Chapitre 16 : Respect
Plusieurs jours s'étaient à présent écoulés depuis le premier entraînement d'Oscar avec les hommes. Tous avaient maintenant pris l'habitude de voir le capitaine français participer à leurs manœuvres et commençaient à le percevoir autrement que comme un ennemi.
Son habileté à l'épée avait sans conteste favorisé son apprentissage de la maîtrise du sabre japonais… du moins le sabre de bois, car jusqu'à aujourd'hui elle n'avait jamais pu toucher un véritable sabre. Le sabre…. L'âme du samouraï… elle comprenait à présent cette phrase que lui avait dit le Général Hasegawa… le sabre est une partie du samouraï… un peu comme son épée faisait partie de la sienne…
Un jour, elle vit Taka, le regard humide, sortir d'une pièce de la maison dont elle n'avait jusqu'alors jamais fait attention. Poussée par une étrange sensation, la curiosité peut être, Oscar pénétra dans ce lieu. Au centre trônait l'armure rouge ! Tout cet espace était dédié à cet homme, le mari de Taka… le père de An-San. Un petit autel sur lequel reposaient quelques offrandes reposait non loin de cette imposante cuirasse. Etrangement, la jeune femme éprouvait à présent du respect pour cet homme disparu, elle s'avança de l'armure vide et s'inclina respectueusement… puis resta quelques instants à méditer dans cette fausse solitude.
An-San, qui s'apprêtait à son tour à rendre hommage à son père défunt, observa cette étrange scène qui se déroulait sous les yeux. Katsumoto avait raison, le français n'était celui qu'il laissait paraître au premier jour… il avait une certaine forme d'honneur, une combativité et même une certaine gentillesse, surtout envers sa mère Taka. En quelques mois, sa haine profonde pour cet homme s'était transformée en une sorte d'estime.
Mais quelque chose n'était pas claire, beaucoup de secrets semblaient graviter autour de ce personnage, en particulier ses combats nocturnes avec des fantômes du passé. Malgré quelques nuits paisibles, il arrivait encore au capitaine de le réveiller au beau milieu de la nuit par des cris déchirants… de son côté, lui, avait pris l'habitude de venir le ramener à la réalité. Il découvrait dans ces moments d'angoisse un homme si jeune et pourtant qui semblait usé par la vie. Il lui arrivait même de se revoir, quelques mois, quelques années plus tôt… quels drames avaient pu déchirer ce cœur ?
Aujoud'hui An-San regardait le jeune homme blond saluer respectueusement le symbole de son père, son armure ; ses gestes semblaient révéler une sorte de paix intérieure. Il fut touché par son comportement, il ne pensait pas qu'il changerait ainsi ; il y a quelques mois à peine, il lui aurait volontiers tranché la gorge … aujourd'hui un respect … non, plutôt une sorte d'amitié, de complicité encore difficile à définir voyait le jour. Le capitaine le troublait étrangement… dès son arrivée dans le village, il percevait cette sorte de malaise perpétuel en sa présence… pourquoi ? Aurait il un jour la réponse ?
Le maître d'armes sortit finalement de sa léthargie. L'entraînement allait commencer. Aujourd'hui, il avait prévu de combattre à nouveau le soldat au sabre : le français était devenu un assez bon sabreur mais An-San voulait effectivement le jauger. Aujourd'hui, Oscar devrait lui montrer de quoi il était vraiment capable…
Les deux combattants prirent position. Oscar fut troublée par l'étrange ambiance qui régnait ce matin… quelques minutes avant le début de l'entraînement, An-San lui avait proposé un petit duel. La jeune femme accepta sans hésitation, excitée par le défi, mais encore plus par l'envie de revanche sur la défaite cinglante qu'elle avait subi quelques jours après son arrivée au camp.
La valse des sabres commença… Au bout de quelques échanges et parades, le maître arrivait toujours à mettre le soldat en échec… c'était le lot de la majorité des samouraïs, au fil des années, An-San était devenu un grand guerrier au sabre, si bien que peu d'hommes pouvaient prendre le dessus en combat singulier.
Finalement, le jeune blondinet, comme certains aimaient l'appeler, se défendait pas trop mal. Certes comme beaucoup il perdait, mais il faisait aussi son possible pour résister à l'instructeur. Tant et si bien que plusieurs hommes arrêtèrent leur entraînement pour observer le combat ; en particulier Nakao, maître du combat à mains nues, qui appréciait particulièrement la technique, pas toujours « conventionnelle », du capitaine français. Au fil des séquences de combat, on entendit même les samouraïs, dont Nakao, parier sur le nombre de coups échangés par les deux adversaires avant la victoire de An-San.
Malheureusement pour le maître parieur, Oscar, son « poulain », lui faisait perdre peu à peu ses quelques pièces… mais plus les duels se répétaient et plus le nombres de coups augmentaient… Jusqu'à ce que, à la stupeur de tous, le dernier combat prit fin… Après plusieurs attaques de An-San, plusieurs parades d'Oscar, la scène se figea… Les combattants se faisaient face, les visages à quelques centimètres l'un de l'autre, les yeux rivés sur l'autre, le sabre tendu… effleurant la gorge de l'adversaire. Silence…… Oscar avait tenu tête au maître d'armes… ils étaient dans une position miroir : même geste, même attaque, même respiration.
« Egalité » murmura-t-on avec stupeur….
