Titre : Un dieu cruel nous regarde

Auteur : Mokoshna

Manga : Hikaru no Go

Crédits : Le manga Hikaru no Go appartient à qui revient de droit, c'est-à-dire principalement ses auteurs, Yumi Hotta et Takeshi Obata. Pas à moi, donc (boude).

Avertissements : Totalement AU (Alternate Universe), Spoilers de la fin du manga (tout pleins en fait), personnages complètement OOC (Out Of Character), Yaoi à un moment, pas tout de suite mais ça va venir. Si ça vous déplaît, passez votre chemin, je ne me rabaisserais pas à répondre. Mais je lirais quand même pour me marrer un bon coup.

Et bien sûr, les autres critiques, sur l'incohérence de l'histoire, la grammaire pourrie, les fautes d'orthographe grosses comme un goban ou le style déplorable sont les bienvenues et je les prendrais avec toute l'attention... enfin, je les prendrais.

Commentaires artistiquement idiots de l'auteur : Bon, on va dire ce qui est : j'ai passé des heures à m'abîmer les yeux sur un écran pour lire des scanlations et rechercher des citations sur un manga sur des joueurs de go un peu fanatiques; suite de quoi, j'ai passé des heures à m'abîmer le cerveau pour écrire des trucs sur des joueurs de go. Et en plus c'est vraiment n'importe quoi. J'ai une vie parfaitement saine et équilibrée, merci.

Le titre est tiré d'un manga yaoi que je n'ai jamais lu mais dont j'ai entendu parler. J'ai aimé le titre, j'ai voulu le réutiliser un jour, et voilà. Fascinant, n'est-ce pas ? Les citations de début sont (souvent) des traductions-maison des scanlations, donc c'est pas toujours terrible et ça ne ressemble pas forcément à la version française, que je n'ai pas sous la main, désolée.

L'histoire en est à ses balbutiements. Je ne sais pas trop où je vais, et c'est déjà très bizarre... je pense qu'elle mettra un peu de temps à se mettre en place (et en plus c'est la rentrée... ;;)

XxXxXxX

Chapitre 1 : Akira Touya

" Relier un passé lointain et un avenir lointain. C'est la raison pour laquelle j'existe. "

Hikaru Shindou,

déclaration faite à l'issue de

sa défaite contre Ko Yongha,

Coupe de Hokuto

(fin du Volume 23)

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Le jeune homme se balança lentement un pied sur l'autre, gauche, droite, droite, gauche, faisant bruisser légèrement son long manteau blanc sur son pantalon neuf, au gré de son mouvement. Cela faisait des heures qu'il attendait à la porte et il commençait sérieusement à regretter de ne pas être entré avec son coéquipier. Certes, le go était un jeu horriblement ennuyeux à son goût et il n'y comprenait rien, mais au moins il aurait été assis (à ce moment il avait totalement occulté de sa mémoire que s'asseoir sur les talons ne lui réussissait pas vraiment).

Il bailla de plus belle, pour la centième fois il lui semblait, et risqua un oeil vers la porte en papier de riz qui se trouvait en face de lui, de l'autre côté du couloir. Bien sûr, il ne pouvait pas distinguer les deux adversaires à travers, et Touya lui avait expressément interdit de faire quoi que ce soit qui pourrait les déranger, lui avait sommé de l'attendre là, sans bouger, sans parler. Donc pas d'entrée brusque, pas de pression pour finir plus vite, il devait se faire oublier mais bon, qu'est-ce qu'il s'ennuyait ! Fichue mission, et bien sûr Touya récolterait encore les lauriers. Quel boulot de merde.

Un bruit très léger, presque un soupir, attira son attention vers la gauche, pile à la jonction entre la fin de la portée de la torche à côté de lui et les ténèbres. Ce n'était sans doute rien, ces vieilles maisons traditionnelles étaient pleines de choses et d'autres qui se baladaient dans la nuit, ou alors c'était tout simplement un animal qui s'était perdu... Il n'y croyait guère. Il sortit légèrement ses armes de leurs fourreaux et se concentra vers l'endroit où il avait entendu le bruit.

