La première surprise de la soirée, ce fut Jermaine qui passa à Havenhurst. Il me salua comme si nous étions de vieux potes : il me donna une bonne tape dans le dos à vous faire tomber par terre : « Alors, ça va? »
Il s'était un peu disputé avec sa femme, Hazel, et avait l'intention de rester quelque temps dans la propriété.
La deuxième surprise, c'était que Katherine et Joseph avaient un dîner important (d'après ce qu'ils nous ont dit), laissant Jermaine s'occuper de nous.
Nous nous emballions trop vite : le problème de Jermaine, c'est qu'il avait – très – légèrement tendance à faire son petit chef à la place de son père : « Marlon, Michael, Randy ! Eteignez cette putain de télé et allez jouer dehors ! Vos p'tits cerveaux ont besoin d'air pur, il me semble !
-Ouais, dis plutôt que tu voudrais qu'on te laisse regarder seul tes films, pour le moins louches…
-Allez, Jermaine, soit cool ! C'est le meilleur moment du film ! »
Janet, moi et La Toya observions la scène depuis la cuisine, où nous aidions la bonne à mettre la table. On rigolait discrètement.
« -'Veux pas l'savoir ! Du balais, maintenant, c'est à mon tour de regarder ce que je veux ! Je.. » A notre grande surprise, Jermaine stoppa net sa phrase. Randy, Marlon et Michael nous rejoignirent en pouffant. La Toya leur demanda : « Qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi on l'entend plus ? Qu'est-ce qu'il regarde à la TV ?
-Ben, en fait, il vient de voir l'héroïne du film, une nana en minijupe avec des melons comme ça ! » répondit Randy.
« -Ouais, ça fait du bien, un peu de silence ! » renchérit Marlon. La Toya sourit : « Tu m'étonnes ! Au fait, vous arrivez à pic, on va manger ! »
Pendant le repas, les garçons ne cessèrent de se moquer de Jermaine : « Ooouh ! Hazel va être jalouse !
-Pff ! N'importe quoi, eh ! »
Evidemment, ça dégénéra et ça finit en bataille de spaghettis au beurre – noir, hahahaha ! -
La bonne était furieuse : « Regardez-moi ça, que vont dire vos parents !
-C'est rien, on va nettoyer !
-Parle pour toi, Jermaine !
-Eh, c'est vous qui avez foutu tout ce bordel ! Vous devez tout laver !
-Ouais, mais comme on est sous ta responsabilité, c'est de TA faute si on a mit le bazar !
-Reviens ici tout de suite ! » Ils courut à l'étage en poursuivant Marlon : « Tu vas voir, si je t'attrape !»
Pour finir, tout le monde aida la bonne à tout ramasser sauf ces deux-là.
Puis, après avoir soigneusement retiré toutes les pâtes de mes cheveux – 'faudra qu'je m'fasse un shampooing, demain matin, moi – beurk ! – je me mis en chemise de nuit.
Je m'apprêtais à me coucher lorsque l'on frappa à ma porte. « Oui ? »
En entrant et en me voyant sur le point de me glisser dans mes draps, Michael soupira : « Mais c'est incroyable, l'heure à laquelle tu te couches !
-Ben oui, j'ai l'habitude de me coucher tôt ! » Il m'observa encore pendant un instant et dit : « Tu veux absolument dormir maintenant ?
-Ca dépend…pourquoi ? » Il eut l'air hésitant :
« -Ben…j'aurais voulu qu'on se promène un peu…tous les deux…dehors…
-Ouais, ça marche ! Euh…tu veux peut-être que je me rhabille ?
-Oh…non, c'est pas la peine, il fait encore bon…il n'est pas tard, tu sais !
-Okay…je vais quand même mettre des chaussures – ben ouais, hein ! Tout de même ! »
En passant devant le salon, nous fûmes interpellés par Jermaine qui regardait la télévision : « Hey, les tourtereaux ! On peut savoir où vous allez ?
-Dehors. » répondit Michael, comme si ça ne se voyait pas.
« -Tu ne m'as pas demandé mon autorisation !
-Ben, j'en ai pas besoin ! » répondit-il d'un ton sans réplique en ouvrant la porte.
