Titre : Un dieu cruel nous regarde
Auteur : Mokoshna
Manga : Hikaru no Go
Crédits : Le manga Hikaru no Go appartient à qui revient de droit, c'est-à-dire principalement ses auteurs, Yumi Hotta et Takeshi Obata. Pas à moi, donc (boude).
Avertissements : Totalement AU (Alternate Universe), Spoilers de la fin du manga (tout pleins en fait), personnages complètement OOC (Out Of Character), Yaoi à un moment, pas tout de suite mais ça va venir. Merci de me faire part de vos impressions si le cœur vous en dit (sauf si c'est pour vous plaindre que c'est du yaoi, ça non).
Commentaires artistiquement idiots de l'auteur : Bon, on va dire ce qui est : j'ai passé des heures à m'abîmer les yeux sur un écran pour lire des scanlations et rechercher des citations sur un manga sur des joueurs de go un peu fanatiques; suite de quoi, j'ai passé des heures à m'abîmer le cerveau pour écrire des trucs sur des joueurs de go. Et en plus c'est vraiment n'importe quoi. J'ai une vie parfaitement saine et équilibrée, merci.
Le titre est tiré d'un manga yaoi que je n'ai jamais lu mais dont j'ai entendu parler. J'ai aimé le titre, j'ai voulu le réutiliser un jour, et voilà. Fascinant, n'est-ce pas ? Les citations de début sont (souvent) des traductions-maison des scanlations, donc c'est pas toujours terrible et ça ne ressemble pas forcément à la version française, que je n'ai pas sous la main, désolée.
L'histoire en est à ses balbutiements. Je ne sais pas trop où je vais, et c'est déjà très bizarre... je pense qu'elle mettra un peu de temps à se mettre en place.
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Chapitre 4 : Shûsaku Honinbo
Kadowaki : Depuis combien de temps joues-tu au go ?
Hikaru : Mille ans !
Propos tenus à la fin de la partie entre Kadowaki et Hikaru
(Volume 8, chap. 62)
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Lili Béranger tira à elle la couverture, forçant sa coéquipière à se coller davantage à elle pour ne pas mourir de froid. Mais cela ne dérangeait nullement la jeune femme, bien au contraire. Elle respira avec délectation le parfum discret de la meilleure joueuse de go de la Tour de Babel, à mi-chemin entre du jasmin et de la fraise. C'était le paradis.
- Arrête ça, marmonna la voix ensommeillée de Lili. Je suis fiancée, t'as oublié ?
- Comment le pourrais-je ? se lamenta doucement son amie. Toi fleur délicate entre toutes, entre les mains d'un animâle qui flétrira tes pétales et piétinera ta précieuse innocence de jouvencelle apeurée... non, rien que d'y penser, je tremble d'émoi et supplie les dieux d'apaiser tes ardeurs antédiluviennes envers la gent masculine...
Lili ne put s'empêcher de rire malgré sa fatigue. Sa partenaire du moment, Mylène Soprano, était une féministe acharnée en plus d'être une lesbienne notoire, ce qui lui avait valu le sobriquet de Madame Sapho, qu'elle adorait et portait fièrement telle une bannière conquérante. Son plus grand passe-temps était, selon ses dires, de tenter de « décorrompre » les jeunes filles confuses qui s'était détournées de la douceur moite des seins d'une partenaire en faveur de la lourdeur révoltante d'un « animâle », comme elle appelait la population masculine qui l'entourait. Du reste, elle ne croyait qu'à-demi à ce discours extrémiste et ne continuait vraiment à débiter ses âneries que pour ne pas rompre la tradition qu'elle s'était fixée, qui se composait de trois règles essentielles à savoir :
Draguer le plus de jolies filles possibles autour d'elle
Rabaisser le plus de garçons possibles autour d'elle (avec peut-être une minuscule exception pour ceux qu'elle aimait bien – oui, il y en avait !)
être la plus extravagante, la plus grande gueule et la plus flamboyante que possible.
