Sous la soutane du moine…


Acte troisième

Ou

"Mal de vie…"

¯'°º:º°'¯

L'alcool aidant, les manigances longuement préparées à l'avance d'Hakkaï aussi, la conversation avait très sérieusement dérapé.

Rien de franchement pharamineux ; désinhibés par la teneur élevée de sake qui coulait dans leurs veines, les trois jeunes hommes s'étaient simplement laissés aller à étaler tous leurs phantasmes les plus profonds concernant la seule personne qui puisse ainsi créer une telle tension sexuelle simplement en entrant dans une pièce…

Pas l'un des trois n'eut pu dire quel fut exactement le déclencheur de cette avalanche d'aveux sérieusement troublants, pour ne pas dire traumatisants ; Il n'en était pas moins qu'ils semblaient très bien savoir de quoi ils parlaient et, dès lors que le moine avait quitté leur champ de vision, Hakkaï s'était transformé en satyre coureur de saints, entraînant les deux autres dans sa chute aux royaume de la dépravation exquise.

Sans doute l'éclat de colère injustifié de Gojyo l'aida-t-il à se confier plus facilement et, pour une fois il s'autorisa à avouer que s'il cherchait si souvent querelle au bonze, c'était par pur besoin d'assouvir une passion qui taraudait chacun de ses muscles à la vu du pragmatique gardien des écritures saintes.

Goku… Comment dire ? Sanzo n'avait-il jamais été pour lui qu'une figure paternelle ? Il n'était pas très enclin aux conflits psychologiques, le jeune homme avait passé sa majorité depuis un bon moment maintenant, il savait très bien comment fonctionnait son corps, aucun soucis d'interprétation : Sans pousser le vice trop haut pour l'engrenage simplifié de ses méninges, le moine lui inspirait bien plus de tendresse qu'un simple pote de chambrée.

Quant à Hakkaï, la question ne s'était jamais vraiment posée. Il était tout simplement tombé amoureux au fil des années. Rien de tragique en soi, il ne voyait aucun obstacle dans son entreprise, il n'était pas tombé amoureux de Sanzo de la même façon que de Kanan. Ça n'était en rien comparable. L'amour que lui inspirait Sanzo était bien moins conflictuel, beaucoup plus physique et comportemental, beaucoup plus masculin en définitive. Ils ne se parlaient pas, ils n'en avaient pas besoin, ils étaient juste… ensembles. Blessés ensembles, malheureux ensembles, amusées ensemble. Et il semblait tout simplement logique à son corps de parfaire cette chose silencieuse qui les unissait tous les quatre, ils étaient trop souvent, trop tout le temps en fusion pour ne pas naturellement sceller le tout dans la chair.

Très vite, allez savoir par quel espèce de complexe démiurgique, la conversation prit un tour clairement fantastique… La situation leur échappa totalement, encore plus qu'à l'origine si c'était possible.

Du moins échappa-t-elle littéralement au kappa et à son frère de bêtise…

- Naaaaaaaan ! Tant que vous avez pas vu sa chemise rose vous avez rien vu de la vie ! Beugla Gojyo en torchant sa pinte de bière cul sec, comme s'il eut s'agit d'un simple fond d'eau minérale. Il ferme qu'un bouton, au milieu vous voyez, on voit bien son joli petit nombril étiré et on devine facilement tout le reste tellement cette putain de chemise est vieille et passée !

- Urusei ero kappa ! Toi tu l'as pas vu avec sa veste de jogging blanche zippée et sans manche... Ben ça, ça vaut le coup d'être sur terre, grogna Goku pour riposter alors que ce brave Hakkaï versait allègrement du sake dans son verre en riant.

- Vous êtes mignons tous les deux mais c'est avec les cheveux attachés et ses petites lunettes qu'il est le plus à croquer…

- Hakkaï ! Hurla le singe en se redressant brusquement, envoyant valser le plateau de la jeune fille qui desservait leur table. Tu veux dire, tu l'as vu avec QUE ça sur le dos ?

La jeune fille n'insista pas plus et préféra nettement battre en retraite.

