Cauchemars

Chapitre 7 : Valse Macabre

Il exultait. Pour le moment tout se déroulait sans fausse note. Et il allait bientôt arriver. Même si ce sale petit démon inférieur suivait Yoru, et même s'il parvenait à pénétrer à l'intérieur de sa forteresse, il n'arriverait pas à récupérer Kurama. Et puis il avait besoin de Kurama. Oh, il allait enfin le revoir après tout ce temps ! A ce moment-là, et uniquement à ce moment-là, tout, oui absolument tout, serait parfait.

Hiei s'arrêta quelques instants sur une branche. Des instants précieux à la survie de Kurama. Il sonda les alentours d'un rapide regard circulaire et remarqua une minuscule tâche carmine sur les feuilles d'une haie à quelques mètres de lui, au pied de l'arbre. Il atterrit souplement sur le trottoir bétonné, s'approcha de la tâche et constata que sa cible avait dû s'appuyer contre la haie car le sang s'était écoulé le long des feuilles pour former une petite flaque au sol. D'après les traces, celui qui se faisait passer pour Kôsui s'était ensuite dirigé vers la droite.

Il reprit sa traque. La chance était avec lui car il lui arrivait de sentir des effluves légers de rose, lui indiquant la route à suivre. Il faisait de son mieux pour passer inaperçu et rattraper cet espèce de malade avant qu'il n'arrive quelque chose à son ami. Après un temps, qui lui parut une éternité, à courir à travers les rues de la ville, il rejoignit le fuyard et l'objet de sa quête. Celui-ci était toujours endormi dans les bras de ce type qui semblait n'attendre que lui, assis là, sur le banc de ce parc.

« Tu es plutôt doué pour les jeux de pistes ! Je te félicite. Vraiment, je suis impressionné » lança-t-il avec un sourire narquois.

« Qui es-tu ? Et rends-moi Kurama immédiatement ! »

« Oh, quel malheur, je suis découvert ! » s'écria l'autre théâtralement, une main sur le front. « Mais ce n'est pas grave. Par contre savoir qui je suis ne t'avancera à rien puisque tu vas bientôt mourir »

« Relâche Kurama ! »

« Aaaah… Je ne crois pas que cela soit possible… Il est la propriété de Kôsui-sama »

Le jaganshi enrageait. Ce type le rendait malade. Il avait une folle envie de l'étrangler pour qu'il ferme son clapet mais il ne tenait pas à prendre le risque de blesser Kurama qui ne s'était toujours pas remis de son agression dans le parc. Le type allongea doucement le renard sur le banc avant de ricaner sans aucune raison apparente. Il plongea deux doigts dans sa blessure à l'épaule avec une petite grimace de douleur et avec son sang il traça d'étranges symboles sur le sol. Ensuite, il reprit le jeune homme dans ses bras :

« Sayonara mon vieux ! »

« Qu'est-ce que … ? » commença Hiei alors que les inscriptions au sol s'illuminaient.

Le type lui fit un petit signe de la main, se plaça sur les symboles tandis que ceux-ci brillaient de plus en fortement et disparut avec Kurama. Le koorime s'était élancé sur eux mais il était déjà trop tard.

« Et meeeeeeeerde ! » hurla-t-il en balançant rageusement son katana au sol.

Il n'avait jamais rien vu d'aussi amusant ! Ce petit vers de terre insignifiant n'avait rien vu venir. D'accord il avait blessé Yoru mais il n'aurait pas eu l'ombre d'une chance contre lui, même blessé, si jamais ils avaient dû se battre. Bref, son plan marchait à la perfection puisque Kurama serait bientôt près de lui et ces imbéciles du Reïkaï ne pourraient rien faire car ils n'avaient aucune information.

Le démon du feu tournait autour de la marque restée sur le sol dans l'espoir de l'activer à nouveau lorsque Botan descendit en piqué sur lui. Elle sauta à terre à quelques mètres de lui après s'être arrêtée dans un nuage de poussière :

« Hiei, est-ce que tu as retrouvé leurs traces ? » demanda-t-elle, l'air très préoccupée.

