Chapitre 9 : Maître d'armes
! Ce chapitre pourrait choquer les plus jeunes lecteurs !
La nuit qui suivit sa rencontre avec Katsumoto ne fut pas meilleure que la précédente. Oscar passa des heures à se tourner et à se retourner dans son futon. Des images de guerre revenaient hanter son sommeil, le peuple français mais aussi le combat contre les terrifiants samouraïs. La scène où son ami Alain se faisait décapiter semblait repasser sans cesse en boucle dans sa tête … mais le visage masqué du tueur était constamment remplacé par celui de An-San ! A plusieurs reprises elle se réveilla en sursaut, prise d'une sorte de fièvre, l'estomac prêt à rendre et un terrible goût de sang dans la bouche. Des cauchemars… depuis son arrivée au Japon, toutes les nuits étaient synonymes de rêves macabres ; si bien que la militaire attendait avec quasi impatience l'aube pour reprendre à nouveau vie, épuisée.
Elle ouvrit alors ses yeux sur cette nouvelle journée. Sa blessure à l'épaule la faisant un peu moins souffrir, Oscar se vêtit seule et prit quelques collations préparées à son intention par Taka. La jeune femme remerciait toujours intérieurement la japonaise pour ses attentions, admirant, sans cesse, son sens du devoir : hébergé, soigner, nourrir la main assassine. Une fois rassasiée, Oscar prêta son visage clair aux rayons déjà hauts du soleil et entreprit sa « balade » matinale. Elle s'attendait à voir apparaître le jeune samouraï dans son dos, mais contrairement à la veille, un autre homme plus âgé se tenait à ses côtés. Etrangement, la jeune femme en fut presque troublée.
Par petit pas, tranquillement, Oscar faisait le tour des maisons, des champs cultivés, des coins d'eau ; à son approche les gens dévisageaient l'étrangère mais leurs regards n'exprimaient ni rage, ni haine… seulement une sorte d'interrogation. Oscar avait l'impression d'y lire « qui est-il ? que fait-il ici ? ». Elle fut également surprise de découvrir que chaque homme, chaque femme s'appliquait à faire sa tâche, dans le calme et la sérénité.
La jeune femme essayait de faire son possible pour montrer un visage impassible devant ses « ravisseurs » mais en même temps, ce détachement… cette sorte de respect, dont ils faisaient preuve envers elle, l'ennemie, la troublait profondément. Lorsqu'un petit groupe d'enfants la bousculèrent par mégarde au cours de leurs jeux, tous s'inclinèrent vers elle et repartirent dans leurs amusements… sans même s'en apercevoir, un fin sourire se dessina sur ses lèvres… depuis combien de temps n'avait-elle pas souri ?...
Au détour d'une maison, Oscar s'arrêta net. Ce qu'on pouvait prendre au premier abord pour un champ était en réalité une sorte de camp d'entraînement. Des dizaines d'hommes s'entraînaient… mais pas seulement des hommes, certains n'étaient que des enfants … comme dans un songe, Oscar se revoyait à leur âge, ferraillant contre son père, montant à cheval, giflée quand elle ne se répondait pas totalement aux exigences de celui-ci. Jusqu'à aujourd'hui elle avait toujours cru que son entraînement si jeune était une exception, à présent elle en était moins sûre : les samouraïs s'entraînaient dès leur plus jeune âge. La seule différence était qu'Oscar était une femme mais que tous ces guerriers étaient des mâles.
Elle resta un long moment à les observer. Certains, armés de longs arcs et juchés sur leur cheval, tiraient au galop sur des cibles de bois. « Quelle dextérité » pensa-t-elle. D'autres faisaient des combats à mains nues, mais étrangement, aucun coup n'était échangé, l'homme se contentait de faire tomber ses adversaires. Enfin un autre groupe s'exerçait au sabre. Oscar resta plantée devant ces hommes : leur entraînement ne ressemblait en rien à celui qu'elle avait toujours pratiqué.
En fait, l'échauffement semblait se dérouler en trois étapes. Première étape, les hommes se mettaient tous dans la même position, les uns à côté des autres et répétaient sans cesse une combinaison de gestes. Ce qui frappa d'autant plus la jeune femme fut le maniement d'un sabre de bois ! Elle ne s'était toujours entraînée qu'avec de vraies armes, pas avec des jouets de bois, sans danger.
Dans le groupe suivant, les hommes se tenaient face à face par deux et là encore ils enchaînaient des mouvements de combats, comme si ils mimaient un combat dans une pièce de théâtre. A chaque nouvelle « attaque », les samouraïs poussaient une sorte de « ooh » et le bruits ses sabres de bois retentissait dans une même harmonie.
Enfin dans la dernière partie de l'entraînement, il y avait le combat à proprement parler. Seuls deux hommes combattaient, entourés par six autres. Oscar ne pouvait distinguer le visage d'un des combattants qui lui faisait dos. Le combat paraissait intense, malgré les armes fictives, les coups portés semblaient réels et leur précision terriblement efficace. Après avoir parer l'attaque de son adversaire, le guerrier le contourna par un demi tour et glissa son arme à l'arrière du cou. Si le sabre avait été réel, la lame aurait sectionné la nuque de son adversaire. L'homme vaincu s'inclina alors devant son vainqueur qui déposa amicalement la main sur son épaule.
Oscar était encore plus stupéfaite par la prouesse technique que par le vainqueur lui-même. Au moment de porter le « coup de grâce », l'homme s'était retourné et son visage s'était dévoilé à la jeune femme : An-San… Pour la première fois, Oscar réalisa la maîtrise du guerrier.