- Ma ma, ce que je voulais dire c'est : le tout avec son polo bleu ciel évidemment…

- Ha ouais, soupira le tabou. Celui qui est quarante six fois trop grand et qui lui tombe sur l'épaule quand il lit son journal…

- Et qui laisse imaginer tellement de chose, surenchérit Goku en se prenant la tête entre les mains. Même qu'il le met toujours avec son jean gris et qu'il ferme JAMAIS la braguette…

- En fait, commença Gojyo en levant doctement l'index, s'il m'énerve autant ce gars, c'est parce que c'est un débauché qui appelle à la débauche, et le problème c'est que… Heu, et ben moi je suis pas sensé vouloir soulever les jupes des moines ! Voilà, il est la le broblème…

- Déjà on dit problème, corrigea Goku l'air sévère en essayant avec toutes les forces du monde de maintenir sa tête droite, et puis… Soyez pas faux cul, Sanzo il rendrait Guyomao gay, et je pense même que c'est pour ça que les trois rigolos du pays des dieux ils l'ont choisis ! Et… N'empêche que le plus sexy c'est quand il fait péter les écrits sacrés, la soutane, le justaucorps en cuir et le premier bouton de son jean noir…

- Ouais, approuva Gojyo en salivant, avec ses petites manchettes en vinyle genre sado maso et son petit pantalon bien serré aux entournures qui commence juste à glisser sur ses hanches de…

- De ? Demanda Hakkaï curieux (curieusement sobre le salaud ;)).

- On en a déjà parlé plein de fois, soupira Goku le visage enfoui dans ses coudes repliés sur le bord de la table. Sanzo il a pas un corps de jeune premier, ni un corps de nana, mais il a carrément pas l'attirail du mec pur… Il est tout pointu de partout, pire que toi Hakkaï !

- Je suppose que je dois bien le prendre, rit l'ancien humain en tapotant la tête du jeune homme.

Goku opina allègrement du chef en souriant bêtement.

- Ouais, il est tout pointu c'est ça le mot, réfléchit Gojyo à haute voix. Il ressemble à rien avec son torse plat, ses abdos trop prononcés mais pas en relief, tu sais genre "si tu veux vérifier va falloir toucher"… Tssss ! Et idem pour ses pec' ! Et c'est quoi ces épaules sérieux ? Ses épaules larges mais méga minces, ses articulations osseuses et sa peau saillante sur ses muscles tendus…

- Gojyo tu baves, le prévint poliment Hakkaï.

- Il y a de quoi, pouffa Goku en donnant un léger coup maladroit dans l'épaule du Kappa. Hein qu'y a de quoi Gojyo ?

- Y a carrément matière à baver saru, répondit le tabou en essayant le clin d'œil complice (ndla : Essayez le clin d'œil quand vous êtes bourrés, effet mortel garanti mdr !). Je connais pas une seule paire de nibards au monde qui vaille le spectacle d'un Sanzo qui roupille… Nan sérieux je déconne pas, c'est quand il dort que le Sanzo est le plus coriace, dangereux même ! IMPOSSIBLE de lui résister ! Genre si tu regardes trop longtemps t'as les yeux qui piiiiiiquent !

- Quand il dort, répéta Goku hébété. Il est pervers de la violence la journée alors tu peux pas l'approcher mais… Hakkaï si t'avais déjà vu son visage de près quand il dort ; putain je veux bien bouffer mon contrôleur de force si tu connais spectacle plus envoûtant ! Il a un peau ce salaud de moine, pour un fumeur c'est médicalement pas normal, une peau transparente et toute fine, toute blanche… On dirait, une nappe de sucre…

Hakkaï sourit à la comparaison, on ne peut plus digne du jeune youkai pour tout dire.

Il restait silencieux et indulgent, le sourire de circonstance scotché à son visage impassible pour le reste de la soirée. Ses deux compères étaient charmants, vraiment vulnérables dans le bain de leur passion coupable qu'ils semblaient trahir pour la première fois depuis des années. Lui vivait parfaitement en accord avec son attirance pour Sanzo. Ses deux amis étaient plein comme des trous, imbibés comme jamais encore il n'avait vu les tissus épidermiques d'un être humain l'être… Cependant, il n'avait certainement pas besoin qu'on rappelle à sa mémoire combien l'effronté moine blond était saintement iconique dans ses heures d'abandon à Morphée…

- Et puis quel caractère, ne put-il s'empêcher de dire tout haut.

- Oh oui, ricana Gojyo avec un sourire pervers, mais ça c'est juste un masque diurne les enfants, en vrai le grand Sanzo sama il est du genre à vite devenir accro aux câlins je suis sûr…

- T'es fou, marmonna Goku en baillant, c'est pas faute de faire genre le petit singe affectueux qui s'accroche à sa jambe quand il a faim, le gars il te botterait le cul rien que si t'avais l'outrecuidance de parler d'une partie de son corps d'une façon un peu trop dénudée…

- Vous êtes durs avec lui, tenta Hakkaï pour mitiger le débat, il a beaucoup de mal à se faire à l'idée qu'on puisse demander de la tendresse…

Avec un geste désespéré Gojyo ramena ses cheveux en arrière en soupirant.