Elle ne démordait vraiment pas de sa tâche : arrivée à la Tour il y avait déjà soixante-dix ans, elle avait commencé son service en toute beauté en assommant un groupe de mâles qui s'étaient moqués à vive voix de son orientation sexuelle et avaient tenu des propos non seulement sexistes, mais aussi insultants. Ils avaient dû passer trois mois à l'hôpital, mais personne ne lui avait plus fait de remarques déplacées depuis ce jour. Pour la défense de ces pauvres garçons, il fallait dire qu'ils ne savaient pas qu'elle était du peuple des Amazones... ce que ne laissait en rien supposer son apparence somme toute assez féminine. Elle était très fine et élancée, et ses traits délicats, ses grands yeux noirs en amande, ses longs cheveux blonds contrastaient avec l'image habituelle des Amazones, qui étaient en général des furies brunes ou rousses aux yeux injectés de sang et à la stature de catcheurs surdopés aux hormones. Pour ne rien arranger, elle affectionnait particulièrement les robes et les tenues sexy qui mettaient en valeur sa silhouette de mannequin.
Sa première réaction, après qu'on l'ait présentée à sa nouvelle partenaire, fut de la prendre brusquement dans ses bras et de l'embrasser fougueusement, et ce malgré la présence du capitaine Harry Paterson, le fils du Commandeur et son supérieur hiérarchique direct. Harry ne fit qu'en rire (en fait il s'y attendait et aurait au contraire été très inquiet du manque de réaction de la jeune femme). En outre, il avait déjà eu une discussion avec Mylène, lui demandant à mi-mots de protéger sa fiancée de son mieux, ce que la jeune femme avait accepté, à mi-mots là aussi (ils étaient amis depuis près de vingt ans et avaient tout un système assez complexe pour se comprendre sans rien révéler de leurs véritables pensées, ce qui en déroutait plus d'un à la Tour). Une fois les présentations faites, Harry s'était mis en devoir de saluer Madame Sapho à sa manière, qui consistait en une empoignade virile qui ressemblait à s'y méprendre à une prise de catch (mais Mylène le lui rendait bien, de son côté.) Lili en fut quitte pour une légère frayeur quand elle entendit nettement les os d'Harry émettre un craquement sinistre deux secondes après que Mylène lui ait fait un german souplex. Fort heureusement, le jeune homme se releva sans dommage et admit sa cinq-cents quarante-deuxième défaite consécutive (en promettant une revanche pour la fois suivante, et son adversaire se mit à pousser un rire strident à base de « Oh hohoho » qui s'amplifia à travers la Tour et effraya les animaux dans les écuries situées trente étages plus bas).
- Ce n'est pas juste, se lamenta pour la forme Mylène en se collant si près à Lili que celle-ci doutait qu'on puisse glisser quoi que ce soit entre elles sans leur arracher la peau, je suis pourtant infiniment plus belle, douce, affectueuse et raffinée que Harry. Ou que n'importe quel mâle, d'ailleurs.
- Je n'en doute pas, fit en souriant Lili, mais c'est de Harry dont je suis amoureuse.
Ce qui fit taire Mylène jusqu'au petit matin, sans néanmoins la décoller de sa partenaire. Elle était ravie, au fond. Aucun mâle ne méritait autant une jeune fille pareille que son meilleur ami.
Malgré tout, cela ne l'empêcha pas d'entendre un léger grattement à l'extérieur de leur igloo qui la fit se redresser immédiatement, suivie de Lili qui fixa l'entrée d'un air inquiet. Le fragile édifice de glace se mit à trembler, puis explosa en projetant divers éclats autour d'elle. Elles aperçurent alors leur ennemi et se mirent en garde.
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- Maître Honinbo, fit le jeune garçon en s'inclinant, c'est l'heure.
- J'arrive.
D'un trône immense qui avait été savamment sculpté de la même pièce d'ivoire, surgit un homme de grande taille, enveloppé dans un vaste manteau couleur de ténèbres qui se découpait nettement dans le décor entièrement blanc de la salle. Il portait, entrelacé dans ses longs cheveux d'un roux lumineux, un bijou magnifique d'argent et de pierreries, dont le motif final lui tombait sur le front en formant un étrange serpent de jade à la beauté brute et envoûtante. Il adressa un bref sourire froid au garçon qui l'attendait patiemment sans un mot.
- Quel dommage de devoir quitter ce palais de glace, fit pensivement le Honinbo en balayant d'un regard la pièce. Je commençais presque à m'y sentir chez moi.
Il remarqua à quel point son vis-à-vis serrait les poings, mais il ne semblait pas décidé à vouloir ouvrir la bouche. Son maître s'approcha lentement de lui et lui saisit le menton sans ménagement.
- Tout est prêt, au moins ? Je ne voudrais pas faire attendre mon rival...
