Chapitre 26 : Retours

Katsumoto et Nakao chevauchaient côte à côte depuis la fin de leur évasion. Le chef de samouraïs abordait à présent les craintes qu'il ressentait depuis sa dernière discussion avec Omura.

KATSUMOTO : « je crains pour les nôtres »

NAKAO : « pensez vous qu'Omura pourrait préparer une quelconque attaque ? »

KATSUMOTO : « j'en suis persuadé… il a parlé avec le militaire français, sans doute un des supérieur d'Oscar… il était question de rassembler toutes leurs troupes »

NAKAO : « une attaque sur le village »

KATSUMOTO : « je l'ignore mais si tel est le cas, nous devons tout faire pour les empêcher de s'en approcher »

NAKAO : « peut être devrions nous éloigner nos gens »

KATSUMOTO : « si nous y sommes contraints, oui. Il faudra leur trouver un nouveau chef »

NAKAO : « à qui pensez vous ? »

KATSUMOTO : « pourquoi pas vous ? »

NAKAO : « je suis bien trop vieux, il faut un homme robuste et plus jeune… je penserai plutôt à An-San »

KATSUMOTO : « oui, An-San serait tout indiqué… »

NAKAO : « on pourrait proposé à Oscar de l'accompagner… »

KATSUMOTO : « Oscar, oui je pense qu'elle a montré qu'elle était digne de rester parmi nous. Nakao, faites les approcher, je voudrais leur parler »

NAKAO : « bien »

Le maître quitta Katsumoto pour se diriger vers le centre du cortège. Au bout de quelques mètres, il rejoignit An-San qui chevauchait les yeux dans le vide, comme absorbé par ses pensées. Nakao engloba ensuite du regard le reste des troupes à la recherche d'Os-San. Il ne la vit pas. Où était elle ? Il se rapprocha alors du jeune samouraï.

NAKAO : « An-San, Kasumoto voudrait te parler ainsi qu'à Os-San »

AN-SAN : « je vais le rejoindre tout de suite »

NAKAO : « as-tu vu Os-San ? »

AN-SAN en se retournant vers l'arrière du cortège : « elle doit être derrière… »

NAKAO : « non… où est elle ? »

AN-SAN oscillant entre l'inquiétude et la fureur : « si elle est partie c'est qu'elle le voulait… tant mieux, notre monde n'est pas le sien… il ne le sera jamais »

NAKAO : « mais tu ne peux pas partir ainsi… elle t' »

AN-SAN éperonnant son cheval pour rejoindre son oncle : « ça m'est égal »

NAKAO attristé, dans un murmure : « pauvre idiot ! »

Nakao voulut partir à la recherche de la jeune femme mais il ne pouvait quitter le cortège sans prévenir et espérait qu'elle reviendrait d'elle-même. Une heure environ s'écoula avant d'arriver enfin au village. Tous furent accueillis par les sourires mais aussi les visages tristes des familles des hommes morts au combat. Le maître vit alors Taka apparaître sur le perron de sa maison, le visage radieux montrait la joie de revoir son fils en vie, mais il remarqua qu'elle cherchait quelqu'un du regard ; était ce lui ? Non… Il croisa son regard triste, interrogateur. Elle n'avait pas eu besoin de parler pour qu'il la comprenne : elle cherchait la jeune française. Un éclair d'angoisse traversa ses prunelles noires… était elle … morte ? Nakao s'approcha alors de la japonaise et lui parla doucement, comme dans une confession : « elle l'a quitté, sans rien dire… ». Une larme brilla alors au coin de son visage, larme que le samouraï recueillit du doigt. « Ne t'inquiète pas, elle est forte… »

Les heures s'écoulaient et personne ne vit réapparaître Oscar. Il commençait à se faire du souci pour elle, sans doute aussi l'attitude de Taka accentuait-elle aussi ce sentiment de malaise. Il se résolut à demander la permission à Katsumoto de partir à sa recherche ; ce dernier accepta sa demande. Le samouraï partit alors sans tarder pour tenter de retrouver la jeune femme.

Le temps fut finalement généreux : il retrouva sa trace à quelques kilomètres à peine du village. La nuit commençait à tomber quand le samouraï aperçut de la lumière dans une veille cabane délabrée, abandonnée depuis bien des années. Il attacha son cheval et reconnut sans difficulté la monture qu'on avait préparé pour elle. Sans doute s'était elle arrêtée ici pour y passer la nuit avant de repartir à l'aube. Il s'approcha de la porte, frappa doucement. N'obtenant pas de réponse, il décida d'entrer. Il la vit : les épaules voûtées, le regard brumeux, les joues rougies par d'innombrables larmes qui avaient du être versées, noyant ses pensées dans le timide feu qui brûlait. Elle ne s'était même pas rendue compte de la présence de l'homme. « Os-San… ». Comme dans un état second, elle releva le visage vers celui qui venait de l'appeler : Nakao.

NAKAO en s'approchant de la jeune femme : « voyons que fait tu ici, toute seule ? »

OSCAR tentant d'effacer ses larmes : « que faites vous ici ? »

NAKAO : « mais je suis venu te chercher »

OSCAR : « me chercher… non, je ne peux venir avec vous, je ne serais jamais comme lui… »

NAKAO un sourire au lèvres : « pourquoi voudrais tu être comme lui… tu es une femme… allons viens avec moi »

OSCAR en se levant brusquement : « non ! Vous ne comprenez pas ! Je ne suis qu'une femme… quand il croyait que j'étais un homme, j'avais une certaine « valeur » mais pour vous, samouraï, la femme est une… »

NAKAO finissant la phrase pour elle : « une quoi ?... une domestique… »

Voyant la honte envahir le visage d'Oscar, Nakao venait de comprendre pourquoi elle l'avait fui : c'était une tigresse et comme tout animal sauvage, elle avait besoin d'être libre… la vie d'une femme japonaise la tuerait !

NAKAO en s'approchant : « qui te dit qu'il exigera cela de toi ? »

OSCAR : « mais vous ? »

NAKAO : « moi ? »

OSCAR : « accepteriez vous une femme pour combattre à vos côtés ? »

NAKAO qui ne put retenir un rire : « ma chère enfant, si je ne me trompe, c'est toi qui a combattu avec nous pour délivrer Katsumoto… l'aurais tu oublié ? »

OSCAR : « non… »

NAKAO : « bien… dans ce cas je te ramène ! »

Alors qu'il allait sortir, il vit les jambes de la jeune femme céder, il fit de son mieux pour la retenir : elle venait de craquer. Elle était visiblement épuisée, physiquement et psychologiquement. Alors sans geste brusque, il la porta jusqu'à son cheval, l'installa de mieux qu'il put et grimpa avec elle. Dès les premiers pas vers le retour, elle s'endormit.