La nuit était calme, mais il avait remarqué depuis qu'il était dans le domaine à quel point ce calme était irréel, même pour une demeure de créature magique : pas de cris d'animaux ou de pépiement d'oiseaux, pas le moindre souffle de vent, même le temps semblait s'être figé à l'intérieur des frontières de ce territoire. Seigneur, il n'avait même pas réussi à capter le moindre son émanant de leurs hôtes à part la voix feutrée de la servante qui les avait accueillis, et Touya qui se mettait tout d'un coup à être aussi silencieux... et le maître de maison qui n'avait rien dit, se contentant de les guider vers cette grande pièce avec le goban et de faire un geste à Touya, qui s'était enfermé avec lui...

Il sentit brusquement sa différence, lui qui ne pouvait pas faire un geste sans briser le silence ambiant... il était juste un gros balourd repérable à des kilomètres à la ronde, avec sa voix qui portait quel que soit le volume auquel il la baissait et ses pas qui résonnaient dans la nuit comme une invitation lugubre... même sa respiration faisait un vacarme horrible, et il voulut plus que jamais faire coulisser la porte pour aller chercher Touya, partir de cet endroit effrayant et ne plus y revenir.

Que le Commandeur aille au diable avec son colis !

Encore un autre soupir, et il semblait plus près, plus fort. Il avait beau écarquiller les yeux, il ne distinguait rien à part un bout de lumière faiblarde qui se battait péniblement contre une large portion de ténèbres si opaques qu'il avait l'impression qu'il aurait pu trancher dedans avec ses poignards... poignards qu'il avait complètement dégainés et qu'il tenait en garde, le regard aussi déterminé que possible malgré les frissons glacés qui lui parcouraient le dos.

Là, un grattement maintenant, très doux mais bien distinct... et il semblait très près, mais il ne voyait toujours rien d'hostile, enfin rien du tout... ah, le grattement était aussi de l'autre côté, à droite du couloir... tiens, on aurait dit qu'ils se répondaient... Le jeune soldat serra ses poignards un peu plus fort. Un autre soupir à gauche, et... un ricanement à droite ? Et les grattements, les grattements qui se rapprochaient, et il ne voyait toujours rien ! Il allait devenir fou, il était fou ! N'avait-il pas entendu des bruits de reptation ? Et il semblait aussi que la lumière avait décliné, comme si la torche voulait s'éteindre... plus faible, plus chancelante, la lumière s'en allait, les ténèbres gagnaient du terrain, et avec elles ce bruit horrible... rampe, gratte, soupire, ricane... ses poignards étaient prêts...

La porte coulissa avec fracas, faisant l'effet d'un coup de tonnerre, et elle ramena la lumière du couloir avec elle. Cutter sursauta si fort qu'il était sûr que si le plafond n'avait pas été aussi haut, il y aurait un trou juste au-dessus de lui à l'heure qu'il était. En face de lui, l'air aussi impassible que d'habitude, se tenait Touya, un Touya un peu coincé et nerveux, tenant un sac fermé en toile grossière à la main. Cutter n'avait jamais été aussi heureux de le voir.

- Qu'est-ce que tu fais ? grogna son coéquipier. Je t'avais pourtant dit de ne pas faire de bruit.

Sur le coup, Cutter faillit exploser, à la fois de colère et de soulagement. Il ne rangea néanmoins pas ses poignards, d'autant plus qu'il venait d'apercevoir leur hôte derrière Touya, son drôle de masque pointé vers lui, comme en signe de moquerie. Sa longue chevelure rousse battait au vent, mais il n'y avait pas la moindre brise, à part le souffle provoqué par la respiration haletante de Cutter. Son costume, si étrange aux yeux du jeune soldat élevé à l'occidentale, émettait des couleurs trop vives à cette lumière, trop changeantes et mouvantes pour n'être qu'un simple effet d'optique. Sûrement, le large kimono de cérémonie variait constamment de motif, alternant les saisons aussi sûrement qu'une année humaine : printemps, été, automne, hiver, tous les tons se reflétaient dans son habillement qui fascinait le jeune soldat. Leur hôte émit un petit rire, et il sembla à Cutter revivre l'épisode précédent, au son du ricanement du couloir mal éclairé. Il secoua la tête.