- Oui, articula péniblement le garçon, le visage tordu par la douleur. Mes créatures ont localisé Sai. Il vient de sortir de chez Sakaki...
- Petit renardeau arrogant, fit le Honinbo d'un rire cruel. Tes créatures sont toujours là-bas, je suppose ?
- Oui, mais...
- Parfait. Dis-leur de se débarrasser de ce ver de terre.
- Mais...
- Une vermine qui recueille en sa demeure mon ennemi ne mérite pas la pathétique existence que des dieux misérables lui ont accordée. Il ne mérite que la mort, n'est-ce pas ? Tu ne trouve pas, mon petit Lézard ?
Il lâcha son aide et darda sur la forme ratatinée sur le sol des yeux à demi-fous qui promettaient moult morts et tortures à tous ceux qui osaient commettre le sacrilège de s'opposer à sa volonté. Lézard se releva en tremblant et s'inclina d'une courbette difficile.
- Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, Maître. Je... je transmettrais vos ordres à mes créatures.
Le Honinbo partit d'un rire fou qui résonna à travers tout le palais.
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A l'extrême Nord des territoires connus, se trouvait le continent de glace d'Eterna. Ses habitants y menaient une vie rude : comme sa situation géographique le laissait supposer, le temps y était si froid que presque rien ne pouvait y pousser. Un bon nombre de créatures, magiques ou pas, et quelques groupuscules isolés d'humains y survivaient toutefois toute l'année, les dieux seuls savaient comment. C'était une contrée sauvage et inhospitalière, que les rayons du soleil arrivaient à peine à éclairer. La présence abondante de glace, qui reflétait le moindre rayon maigrelet de lumière et l'amplifiait d'étrange manière, permettait à tous de distinguer les choses. Néanmoins, une fois l'an durant plusieurs lunes, l'obscurité la plus totale se faisait et les créatures les plus faibles n'avaient d'autre choix que de se terrer en tremblant dans leur repaire.
C'est pendant le couvert d'une de ces nuits qu'il est arrivé, l'homme au long manteau de ténèbres qui se faisait appeler Shûsaku Honinbo. A grand fracas, il avait investi le palais de glace qui était le centre névralgique du pays et avait asservi à sa cause ses occupants, un peuple fier de créatures qui y vivaient depuis la nuit des temps (ou ce qui leur semblait comparable). Il avait mis à leur tête le tout jeune garçon qu'il avait emmené avec lui, un enfant aux cheveux noirs coupés courts et au regard éteint qu'il appelait « Lézard ». Sa tenue rouge et noir, horriblement fine et moulante, attirait autant l'attention que le manteau infini de son maître, se découpant dans les étendues immaculées de glace. Aucune autre créature d'Eterna n'osa contredire sa présence incongrue en ces lieux, d'autant plus qu'il avait à présent en son pouvoir le peuple des Grouke, les anciens occupants du palais.
Les Grouke étaient d'étranges monstres immenses et poilus, à la forme trapue et aux longs poils bruns qui traînaient jusqu'à terre. Imaginez une boule de poils d'où sortaient deux yeux ronds inexpressifs, un gros et long nez en forme de triangle et deux petits bras aux longs doigts acérés. Ils ne communiquaient qu'avec des grognements et des claquements de dents émis par leur grande bouche grimaçante. Ils se déplaçaient très lentement, mais avaient une particularité physique qui faisait que peu de personnes les fréquentaient : ils émettaient le froid autour d'eux. Rien ne pouvait échapper à leur aura glacée une fois qu'ils étaient passés à proximité : humains, plantes, animaux, créatures, tous se gelaient quasi instantanément et périssaient. Même la flamme la plus vive n'y pouvait rien. Les Grouke éteignaient toute chaleur, même celle du coeur. Certains disaient qu'ils étaient les esprits de l'hiver. De leur palais de glace, ils entamaient une lente mais sûre migration vers les pays touchés par leur influence et apportaient le froid et la glace avec eux. Ce n'était qu'une fois partis que le printemps revenait dans ces lieux. Ils étaient souvent solitaires, mais le palais de glace au centre d'Eterna était le point de repère de leur race.
