Titre : Un dieu cruel nous regarde

Auteur : Mokoshna

Manga : Hikaru no Go

Crédits : Le manga Hikaru no Go appartient à qui revient de droit, c'est-à-dire principalement ses auteurs, Yumi Hotta et Takeshi Obata. Pas à moi, donc (boude).

Avertissements : Totalement AU (Alternate Universe), Spoilers de la fin du manga (tout pleins en fait), personnages complètement OOC (Out Of Character), Yaoi à un moment, pas tout de suite mais ça va venir. Merci de me faire part de vos impressions si le cœur vous en dit (sauf si c'est pour vous plaindre que c'est du yaoi, ça non).

Commentaires artistiquement idiots de l'auteur : Bon, on va dire ce qui est : j'ai passé des heures à m'abîmer les yeux sur un écran pour lire des scanlations et rechercher des citations sur un manga sur des joueurs de go un peu fanatiques; suite de quoi, j'ai passé des heures à m'abîmer le cerveau pour écrire des trucs sur des joueurs de go. Et en plus c'est vraiment n'importe quoi. J'ai une vie parfaitement saine et équilibrée, merci.

Le titre est tiré d'un manga yaoi que je n'ai jamais lu mais dont j'ai entendu parler. J'ai aimé le titre, j'ai voulu le réutiliser un jour, et voilà. Fascinant, n'est-ce pas ? Les citations de début sont (souvent) des traductions-maison des scanlations, donc c'est pas toujours terrible et ça ne ressemble pas forcément à la version française, que je n'ai pas sous la main, désolée.

L'histoire en est à ses balbutiements. Je ne sais pas trop où je vais, et c'est déjà très bizarre... je pense qu'elle mettra un peu de temps à se mettre en place.

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Chapitre 6 : Sai

Hikaru : Regarde, il y a neuf étoiles sur le goban, tu les vois ? C'est un univers. Et les pierres que je place les unes après les autres sont autant d'étoiles que j'ajoute. Je crée petit à petit mon univers, comme si j'étais Dieu. Sur ce goban, je deviens Dieu.

Hikaru Shindou, propos tenus à Tetsuo Kaga lors de son premier tournoi inter-collèges

(Volume 2, chap.11)

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- Dieu, protégez-nous !

- Non ! Je ne veux pas mourir !

- Maman ! Maman !

- Bon sang ! Elle est énorme, cette comète !

- On va tous y passer ! On va crever comme des chiens !

- Non ! J'allais lui demander sa main aujourd'hui... aujourd'hui !

- Chéri ! Ne me laisse pas !

- SHINDOU !

Sai serra les dents en souriant doucement à la forme lovée sur ses genoux. Sakaki ronronnait comme un petit chat, la queue remuant paresseusement dans l'air, le museau et les pattes complètement molles. Il lui arrivait de les remuer légèrement au gré de ses caresses, et Sai ne put s'empêcher de lui adresser un petit sourire un peu triste.

- Toutes ces voix, murmura-t-il comme à lui-même, ces voix qui ne s'arrêtent jamais... et cette voix, sa voix, qui domine celles des autres... à qui appartient-elle ?

- Viens me rejoindre !

- C'est bien beau de me dire ça, mais si je ne sais même pas qui tu es...

- HIKARU SHINDOU !

- Et tu m'appelles sans cesse par ce nom... n'en as-tu pas assez ?

- Ne sois pas lâche ! Faisons une partie, maintenant !

- Moi ? Lâche ? Alors que j'ai passé les derniers siècles à te chercher ?

- Je ne te fuirai plus.

- Où es-tu donc ? Je te cherche depuis si longtemps.

- Ne te moque pas de moi !

- Non ! Bien sûr que non ! Tu es mon seul objectif !

- Je ne réapparaîtrai plus jamais devant toi.

- Ne me laisse pas ! Touya !

Sai eut un tremblement qui agita le kitsune, le faisant sauter agilement sur le sol et contempler son maître d'un air peiné et inquiet.

- Touya... c'est donc son nom ? Touya...

Il serra ses bras autour de ses épaules, comme pour se protéger du froid. Mais même le souffle d'un Grouke n'était rien en comparaison de la douleur sourde qu'il ressentait dans son coeur, comme un serpent venimeux qui se serait insidieusement introduit dans son corps. Sakaki posa un museau humide contre sa joue et lui lécha le nez. Son maître parut se remettre et il fit un sourire hésitant au kitsune.

- Tu ne me laisseras pas, n'est-ce pas ? Pas comme cet humain qui m'a trahi...

