Chapitre 29 : Champ de Bataille

Les yeux verts s'ouvrirent peu à peu sur l'obscurité. Le jour avait pris fin et la nuit avait pris possession des lieux. Il voulut se lever mais un engourdissement dans le bras l'en empêcha. Il venait de réaliser, de se souvenir… il baissa les yeux et aperçut cette magnifique chevelure blonde, entendit le souffle calme et régulier d'Oscar. Ils avaient fait l'amour, ils s'étaient donnés l'un à l'autre dans un mélange de fougue et d'extase. Comment ce bout de femme pouvait-il cacher tant de secrets, tant de force, tant de plaisir ? André se décida pourtant à la déranger : il devait se lever, réfléchir à tout cela : à la guerre, aux villageois… à Oscar. Il la dégagea aussi délicatement que possible, se redressa et attrapa son kimono pour se couvrir. Il sortit aussi discrètement de la chambre que possible et se dirigea vers la pièce qui abritait l'armure rouge de son père. « Pourquoi a-t-il refusé que je les accompagne » pensa-t-il tout haut.

« Sans doute pour vous protéger »

André se retourna et aperçut la silhouette de Taka, sa mère, apparaître dans l'embrasure de la porte.

ANDRE : « je n'ai pas besoin qu'on me protège, il n'avait pas le droit de me laisser à l'écart »

TAKA : « ce combat n'est pas le vôtre… c'est celui du peuple japonais… Katsumoto voulait que tu aies une chance de vivre heureux avec elle »

ANDRE : « a-t-il seulement pensé un instant à ce que nous voulions, nous ? »

TAKA : « tu es injuste, mon fils, trop d'hommes ont déjà perdu la vie dans ces combats, il ne voulait pas qu'il en soit de même pour vous deux »

ANDRE : « je refuse… »

« Moi aussi ! »

André et Taka se tournèrent : Oscar avait enfilé le kimono de son amant et tenait son wakizashi dans sa main.

OSCAR à André : « aide moi à enfiler ton armure et nous partons »

Elle ne plaisantait pas. C'était le capitaine qui parlait, qui donnait l'ordre ; seul son regard doux de femme aimante trahissait son cœur. Le samouraï rejoignit sa compagne dans la chambre et l'aida à revêtir son armure sombre ; puis il enfila à son tour l'armure rouge de son père.

Une fois prêts, le jeune couple rassembla ses affaires et quelques provisions pour le voyage. Ils prirent le temps d'embrasser affectueusement Taka qui les laissa partir sans un mot, un timide sourire qui se voulait rassurant sur le visage. « Pourvu qu'ils reviennent vivants » pensa-t-elle.

André n'eut pas besoin de parler pour que sa femme connaisse ses intentions : rejoindre Katsumoto et leurs compagnons d'armes et combattre à leurs côtés l'armée impériale.

ANDRE : tu es sure que c'est ce que tu veux ?

OSCAR: comment peux-tu encore me poser une telle question… si tu crois pouvoir te débarrasser de moi aussi facilement…

André ne put résister à l'envie de l'embrasser : il l'aimait à la folie, maintenant il en était certain. En quelques heures il avait découvert en Oscar bien plus qu'un vaillant guerrier : une femme magnifique, courageuse, audacieuse, fougueuse, amante. Il savait qu'il ne pourrait pas la persuader de rester auprès de Taka, à l'abri. Quelques minutes plus tard, les deux cavaliers prenaient la route vers leur destin.

………………..

Attention ! Scènes Dures ! Certains passages pourraient choquer les jeunes lecteurs !

Après de longues heures de chevauchée, Oscar et André se résolurent à faire une pause et à prendre quelques heures de sommeil : ils ne pouvaient pas prendre le risque d'arriver épuisés au combat. Ils trouvèrent un endroit abrité, une sorte de cavité à flanc de montagne qui les protègerait pendant la nuit. Ils débarrassèrent leurs montures de leur équipement et enlevèrent leurs armures respectives qu'ils déposèrent dans leur abri. Oscar partit ramasser quelque petit bois tandis qu'André installait une sorte de nattes près du foyer, l'une contre l'autre.

Une fois leur rapide repas pris, ils s'allongèrent, Oscar au creux de l'épaule de son amant. Ils s'endormirent ainsi, après un simple baiser, l'heure n'était pas aux ébats mais au repos, ils auraient voulu oublier un temps encore la guerre mais c'est avec Oscar sur sa poitrine qu'André s'endormit dans un dernier sommeil serein.