En dehors des Grouke, Lézard avait sous ses ordres des créatures d'ombre aux formes changeantes et aux pouvoirs limités, mais en quantité si importante qu'il n'avaient presque rien à craindre d'une attaque ennemie. Tout comme les Grouke étaient les esprits de l'hiver, les Yuke étaient des créatures de la nuit, descendants de petits dieux qui avec le temps avaient dégénéré en ombres agressives et sans volonté. On voyait régulièrement des petites bandes de Yuke sillonner les immensités glacées d'Eterna, soit pour aller accomplir une tâche qu'on leur avait ordonné, soit tout simplement pour prévenir les fouineurs un peu trop curieux qui s'intéresseraient à leurs maîtres sans y avoir été invités. Ce fut l'une de ces patrouilles de routine qui tomba sur le petit igloo bâti à la hâte où s'étaient réfugiées les Templières Lili Béranger et Mylène Soprano.
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- LILI ! EST-CE QUE CA VA ! hurla Mylène en brandissant l'énorme massue en acier brut qui lui servait d'arme.
Elle vit du coin de l'oeil sa coéquipière se relever en se frottant le haut de la tête. Un mince filet de sang s'échappait de ses cheveux roux coupés à hauteur d'épaule, qu'elle rejeta en arrière d'un geste empressé.
- Ca peut aller, marmonna-t-elle d'une voix enrouée. Juste un peu sonnée.
La jeune fille frotta énergiquement ses mains l'une contre l'autre, comme pour les réchauffer. Elle ne portait pas de gant et d'ailleurs n'en aurait pas eu besoin : immédiatement, une flamme claire et haute apparut devant elle, éclairant les alentours comme en plein jour. Ce qu'elles virent les firent se rapprocher davantage l'une de l'autre.
Une masse grouillante d'ombres les encerclaient sur une bonne centaine de mètres, les empêchant de passer. Les vagues irrégulières qui agitaient la surface s'arrêtèrent un instant de bouger au contact de la lumière, puis elles reprirent en doublant, triplant d'intensité, comme si l'éclairage les avaient mises en fureur. Lili se concentra et fit un petit signe de la tête à Mylène. La flamme qu'elle tenait gonfla démesurément ; elle la sépara en deux, en quatre, continuant jusqu'à ce qu'elle obtint une bonne cinquantaine de boules de feu vives tournoyant autour d'elle à toute vitesse. Les ombres semblèrent se ratatiner. Il faisait si clair et si chaud qu'on se serait cru dans le désert de Morden et non sur le continent glacé d'Eterna. Lili abaissa peu à peu les flammes qui touchaient presque le sol. Les ombres s'éloignaient un peu ; Mylène se précipita.
L'Amazone abattit sa massue sur les ennemis les plus proches. Le sol gelé trembla et se fissura si fort qu'une partie des attaquants fut englouti sous terre. Mais déjà les survivants avaient pris une décision. Les deux femmes virent la mer d'ombres rétrécir et se transformer, devenant de sombres silhouettes humaines ou animales. Mylène évita de justesse une lance noire qu'un guerrier imposant avait lancé en direction de son coeur, mais il fallut de peu qu'elle soit écrasée par une ombre qui avait pris la forme d'un golem. Heureusement, Lili s'interposa et engloutit le golem dans ses flammes. La créature se tordit de douleur en poussant un couinement aigu qui dura un long moment et parut attiser l'ardeur de ses congénères. Un rhinocéros chargea la manieuse de flammes ; Mylène le stoppa net d'un coup de massue et, par un effort démesuré qui gonfla les muscles de ses épaules délicates, l'envoya valser un peu plus loin. Puis elle se mit à abattre une troupe de chevaliers en armure qui la menaçaient de leurs épées, mais ils étaient au moins une dizaine et attaquaient si serrés qu'elle avait beaucoup de mal à ne pas se faire transpercer.
Lili n'était pas en reste : elle lançait aussi vite qu'elle pouvait maintes flammes en plus de celles qui lévitaient déjà, qui allèrent s'écraser contre les ennemis qui essayaient de la cerner. Un homme aux longs bras proéminents la saisit par surprise à l'arrière, tandis qu'elle était occupée à repousser les attaques insistantes de minuscules colibris noirs. Il la serra si fort qu'elle poussa un petit cri strident qui fut amplifié par la glace, tandis que les becs acérés des oiseaux atteignaient sa chair.
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- Maître ! Nous sommes attaqués !
