Chapitre 10 : Affront
Le combat était fini : il avait gagné grâce à la feinte que lui avait enseigné son père. Il avait posé sa main sur l'épaule de son adversaire en geste de remerciement et de fraternité. Il s'était redressé et venait d'apercevoir le français. Le jeune homme blond le fixait, le regard qui semblait refléter à la fois admiration et crainte… oui… An-San sentait de la crainte dans ces yeux bleus.
Sans prendre le temps de réfléchir il s'avança vers le capitaine et posa son sabre le long de l'arrête de son cou. Oscar réprima un mouvement de recul au contact du bois : certes cet homme l'impressionnait mais jamais elle ne montrerait la moindre faiblesse envers lui. S'il souhaitait la tuer, soit ! Elle ne lui rendrait pas pour autant la tâche aisée. Un à un les bruits des sabres de bois se turent, tous les hommes déplacèrent leur regard vers cet étrange combat : les deux occidentaux se fixaient du regard, immobiles, s'observant sans mot.
La tension était palpable, l'honneur de An-San l'empêchait de se battre contre le français désarmé, alors, ses yeux émeraude toujours greffés sur son adversaire, le samouraï abaissa son arme le long du corps du capitaine, arrêtant imperceptiblement le sabre au niveau de son cœur avant de s'en éloigner définitivement. Oscar regarda le jeune homme lui tourner le dos : un frisson traversa son échine dorsale… jamais elle n'avait senti la mort si proche.
'Oscar Jarjayes'
La jeune femme se retourna, stupéfaite d'entendre prononcer son nom. Le chef des samouraïs, Katsumoto venait à sa rencontre. « Voilà pourquoi il n'a rien tenté, son oncle était là » pensa-t-elle. Oscar s'inclina devant le samouraï, sans même s'en rendre compte elle avait fait ce geste comme un remerciement silencieux de son intervention. Etonné, Katsumoto lui rendit son salut et s'avança vers le capitaine, un léger sourire au coin des lèvres.
KATSUMOTO : vous voir combats
OSCAR : je suis prisonnier… je ne peux pas vous faire de mal… il y a trop de guerriers ici
KATSUMOTO : vous pas prisonnier… vous invité
OSCAR : je crois que vous ne connaissiez pas le sens de ce mot : je ne peux pas partir… donc je suis prisonnier !
KATSUMOTO : non, vous pas pouvoir partir car neige bloque dans montagne… vous partir quand beau le temps
Oscar l'observa pensive… ainsi il ne la maintenait pas prisonnière ? Pourquoi ? Pourquoi alors l'avoir amenée ici ?
OSCAR : pourquoi suis-je ici ?
KATSUMOTO : vous blessée, Taka soigné
OSCAR : oui mais…
KATSUMOTO en s'inclinant : je partir
KATSUMOTO en s'éloignant du capitaine: vous attention avec An-San… personne savoir vous femme…
Oscar voulut le rattraper pour avoir une explication sur le sens de cette dernière phrase, mais le sabre de son garde du corps lui bloqua le passage. Elle détestait la manière dont Katsumoto prenait l'initiative de clore leur conservation… elle était persuadée qu'il le faisait exprès.
La militaire avait cependant appris quelques nouveaux éléments, d'après Katsumoto : elle serait libre au printemps, il était le seul à connaître sa féminité… et An-San chercherait la moindre occasion pour lui faire rembourser sa dette. Elle ne savait plus quelle était la bonne nouvelle… elle quitterait le village aux beaux jours… enfin si on lui laissait le temps de vivre jusque là !
…………….
Oscar passa la fin de la journée assise sur un roc, son esprit oscillant entre observation et réflexion ; elle ne se rendit même pas compte que des nuages s'étaient amoncelés au-dessus du village et que les gouttes commençaient leur course vers le sol. Sentant ses épaules frissonner sous une pluie quasi diluvienne, la jeune femme revint alors à la réalité. Elle observa à quelques mètres d'elle deux jeunes garçons, d'une dizaine d'années, poursuivre leur jeu à l'épée malgré le déluge. Après quelques coups et parages, un des petits guerriers laissa choir son arme de bois.
Oscar quitta son socle pour ramasser le bâton au sol et le tendre au perdant. Mais contre toute attente, le jeune garçon se décala pour laisser sa place au capitaine : Oscar se retrouvait comme le nouvel adversaire du vainqueur ; elle voulait refuser… elle ne se battait pas contre un enfant… A sa grande stupéfaction, quelques hommes s'étaient approchés, aucunement menaçant, simplement pour observer à leur tour l'étranger.
Ce fut donc sous une pluie battante que Oscar engagea le combat contre le jeune samouraï… comme elle l'avait présagé le garçon se défendait très bien pour son âge et allait la toucher si d'une main ferme elle n'avait pas saisi sa lame de bois. Elle se retrouva, sous les regards inquisiteurs, les deux sabres à la main. Sans geste brusque elle redonna le jouet au jeune garçon et lui rendit son salut.
Pourquoi la regardaient ils ainsi… qu'avait elle fait ? Se battre contre un enfant alors qu'on l'y avait invitée ? Ne pas le laisser gagner ? … Non !... Oscar venait de comprendre son erreur : elle n'avait pas combattu loyalement contre le garçon. Pour les samouraïs les sabres de bois n'étaient des armes fictives que pour éviter les blessures graves, mais elles étaient maniées tels de véritables sabres… dans un combat réel, Oscar aurait eu la main tranchée par la lame aiguisée… elle aurait perdu.
« Pose ce sabre ! »
Oscar eut à peine le temps de se retourner qu'elle reconnaissait déjà le son de cette voix ! Comment faisait il pour apparaître ainsi, au pire moment ? Il la surveillait sans cesse ou quoi ?
Elle n'eut pas l'occasion d'approfondir la question : An-San se dirigeait vers elle, le pas ferme, un sabre identique au sien dans la main, le regard mauvais. Il lui fit signe de poser son arme.
« Non pas maintenant » pensa Oscar. Elle était tiraillée entre l'envie de préserver son corps blessé et l'envie de montrer à cet homme qu'Oscar Jarjayes n'était pas un pleutre. A présent une dizaine d'hommes entourait la scène… Oscar savait que si elle posait son arme maintenant, elle acceptait à jamais sa défaite… jamais… ses hommes étaient morts dans ce combat… Alain…
D'un geste vif, elle arma son bras et commença à frapper le samouraï. Chacun de ses coups étaient contrés par son adversaire qui ripostait sans difficulté, dans les jambes, dans le dos, dans les côtes. Oscar se retrouva à plusieurs reprises le nez dans la boue, faisant des efforts surhumains pour se relever… sans cesse le samouraï frappait, ne laissant aucun répit, aucune chance à la jeune femme. Elle savait manier l'épée avec dextérité mais le sabre était pour elle une arme totalement inconnue, elle n'avait aucune chance de gagner. Dans un ultime geste, elle tenta une dernière attaque… elle s'effondra à nouveau, le souffle difficile, les muscles meurtris… elle avait perdu…
