Chapitre 4 : Douloureuse obéissance
note de l'auteur : les paroles prononcées en japonais seront écrites entre « guillemets »
Le pieu se fixa dans la gorge du samouraï rouge, le stoppant net… il s'écroula. A bout de force, Oscar de Jarjayes se laissa emporté par l'abandon, son corps se coucha au sol, à quelques pas de son dernier adversaire. Les hommes, qui avaient cerné le combat, se rapprochaient tous du soldat français, arme à la main, prêts à l'achever.
'Maté !'
Les samouraïs se figèrent à leur place, rengainant leur sabre. Oscar eut encore quelque énergie pour tourner sa tête vers l'origine de cet ordre. A quelques mètres de là, des cavaliers approchaient. Parmi eux, un seul avait quitté son large heaume. Etait ce leur chef ? Le redoutable Katsumoto ? L'homme en question, s'adressa à un de ses hommes qui descendit de sa monture et avança vers le corps du samouraï rouge, tué par le capitaine. L'homme posa un genou au sol avant de saluer la dépouille, puis il se releva et fit quelques pas jusqu'à Oscar, qui ne pouvait distinguer aucun trait de son ennemi : le heaume occultait l'intégralité de son visage. L'homme posa une main sur la garde de son sabre… était il son exécuteur ?
KATSUMOTO : « Il a combattu vaillamment … »
Mais Katsumoto voyait que l'homme restait toujours immobile, dominant Oscar, allongé ventre à terre, qui ne comprenait aucun des mots prononcés. Katsumoto s'adressa une nouvelle fois au samouraï.
KATSUMOTO : « ton père est mort avec honneur… cet homme a également combattu avec honneur… tu ne dois pas le tuer. »
Comme s'il s'était résigné, la main du samouraï quitta son arme, l'homme se baissa pour porter sans ménagement le capitaine blessé et le déposer non plus délicatement en travers d'un cheval. Oscar, dans sa demie conscience, remarqua avec quelle facilité l'homme l'avait soulevé… qu'allaient ils faire de lui ? Sans mot, l'homme prit les rênes du cheval d'Oscar et monta sur son destrier. Après quelques pas, le soldat français entre aperçut, comme dans un cauchemar, la décapitation du général Hasegawa. Les samouraïs étaient bien comme tous les guerriers qu'il avait rencontrés… des barbares !
………………….
Les heures passèrent, Oscar de Jarjayes somnolait entre la douleur et l'inconscience, à plat ventre sur la selle, secoué au rythme de son cheval. Il put entrevoir des habitations, des femmes, des enfants, des vieillards, dont les cris de joies s'étaient tus à la vue de l'étranger. Après voir traversé une grande partie du village, le cortège s'immobilisa devant une habitation. Une femme, d'une cinquantaine d'années, sortit pour venir à la rencontre du chef samouraï. Katsumoto descendit de sa monture et s'avança vers elle ; il lui tendit à bout de bras un sabre. La femme salua le samouraï et prit l'arme qu'elle serra près de son cœur, sans un mot … sans un cri… sans une larme. Comme dans un songe, Oscar reconnut l'arme : le sabre du samouraï rouge ! Cette femme était sans doute la femme de celui qu'il venait de tuer !
D'un mouvement de tête, Katsumoto donna l'ordre au gardien d'Oscar de le faire descendre de sa monture. L'homme en question tira aussi délicatement le capitaine français qu'il l'avait aidé à monter… c'est-à-dire sans ménagement. A nouveau, le nez au sol, Oscar foudroya l'homme du regard. En réponse à ce qu'il considérait comme un nouvel affront, le samouraï dégaina vivement son sable et le stoppa contre la peau du capitaine. Mais le français ne fit aucun geste.
KATSUMOTO au gardien : « ta haine est inutile… je te demande de me rejoindre au temple, le temps que ta mère le soigne »
L'HOMME : « pourquoi ne pas le laisser mourir »
KATSUMOTO : « il suffit, An-san, seul le destin décidera de sa vie… ou de sa mort »
AN-SAN en s'inclinant devant Katsumoto : « bien, mon oncle »
Epuisé, Oscar se laissa porter à l'intérieur de la demeure par deux hommes sans opposer la moindre résistance. Il fut allongé sur un futon et laissé seul aux bons soins de l'épouse du défunt. La femme, répondant au nom de Taka, était la sœur de Katsumoto et en tant que veuve du samouraï rouge, elle devait s'occuper de l'homme qui avait tué son époux en combat ; tel était l'ordre du chef des samouraïs, telle était la tradition. C'était une question d'honneur. Taka aurait tant souhaité venger la mort de son mari, mais dans l'esprit samouraï la vengeance n'existait pas. Si elle faisait du mal au soldat, le déshonneur retentirait sur sa famille et elle devrait se donner la mort. Elle devait obéir !
Une fois seule avec le militaire français, Taka observa le blessé. Malgré la boue et le sang dont il était couvert, elle remarqua sa belle chevelure blonde et ses traits fins. Aucun japonais n'avait cette couleur de cheveux… ses mèches semblaient danser autour de sa figure comme des flammes dansent dans un brasier. Le visage de l'homme avait les caractéristiques d'une personne de l'occident : des grands yeux, un long nez droit, des pommettes saillantes, le menton anguleux et les lèvres finement dessinées. Par certains aspects, le français ressemblait beaucoup à son fils… à An-San.
Taka s'apprêtait à déboutonner la veste militaire d'Oscar quand elle croisa le regard bleu de l'homme… il la fixait. Plus exactement, ses yeux semblaient la fixer mais en même temps ils semblaient perdus dans le lointain. La japonaise entendit alors un mot dont elle ne réussit pas à connaître le sens : 'désolé'. Le soldat venait de lui parler mais elle ne comprenait pas sa langue. Taka vit alors les yeux de l'homme s'abaisser et l'inconscient l'envahir. Elle poursuivit son déshabillage : elle lui ôta sa veste, ses bottes puis déboutonna sa chemise… suspendant ses gestes, elle posa un nouveau regard sur le soldat inconscient… sur cette femme blonde…