Sakaki bondit de son lit à l'annonce épouvantée de sa fidèle servante. Fukaki jetait vers lui des yeux suppliants et tremblait si fort qu'elle donnait l'impression de vouloir se briser à chaque instant. Sakaki lui lança un regard sévère.
- Qui et où ?
- Partout, monseigneur ! Les gardes essaient de les contenir dans les couloirs, mais ce n'est qu'une question de temps avant qu'ils arrivent dans vos quartiers...
- Comment est-ce possible ? Par où sont-ils entrés ? Le kekkai est infranchissable !
- Ils n'ont pas franchi le kekkai, monseigneur. Ce sont des Yuke.
- Dans ma maison ? Impossible ! Pourquoi se donneraient-ils tant de mal ?
- Je l'ignore, messire... Mais hâtez-vous ! Nous devons fuir !
- Jamais ! Je ne vais pas me laisser intimider par quelques ombrelettes ! Je suis chez moi !
- Seigneur, ils...
Elle ne put finir sa phrase. Un craquement grave dans son dos indiqua que la mince porte en papier de riz avait explosé sous la pression de l'agresseur. Fukaki blanchit et reprit en un éclair sa véritable forme, comme elle le faisait à chaque fois qu'elle était surprise. Une vieille renarde aux poils gris délavés alla se tasser en geignant derrière son maître. Sakaki émit un sifflement furieux en direction de l'ombre en forme de chevalier qui avait renversé la porte de sa chambre.
- Comment osez-vous, créatures sans âme ? Je suis un Kyuubi, de la haute noblesse kitsune !
L'ombre l'ignora sans vergogne. Elle se rapprochait d'eux, mais Sakaki n'avait pas peur. Les Yuke n'étaient rien en comparaison d'un kitsune ; il s'étonna d'ailleurs qu'aucun ait pu franchir les gardes de sa maison. C'est alors qu'il sentit un souffle glacé dans son dos suivi d'un grognement hargneux. Puis le mur aussi explosa dans un éclat blanc. Fukaki poussa un long gémissement : elle avait reçu de plein fouet plusieurs morceaux et saignait à présent abondamment. Quant à Sakaki, il avait, logé dans le bras droit en plus de quelques blessures sans importance, un long embout de bois et de glace qui lui infligeait une douleur vive. Il arracha le morceau le plus conséquent d'un geste nerveux et se retourna en grimaçant.
Un Grouke ! Que faisait-il si loin dans le sud, à cette période de l'année ? Pas étonnant que les gardes aient été impuissants devant l'invasion ! Comment lutter contre l'esprit même de l'hiver ?
Il se tenait là, gelant le sol autour de lui et flétrissant tout signe de vie sur son passage. Sakaki vit derrière lui un bout du couloir où gisaient plusieurs de ses hommes, transformés en blocs de glace par le souffle de la bête. L'un d'eux avait le visage tourné vers lui, qui se tordait en une grimace affreuse et terrifiée. Sakaki ramassa Fukaki et se mit à courir à toute vitesse en direction du Grouke. Même s'ils étaient très dangereux, les Grouke étaient extrêmement lents. En effet, celui-ci le laissa passer par l'ouverture qu'il avait faite sans problème, mais le kitsune le frôla de si près qu'il sentit ses cheveux geler et sa peau craqueler au passage. Il n'osait pas imaginer l'effet que le pouvoir du Grouke faisait sur cette pauvre Fukaki qui était bien vieille et avait été horriblement blessée par les projectiles du mur.
Il se fallut de peu qu'il échappa à ses agresseurs. Les Yuke grouillaient autour de lui, mais il était bien trop rapide pour eux et il en profitait même au passage pour en exterminer quelques-uns avec ses griffes et sa queue. Il cherchait désespérément des signes de ses hommes ; les seuls qu'il avait vu jusque-là étaient froids et ne bougeraient plus. Il atteignit bientôt le jardin, où il entendit une clameur enragée envahir l'air.
Là, entourés par une vingtaine de Yuke et un Grouke qui s'acheminait lentement vers eux, six de ses hommes tenaient encore bon. Sakaki vit à leur tête Kakeru, son jeune cousin qui venait à peine d'atteindre son centième printemps cette année. Comme tous les autres, il avait repris une partie de sa vraie forme, la plus effective à son niveau pour attaquer, et tentait de repousser avec l'énergie du désespoir les assauts des Yuke. Il saignait déjà à plusieurs endroits et avait le bout de la queue tranché net ; ses compagnons, aussi jeunes que lui (sans doute des camarades de jeu), n'était pas dans un meilleur état. Sakaki vit rouge.