- Allez quoi, je voudrais juste avoir le droit de le peloter un petit peu, je jure de pas toucher de nana pendant un mois si le bonze me laisse simplement m'endormir avec son dos contre moi et ma main valide emprisonnant gentiment une de ses cuisses musclées et satinées… Mais attention ! Sous le pantalon ou ça vaut pas le coup…

- T'es un sacré pervers Kappa, souffla Goku admiratif en relevant un tantinet son visage, je pensais pas que t'étais malade à ce point ! Sanzo il se tirerait une balle plutôt que de te donner l'autorisation pour une telle intimité. Son Smith&Wesson moi je dis ; voilà le véritable amour de sa vie !

- Nan, son harissen et ses Marlboro ! Quel barbare… Et je sais pas comment il fait mais, jamais ses cheveux puent la clope, toujours doux, soyeux et propres ! Il est magique ce moine, pourtant il a pas de shampoing, de toute façon il déteste les trucs de fille qu'il dit… Je sais pas pourquoi, mais Sanzo les gonzesses il les encadre pas…

- C'est là tout le mystère de Sanzo, rit tout bas Hakkaï en refermant la bouteille de sake. Un caractère on ne peut plus masculin prisonnier dans un corps si gracile qu'aucun représentante de la gente féminine quelle qu'elle soit ne lui inspirera jamais la sécurité à laquelle il aspire… Quant à sa beauté nocturne et bien… Je suppose qu'il la dissimule tellement à nos yeux avec son tempérament brumeux qu'on ne peut qu'être surpris de la découvrir lorsque le brouillard se lève.

- La nuit, tous les Sanzo sont exquis, cantonna Goku. Ha… Moi je suis pas un ero kappa, tout ce que je demande c'est de pouvoir m'endormir en touchant ces cheveux dorés, ce serait comme… S'endormir en ayant atteint le soleil. Sanzo il doit être tout chaud et douillet la nuit vu comment il est froid et sec la journée… Mais il brille TOUT LE TEMPS comme le soleil, c'est trop fort de traîner avec ce moine, tu peux jamais être vraiment malheureux… Pour toutes les fois où il me hurle dessus, il y en a une où il a posé sa main sur mon bras, sur ma tête ou mon épaule pour faire couler cette énergie brûlante en moi…

- Ouais, pour toutes les fois où il a failli me perforer le crâne à coup de plomb, il y en a une où il est venu allumer sa clope sur la mienne alors qu'elle était dans ma bouche, ou bien une où il a souri avec malice en me chambrant sur mon physique de tombeur. Ce moine, il vaut toutes les nanas du monde, même mises bout à bout…

Amusé, Hakkaï contempla avec patience la braise presque éteinte des ardeurs de ses deux compagnons. Les confessions s'amenuisaient, touchaient à leur fin, la tension retombait paisiblement. Chacun savait remettre les choses à leur place en temps voulu, doucement on tait ce qu'on ne peut assouvir pour ne pas devenir fou. Il les couva de son regard maternel en regrettant de ne pas pouvoir faire graver ces discours émouvants qu'ils ne diront plus jamais, renieront toute leur vie ou bien dont ils ne se souviendront tout bonnement plus le lendemain matin. Il songea au gâchis que pouvait perpétrer un simple manque d'assurance…

Mais où allait-il trouver le courage pour achever son plan ? Où diable allait-il puiser la force de faire quelque chose qui menacerait l'équilibre de leur voyage, la force de leur union ?

Lui il n'était ni bourré ni en proie à un délire qu'il renierait plus tard. Il était précisément placide et exigeant, et ce depuis bien longtemps.

Ce qu'il voulait lui, c'était pouvoir emprisonner cette taille pointue et indéfinissable entre ses bras, sentir la tête lourde de sommeil du moine dans le creux de son épaule et son souffle régulier dans son cou… Poser une main sur son torse chaud pour percevoir le battement lourd de son cœur et, glisser savamment un genoux entre ses jambes pour le posséder le plus justement possible sans empiéter trop sur le terrain de ses deux amis…

Aurait-il seulement le courage de faire ?

A bout de force, la joue gauche écrasée entre deux assiettes, les cheveux étalés sur la table en une nappe rouge et emmêlée, Gojyo acheva son raisonnement embué par les vapeurs d'alcool d'une voix rauque.

