avais pas mérité, mais John refusa de me laisser, quels que soient les efforts que je faisais pour le combattre. Après quelques instants, ma force et mon énergie ont disparu et j'ai abandonné la lutte. Nous sommes restés emmêlés pendant plusieurs minutes alors que nos respirations se calmaient, ma tête une nouvelle fois enfouie dans son épaule. Bientôt ma respiration ralentit jusqu'au rythme du sommeil et mon esprit commença à s'embrouiller alors que le sommeil en prenait possession. Je me laissais complètement aller, tout en étant capable de sentir ses battements de coeur et les miens, mais incapable de faire la différence entre les deux.
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Écartant une mèche de cheveux des yeux d'Élisabeth, John tira la couverture sur eux et la posa sur la silhouette endormie d'Élisabeth. John devait admettre qu'il avait été déconcerté et même un peu blessé lorsqu'il avait passé la porte et qu'Elisabeth lui avait ordonné d'aller à l'infirmerie en lui tournant le dos après à peine un bonjour.
Lorsqu'il était devenu clair qu'elle ne viendrait pas le voir à l'infirmerie, John s'était octroyé une petite pause pendant sa détention - pause pendant laquelle Carson fit semblant de ne rien voir – et partit à la recherche d'Élisabeth. Entrer dans la chambre d'Élisabeth et la voir enfoncer un morceau de verre dans son bras provoqua chez John plus de terreur qu'il n'aurait cru possible de ressentir. Terrifié à l'idée qu'il allait perdre la seule chose qui l'avait fait tenir pendant tous ces mois loin de la maison, la seule chose qui l'avait gardé sain d'esprit, John avait agi rapidement en empoignant d'un geste brusque le morceau de verre et en essayant d'endiguer les saignements.
Il n'avait aucune idée sur ce qui avait poussé Élisabeth à faire ce qu'elle venait de faire – et à voir les cicatrices ce n'était pas la première fois – mais John était déterminé à obtenir quelques réponses lorsqu'elle se réveillerait et alors il allait faire tout ce qu'il fallait pour retrouver son Élisabeth. Il ne s'était pas battu bec et ongles pour revenir à la maison, vers elle, juste pour la perdre peu après.
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La sensation de chaleur sur mon visage provenant des rayons de lumière du soleil matinal entrant à flots par la fenêtre me réveilla. Émergeant un peu plus, j'ai réalisé que l'un de mes bras était tenu dans un angle bizarre, et en ouvrant vraiment les yeux j'ai aperçu John en train d'examiner les cicatrices sur mon bras. Déplaçant mon regard de mon bras vers le visage de John, le l'ai trouvé en train de me fixer, d'un regard que je ne peux identifier, recherchant quelque chose, je ne suis pas sûre de savoir quoi.
Fronçant légèrement les sourcils, j'ai retiré mon bras et j'ai commencé à me lever du lit. Étant presque en dehors du lit, j'ai été arrêtée dans mon mouvement lorsque John empoigna doucement mais fermement mon poignet, forçant mes doigts à s'ouvrir, et il suivit d'un doigt les traces des cicatrices.
« Pourquoi ? » John tourna légèrement mon bras de manière à ce que je puisse voir la paume de ma main.
Ressentant soudainement un désir irrésistible de fuir, j'ai retiré vivement mon bras et je suis sortie du lit, refusant de rencontrer le regard de John. Je voulais lui dire, je le voulais vraiment, mais je ne pouvais trouver les mots, je ne savais pas comment mettre des mots là-dessus pour qu'il comprenne.
« Élisabeth... » John me suivit, m'attrapa par les épaules, et me força à me retourner pour lui faire face. Empoignant mes deux bras, John les leva entre nous. « Pourquoi ? »
« Je... Je ne sais pas. » murmurais-je, essayant de me libérer de son étreinte.
« Bordel Élisabeth, ne me mens pas ! » John me regardait dans le blanc des yeux, sans relâcher son étreinte.
« John ! » Ma voix s'étrangla dans ma gorge.
« Pourquoi ? » demanda à nouveau John.
« Parce que tu m'as laissé et que tu n'es pas revenu ! Parce-qu'une quelconque planète étrangère t'a éloigné de moi et n'allait pas te rendre ! Parce-que j'ai pensé pouvoir me convaincre que tout allait aller bien mais ce n'était pas possible ! Parce-que je t'aime plus que je pensais qu'il était possible pour une personne d'en aimer une autre et ça m'a fait très mal lorsque tu m'as laissé ici toute seule ! » j'ai crié, je commençais vraiment à être en rogne.
John m'a pris fermement dans ses bras avant que je ne puisse le repousser. Je suis restée parfaitement immobile, la mâchoire serrée, vraiment en colère que John m'ait contrainte de sortir tout ça de moi. Debout dans les bras de John, j'essayais de forcer une réaction, mais rien n'arrivait, quelle que soit la façon dont j'essayais.
« Je suis désolé... Je suis désolé... Je suis désolé. » Et voilà c'était là ; le barrage se brisa devant les excuses chuchotées d'une voix étranglée et déchirée.
J'ai senti les larmes commencer à couler de mes yeux et plus je leur ordonnais de s'arrêter, plus elles décidaient de s'échapper. En peu de temps j'étais en train de pleurer comme s'il n'y avait pas de lendemain et je m'accrochais à John pour tout ce qui était important à mes yeux.
Le temps sembla s'arrêter. John avait toujours ses bras autour de moi et je ne pouvais pas comprendre pourquoi il ne me laissait pas partir. Je n'étais plus la même personne qu'il connaissait, je n'avais pas mérité d'être debout ici dans ses bras et de trouver du réconfort en lui. Mais le fait qu'il ne me laisserait pas partir me donnait l'espoir que peut-être, juste peut-être, il y avait encore une chance pour moi.
« Pourquoi me forces-tu à faire ça ? » Je ne sais pas ce qui m'a poussé à lui demander ça, mais une petite partie de moi avait besoin de savoir.
« Je ne te force pas à faire quoi que ce soit. J'essaie juste de te faire voir et te faire comprendre que ce n'est pas bien, que ta façon de faire face à ma disparition n'était pas la bonne façon. Mais maintenant je suis revenu et je te jure que je n'ai pas projeté d'aller quelque part pendant un bon bout de temps. Nous traverserons ça ensemble, je te le promets. »
Resserrant mon étreinte autour de John, je suis restée debout là, je l'ai laissé me serrer, plaçant une foi et une confiance absolue en lui pour que tout redevienne bien. Même si ça lui prendrait toute l'éternité, je savais qu'il le ferait.