« Oui… Enfin non… »

« Comment ça ? Explique-toi »

« J'ai réussi à suivre cet enfoiré jusque dans ce parc. Il s'est foutu de moi, il a tracé ce… son… sa merde parterre et il a disparu avec Kurama ! Fais chier ! »

« Ca ne sert à rien de t'énerver… Viens, on rentre. Ce sera plus facile pour mettre tout ça au clair » dit la guide en posant sa main sur son épaule.

Le youkaï serra les poings, le visage crispé comme s'il voulait hurler, frapper mais il n'en fit rien et consentit à suivre la jeune femme qui le fit monter sur sa rame afin d'aller plus vite.

« Ce n'est pas de ta faute, tu sais… »

« Si, j'aurais dû me douter que ça sentait mauvais cette histoire ! Et maintenant, Kurama est entre les mains de ce connard ! »

On frappa doucement à sa porte. Kôsui donna l'ordre d'entrer et un sourire satisfait orna ses lèvres quand il vit Yoru pénétrer dans la pièce, portant dans ses bras une superbe créature assoupie. Une créature pour laquelle il se damnerait et pour laquelle il donnerait tout.

« J'ai fait ce que vous m'avez demandé Kôsui Sama. Je ne lui ai fait aucun mal et à ses amis non plus » dit Yoru en faisant passer le corps du lycéen dans les bras de son maître.

« C'est parfait Yoru. Tu as fait du très bon travail, je te félicite. Au fait, comment va ton épaule ? »

« Rien de bien grave. C'est juste une égratignure ! » s'empressa de répondre le subordonné en détournant les yeux.

« Tu es sûr ? Attends-moi là, je reviens tout de suite » ordonna Kôsui en disparaissant dans l'ombre.

Le démon obéit et resta là où il se trouvait, écoutant les pas de son guide dans la pièce à côté. Puis il le vit revenir avec une petite boîte. Il l'invita à s'asseoir près de lui sur le sofa :

« Retire ta tunique et fais-moi voir ta blessure »

« Je vous assure que ce n'est rien… Je peux m'en occuper moi-même, je… »

« Non, non, non. Je vais le faire. Ne sois pas si timide, je ne vais pas te manger tout de même ! »

« D'accord… » consentit Yoru en se dévêtant.

Kôsui examina la plaie, essuya le sang, désinfecta la blessure et la pansa. Durant l'opération, Yoru avait gardé les yeux fixés sur ses pieds, comme s'il était gêné de se faire soigner par son mentor.

« Voilà, c'est terminé. La prochaine fois, fais bien attention » sourit l'infirmier improvisé.

« Bien Maître ! »

« Va te reposer, j'enverrais quelqu'un d'autre à ta place pour surveiller ces microbes »

« Compris ! Merci Maître ! » lança Yoru en se mettant presque au garde à vous.

Le subordonné s'inclina et sortit de la pièce. Kôsui poussa un soupir d'aise en se levant pour retourner dans la pièce où il avait laissé son invité. Celui-ci était encore dans les bras de Morphée, sa poitrine se soulevait régulièrement. Le kidnappeur s'approcha doucement de la couche et écouta sa respiration qui sonnait à ses oreilles comme la plus douce des mélodies. Il dessina du bout des doigts les traits fins et les courbes gracieuses de son captif qui remua un peu.

« Allez mon ange… Ouvre les yeux… » murmura-t-il en caressant la joue du dormeur.

Celui-ci s'exécuta une heure plus tard. Son corps lui semblait toujours aussi lourd que du plomb. Il avait l'impression d'avoir été vidé de ses forces. Et puis il n'arrivait pas à se repérer, comme s'il avait bougé dans son sommeil. Dans ses souvenirs, la pénombre n'était pas aussi prononcée. L'odeur de la pièce n'était plus la même non plus. Il s'assit lentement, cherchant des repères familiers.