- Je suis fatigué… Il sourit avec lassitude et ramena pour la énième foi la masse fluide de ses cheveux dans son dos. Y a tellement longtemps que j'ai pas eu vraiment sommeil comme ça, ça m'a claqué de parler du dépravé Hakkaï… Il me pompe mon énergie vitale ce moine, je suis sur qu'il n'attend que nous et qu'il ne le sait même pas. On est toujours fourré ensemble et y a ce lien sous-jacent, cette… chose permanente quand on se regarde tous ! Mais pas un qui aurait assez de gueule pour nous rendre plus fort en nous unissant… Ce con de bonze, il fait exprès d'ignorer les filles parce qu'elles peuvent rien pour lui, ça l'intéresse pas de protéger une belle silhouette généreuse, aucun goût ce gros pédé. La voix du tabou se modula pour se faire plus profonde, plus tremblante, Goku a bien trop raison quand il dit que Sanzo ferait virer gay jusqu'au monstre de la pire engeance. Hakkaï regarde-le, regarde-nous, c'est le cœur de ce que nous sommes, on est tous raide dingue de lui, on est les seuls capables de lui donner ce qu'il veut…

- Et qu'est-ce qu'il veut à ton avis ? Demanda doucement Hakkaï.

- Le Sanzo sama il veut juste pas dormir tout seul… La nuit Hakkaï, voilà quand il faudrait le prendre, le faucher en pleine impuissance. La nuit il fait noir, on ne voit rien et c'est à ce moment là qu'il a le plus froid… La nuit il voudrait bien des gros câlin, et s'il s'en fout tellement d'être faible dans l'obscurité, il s'en balance qu'on l'entende gémir de terreur parce qu'il sait pertinemment qu'il n'y peut rien. Il sait que nous sommes bien les seuls qui ne le forceront jamais à se faire soigner. On l'aime comme ça, on ne veut pas interférer dans sa vie parce qu'on a ça dans le sang, savoir aimer Sanzo c'est dans notre code génétique, on sait que la meilleure façon de l'aimer c'est de le laisser souffrir en colmatant les brèches d'une autre façon. Si je suis tellement certain qu'on pourrait remplir ce rôle sans risque, c'est parce que je peux presque sentir ses invitations muettes soir après soir… Je sais que tu les sens aussi. Ses deux puits de douleur mauves accroché aux angles des trois autres lits dans les auberges que l'on écume, son cœur qui ralentit, givré par la solitude, sa gorge qui s'assèche, dévorée par la proximité de son remède qu'il se contente de renier comme un masochiste alors que… Tout ce qu'il veut c'est pouvoir nous regarder toute la journée en se disant "Vivement ce soir que je sois plus obligé de les taper… Vivement ce soir que je me saoule d'eux pour recommencer"

C'est cette tirade qui modifia leur vie à tous les quatre pour de bon…

Mais à cette heure précise, perdu qu'il était dans les nimbes de bière et de sake, Gojyo ne s'en doutait pas le moins du monde.

Hakkaï quant à lui avait fait son choix…

- Tu es ridicule Gojyo, rit-il en se levant pour aider son compagnons à se remettre d'aplomb sur ses jambes. Tu sais combien Sanzo détesterait devoir admettre que son remède… C'est nous. Aussi loin que l'on aille c'est une chose qui n'arrivera… décidément pas.

- T'as tout faux Hakkaï, c'est justement de pouvoir enfin comprendre quelqu'un simplement par ce geste muet du regard qui lui épargnerait la souffrance d'attendre la nuit avec horreur… Il n'aurait plus qu'à regarder l'un d'entre nous pour se dire qu'en cas de besoin, le droit de craquer lui est désormais permis, et ce, tous les soirs de sa vie…

Hakkaï soupira, résigné comme il ne l'avait encore jamais été. Ce con de tabou venait de faire voler en éclat toutes ses dernières certitudes, les dernières barrières qui séparait le raisonnable de la folie furieuse.

- Décidément, tu auras dit tellement d'âneries en quelques heures qu'un plaidoyer de youkai en faveur de Gyokumen ne m'aurait pas mieux convaincu…

Gojyo éclata d'un rire tranquille et déférent, surprenant si on s'en tenait à l'état dans lequel l'alcool l'avait plongé ces dernières heures. Il effleura la joue d'Hakkaï en le dépassant et finit par rassembler ses cheveux en chignon, gravissant les premières marches presque avec la droiture d'un homme sobre tandis que Goku se cramponnait à la rampe comme un naufragé à sa bouée de sauvetage.

Plongé dans ses réflexions, Hakkaï posa une main froide là où le tabou l'avait caressé, puis il monta souplement les escaliers à leur suite pour aller rejoindre les dessous du toit…


To be continued…