- Je te l'ai promis, non ? sembla dire Sakaki avec ses magnifiques yeux bleus, couleur de ciel d'été. Je t'ai juré fidélité, et je ne romprai pas mon serment.

Sai se blottit contre la fourrure délicieusement touffue du renard et y enfonça sa tête, reconnaissant. Il resta là un long moment, savourant cet instant de calme, si rare dans son existence vagabonde. Sakaki lui léchait doucement l'oreille, lui procurant une sensation apaisante de réconfort. L'odeur boisée du renard lui monta aux narines.

- Ce Touya... c'est le nom de ta Voix ?

- Oui. Je m'en suis enfin souvenu...

- Je sais où il se trouve.

- C'est vrai ? s'exclama Sai en le regardant droit dans les yeux.

- Je t'en ai déjà parlé. C'est un des noms du fils du Liseur de Temps. Si nous continuons jusqu'à la Tour de Babel, nous le croiserons sans doute.

- Est-ce possible... il serait là-bas ? Depuis tout ce temps ?

- Je l'ignore. Mais s'il s'agit vraiment de ton aimé, tu as choisi là un beau spécimen. N'avait-il été le fils du Liseur de Temps, je n'aurais pas dédaigné le garder un peu plus longtemps...

Sai émit un rire cristallin qui emplit le coeur du kitsune d'une douce chaleur. Le joueur de go secoua la tête en faisant rebondir de manière adorable ses longs cheveux noirs.

- Pas touche, séducteur ! J'ai entendu sa voix bien avant que tu sois dans le ventre de ta mère !

- Je te le laisse volontiers, dit Sakaki en lui faisant un clin d'oeil. Son coéquipier à la peau sombre m'intéresse bien plus !

Sai repartit d'un autre rire heureux, tandis que les petits dieux de la plaine, rassurés par le calme et la chaleur de la scène, revenaient peu à peu reprendre leur position d'hôte. Sai les accueillit avec révérence, et bientôt un grand feu jaillit dans la nuit suivi de mélopées envoûtantes, de danses effrénées et de cris et de rires étranges et inquiétants. En les entendant, les animaux ordinaires faisaient un large détour et les humains fuyaient, craignant les créatures inconnues qui se lovaient dans les pierres et l'herbe et vous jouaient parfois de mauvais tours quand vous les dérangiez. Plus d'un voyageur s'était égaré à cause d'eux dans les vastes plaines qui coupaient l'Ouest de Central, juste avant le chemin sauvage qui menait directement au coeur de la Forêt des Morts. Sai ne le savait pas, mais il n'était vraiment qu'à quelques kilomètres des arbres qui en composaient la lisière.

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Le désert de Morden était bien connu de tous ceux qui peuplaient ce monde, même si bien peu y avaient déjà été en personne. Il était situé à l'extrême Sud du continent de Central et servait de jonction terrestre entre celui-ci et le continent-île d'Austria. On disait qu'il y faisait si chaud qu'on pouvait y faire rôtir facilement un quartier de viande crue lorsque le soleil était au zénith. Toutefois, malgré les conditions de vie précaires et le manque d'eau et de végétation, tout un ensemble de créatures et de gens arrivaient à y vivre et y étaient parfois même très bien. Certes, le coin était infesté de vers des sables qui faisaient régulièrement des raids aléatoires à la surface, ainsi que de tout un tas de créatures pas vraiment dociles ou hospitalières. Mais comme à Eterna, des humains y survivaient, quoique chichement ; et ils s'étaient tellement habitués à cette existence rude qu'ils n'auraient voulu en changer pour rien au monde. Tous s'étaient adaptés à leur manière ; et l'on voyait de temps en temps des caravanes de nomades du désert ainsi que des traînées de voyageurs sillonner la vaste bande de sable.

Il fallait dire aussi que ce désert était le seul chemin viable pour accéder à Austria. Le pourtour de cette île gigantesque était occupé par des tourbillons grands comme plusieurs îles du Sud qui attiraient les navires et les coulaient aussi sûrement qu'un enfant jouant avec une embarcation en papier. Les redoutables pirates des mers, qui connaissaient un chemin sans risque et s'y aventuraient sans crainte, avaient tant et si bien réquisitionnés l'île à leur compte qu'elle était devenue le repaire à gredins le plus fameux de la planète (même si en vérité peu de gens savaient ce qu'il s'y passait réellement, mais ceci est une autre histoire). Quelques marchands et autres personnes pourtant tout ce qu'il y avait de plus honnêtes s'y rendaient quelquefois pour affaires ou d'autres choses, et ils en revenaient sans problème. Des gouvernements se liaient de temps à autre pour tenter de mettre à bas cette base de criminels qui les narguaient, en vain ; jusque-là, Austria avait été imprenable par les pays extérieurs, et ce n'était pas faute d'avoir essayé. Les représentants de l'île restaient eux aussi inflexibles dans leur politique d'accueil ; en échange du gîte et des services qu'on leur offrait, les pirates faisaient vivre les Austriens et apportaient l'or et les produits de luxe qui leur faisait défaut, ainsi que la présence de sang neuf pour la population.