Lorsque nous fûmes dehors, je lui dis : « Tu ne crains pas qu'il raconte à tes parents que tu es sortis sans autorisation ?
-Mais je n'en ai pas besoin ! Jermaine exagère ! Même Joseph aurait accepté que je sorte !
-Je vois. »
Il me prit la main et nous nous promenâmes en faisant le tour des bâtiments. Il faisait encore jour, à sept heures et demie du soir, mais un peu plus frais, ce qui était tout de même plus agréable qu'au milieu de la journée, à plus de trente degrés ! Nous marchions silencieusement. Michael me dit : « La fois où on a regardé un coucher de soleil, au parc, tu m'as dis que tu n'aurais jamais pensé faire ça avec un garçon, tu te souviens ?
-Oui, c'est exact.
-Je suppose que ça un rapport avec ce Joffrey ?
-Oui.
-Tu peux m'expliquer ?
-Pff…c'est pas facile à expliquer comme ça, ça serait bien plus simple si tu pouvais lire dans mes pensées !
-D'après ce que je sais, je ne pense pas avoir ce pouvoir…
-Hélas !
-Essaies de décrire ce que tu ressens… »
Je réfléchissais, essayant de me concentrer sur mes sentiments : « Eh bien…Joffrey…je t'ai raconté ce qui c'était passé…ça a bloqué quelque chose en moi…je ne veux plus embrasser et encore moins avoir des relations sexuelles…cela fait que je ne peux pas avoir de relations normales avec un garçon !
-Pourquoi ?
-A ton avis ! De nos jours, enfin je veux dire, de mes jours – quoique ce n'est pas si récent – si une fille sort avec un mec, celui-ci exigera d'elle au minimum qu'elle l'embrasse et tout ! Moi, je ne peux pas…
-Hum ! Tu ne veux pas !
-Ouais, t'as raison…donc, à cause de ça, je reste désespérément célibataire ! Je passe pour une coincée (remarque ; je le suis !) et, dans certains cas, pour une homosexuelle !
-A ce point !
-En fait, j'en sais rien. Mais, suivant la logique super logique des mœurs de mon époque, y en a qui doivent sûrement penser : si elle n'est pas attirée par les garçons, c'est simple, elle est forcément attirée par les filles !
-Tu crois vraiment ?
-J'sais pas, j'espère que je me trompe…mais, des histoires comme ça, ça va t'arriver !
-Ah ouais ?
-Ouais ! Dans…trois ou quatre ans ! Tu auras une voix douce et tu ne sortiras avec personne…les médias en concluront que tu es gay !
-Les médias sont idiots, c'est pas pareil ! Mais si des gens te croient vraiment homosexuelle, alors laisse-les ! Dans leur délire ! Puisque toi, tu connais la vérité, alors rien ne peut t'atteindre !
-Tu as raison…mais, toi aussi tu m'as dis ça, que tu ne croyais pas passer une soirée comme ça avec une fille ! Tu as aussi une mauvaise opinion du sexe opposé ?
-Non. Pour être sincère, c'est plutôt des relations amoureuses dont j'ai une mauvaise opinion. Tu sais…ma mère et mon père…Diana Ross et Berry Gordy…tous les couples que je connais sont malheureux, les femmes sont battues, soumises. Il y a aussi, comme tu dis, le sexe omniprésent dans la relation homme / femme. Et comme j'en suis, comme toi, dégoûté pour les raisons que tu sais…Je crois que je confonds amour avec violence… » conclut-il avec un petit rire forcé.
A cet instant, j'eus un peu peur…j'eus peur qu'à cause de cette confusion, il ne puisse jamais tomber amoureux de sa vie. Je lui expliquais : « Michael, il ne faut pas te fier à ça. Tous ces couples que tu vois se déchirer ne sont pas de bons exemples…je n'ai malheureusement pas beaucoup d'expérience dans ce domaine-là, mais je pense que l'amour peut-être beau… »
Il ne me répondit pas, mais il serra un peu plus ma main. Nous continuâmes à marcher jusqu'à un arbre gigantesque. Je fus un peu étonnée : « Pourquoi tu t'arrête ici ? » Me lâchant la main, il s'approcha de l'arbre et me sourit : « On va l'escalader !