- KAKERU ! hurla-t-il en direction de son cousin.
Ce dernier l'entendit et parut reprendre courage. Il enfonça sa main droite dans la poitrine d'un Yuke humanoïde qui s'affaissa dans un horrible son de gelée. Ses camarades luttaient de leur mieux mais allaient se faire dominer d'un instant à l'autre.
Sakaki lâcha doucement son fardeau et fonça. Son corps parut gonfler démesurément ; bientôt, une créature immense aux yeux de feu et de sang perça la formation de l'ennemi Yuke. Le Kyuubi avait repris sa forme. En voyant cela, les jeunes kitsune poussèrent des cris de triomphe malgré leur fatigue. Sakaki joua des griffes et des crocs et en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, presque tous les Yuke avaient disparus. Le Grouke sembla hésiter ; un grognement sourd du Kyuubi en sa direction le fit reculer de quelques pas. Puis il parut prendre une décision et continua son avancée. Sakaki se précipita vers lui pour l'achever, malgré le froid qui lui engourdissait les pattes et les sens.
C'est alors que Kakeru poussa un cri effrayé. Sakaki eut à peine le temps d'apercevoir du coin de l'oeil un jeune humain en rouge lui lancer une énorme boule d'énergie empoisonnée, qui lui aurait infligé un grand dommage et aurait sans nul doute permis à l'ennemi de l'achever. Mais une forme dégingandée s'interposa et reçut le coup à sa place. Fukaki poussa un dernier hurlement de douleur et tomba lourdement à terre. Elle qui se plaignait sans cesse de son poil gris-blanc, était maintenant devenue entièrement noire à cause du coup qu'elle avait reçu.
Sakaki poussa une complainte aiguë où se mêlaient la colère et la douleur. Fukaki avait été sa servante et sa nourrice depuis qu'il était un tout jeune renardeau à peine sorti du ventre de sa mère ; à la mort prématurée de celle-ci, elle s'était occupée de son petit seigneur comme s'il s'agissait de son fils. Il chargea le jeune humain responsable de la mort de sa mère de coeur.
Celui-ci parut voir le péril dans lequel il se trouvait ; il dressa en hâte un kekkai autour de lui qui suffit à peine pour contenir le choc de l'attaque du Kyuubi. Le kekkai explosa en un million de particules au deuxième assaut, mais déjà le garçon s'était ressaisi et avait commencé à ouvrir un portail qui le mènerai en lieu sûr. Il s'esquiva sans demander son reste, sous les grognements furieux de Sakaki qui réussit néanmoins à lui porter un coup de griffe violent qui faillit lui arracher le bras. Puis le garçon passa à travers l'écran de lumière qui disparut avant même que son adversaire puisse s'en rendre compte.
Il passa l'heure suivante à déchaîner son amertume sur les quelques Yuke qui restaient et sur les trois Grouke qui les avaient accompagnés. Sa fureur était telle que même les esprits de l'hiver, d'ordinaire nonchalants et sans crainte, tentèrent de fuir devant lui, en vain. Sakaki les mit en pièce, et ils s'affaissèrent dans un tourbillon de vapeur glacée qui semblait à peine l'atteindre. Le sol où avait été tués les Grouke resta gelé à partir de là, quelle que soit la température ambiante et le climat. Plus rien n'y poussait et ce qu'on y déposait se transformait peu à peu en bloc de glace.
Les rares survivants (il en restait une quinzaine sur une famille au départ formée de plus de cent membres) enterrèrent de leur mieux leurs morts. Le domaine avait été affreusement saccagé, la moitié des bâtiments n'étaient plus que décombres ou en étaient réduites à leurs fondations. Sakaki mit lui-même en terre son ancienne nourrice. La famille Sakaki en avait pris un coup. D'ici quelques jours, toutes les créatures magiques sauraient ce qui leur était advenu.
Sakaki attendait peu de leur part, même de ceux de sa race. La règle était de fermer les yeux quand une menace trop grande qui ne vous concernait pas et ne risquait pas de vous concerner s'abattait sur un voisin. Et lui qui ne savait même pas qui, ni pourquoi on avait décimé presque toute sa famille !