Les Austriens étaient un peuple remarquable, proche de la branche des Soma à l'Ouest de Central : ils avaient la peau dorée et les membres étonnamment longs, quoique pas autant que leurs cousins et les jambes suivaient en adéquation. Ils étaient très maigres et, comme les elfes, possédaient des oreilles très pointues qui s'harmonisaient totalement avec leurs dents acérées et leurs doigts griffus. Ils disaient avec fierté descendre de démons, propos que corroboraient quelque peu leur nature violente et manipulatrice ; ils appréciaient de manière exagérée les intrigues et les coups bas, ce qui en faisait des adversaires pour le moins dangereux et des alliés assez instables. Malgré tout, ceux qui les fréquentaient assez régulièrement avaient le loisir de remarquer leur loyauté à toute épreuve, ce qui ne laissait en rien supposer leurs manières brusques ; les kitsune aimaient beaucoup leur compagnie, et les alliances entre les créatures farceuses et le peuple-démon n'étaient pas rares, au grand dam des elfes, les noirs en particulier, qui méprisaient les uns et craignaient les autres.

Celui qui les abhorrait le plus était bien l'Oza, « l'empereur » officiel de Central. En réalité, il n'était plus guère empereur que de nom ; son palais, vaste construction en cristal noir de l'époque dorée du règne des elfes, était à présent à peine plus grand que la Tour de Babel, auquel il faisait face. En effet, les deux monuments principaux de Babylone étaient ses points politique et militaire, situés d'un côté et de l'autre de la cité. Le Commandeur avait autant à dire sur le fonctionnement de la ville que l'Oza, ce qui plongeait ce dernier dans un ressentiment sans bornes à chaque intervention templière. Il était un elfe noir de la lignée la plus ancienne, et qu'une institution humaine vienne l'égaler ainsi sur son propre territoire... cela le rendait fou de rage ! Mais il n'y pouvait rien et supportait la présence des Templiers en silence. Paradoxalement, ceux-ci étaient son appui le plus sûr, protégeant la ville et ses habitants plus efficacement qu'aucun autre système militaire de la planète. Babylone était un centre économico-politique important dans la configuration du continent, et les attaques de pillards ou de créatures sans morale n'étaient pas rares, mais elles étaient constamment repoussées par la vigilance et la force de frappe de l'ordre du Temple, qui employait en son sein des éléments variés et savait les utiliser au mieux.

Certains avaient dit en riant à la création de l'ordre que celui-ci n'était qu'un immense ramassis de vauriens et de marginaux, ce qui n'était pas faux mais en faisait aussi toute sa force : il rassemblait des demis rejetés mais aux compétences certaines, domptait dans ses rangs les éléments perturbateurs les plus virulents pour en faire des soldats compétents et dévoués à leur cause... C'est ainsi qu'au fil du temps, lentement mais inexorablement, l'ordre avait pu mettre en place sa puissance actuelle, en drainant vers lui du sang neuf dont personne d'autre ne voulait à cause du système assez rigide des états centraux, en attirant les jeunes esprits avides de changement et qui voulaient trouver leur place dans une société qui arrivait à peine à les comprendre. A partir de là, les institutions plus traditionnelles déjà en déclin virent partir avec le temps leurs meilleurs éléments qui, faute d'une naissance glorieuse, n'étaient traités guère mieux que les humains.

En outre, plusieurs de ces humains arrivaient à faire parler d'eux dans leur courte vie à cause des compétences peu communes pour leur race qu'ils possédaient : par exemple Yanshee Houdin, le joueur de go légendaire, Bertred Cutter le chevalier rouge ou encore Rena Soprano, la joueuse de flûte, dont le magnifique son qu'elle tirait de son instrument faisait se courber devant elle les vers de sable et pleurer les Grouke. La légende racontait qu'accompagnés de quelques compagnons de route non-humains, ceux-ci avaient tracés un chemin à travers la Forêt des Morts, de triste réputation, et en avaient ramené une relique mystérieuse que l'un d'entre eux avait conservé jalousement. Leur quête finie (en était-ce vraiment une ? Tout le monde ignorait ce qui avait guidé leurs pas en ces lieux), ils avaient continué leur chemin chacun de son côté, mais l'histoire ne raconte pas ce qu'ils étaient devenu.