- Comment ça, qu'est-ce que je fais ? Et toi ? Ca fait des heures que tu es là-dedans, tu as fini ? On a encore un rapport à taper je te rappelle ! Et le Commandeur...

- Oui, j'ai fini, coupa son partenaire. On peut y aller, j'ai tous ce que je voulais. Il brandit le sac en toile.

- Ah, ok alors. Euh, monsieur...

- Sakaki, murmura l'hôte d'une voix suave, tu peux m'appeler de ce nom, mignon petit d'homme.

- Euh... ok. (Mieux valait ne pas contrarier une créature magique). Merci beaucoup pour votre aide et votre hospitalité, monsieur Sakaki, mais nous devons y aller, nos chefs attendent notre retour. Euh... à la joie de vous revoir...

- Que les dieux soient favorables à vos projets et guident vos pas, Templiers. A bientôt, peut-être, jeune Meijin.

- Ce sera avec joie, seigneur Sakaki, fit Akira en s'inclinant. Au revoir.

La servante de leur arrivée apparut de nulle part et les guida vers la sortie. Ils n'échangèrent pas un mot sur le chemin, Touya étant perdu dans ses pensées et Cutter essayant, en vain, de régler son pas aussi silencieusement que possible. Plusieurs fois, il lança un regard furtif vers son coéquipier, mais celui-ci ne fit pas une seule fois attention à lui, et il n'insista pas. Couloir sombre après couloir sombre, ils arrivèrent à l'entrée du domaine, et la lourde porte de bois se referma sans bruit derrière eux, pour disparaître dans la nuit. Le temps de cligner des yeux, le domaine tout entier avait disparu, ne laissant devant les deux soldats qu'une lande déserte et délabrée à perte de vue. Cutter soupira.

- Mission accomplie, enfin ! Pas mécontent de sortir de cet endroit !

Il se tourna vers son partenaire, lorgnant avec suspicion le sac que ce dernier tenait avec précaution.

- Mais je me demande quand même ce qu'il y a dans ce sac, pour qu'on nous envoie en plein cœur des territoires magiques, au beau milieu de la nuit de surcroît... et pourquoi est-ce que tu devais absolument le défier au go ?

Il secoua la tête, abasourdi. Leurs missions devenaient de plus en plus bizarres, récemment.

- C'était une condition, se décida à dire Akira. Je devais absolument le battre pour qu'il accepte de nous donner ceci. Mais moi-même, je ne sais pas ce dont il s'agit. Le Commandeur n'a rien dit, et le seigneur Sakaki non plus.

- Cet imbécile de Paterson ! J'ai bien failli l'étrangler quand il nous a annoncé la mission ! En plein territoire ennemi, en pleine nuit ! C'était presque de la provocation ! Sais-tu que j'ai failli me faire agresser, en t'attendant ?

- Ah ? Alors, les poignards...

- Y'avait un truc, plusieurs même, j'ai pas eu le temps de voir quoi et j'en suis bien content... ils étaient dans le couloir je crois, et la lumière faiblissait, j'ai vraiment flippé là... ils sont partis quand t'as ouvert la porte.

- Enfin, tout est fini, soupira Akira. On peut rentrer.

- Ouais ! Au pieu !

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Le quartier général des Templiers de l'Est, où étaient affectés Akira Touya et Alexandre Cutter, se trouvait au beau milieu des terres de Central, le continent le plus vaste de ce monde, et autour duquel gravitaient les autres terres habitées. Du haut de la Tour, comme ses occupants appelaient sobrement la Tour de Babel qui était leur centre logistique et militaire, cinq mille hommes, sous l'égide du Commandeur James Paterson, oeuvraient pour rendre ce monde meilleur, du moins du côté humain.

Les Templiers étaient en effet depuis près de deux siècles la principale police indépendante et assuraient le lien avec les créatures magiques et autres grandes familles et clans semi-divins qui partageait cette planète avec les humains, plus faibles certes mais infiniment plus nombreux. Cela n'avait pas été une mince affaire.