Il resta longtemps devant la tombe de Fukaki, à réfléchir et à méditer. Kakeru avait pris la tête des maigres opérations de reconstruction à sa place, tout en lui rendant régulièrement visite. Il s'inquiétait énormément pour son cousin qui n'avait pas dit un mot depuis l'enterrement. Il refusait de s'alimenter ou de dormir.
Au matin du cinquième jour, Sakaki se leva.
Il alla voir Kakeru et demanda un repas consistant qu'il engloutit en quelques bouchées. Puis il donna ses instructions au reste de sa famille. Kakeru voulut bien protester, mais il resta inflexible et le jeune kitsune dût bien se plier à ses ordres, le coeur lourd et l'esprit empli d'inquiétude pour son cousin.
Le soir même, les quatorze survivants de la prestigieuse famille de kitsune Sakaki, Kakeru à leur tête, quittèrent leur domaine familial qu'ils avaient occupés depuis au moins cinq mille ans pour rejoindre leur branche cousine des Sanja, située bien au-delà à l'Ouest.
Sakaki se sépara d'eux et de sa maison sans un regard en arrière. Il avait beaucoup de chemin à faire. Avec un peu de chance, il pourrait peut-être même rattraper Sai.
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- LILI ! TIENS BON !
Mylène repoussa le chevalier qui l'assaillait avec ses dernières forces. Passant prestement entre les jambes d'un autre, elle se dirigea en courant vers sa partenaire qui se débattait en vain. Déjà, les flammes qu'elle avait allumé commençaient à s'éteindre, ce qui redonna de la vigueur à leurs ennemis. Mylène faillit être embrochée par les pointes d'un hérisson géant qui fonçait vers elle en roulant ; heureusement, elle avait brandi sa massue à temps et avait réussi à bloquer son avancée. Mais son arme craquela d'horrible manière. La jeune femme ne prit pas le temps de le remarquer et se précipita vers Lili. Elle ne pouvait risquer de la blesser, alors elle battit l'air avec ses propres mains pour tenter de chasser les oiseaux qui avaient infligés de nombreuses blessures à son amie. Mais ceux-ci revenaient sans cesse ; elle voulut abattre l'ombre qui retenait sa partenaire mais s'aperçut qu'il était fiché dans le sol et accroché à elle d'une manière si serrée qu'elle n'aurait pas pu l'attaquer avec sa massue sans toucher aussi Lili. Elle poussa un cri désespéré.
- Couche-toi, entendit-elle alors.
Lili avait murmuré si faiblement ces mots, mais Mylène les avait entendus et elle se laissa aussitôt tomber. Dans une mission, il était primordial de vouer une confiance aveugle dans son coéquipier si l'on voulait survivre.
Un souffle brûlant sembla traverser l'air un instant. Mylène leva les yeux et vit les colibris, mais aussi la forme qui retenait son amie et les autres ombres qui allaient les attaquer à leur tour s'enflammer brusquement. La combustion dura bien deux minutes ; Mylène attrapa au passage Lili qui tombait, le dos horriblement brûlé par la dernière attaque qu'elle avait porté. Leurs ennemis achevèrent de se consumer en très peu de temps, mais l'Amazone s'en moquait bien. Lili était au plus mal ! Et il n'y avait pas d'habitation à proximité, rien que de la glace à perte de vue ! Qu'est-ce qu'elle allait dire à Harry, si elle mourrait ? Comment est-ce qu'elle pourrait même encore se regarder dans une glace ?
Elle frictionna du mieux qu'elle pouvait la brûlure avec du givre, s'assura que son amie respirait encore puis la prit sur son dos en veillant à ce qu'elle soit bien installée. Puis elle contempla l'horizon, vers là où elle savait que se trouvait le village le plus proche, et se mit à courir.
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- Harry ? Tu es encore debout à cette heure ?
James Paterson haussa un sourcil à la vue de son fils, qui était en train de parcourir avec concentration un cahier que lui avait donné Akira un peu plus tôt.
- Des kifu ?
- Oui. C'est Akira qui me les a copié. Il paraît qu'ils appartiennent à un très grand joueur de son monde qui s'appelait Shûsaku Honinbo.
- Shûsaku Honinbo ? Comme c'est étrange...
- Il était vraiment très bon, sauf que ses jôseki sont bizarres... le style de jeu est un peu déroutant, mais excellent. Même moi qui ne suis pas très doué, je peux le reconnaître.