Ce furent les héritiers de ces humains extraordinaires, qui se présentèrent au bureau du Commandeur James Paterson de la Tour de Babel, le vingt-deuxième jour du huitième mois de la six-mille deux-cent trentième année sur le calendrier des territoires de l'Est (22/08/6230).

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- Allons, Mylène, sois raisonnable !

- Si tu crois que je vais écouter tes conseils machistes de petit elfe bien membré, tu peux te mettre tes couteaux là où je pense !

La jeune Amazone venait à peine de se réveiller du coma forcé où l'avaient amené le froid, la douleur et la fatigue qu'elle avait sauté de son lit et s'était dirigé faiblement, mais avec entêtement vers le bureau du Commandeur en vue de lui adresser une requête. Bien sûr, le doc et Harry avaient tenté de l'en dissuader ; le pauvre médecin avait valsé à travers la pièce (et en plus elle avait remarqué l'état peu habillé dans lequel elle se trouvait). Harry avait voulu continuer mais s'était finalement arrêté au pas de la porte de l'infirmerie. Il ne voulait pas quitter Lili et avait laissé le soin au doc de suivre sa patiente.

En chemin, ils avaient croisé Cutter et Lankee qui filaient aux aussi dans la même direction. Lankee avait pour la première fois de sa vie enfilé un uniforme, et pas n'importe lequel de surcroît. Le costume des Templiers lui allait à ravir, comme l'avait fait hardiment remarquer Cutter en le sifflant à la sortie de la cabine d'essayage. Comme il n'avait pas l'habitude de porter autant de vêtements, il avait opté pour la version moulante du costume, qui lui collait si bien au corps que cela lui donnait l'illusion de ne pas porter grand chose, en fait. Il ne fut pas le seul à le penser, à en juger par les regards intéressés que lui avaient lancé en chemin plusieurs de ses nouveaux collègues en passant. Une jeune femme un peu hardie lui avait même pincé les fesses, ce à quoi il avait répondu avec un sourire éclatant qui lui avait valu sur-le-champ un rendez-vous galant, sous les regards hilares de Cutter. Puis ils avaient aperçu le doc qui tentait de ramener une Mylène bien mal en point, et les avaient rejoint sans tarder.

- « Bien membré » ? fit Lankee en adressant un sourire en coin un peu amusé à Cutter. Je ne savais pas... quel succès, Cutter !

- Comment ? ragea Mylène en l'entendant. Tu me portes sur le même piédestal que toutes les poulettes sans cervelle qui ont commis l'erreur monumentale de sortir avec ce grand crétin blond ?

- Hé ! protesta l'intéressé en crispant les doigts. Retire ça tout de suite, sale gouine de mes deux !

- COMMENT ! GROS MALE DECEREBRE SEXISTE ! SALE BRANLEUR PERVERS QUEUTARD !

- GROSSE TRUIE PLATE DEGENEREE ! VER DE SABLE GLUANT !

- JE VAIS TE FAIRE TA FETE, CONNARD D'ELFILLON !

- QUAND TU VEUX, AMAZONE POURRIE !

- Allons, allons... fit le doc en voulant les calmer, mais ils ne l'entendirent même pas.

Ils se sautèrent au cou sans préambule, oubliant leur entourage et leur objectif premier. Prudent, le doc préféra s'écarter de la masse gigotante qui se donnait allègrement et dans le plus grand désordre coups de poings, de pieds et torsions en tout genres. Lankee se rapprocha du médecin avec hésitation.

- Euh... c'est pas dangereux, ce qu'ils font ?

- Si, soupira celui-ci, mais ça peut aller... je crois. Ils ont toujours eu un mal de chien à s'entendre, ces deux-là. Quelque part, c'est peut-être pas si mal que Mylène soit blessée, sinon je ne donne pas cher de l'état de ce pauvre Cutter à la fin du combat... c'est qu'elle est vachement forte, la bougresse !

- Mais... elle est blessée, non ?

- Elle va déjà mieux. C'est une Amazone, elle est robuste comme un roc.

- Ah. Ca explique son... euh... appréhension en face des hommes... euh...

- Appré...

Le doc se tourna plus attentivement vers le compagnon de Cutter, qu'il avait à peine remarqué jusque-là à cause des deux énergumènes qui se battaient comme des chiffonniers à terre, sous les sifflements et les encouragements d'autres camarades qui les encerclaient. Les paris circulaient bon train.

