Chapitre 11 : Balade nocturne
Oscar resta clouée au lit deux jours ! Chaque parcelle de son corps était ravagée par bleus et douleurs ; sa blessure à l'épaule s'était à nouveau ouverte devant le mauvais traitement qu'elle avait subi. La jeune femme profita de ses heures de « repos » pour analyser plus en détail la situation.
Cela faisait plusieurs jours qu'elle était dans un village japonais, les seuls mots qu'elle avait appris étaient « arrêtez », « bonjour » et « merci »… elle n'irait pas bien loin avec ça ! Elle savait à présent que son objectif était de rester en vie jusqu'au retour des beaux jours, étrangement elle croyait en la parole de Katsumoto. Enfin son pire ennemi, An-San en l'occurrence était un terrible adversaire ; elle avait vu comment il se battait avec un sabre en bois, elle se doutait qu'avec un vrai sabre, il devait être particulièrement redoutable.
Bref, en conclusion de ses heures de réflexion, Oscar en vint à une conclusion simple : prendre son mal en patience : elle était là pour quelques mois, autant en profiter pour apprendre quelques notions de japonais et quelques tactiques de samouraïs. Même sans pratiquer le discours ou le sabre, écouter et regarder pouvait lui apporter beaucoup. Connaître son ennemi peut toujours se révéler utile.
Le soir venu, la jeune femme eut la désagréable surprise de ne pas voir disparaître An-San à la fin du dîner, comme il en avait pris l'habitude depuis son arrivée. Sans doute pensait-il que sa victoire sur Oscar mettait les choses au clair. Depuis la veille au soir, la française avait essayé de « converser » avec Taka ; en fait cela se limitait à du mime et quelques mots simples, mais Oscar espérait ainsi apprendre quelque peu la langue. Le samouraï s'était assis, sabre à la main, à l'entrée de la maison et écoutait d'une oreille discrète ce manège verbal. « Il n'est vraiment pas doué » pensa-t-il.
Pendant qu'elle écoutait Taka monologuer, Oscar s'aperçut que les seaux d'eau qui servait au nettoyage étaient bientôt vides. Sans bruit elle se leva, prit les seaux pour aller les remplir à source. Très gênée par un telle geste, la japonaise voulut l'en empêcher mais la jeune femme l'arrêta d'un sourire : Taka faisait tant pour elle, elle pouvait rendre ce petit service. Oscar s'approcha de l'entrée de la maison, doucement, pensant que le samouraï s'était assoupi. Comme réveillé en sursaut, An-San dégaina son sabre et stoppa la lame à quelques centimètres à peine de la poitrine de la jeune femme, figée !
OSCAR furieuse : mais t'es dingue ou quoi ? On n'a pas idée de sortir son arme à tout vent. Tu as un cerveau au moins ? Tu ne vois pas que je vais chercher de l'eau ? Eh bien si tous les hommes ici sont aussi nerveux…
Elle ne finit pas sa phrase : An-San la regardait incrédule. Il s'était presque endormi …il avait failli tuer cet homme pour un seau d'eau … et maintenant il se faisait traiter de fou ! Il n'arrivait pas à comprendre ce soldat… Quelque chose en lui le gênait… le troublait… mais il était incapable de savoir quoi. Ses yeux pouvaient refléter aussi bien la crainte que la rage de vaincre… pourquoi ? Qui était cet homme ?
OSCAR se répétant en montrant le seau : je vais chercher de l'eau. Tu comprends
AN-SAN jouant le jeu : eau
OSCAR ironique : bien, tu vois quand tu fais des efforts, ça va tout de suite mieux. La prochaine fois évite juste de m'embrocher.
Toujours décidée à accomplir sa tâche, Oscar s'éloigna de la maison en direction de la source qu'elle avait remarqué quelques heures auparavant. Comme elle s'en doutait 'Robert' la suivait à quelques pas derrière sans un mot.
OSCAR : tu as vraiment peur que je m'enfuis ou bien tu crains que je me perde avec la nuit qui tombe ? Bon je suis vraiment lasse de converser tout seul… ça ne te dit pas d'apprendre quelques mots de ma langue ? … tu ne dis rien… comme toujours…
An-San écoutait ce français débiter ses âneries sans sourciller… « Que lui prend-il ? » se demanda-t-il… « il veut faire ami-ami ou quoi ? »… Mais Oscar avait une petite idée derrière la tête : braver les samouraïs ne servirait à rien… il fallait entrer dans leur monde, dans leurs coutumes, dans leur honneur. Apprendre d'eux était la seule chose qu'elle pouvait faire.
OSCAR continuant à discuter comme si le samouraï participait à la conversation : dis-moi Robert, tu as une jolie femme qui t'aime ici ? Ou es-tu encore la jeune pousse qui attend la terre dans laquelle elle se plantera et s'épanouira ?
La jeune femme commençait à pousser son délire un peu loin, pensant que son suiveur ne comprenait rien à son flot de parole elle en profitait pour s'essayer à un nouveau style littéraire. Certes, cela frôlait le ridicule mais au moins cela avait l'avantage de lui amener un rare souffle d'espièglerie dans son cœur.
Pour pimenter un peu cette balade tardive, Oscar décida de joindre l'aventure aux paroles : chaussée de bottes, elle suivit un chemin limite boueux pour rejoindre la rivière. An-San qui la suivait de près avait tous les maux pour se maintenir debout : ses sandales glissaient sans cesse sur l'herbe bourbeuse et faisait son possible pour garder une attitude sereine. La capitaine se retournait fugacement de temps en temps pour contempler ce spectacle jubilatoire, espérant secrètement que le samouraï finisse boueux de la tête aux pieds. Mais forte déception : le jeune homme arriva quasi intact à la source.
OSCAR : eh bien, ce n'est pas facile d'arriver jusqu'ici !
Elle se baissa pour remplir les deux seaux puis tenta de les porter. Malheureusement son épaule blessée lui fit défaut et le second seau se déversa sur le sol en tombant.
OSCAR : nous voilà bien, je ne peux même pas porter ce seau….
Sans comprendre, An-San vit le militaire s'approcher de lui, il posa sa main sur la garde de son sabre, prêt à agir. Mais ce qu'il vit le stoppa : le jeune homme blond le regardait droit dans les yeux avec un rictus moqueur.
OSCAR : dis moi, An-San, tu m'as l'air d'être un grand gaillard. T'es plutôt bien bâti. Tu as l'air fort comme un bœuf… puisque je ne peux pas porter ce seau… Tu vas le porter !
An-San fut sidéré par la proposition, ou plutôt par ce qu'il interprétait comme un ordre : mais pour qui se prenait-il ce français ? Il aurait tant voulu le remettre à sa place, lui dire ses quatre vérités… mais s'il agissait ainsi, il trahissait son secret. Il trouva vite la solution : il fit mine de ne pas comprendre… Malheureusement le blondinet était bien futé, les gestes valent mieux qu'un long discours… moralité, An-San se retrouva le fameux seau à la main sous les yeux bleus, provocateurs.