-Quoi !
-Oui, on pourra mieux admirer ce coucher de soleil, de cette façon ! » Et sur ces mots, il commença à escalader le tronc.
« -Mais…je ne sais pas grimper aux arbres, moi ! » lui dis-je
« -Ce n'est pas très sorcier, regarde-moi !
-…En plus, je suis en chemise de nuit ! » Il soupira en me regardant avec un sourire : « Je vais t'aider ! »
Il se mit à cheval sur une grosse branche et me tendit la main : « Allez, un petit effort…je t'assure que ça vaut le coup ! » Il se mit à me tirer par la main pendant que je m'acharnais à grimper sur le tronc, mais les talons aiguille n'étaient pas vraiment faits pour ce type d'exercice. « Enlève ces chaussures ! » soupira Michael. Je m'exécutais et me retrouvais bientôt les orteils agrippés à l'écorce rugueuse de l'arbre.
Au bout de quelques instants, j'arrivais à la hauteur de Michael et il passa ses bras sous les miens pour me hisser sur la branche. Une sensation de pur bonheur me traversa le cœur, comme la première fois qu'il m'avait enlacée, juste avant de monter sur scène. Ca me faisait tout bizarre de sentir ses mains croisées sur mon dos, ses bras autour de moi…Vous rendez-vous compte ? C'était quand même Michael Jackson !
Nous nous installâmes tant bien que mal sur cette branche, située quand même à environ quatre ou cinq mètres du sol. Je ne supportais pas de sentir mes pieds dans le vide : « J'ai le vertige !
-Ne regardes pas en bas… » Il me prit la main : « Regarde plutôt l'horizon ; c'est si beau ! On dirait presque un tableau, tu ne trouves pas ? » Il avait raison, à cette hauteur, on avait une vue splendide.
Il me demanda ensuite, un peu hésitant : « Est-ce qu'on parle de toi dans mes biographies ?
-Non…pas du tout.
-Ah bon…c'est bizarre, non ? » C'est vrai. Si j'avais rencontré Michael Jackson dans son adolescence, cela aurait dû être mentionné quelque part, non ? Or, même La Toya Jackson, mon amie et confidente, n'écrivait pas une seule fois mon nom dans son autobiographie. Bizarre...
« -Peut-être que vous ne vous rappellerez plus de moi ? Peut-être…que je ne vous ai pas marqué…je suis une fan comme une autre. » risquais-je.
« -Ne sois pas ridicule, tu es une fille géniale, quand on te connaît ! Tu… » Il sembla soudainement perdre tout intérêt pour sa phrase et en commença une autre : « Tu sais…c'est moi qui ai écouté à la porte de La Toya, hier.
-Toi ! Pourquoi ? Nous, on pensait que c'était ton père !
-Non, c'était moi…enfin bref. Je voulais te dire que… »
Juste à ce moment, une petite voix dans ma tête fit : « Il va me dire qu'il m'aime, il m'aime ! » et une autre me criait le contraire : « Mais non ! Pff, n'importe quoi ! Sois un peu réaliste, il ne peut pas t'aimer ! Il ne peut pas t'aimer ! Tu es bien trop quelconque, bon sang ! »
Pendant que ma conscience se disputait avec elle-même, Michael continua : « La Toya avait raison à mon propos, je veux dire que je ne te déteste pas…en fait, je crois plutôt que je t'aime… »
Ces deux derniers mots résonnèrent dans mon esprit jusqu'à ce qu'enfin, je comprenne leur sens. Je fus envahie d'un profond sentiment de joie, d'extase presque – quoi, lui la célébrité m'aimait ? Moi, la gamine un peu bizarre ! – et je ne pus que balbutier : « Aah…ah bon. »
J'vais vous dire un truc : ce que les bô films d'amour ne disent pas, c'est la gêne incroyable que vous avez lorsqu'on vous déclare sa flamme. Vous avez l'impression d'un poids énorme ; tout repose sur vous, et c'est à votre tour de répondre, mais attention, pas n'importe quoi ! Le vrai mot, c'est ça : vous avez honte d'être aimé, surtout si vous vous imaginiez inintéressant. Alors là, c'est pire ! Si l'on vous dit qu'on vous aime, c'est qu'on vous trouve quelque chose de bien, justement, non ? Alors que répondre dans ces cas-là ? « Je ne suis pas si moche que ça, alors ? » ? Hem-hem !