- Oh, vous êtes nouveau, je crois. Je ne vous ai encore jamais vu à l'infirmerie. Je me présente, je suis Doc, le médecin-en-chef de la Tour. Enchanté.

Il offrit à Lankee une poignée de main énergique qui lui écrasa les jointures. Lankee se massa la main en faisant la grimace.

- Doc comment ?

- Juste Doc, sourit le médecin. Mais ils ont fini, on dirait. Au boulot !

En effet, les deux adversaires avaient cessé de bouger et étaient à présent affalés l'un sur l'autre en soufflant comme deux forges en pleine activité ; Cutter se tenait l'épaule gauche en se mordant la lèvre et Mylène était simplement allongée sur le dos et contemplait le plafond d'un air satisfait.

- Hé, fit-elle entre deux gorgées d'air, j'ai gagné, elfillon.

- Va te faire... commença Cutter, mais il n'eut pas le coeur de continuer, son épaule lui lançant à ce moment une douleur atroce qui le fit voir des étoiles.

Le doc se pencha sur lui et émit un sifflement mi-admiratif, mi-ironique.

- Eh bé ! Une épaule démise et une bonne douzaine de bleus qui te feront souffrir des jours entiers ! Tu t'en sors mieux que d'habitude, « elfillon ». Finalement, il aura juste fallu tuer à moitié Mylène avant ça.

- Oh, la ferme, doc...

Ce fut alors que le médecin se saisit prestement de son bras et le tordit d'un coup sec pour le remettre en place. Un son sinistrement cassant en résulta, qui fit hurler à tout rompre le soldat et l'amena à pousser une flopée d'injures colorées qui firent trembler d'horreur même les plus hardis dans la Tour.

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Bâal Reyjik bailla de plus belle en arrivant devant l'entrée de la cité merveilleuse de Babylone. Il avait opté pour la facilité pour ce voyage et avait simplement « demandé » à une caravane de marchands de le prendre avec eux. Bien sûr, cette demande consistait plutôt en menaces perpétuelles de perdre leur tête si ces braves gens ne faisaient pas ce qu'il voulait... ce qui n'altéra en rien la qualité du trajet. La nourriture était excellente ; le marchand était un épicier qui avait une longue expérience personnelle de mitonnages de petits plats en tous genres. Fin gourmet, il était aussi insatiablement gourmand et avait apporté avec lui l'équivalent d'un mois de ravitaillement d'un petit village cossu. Cela arrangeait bien Bâal qui aimait prendre ses aises.

Il sauta à terre à peine l'entrée passée et fit un petit signe d'adieu au marchand qui était bien content de se débarrasser d'un tel voyageur. Bâal se dirigea nonchalamment vers la Tour de Babel, qui se profilait au Nord de la ville en mangeant une partie du ciel. Il émit un rire strident qui choqua ceux qui l'entendirent et fit même pleurer une petite fille qui faisait les courses avec sa mère.

Il fallait dire que son apparence était peu ordinaire pour la population locale, qui était pourtant habituée à voir passer tout Central. Habillé tout de noir, il avait les cheveux noirs assez longs qui finissaient en pointes effilées et allaient dans tous les sens, tenant en l'air comme par magie en mèches épaisses. Ceux qui devaient passer à côté de lui (mais la plupart évitaient) se demandaient avec appréhension si un geste brusque de la tête de l'étrange personnage sur eux les déchirerait en morceaux ; il avait les yeux noirs sans pupille, des oreilles pointues et des dents acérées qui brillaient de manière inquiétante à chaque fois qu'il souriait (et il le faisait assez souvent – était-il content de quelque chose ?). Ses bras et ses jambes étaient très longs et fins ; en sortant ses mains un instant de ses poches, les gens purent voir qu'il possédait des ongles longs et pointus, peints en noir, qui ressemblaient à s'y méprendre à des griffes. La foule parut se rétrécir d'un coup.

Enfin, une patrouille de Templiers remarquèrent le nouvel arrivant et voulurent le questionner. Bâal leur fit un immense sourire plein de dents qui fit frissonner ses vis-à-vis. Puis il leur demanda le plus naturellement du monde s'ils avaient déjà entendu parler d'un garçon qui était sorti d'un oeuf.

