Chapitre 23 : Chevauchée
Oscar regarda André dans les yeux : était-ce un ordre, était-ce un souhait ? Nul n'aurait pu le dire. Elle attrapa la main tendue et se hissa devant le samouraï, ses jambes retombant d'un seul côté du cheval. Sans mot, André glissa sa main derrière la taille de la jeune femme et saisit les rênes de sa monture. D'un mouvement sec des talons, il mit en route l'animal.
Qui était cette femme ? Comment avait elle pu garder sa nature secrète si longtemps ? Il ne savait pas s'il devait être furieux, désemparé ou heureux. Pendant des semaines, il avait été tiraillé par ses sentiments… oscillant entre l'attirance envers Oscar et son dégoût face à ses sentiments honteux. Et puis, il y avait eu ce baiser quelques jours auparavant, baiser qui n'avait cessé de le hanter jour et nuit : ce baiser était une preuve que le soldat éprouvait quelque sentiment pour lui… Haine ou amour ? Que choisir ?
La chevauchée commença en direction de la ville. Le plan d'Oscar était relativement simple : occuper les gardes du palais royal en faisant diversion et s'introduire dans la place pour délivrer Katsumoto. La jeune femme avait profité de la présente de Nakao pour lui exposer son idée : lui et l'ensemble des hommes allaient attaquer l'entrée principale du palais et attirer ainsi le maximum de gardes à leur front. Pendant ce temps, André et elle, se faisant passer pour des visiteurs étrangers, entreraient par la petite porte, la plus proche du lieu de détention du chef, et entreprendraient de le délivrer. Nakao avait convenu avec Oscar que le plan était risqué mais réalisable. Ainsi la jeune femme avait dévoilé ses atouts aux samouraïs, et surtout à André.
ANDRE : alors c'est ça ton plan ?
OSCAR : pardon ?
ANDRE : tu comptes faire quoi habillée comme ça ?
OSCAR : ils me connaissent, ils ne laisseraient pas entrer le capitaine de Jarjayes
ANDRE : et tu crois vraiment que tu réussiras à entrer dans cette tenue… et s'ils te reconnaissent ?
OSCAR : tu crois réellement que les gardes ont détaillé mon visage quand ils m'ont croisée… d'ailleurs toi…. m'aurais tu reconnue ?
Pour la première fois depuis leur départ, Oscar leva les yeux vers le cavalier ; le regard vert fendait l'horizon comme pour chercher une réponse.
OSCAR : alors ? M'aurais tu reconnue ?
ANDRE : je ne sais pas…
OSCAR : bah… ça n'a pas d'importance, une fois Katsumoto libre, Oscar de Jarjayes redeviendra l'homme qu'il a toujours été…
André perçut de l'émotion dans sa voix. Pourquoi ? Qui avait il au plus profond de son cœur ? Il avait le même ressentiment que la première fois où il s'était approché du capitaine endormi, bousculé par ses rêves funestes. Quelle douleur emprisonnait l'âme de cette femme ? Que faisait cette femme dans ce monde d'hommes ? Depuis quelques minutes, l'esprit d'André se torturait de ses questions sans réponse… enfin sans réponse pour l'instant… mais ce n'était ni le lieu, ni le moment… un jour peut être saurait-il la vérité.
Les minutes s'écoulèrent comme décalées de la réalité. Les corps se balançaient au rythme du galop, s'entrechoquant doucement. Oscar fixait désespérément un point au loin, le contact de ce corps masculin près d'elle la mettait plus que mal à l'aise. Elle qui avait toujours agi comme un homme, un homme face à ces guerriers, un homme face à André, venait sans explication de lui révéler le plus lourd de ses secrets. Qu'allait advenir leur relation ? Elle l'avait haï, elle l'avait admiré, elle avait appris à l'aimer… mais l'amour était impossible pour elle… jamais « aimer » ne lui avait été autorisé… Pourtant ce corps contre le sien existait vraiment… ce bras autour de sa taille la serrait réellement. Etait elle condamnée à vivre cet amour secrètement, dans la douleur de son cœur ? Elle aurait tant voulu se blottir davantage dans ses bras, sentir son parfum ambré, réchauffer ses lèvres d'un doux baiser… mais elle l'avait trompé, elle l'avait abusé…lui pardonnerait-il un jour ?
Ne se doutant pas de l'esprit torturé de la jeune femme, André de son côté essayait de comprendre… En un éclair toute sa vie était chamboulée. Chamboulée ? Pourquoi donc ? Certes Oscar était une femme et alors ? Oscar était devenu son ami… il avait appris à l'apprécier…non ! Pas « il » mais « elle » ! Elle ! Une image resurgit alors dans son esprit : le soir, le soir où il l'avait suivie, elle l'avait menée jusqu'aux sources… il l'avait vue, debout, ôtant sa veste… comment n'avait –il pas deviné ? Etait il aveugle à ce point pour ne pas la voir, voir ce qui faisait d'elle une femme. Il l'avait vu sortir de la tente de Nakao : aucun doute n'était permis, Oscar avait bel et bien un corps de femme ! Le kimono épousait parfaitement ses rondeurs trop longtemps dissimulées sous ce grotesque uniforme militaire ! Et sa présence à ses côtés sur sa monture en était une nouvelle preuve ! La fine taille rehaussant les courbes de ses hanches ne pouvait qu'appartenir à une femme, ce parfum délicat et voluptueux, cette peau douce et laiteuse, ses doigts si menus qu'on voudrait les couvrir de baisers…. Oui, en un éclair toute sa vie était chamboulée !