Toujours est-il que, voyant que je n'avais pas d'autre réaction qu'un sourire béat, Michael me demanda : « Lucile ? » J'adorais l'entendre dire mon prénom. Il le disait avec son accent américain, et prononçait ça « Louciile ». J'trouvais ça chou. « Tu m'aimes toujours ?
-Oui, bien sûr, Mike ! Mais…je suis désolée, mais…je n'y crois pas ! Pourquoi moi ! Je…toutes ces belles filles…qui ont ton âge…qui suis-je, au juste, pour m'imposer dans ta vie ? J'ai…un peu du mal à comprendre… » Je me mis à pleurer. Il m'attira vers lui et me prit dans ses bras : « Ecoute, je n'ai jamais été vraiment amoureux, je ne veux pas te mentir en te disant ce que je ne suis même pas sûr de ressentir…peut-être que ce n'est qu'une amitié très forte, mais…tu m'attires ; il y a un petit quelque chose en toi qui me passionne…tu es gentille, mignonne, drôle, attendrissante…
-Merci…mais je crains que ce soit dur pour nous de nous aimer…
-Pourquoi ?
-Réfléchis ! Je ne voudrais jamais t'embrasser, ne le prends pas mal…de plus, tu sais d'où je viens…
-Du futur, oui, je sais.
-Ca signifie, Mike…tu as vingt-neuf ans de plus que moi.
-Je sais…mais pourquoi tu m'aimes, toi ? C'est vrai, quoi ! Tu te compliques la vie à m'aimer, moi, qui ne suis plus de ta réalité, aussi hors d'atteinte que tu m'as décris…alors, pourquoi ?
-En fait, j'en sais rien ! Enfin, si, je sais mais, c'est très difficile à expliquer ! C'est comme toi, je pense…il y a ce…petit truc en toi, qui te rend irrésistible…lorsque Joffrey m'a quitté, j'étais tout à coup devenue si malheureuse que je ne voulais même pas entendre parler d'amour. C'est à ce moment que je t'ai « connu ». Et là, tu m'es apparu tel un dieu. Je t'ai immédiatement trouvé parfait physiquement – il rougit – et, en étudiant ta vie, j'ai découvert que tu possédais la personnalité que je recherchais chez un garçon. Tu es gentil, tu as de l'humour fin, tu es doux, timide, et du charisme…tellement que ça se sentait même sur tes photos ! Et ça, Mike, ça n'existe plus des caractères comme ça…Je suis tombée sous ton charme, tu m'as complètement envoûtée. Tu étais l'âme sœur ! Exactement la personnalité qui me correspondait…
-Seulement voilà, je n'avais plus ton âge depuis longtemps. » termina t-il. J'acquiesçais.
Je réalisais ma chance et me serrais contre lui, pleine de joie de vivre : « Je suis si heureuse d'être avec toi, tu ne peux pas savoir ! »
Il me parla des baisers, me disant qu'il ne m'obligerait pas à faire quelque chose contre mon gré.
« Mike » lui dis-je « peut-être qu'avec toi… » Je n'eus pas besoin de lui en dire davantage. Il me regarda en réfléchissant et me dit : « Tu accepterais que je t'embrasse ?
-Ben…juste une fois. » Il s'approcha alors de moi et, doucement, déposa un petit baiser sur mes lèvres. J'avais fermé mes yeux. Je passais les doigts sur ma bouche : « Michael…tes lèvres…
-Oh, s'il te plaît, ne dis rien sur mes lèvres, sinon je vais rougir ! » dit-il en rigolant.
Nous décidâmes de descendre avant de ne plus rien y voir et que ça devienne dangereux. Il descendit en premier avec une agilité déconcertante et m'aida ensuite à descendre les derniers centimètres en me prenant par la taille.
Puis, tranquille, nous repartîmes vers la maison, main dans la main.
Croyez-moi si vous voulez, mais ce fut la plus belle soirée de toute mon existence.