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Akira posa délicatement les pierres sur le goban, une à une, sans se presser. Il rejouait la partie qu'il avait faite contre Hikaru au dernier tournoi qu'il ait jamais eu de son temps. Les coups s'enchaînaient sans faute, comme le flot vaporeux d'une rivière coulant sur une plaine. Il finit par le coup qui avait assuré la victoire à son rival. Un coup parfait ! Il n'avait rien pu faire, lui que les gens de ce monde s'obstinaient à appeler Meijin, lui qui avait défié l'Oza et l'avait battu ! Il s'était amélioré, certes, il le savait, même si son jeu n'était pas aussi fluide que celui de Lili ou aussi percutant que celui de Kazuki ; et il ne parlait pas de la manière implacable de jouer de James Paterson... mais ce coup, ce coup le tracassait. C'était presque un coup divin... si Hikaru avait survécu, à quel niveau serait-il en ce moment ?

Le Templier frissonna d'un plaisir mal contenu. S'il le retrouvait, sa Lumière, sans doute continueraient-ils à jouer au go ! Et s'il était Sai, s'il avait le niveau que lui avait vaguement évoqué Lankee... un niveau divin ! Serait-il le dieu du go ? Son Hikaru, la grande gueule contre qui il ne pouvait s'empêcher de se battre à chaque fin de partie, le garçon malpoli et énergique qui n'arrivait à rester en place que lors d'une partie ! Si c'était lui, s'il allait le revoir...

Il se sentait très émotif, en ce moment. Akira respira un grand coup et se força à se calmer. Ce n'était peut-être pas le moment de se faire un film. Après tout, Lili était encore entre la vie et la mort, et son père et lui avaient fort à faire avec la nouvelle équipe impromptue qu'ils avaient formés le matin même dans le bureau du Commandeur. Mylène et le doc s'étaient joints à Cutter et Lankee, à la grande surprise d'Akira mais James ne s'en formalisa pas et les mit tous au courant (ce qui de toute façon ne posait pas de problème pour le doc qui savait déjà tout ce qui se disait mais restait pour surveiller l'état de Mylène, et accessoirement celui de Cutter qui avait trouvé le moyen de se démettre l'épaule le temps de venir).

Les réactions avaient été diverses ; indignation contenue pour Mylène, surprise non contenue pour Cutter, air vide pour Lankee. Le Commandeur les avait renvoyé aussi sec, en leur recommandant de se montrer disponibles dans les jours qui allaient venir. Ils avaient donc décidé de retourner ensemble dans le réfectoire et de prendre un petit déjeuner consistant pour se remettre de leurs émotions, et Akira avait sorti un goban et s'était mis à rejouer cette partie.

Cutter marchait de long en large en dévorant peu à peu un long pain garni de viande, marmonnant entre deux bouchées des paroles incompréhensibles. Mylène sirotait un café d'un air rêveur tandis que doc vérifiait ses pansements ; Lankee était perdu dans la contemplation de son thé. Cela faisait presque une demi-heure que le dernier Templier était parti pour travailler et ils restaient seuls dans le réfectoire avec la vieille femme-araignée qui faisait le service. Celle-ci était à moitié sourde et ne voyait plus guère, mais ses autres sens lui permettaient de se déplacer sans problème et de balancer les plateaux de nourriture à tout va à ceux qui le demandaient. Mais pour l'instant, elle était occupée à faire la plonge gigantesque des soldats, aidée par les esprits des murs de la Tour. C'était bien pratique.

- Je pige toujours pas, sortit tout d'un coup Cutter en s'arrêtant net, et Akira mit immédiatement une barrière qui coupait leur conversation de l'extérieur, pourquoi on devrait leur faire la chasse, aux dieux ? Ils nous ont rien fait ! En supposant qu'ils existent.

- Ils existent ! s'écria Lankee en sortant de sa torpeur. Je les ai vu !

- Ok, ok, ils existent, se corrigea Cutter.

Akira soupira. Cutter avait marqué un point ; même Mylène semblait approuver silencieusement le jeune elfe. Etant d'origine amazone, son indignation était compréhensible : les Amazones étaient élevées dans le plus grand respect des dieux et se disaient elles-mêmes descendantes de Leitka, déesse des tempêtes (d'où le tempérament « orageux » des Amazones).

- En tout cas, je ne veux pas faire de mal à Sai, ajouta Lankee. Il m'a toujours aidé quand j'en avais besoin.

- Ce n'est pas aussi simple, intervint Akira en le fixant dans les yeux, moi aussi je veux le revoir.

- Le revoir ?

- Peu importe. Mais ce sont les ordres des Apôtres. Retrouver les dieux, et les éliminer pour instaurer un nouvel âge. C'est tout ce qui compte pour l'instant.

- Mais pourquoi ? demanda Mylène en serrant les dents. Ce sont les dieux qui ont créé ce monde ! Les Apôtres seraient-ils assez ingrats pour les détruire après tout ce qu'ils ont fait pour nous ?