La porte de la pièce s'ouvrit en grinçant sur ses gonds, laissant passage à Kôsui qui portait un plateau couvert de victuailles. Un large sourie vint fendre son visage lorsqu'il vit Kurama sur son séant, un peu déboussolé. Il poussa du pied le battant qui se referma avec un claquement sec qui fit sursauter l'invité. Il déposa le plateau sur une table non loin du lit et s'assit à côté de lui.

« Sois le bienvenu… Je suis ravi de t'avoir ici ! Quel plaisir immense de te revoir enfin après tout ce temps passé loin de toi ! »

Une peur soudaine glaça les entrailles du lycéen qui frissonna quand les doigts de son ravisseur effleurèrent sa joue. Il ferma un instant les paupières en réprimant un hoquet de pur dégoût alors que sa peur grandissait un peu plus. L'aura qui se dégageait de son ancien collègue aurait même donné froid dans le dos à Yusuke, voire Hiei.

« Tu n'es pas content de me voir ? » s'enquit doucement Kôsui à son oreille.

« Si, bien sûr » assura-t-il, préférant ne pas s'attirer dès le début les foudres d'un être à la force dépassant de loin la sienne.

« Pour ton retour auprès de moi, je t'ai préparé une petite surprise ! » dit joyeusement le démon aux yeux argent en lui prenant la main pour l'inciter à se lever.

« Oh, vraiment ? » demanda le renard, feignant l'étonnement et la joie mêlés.

« Viens, suis-moi ! »

Il obéit docilement, se laissant traîner vers un coin de la pièce. Là, se trouvaient une commode, sur laquelle était posé un paquet, ainsi qu'un miroir en pied. L'ex-collaborateur du jeune homme prit le paquet et le lui tendit avec un grand sourire.

« Pour toi » dit-il simplement.

Le kitsune prit le cadeau et défit le ruban, ôta le couvercle et découvrit un tissu de soie noire qu'il déplia et il s'avéra qu'il s'agissait d'une longue robe de soirée qu'il avait sûrement volée dans un magasin de haute couture. Le souffle court, il resta un long moment à observer le vêtement.

« Elle ne te plait pas ? » s'inquiéta Kôsui, voyant que son invité ne réagissait pas.

« Oh ! Elle est vraiment magnifique… Je ne sais pas quoi dire »

« Ce n'est pas grave… Essaie-la »

Il repoussa doucement les mains du youkaï qui cherchaient à lui retirer son sweat et commença à se dévêtir très lentement. Il crut voir une certaine lueur de plaisir farouche lorsque son geôlier aperçut les bandages qui couvraient encore ses plaies. Il se hâta ensuite de passer la robe. L'autre l'aida à remonter la fermeture dans le dos. Puis il le mit face au miroir, un air satisfait ornant son visage :

« Elle te sied à merveille ! » chuchota-t-il au creux de son oreille. « Même dans un corps humain, tu restes parfait ! »

Le voleur fut surpris par son propre reflet qui lui montrait une superbe créature vêtue d'une somptueuse robe noire aux longues manches qui dissimulaient presque entièrement ses mains, au large col dévoilant la naissance de ses épaules et fendue au niveau des cuisses. La soie épousait chacune des courbes de son corps comme si elle était une seconde peau. Le noir de la robe faisait ressortir sa flamboyante chevelure dont les mèches semblaient être de délicates flammes léchant ses épaules, ainsi que ses iris verts pareils à deux émeraudes éclatantes.

« Tiens, met ça. Je pense que ça passera mieux que pieds nus » lança Kôsui en lui donnant une paire de chaussures à longs lacets.