Dix mille ans auparavant, une guerre totale qui avec le temps s'était peu à peu effacée du souvenir des peuples, avait dévasté la Terre et chamboulé l'écosystème. Les historiens étaient partagés sur son origine et ses aboutissants; mais il se trouva qu'à l'issue de cette guerre, appelée la Grande Guerre (les survivants avaient d'autres chats à fouetter que de faire preuve de créativité pour un nom), les emplacements des terres furent modifiés, le climat, la faune et la flore connurent un tel remaniement que plusieurs espèces disparurent à jamais, et d'autres apparurent, quelquefois de nulle part. La magie tint une place primordiale dans ce nouvel équilibre. Les humains, qui avaient été presque décimés, furent mêlés à de nouvelles créatures magiques et autres entités qui se proclamèrent dieux. Ceux-ci formèrent assez rapidement un panthéon et vécurent à l'écart, mais pas tous. Certains se mêlèrent aux humains, aux créatures, aux animaux, créant parfois de nouvelles races à part entière. Mais les avis restaient partagés.

D'après les chefs religieux des grandes familles royales qui contrôlaient les territoires, aux traits parfois si différents des humains et aux chatoyantes origines divines, les dieux étaient à la base de tout. Ils seraient un jour venus sur Terre, où résidaient déjà les humains, peuple primitif et sauvage, et en auraient fait un havre de paix, instaurant peu à peu leurs enfants au sein de leur pouvoir légitime actuel. La Grande Guerre n'aurait été qu'un épisode impressionnant de leur passé, où les dieux auraient combattu les Forces du Mal, venues s'assurer de la déchéance des humains. Et ces mêmes dieux vivraient à présent sur un mystérieux continent caché, une sorte d'Eden cosmique, veillant de loin sur la Terre et profitant d'une retraite divine éternelle, mais toujours prêts à aider leurs enfants en cas de besoin. Telle était la doctrine officielle, aux yeux des millions d'adeptes de la religion qui continuaient à vénérer avec plus ou moins de vigueur ces dieux mystérieux.

Mais des découvertes archéologiques récentes firent naître un mouvement humaniste, en total désaccord avec la pensée traditionnelle. D'après ce nouveau courant qui prônait l'appartenance de la Terre aux premiers habitants, les humains auraient au contraire vécu dans une opulence folle avant l'arrivée des dieux. Ceux-ci seraient venus un beau jour d'on ne sait où et auraient déclenché la Grande Guerre, à l'issue de laquelle les humains pacifiques auraient été presque anéantis. Les rares survivants auraient été asservis et forcés à se mêler aux dieux, despotes absolus qui auraient remodelé la planète.

A l'écart de ces deux discours contradictoires, les Templiers s'étaient formés sans bruit, presque dans l'incognito. D'après la légende de la conception de l'ordre, neuf humains, qui s'appelèrent les Neuf Apôtres, trouvèrent d'obscurs écrits de la Terre d'avant la Grande Guerre, qui les poussa à former les Templiers, d'après le nom et les règles d'un groupe qui aurait réellement existé chez les humains. L'objectif était clair : former une organisation défendant les droits des humains, indépendante des familles d'origine divine et autres créatures magiques, tout en faisant respecter une certaine paix entre tous. D'année en année, l'ordre devint plus puissant, plus nombreux, plus riche, mais sa portée n'était que militaire et parfois, idéologique, une sorte d'ONU futuriste comme se le disait parfois Akira. L'organisation politique fut peu chamboulée, même après deux siècles, d'autant plus que beaucoup murmuraient que les Templiers avaient un objectif tout autre, un objectif secret que même la plupart de ses membres ne connaissait pas. Mais l'ambiance était, grosso modo, à la tolérance prudente, y compris entre les différentes espèces.

- C'est un drôle de monde quand même que celui-là, murmura Akira à lui-même, à mi-chemin entre le sacré et le profane, et la magie est partout. C'est à douter que la science ait jamais existé !

- Tu disais ? demanda Cutter entre deux bouchées de ragoût au bœuf rayé.

Il se resservit une bonne rasade à la marmite située au centre de la table, sous l'œil amusé d'Akira qui entamait à peine sa part. Cutter était un véritable goinfre mais malgré cela il restait svelte et souple, aussi agile qu'un singe et aussi dangereux qu'une Arachnée, ces araignées géantes qui pouvaient au choix vous arracher un bras ou vous inoculer un poison mortel en une seconde. Akira le laissa finir sa bouchée avant de répondre.