Akira sembla réfléchir un instant. Puis il poussa un autre soupir.

- Vous connaissez sans doute le nouveau courant humaniste.

- Comme quoi les dieux auraient asservi les humains ? C'est absurde ! le coupa Mylène.

- Pas tant que ça. Je suis la preuve vivante que cette théorie n'est pas si absurde que ça, justement.

- Développe ?

- Tu l'as vu, Cutter. Dans ton rêve.

- Cet endroit bizarre où était ton double ? Et alors ?

- Ce n'était pas un endroit bizarre. C'était la ville de Tokyo, l'endroit où je suis né, et ce garçon c'était bien moi. Sauf que ça se passait avant la Grande Guerre.

Ses amis le fixèrent avec des yeux ronds.

- Foutaises ! tonna l'Amazone.

- Non. Vous savez tous les circonstances de ma naissance, par la rumeur ou autrement.

- Euh... pas moi... hasarda Lankee.

Cutter s'assit à côté de lui et attrapa une tasse de café froid qu'il ingurgita d'une traite. Puis il se tourna vers son nouveau coéquipier.

- C'est Touya, fit-il, il a été trouvé par le Commandeur dans un oeuf il y a deux ans. Il a éclos, et Paterson l'a adopté. Ca, c'est la version officielle.

- Effectivement, continua Akira. Mais ce que personne ne sait à part mon père et Harry, ainsi que quelques autres personnes de confiance mises dans la confidence, c'est que je ne suis pas né à ce moment-là, du moins pas à ma souvenance. Je possède tout un ensemble de souvenirs venant d'un monde dominé par la science et les humains, où aucune créature, aucun demi-dieu n'existait en dehors des livres et des jeux vidéos.

- Des quoi ? fit Cutter avec une moue.

- Peu importe. Mais tu as vu ce qui s'est passé. Une comète s'est écrasée, sans doute pas la seule d'ailleurs, et les Apôtres, mon père et moi avons de fortes raisons de penser que les dieux y sont pour quelque chose...

- Pourquoi auraient-ils fait cela ? demanda anxieusement Mylène.

- Je l'ignore. Peut-être était-ce un accident, peut-être était-ce intentionnel. Quoi qu'il en soit, la population humaine fut décimée en un instant, et tous les progrès que mon peuple avait mis des milliers d'années à parfaire, toute la civilisation dont nous étions si fiers a été anéantie. La race humaine a sans douté été contrainte de recommencer son évolution. A part si, comme l'histoire Demie nous le fait entendre, les dieux ne soient intervenus, et dans ce cas ce ne serait que justice.

- Sauf qu'au lieu de les aider, ils ont plutôt asservi les humains, fit amèrement Lankee. Alors Sai...

- Nous n'en savons encore rien, reprit Akira en secouant la tête. Nos seuls indices sont ma présence et mes rêves. Et aussi les écrits du Lac de la Mort.

- Le Lac de la Mort ? fit Mylène. C'est quoi ?

- Le grand lac situé au milieu de la Forêt des Morts. Tu dois bien connaître !

- Ah, oui, mais nous autres Amazones l'appelons la Mer Morte.

- Bah, pour une différence de terminologie, fit Cutter en haussant les épaules. Mais ils disent quoi, ces machins écrits ?

- Ce sont... je ne suis pas sûr moi-même, je ne les ai pas lus, mais d'après mon père... ce sont des archives d'avant, pendant et après la Grande Guerre, une sorte de journal écrit par un certain Kimihiro Tsutsui. Je n'ai pas plus de détails.

Un grand silence se fit alors, chacun était perdu dans ses pensées et retournait dans sa tête sa situation. Puis Lankee prit la parole.

- Je... je suis humain, alors je peux comprendre ce que cherchent les Apôtres. En quelque sorte. Mais comme je l'ai dit, je ne veux pas faire de mal à Sai. Il n'en est pas question.

- Moi non plus, soupira Akira, surtout si c'est vraiment lui.

- Lui ? demanda Cutter en haussant un sourcil.

- Le garçon à la frange blonde que tu as vu, fit Akira en le regardant droit dans les yeux, Hikaru Shindou, mon rival éternel et ma Lumière. Celui que Lankee appelle « Sai ».

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- Comment ça se passe ? demanda James Paterson en fermant les yeux.

Il était éreinté. La journée avait commencé sur les chapeaux de roue, et elle était loin d'être finie...

- Pas si mal, fit le doc en s'asseyant en face de lui, quand je les ai quittés - et ils étaient si plongés dans leur conversation qu'ils n'y ont vu que du feu ! - Akira leur racontait à peu près ce que l'on sait.