A l'aube ils reprirent leur route vers le champ de bataille. Ils voyagèrent encore deux jours avant d'atteindre leur but. Plus aucun homme ne combattait en ce lieu. Lieu de désolation, de mort… Un charnier ! Plus aucun être ne semblait avoir survécu en cet endroit. Les chevaux marchaient à travers des corps ensanglantés, d'autres décapités ou éventrés. Oscar eut un haut le cœur et ne put empêcher son corps de réagir violemment au terrible spectacle macabre.

ANDRE : Oscar ? Tu tiendras le coup ?

OSCAR en s'essuyant le visage : oui, ne t'inquiète pas

André observait, par quelques coups d'œil discrets, le visage blafard de sa compagne. Même si elle essayait de cacher son dégoût, il percevait dans son regard une lueur sombre : ce spectacle, elle l'avait déjà vécu, en un autre lieu en un autre temps. A présent il comprenait ses cauchemars : comme lui, elle avait subi les affres de la guerre, les morts, les disparitions, les blessures. Pour leur malheur, ils allaient revivre cela une nouvelle fois.

Ils avancèrent encore, s'enfonçant davantage dans le carnage humain. A chaque pas, de nouveaux morts, beaucoup de soldats et malheureusement trop de leurs compagnons samouraïs également. André et Oscar reconnaissaient des visages amis et les larmes, trop longtemps retenues coulèrent sans bruit sur les joues de la jeune femme. Le jeune homme tendit la main vers ce doux visage pour en recueillir quelques unes.

ANDRE doucement : ça va aller ?

D'un signe de tête, Oscar lui affirma que oui ; elle prit une grande inspiration et d'un coup de talon fit de nouveau avancer son cheval. Ils marchèrent ainsi pensant quelques mètres, puis s'arrêtèrent à nouveau : une large partie du champ de bataille était littéralement calcinée. Le sol était carbonisé et les corps étaient totalement brûlés, impossible de faire la distinction entre la peau et le tissu rongés par les flammes. Que s'était il passé ? Où était le reste des samouraïs ? Aucune vie n'avait été épargnée !

Résignés les cavaliers poursuivirent leurs investigations macabres : il n'y avait plus de combat à mener… la bataille était finie… ils étaient arrivés trop tard ! Mais dans une pensée silencieuse, Oscar et André comprirent que cette plaine aurait certainement été leur tombeau également. Ils auraient sans aucun doute combattu vaillamment mais seraient tombés comme tous leurs compagnons, face au nombre, face aux armes à feu et aux canons. Ils avaient survécu mais pourquoi ? Pourquoi survivre à ces atrocités ? Combien de cauchemars ? Combien de regrets après cela ?

Le visage ravagé par la tristesse, l'ancien capitaine français et le samouraï traversèrent toute cette étendue de désolation. Ils finirent par franchir une petite colline qui, malheureusement, offrait le même tableau… sauf que… à quelques centaines de mètres de là, se détachait une silhouette, un cavalier. Ami ou ennemi… ils ne sauraient dire. André lança son cheval au galop, le sabre prêt à pourfendre l'air, Oscar le suivait à quelques pas. Quand ils arrivèrent enfin à la hauteur de l'homme, ils le reconnurent sans l'ombre d'un doute Nakao…malgré les blessures et le visage exténué… le samouraï était en vie.

Certes en vie, mais dans quel état…. Il avait ôté son armure, tout son corps était couvert de sang et de terre, son kimono était déchiré à de nombreux endroits et plusieurs bandages succincts apparaissaient sous l'étoffe. En voyant approcher les deux jeunes gens, il ne put s'empêcher de sourire, mais pas de joie, aucune joie n'éclairait son visage, preuve en étaient les larmes silencieuses qui naissaient dans son regard ravagé.

NAKAO: « inutile d'aller plus loin… il n'y a rien par delà cette colline »

OSCAR: « mais les autres ? »

NAKAO les prunelles noires voilées : « il n'y a plus personne d'autre… »

Le maître n'en dit pas plus…Oscar et André avaient compris que les autres n'avaient pas survécu à la terrible bataille…ni Katsumoto. Le cheval de Nakao passa devant eux, rebroussant chemin vers les montagnes qui abritaient le village. Sans un mot, ils le suivirent, la tête basse, le cœur empli de tristesse. Que c'était il passé ? Pourquoi Nakao était il toujours en vie alors que tous les autres étaient morts ? Aucun, ni Oscar, ni André, n'osa poser la question.