James prit une chaise et s'installa près de son fils. Ils se trouvaient dans les appartements de Harry, situés non loin de ceux du Commandeur et c'est justement grâce à cela que son père avait vu qu'il n'était pas encore couché à presque deux heures du matin.
- Lili revient demain non ?
- Oui, fit Harry d'un air heureux. C'est pour ça que j'ai demandé à Akira de me montrer des kifu de son monde. Je suis sûr que ça lui fera plaisir.
- C'est une délicate attention, sourit James. Au fait, Akira est rentré de mission.
- Déjà ? s'étonna Harry. Je pensais que c'était une affaire difficile...
- C'était le cas, admit son père. Mais il s'est passé plusieurs événements inattendus. Avec un peu de chance, le coupable deviendra Templier dès demain.
- Hein ?
- Ce n'est pas un mauvais bougre, dit son père en riant, et il nous sera très utile. Il dit avoir rencontré un dieu du nom de Sai.
- Ce serait formidable si c'était le cas, acquiesça Harry. Mais c'est bien celui de la prophétie, tu es sûr?
- Celui-là ou un autre, peu importe, fit gravement le Commandeur. Au pire, il nous présentera à ses « collègues ».
- Tu crois ?
- Nous sommes près du but, très près même. En tout cas, Akira semblait perturbé en revenant. Comme s'il avait croisé un fantôme.
- C'est peut-être en rapport avec sa Lumière ?
- Peut-être. Il refuse d'en parler.
James secoua la tête en poussant un énorme soupir. Harry, qui avait lâché le cahier de kifu, quitta son bureau pour aller s'allonger sur son lit. Il contempla un instant le plafond haut de sa chambre, ressassant dans sa tête ce qu'il savait sur son frère adoptif.
- Je ne comprends pas. Ce garçon... Hikaru ? Il est mort, non ?
- Je ne sais pas. J'ai essayé de consulter Gaïa à son sujet.
- Et ?
- Elle refuse d'en parler. Je crois vraiment que ça remonte d'avant la Grande Guerre.
- Si c'est le cas, on risque de ne jamais savoir ce qui s'est vraiment passé. Déjà qu'on n'est même pas sûr de ce qu'est vraiment Akira...
- Quelle importance, au fond ?
- C'est tout toi, ça. Mais je te respecte pour cela.
James adressa un sourire triste à son fils. Il se leva et se dirigea vers la porte.
- Je vais te laisser. J'ai encore une longue journée de travail demain et les yeux me tombent. Je suppose que tu as pris ta journée demain ?
- Bien sûr. Pour une fois que Lili a des congés, on va en profiter ! Et je pense que ça ne fera pas non plus de mal à Mylène de prendre des vacances. Ca lui permettra peut-être de faire des rencontres, qui sait ?
- Penses-tu. Cette furie n'est vraiment pas sortable.
Harry éclata de rire.
- Tu dis ça parce qu'elle a bien failli te tuer quand tu as dit qu'elle apprécierait mieux les hommes si seulement elle voulait en essayer un seul !
- Je blaguais à moitié ! Elle prend tout au sérieux.
- Bah. C'est pour ça qu'on l'aime !
- Parle pour toi ! Bon, j'y vais ou je ne serais jamais parti.
- D'accord. Bonne nuit, Père.
- Bonne nuit, Harry.
James referma doucement la porte derrière lui, laissant Harry seul. Celui-ci se faisait déjà une joie de la journée merveilleuse qu'il passerait avec sa fiancée le lendemain. Il avait déjà tout préparé. Retrouvailles émouvantes, petit déjeuner tranquille, suivi d'une promenade dans les jardins aménagés du quinzième étage où il lui montrerait les kifus, puis il l'emmènerait déjeuner à Babylone, la ville que surplombait la Tour de Babel. Babylone était une ville moderne et animée ; ils n'auraient pas l'occasion de s'ennuyer. Le soir, il avait prévu un petit dîner intime aux chandelles dans sa chambre, qu'il avait préparée et astiquée à cette occasion.
Sans doute, ce serait une journée inoubliable !
A suivre...
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Oups ! Toujours pas d'Akira ou de Hikaru, désolée ! Mais il y a quand même des persos du manga, dont je tairais l'identité pour ne pas gâcher la surprise. Et l'histoire commence à m'échapper complètement, on dirait. Merci à tous ceux qui me lisent et surtout n'hésitez à me faire part de vos impressions !
Mokoshna