Il enfila les chaussures et les laça autour de ses chevilles. Les talons n'étaient pas très hauts, juste ce qu'il fallait. Il sursauta lorsque deux bras ceinturèrent sa taille. Des lèvres se posèrent dans son cou, le faisant frémir de dégoût :

« Viens, je vais te montrer le clou de ta surprise ! »

Encore une fois, il se laissa entraîner. La pièce dans laquelle il venait d'entrer était tendue de lourdes et longues tentures en velours bordeaux ; seuls quelques chandeliers accrochés aux murs éclairaient faiblement l'endroit. Le démon commença à tirer les rideaux et Yohko distingua d'étranges formes sur les murs que les tentures cachaient. Quand il eut tiré tous les rideaux, il frappa dans ses mains et d'autres chandeliers s'allumèrent soudainement, révélant un horrible spectacle : des hommes, des femmes et même des enfants enchaînés aux parois de marbre, le corps couvert d'ecchymoses et de nombreuses autres plaies, certains membres formant un angle anormal avec le reste du corps.

« Oh mon Dieu… » laissa-t-il échapper, l'horreur le frappant de plein fouet.

Son hôte prit une longue épée dans un présentoir en verre et admira quelques secondes la lame. Puis il se tourna vers lui, l'air radieux :

« Regarde bien… »

Il se lança vers la personne enchaînée la plus proche et trancha son abdomen d'un coup sec, le sang jaillissant à flot de la blessure. Ses mouvements se firent vifs et aussi incisifs que la lame de son instrument de mort et il ne resta bientôt plus qu'une plaie béante et toujours vivante, hurlant sa douleur infinie. Le youkaï passa à la seconde victime, une femme, et recommença la même opération et ses cris se mêlèrent à ceux du premier écorché. Le bourreau accélérait toujours plus ses mouvements, passant d'une proie à l'autre avec une rapidité sidérante. Plus il le voyait faire, plus Suishi avait l'impression de le voir danser et il remarqua alors qu'une musique, jouée au violon et au piano, s'élevait de nulle part et accompagnait ce sombre et morbide ballet.

Le sang s'écoulait toujours plus, faisant naître des fontaines vermeilles qui se déversaient sur le sol d'une blancheur immaculée. Kôsui n'avait pas fait le tour de la pièce mais il revint sur ses pas et invita le jeune homme en l'enlaçant par la taille. Le tenant fermement, il reprit son infernal et macabre cérémonie, les explosions de sang se succédant interminablement. Les gouttes carmines les éclaboussaient, constellant la peau d'albâtre du lycéen qui paraissait comme tétanisé, le regard figé par une telle abomination qu'il n'avait pas su empêcher et le souffle court. La mélodie s'était faite stridente pour couvrir les cris, les hurlements, les suppliques, les gémissements et les râles d'agonie et résonnait dans sa tête comme une litanie qu'il ne pouvait effacer, se répétant encore et toujours.

Lorsqu'il émergea enfin du gouffre béant dans lequel son esprit avait chu, il constata que tout autour de lui n'était que tâches, flaques et mares amarantes aux reflets cuivrés et pourpres. Le cœur au bord des lèvres, il constata que seuls les bustes restaient accrochés aux murs, les membres désarticulés jonchant le sol comme les pièces d'un puzzle abandonné, les têtes décapitées plantées sur des lances, figées dans des expressions d'intense souffrance et de monstrueuse agonie.

« J'espère que ça t'a plu… Bon retour, mon cœur ! » fit joyeusement le démon en achevant de planter la dernière tête d'un coup sec.

Puis il s'approcha de Kurama qui, tremblant comme une feuille, paraissait sur le point de s'effondrer et l'étreignit avec douceur. Il essuya tendrement quelques tâches de sang sur les pommettes du jeune Minamino et pressa ses lèvres sur les siennes. Refoulant ses envies de pleurer et de vomir, il ferma les yeux pour chasser les larmes qui menaçaient de rouler le long de ses joues et surtout pour tenter d'effacer le souvenir de cette valse macabre de sa mémoire…

Chapitre7 : Fin