- Je disais, c'est un drôle de monde que celui-ci. Je pense m'y habituer, et alors j'apprends l'existence de choses plus surprenantes encore. C'est vraiment déconcertant.

- Bah, c'est pas grand chose, une fois que tu sais reconnaître le danger et fuir à temps.

- C'est si simple que ça ?

- Ca a toujours marché pour moi.

Et il engloutit une bouchée qui semblait faire dix fois le volume de son estomac. Akira s'en désintéressa et fixa son déjeuner.

Ils se trouvaient à la Tour, au lendemain de leur mission chez Sakaki. Etant revenus au petit matin, ils avaient raté le petit déjeuner et avaient opté pour un déjeuner un peu plus conséquent, en tout cas pour Cutter qui mangeait comme quatre. Akira restait à méditer. Il était bientôt quinze heures, le réfectoire était presque désert à part quelques retardataires comme Akira et Cutter, et ils se retrouvaient par conséquent seuls sur leur table avec le ragoût gargantuesque qu'avait commandé Cutter. Akira s'arrêta un instant de manger pour considérer son partenaire.

Assez grand, Cutter était de ceux dont on aurait volontiers fait un ami mais en aucun cas un compagnon de chambrée. Akira savait par expérience que sa chambre était le plus formidable bordel organisé qu'il ait jamais vu chez un humain (ou semi-humain en l'occurrence, Cutter étant à moitié elfe noir). Il avait la peau sombre, les cheveux blonds, et l'oeil bleu vif des jeunes de cent-cinquante-deux ans, qu'il fêterait dignement à la fin de cette année si rien ne lui arrivait d'ici-là. Akira lui enviait presque son insouciance.

Et lui, qui était-il ? Il y pensa avec un regret qui allait à l'amertume. Akira Touya, ex-professionnel de go 5ème dan, le chef de file de cette nouvelle vague de joueurs au Japon qui était prête à déferler sur le monde au XXIème siècle. Un monde qui n'existait plus, autant qu'il puisse en juger.

Un monde où les dieux et les humains cohabitaient avec des créatures magiques et avaient des enfants. Un monde où le go était le jeu officiel des dieux et des familles au pouvoir, où il régissait tellement les esprits qu'il avait vus des créatures parier leur âme au jeu, et celles de leurs proches. Un monde où il n'avait pas sa place, mais que par un étrange concours de circonstances (était-ce vraiment dû au hasard ?) il avait intégré, sans trop savoir comment ni pourquoi.

Un monde où ceux qu'il avait connus et aimés n'existaient pas. Et il ne pensait à personne en particulier, non ! Il se demandait juste s'il était encore en vie (il en doutait), ce qu'il faisait (sans doute en rapport avec le go). Avait-il vécu heureux, se demandant où son rival était passé ? S'était-il marié, avait-il remporté un titre ?

Ou avait-il été emporté par cette Grande Guerre sur laquelle il avait lu des dizaines de livres qui ne disaient absolument rien ?

Un monde où se trouvait maintenant Akira Touya. Pas le meilleur des mondes, mais il devrait en prendre son parti.

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Le onzième jour du sixième mois de la six-mille deux cent vingt-huitième année sur le calendrier des territoires de l'Est (11/06/6228), James Paterson, Grand Commandeur des Templiers et responsable de la région Est, trouva un oeuf. Et un gros, de surcroît.

Plusieurs de ses hommes avaient rapporté des faits étranges venant d'une petite région perdue au plein coeur du pays, à presque cinq mille kilomètres de la Tour de Babel. C'était une région de rocs escarpés où personne ne vivait et guère plus venait en visite, donc ils ne l'avaient pas remarqué tout d'abord. Mais le phénomène s'intensifia d'année en année, jusqu'à alerter les habitants d'un petit village d'humains situé à dix kilomètres de là qui, craignant une attaque de créatures dangereuses, appelèrent les Templiers.

Une équipe fut envoyée en éclaireur. Puis une autre. Et une troisième, au cas où. Toutes ont rapporté la même chose.

Quelque part en plein coeur de ces terres arides, quelque chose faisait pousser une jungle petit à petit.