- Y compris ma version des faits ?

- Je ne crois pas. Ce serait trahir ton identité, et Akira ne ferait pas ça, il t'aime trop pour cela.

- C'est un gentil garçon...

- Et le meilleur des fils, non ?

James soupira. C'était vrai qu'il avait fini par aimer son fils adoptif comme le sien ; mais il n'en oubliait pas le reste pour autant.

- Mais tu es sûr... ce gamin... c'est un dieu ?

- Certain, fit gravement James. Je l'ai bien ressenti à son éclosion, et un peu plus chaque jour... s'il n'est pas déjà un dieu, il est destiné à le devenir, et de jour en jour je peux le sentir.

- Harry est-il au courant ?

- Non, bien sûr que non. Il adore Akira. Mais c'est vrai que j'ai de plus en plus de mal à le lui cacher...

- Tu ne devrais pas, l'interrompit son ami de longue date. A force de lui dissimuler les choses importantes, il va finir par t'en vouloir.

- Je ne veux pas le mêler à tout ça, grogna James. Déjà qu'il a absolument tenu à me suivre chez les Templiers... mais pas plus ! Certainement pas !

- Et merde, James ! C'est quand même ton fils ! Ton héritier !

- Héritier ! Sais-tu seulement ce que c'est, d'être ce que je suis ?

Il se leva brusquement, renversant la chaise sur laquelle il se tenait, frappant son bureau d'un air désespéré.

- Et de penser que Harry... que mon fils, doive un jour... jamais ! Je ne le permettrais pas !

- Ok, ok, fit le doc d'un ton apaisant, je comprends... mais je pense quand même que tu devrais lui dire.

- Mon père me l'a dit, il me l'a répété durant toute mon enfance, et je l'ai haï pour ça. Alors si je peux éviter ça à Harry...

- C'est un garçon solide. Et le temps presse. Tu préfères lui dire quand il sera trop tard ?

- Il n'est pas trop tard, fit James en se mordant la lèvre, tant que ce jour n'est pas arrivé. Je ne le permettrais pas.

- C'est ce que tu n'arrêtes pas de répéter. Je prie pour que ce soit le cas.

- Prier ? Qui ça ? Les dieux, peut-être ?

James retint a grand-peine un sourire ironique. Les dieux... c'était justement de leur faute !

- Si c'est efficace...

- Laisse-moi, doc, s'il-te-plaît... je suis fatigué.

- Ok. Si ça te chante. Je retourne voir si la gamine va mieux.

- Tu vérifieras que Harry a mangé ?

- Bien sûr, et tout le reste. Compte sur moi.

- Merci, doc. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi.

- Et comment, fit pensivement le doc en refermant la porte du bureau derrière lui, depuis le temps qu'on se connaît et qu'on est amis ! Mais qu'est-ce qui m'a pris, à moi, de m'enticher d'un Liseur de Temps ! Comme si ma vie était pas assez compliquée !

En soupirant et pestant contre les amours impossibles, il se dirigea vers l'infirmerie où Harry attendait toujours le réveil de sa fiancée.

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Akira se leva doucement en brisant la barrière qu'il avait créé. Aussitôt, les petits bruits de la Tour les assaillirent et leur rappelèrent qu'ils n'étaient pas seuls. Lankee n'avait toujours pas fini son thé, qui était si froid qu'il en devenait écoeurant. Cutter se gratta la tête.

- Ta Lumière, fit-il, ce Sai... euh...

- Il est temps d'y aller, lui sourit un Akira un peu fatigué, nous avons assez traîné. On a encore du boulot qui nous attend.

- On fait quoi, alors ? demanda Mylène en finissant de grignoter un bout de croissant. C'est bien beau, mais Lili...

Elle n'eut pas le temps de finir. La porte du réfectoire venait de s'ouvrir à la volée, et ils virent, repoussant de ses longs bras deux Templiers un peu débordés, une créature noire aux extrémités en pointe leur adresser un sourire carnassier en les fixant de ses yeux noirs écarquillés. Ils se mirent immédiatement en garde : Cutter sortit ses couteaux, Akira une boule de feu, Mylène attrapa la table dont les victuailles restantes jonchèrent bientôt le sol. Seul, Lankee qui ne savait quoi faire parut interloqué. La créature entra sans se gêner, repoussant d'un battement les deux soldats qui basculèrent à terre.

- Bon, on va faire simple, fit-elle en ricanant d'horrible manière, lequel d'entre vous est Akira Touya ?

A suivre...