Ca sortait d'une crevasse anodine, nichée dans les rochers. Des lianes, des plantes en surgissaient, une espèce de flot lumineux qui en sortait transformait le sol desséché, la rendait fertile et même davantage. Une clairière autour de la fente, où l'herbe poussait drue et haute, des arbres gigantesques encore plus loin, et cela s'étendait, s'étendait...

James Paterson savait cela, puisqu'il était allé voir de lui-même.

Il pensait prendre des vacances. Cinquante ans qu'il était assigné à cette fichue Tour, et il avait à peine vu la moitié du pays ! Alors quelques jours au Sud, c'était rien, l'affaire serait classée en un éclair. Les esprits de la Terre qui aimaient faire pousser des choses, ça ne manquait pas.

Mais voilà, ce n'était pas un esprit de la Terre. C'était... il ne savait pas trop ce que c'était, et pourtant il en avait vu des créatures magiques. Ils étaient entrés dans la faille avec son équipe. Ils avaient confirmé l'origine magique du flux qui était la base de la jungle (ça n'était pas bien dur). Ils s'attendaient à trouver un quelconque être qu'il aurait fallu raisonner pour qu'il arrête de jouer au yo-yo avec la nature, et ils avaient trouvé, bien ficelé aux parois par des cordons organiques solides, un... oeuf. Géant. Et ils avaient un peu paniqués, car la plupart des oeufs géants qu'ils avaient déjà rencontrés dans leur prestigieuse carrière ne promettaient rien de bon à sortir, bien au contraire. Plusieurs furent d'avis de le détruire sur place, et de classer l'affaire.

Mais James Paterson n'était pas de cet avis. James Paterson avait senti l'espace d'une seconde une pensée fortuite émanant de l'œuf, et qui parlait de solitude, d'espoir, de passion du go et... d'amour. James Paterson, qui était à la fois, Commandeur des Templiers, chef de l'expédition, télépathe agréé, un incurable romantique et un grand joueur de go, voulut donc attendre. Et attendre ils firent.

Ils auraient pu attendre longtemps. Auraient pu, mais¨Paterson eut l'idée d'essayer d'entrer en contact avec la créature de l'oeuf, au lieu de se planter bêtement devant et d'attendre que quelque chose veuille bien en sortir. Personne ne sut vraiment ce qu'il vit, mais en tout cas le résultat fut clair.

Le troisième jour de leur arrivée sur les lieux, et donc le treizième jour du sixième mois de la six-mille deux cent vingt-huitième année sur le calendrier des territoires de l'Est (13/06/6228), l'oeuf se brisa d'un coup, envoyant valser autour de lui des morceaux de coquille d'un blanc laiteux.

Ils ne savaient pas trop à quoi s'attendre. Créature, dieu, bête ou humanoïde, ou les deux ?

Ce fut un humain.

Certains furent déçus, bien qu'intrigués sur la présence d'un humain dans un cocon à la base d'une jungle magique. Paterson se contenta de le transporter dans sa tente où il le soigna et veilla sur lui plusieurs jours durant. Et le garçon, car c'en était un, se réveilla.

Et détruisit le camp en un instant, puis réduisit la forêt en cendres.

Ne jamais prendre au dépourvu et à la légère un garçon sorti d'un oeuf, telle fut la morale que donna Paterson en riant lorsqu'il écrivit son rapport. Rapport qu'il jeta à la poubelle sitôt écrit, parce que, foi de Templier ! Tout le monde savait déjà ce qu'il y avait à savoir, et quant au reste... ils le devineraient bien, ou ils l'inventeraient. Les collectionneurs de ragots ne manquaient pas.

Quant au garçon, Paterson eut beaucoup de mal à le calmer, mais à force de persuasion, de cajoleries et de projections mentales qui auraient changé la personnalité de n'importe qui d'autre, il le convainquit qu'ils n'étaient pas ennemis. Et poussa même le luxe jusqu'à apprendre son nom et son origine dix minutes plus tard, et à l'adopter comme fils deux jours plus tard.

Et comme il n'avait rien d'autre à faire, Akira Touya-Paterson joignit les Templiers, où il continua de jouer au go, pour ne rien changer à ses habitudes.

Et la vie reprit son cours...

A suivre...