Lorsqu'ils furent partit et que Michael fut dans une autre pièce, Jeff ne perdit pas de temps : il m'entraîna dans ma chambre, verrouilla la porte et me donna les « explications » en chuchotant : « Bien, Joseph a tout prévu pour que ça se fasse aujourd'hui même, comme tu as pu le voir… » dit-il avec un petit sourire.
« -Je ne veux pas ! » répliquais-je
« -Tu ne vas pas recommencer ! De toute façon, tu es obligée. Soit tu le fais, soit tu vires d'ici définitivement, t'as entendu le chef ! Et puis il m'a demandé de m'assurer que le travail serait bien fait… » dit-il en se retenant de sourire, mais d'un air fort enjoué. J'étais dégoûtée : « Tu ne vas quand même pas rester à admirer la scène, quand même !
-Bien sûr que non…il y a d'autres moyens… » fit-il d'un air mystérieux. « Bon, cessons le bavardage inutile, j'ai mis au point un plan : Voilà, j'ai observé Micky et j'ai demandé des renseignements à son père : à cette heure-là, il ne devrait pas tarder à se doucher. Alors, quand il aura fini, je viendrais le chercher. Il faudra que j'y aille au bon moment, il faut qu'il soit encore à poil. Je le prendrais par surprise… »
J'eus un instant d'intense espoir : « Et s'il verrouille, comment tu fais ? » lui lançais-je avec un grand sourire.
« -On y a pensé. Il se trouve que le verrou en question s'est accidentellement…cassé ! » répondit-il d'un air faussement innocent. Mon sourire s'effaça, mais ma bouche resta grande ouverte. Satisfait, il continua : « Donc, pendant que j'irai le chercher, toi tu iras dans sa chambre. Je l'y ferais entrer et tu commenceras à te déshabiller… » Je cachais mon visage dans mes mains. « …et je ne m'en irai que lorsque tu auras retiré ta chemise ! »
Je ne cessais de répéter : « Oh, mon Dieu, mon Dieu… » c'était donc réel. Ca allait vraiment arriver…Mon cœur cognait douloureusement contre ma poitrine, j'avais une boule dans la gorge. Mes mains, appuyées contre mes yeux et mon front, étaient moites… « C'était ton idée, le coup du strip-tease ? » réussis-je à articuler.
« -Ouais ! »
Je me mis à respirer profondément pour essayer de me calmer, mais rien à faire.
« N'en fais pas tout un plat…je suis sûr que, tous les deux, vous allez adorer ! » me dit-il, provoquant chez moi une montée de larmes. Constatant qu'il aurait mieux fait de se taire, il se rattrapa : « Et puis, c'est pour le bien de Michael ! » Il m'expliqua rapidement que, si j'y allais doucement, ça ne lui ferait aucun mal, physiquement comme psychiquement. Ecoutant tout cela avec la nausée, je me dis qu'il avait peut-être raison. J'essayais de ne plus penser à mes propres craintes de douleur, de grossesse et le reste, et de ne penser qu'à Mike. Et si c'était réellement pour son bien ?
Une chose me bloquait encore cependant : Michael lui-même. Le corps des hommes me faisait peur. Je ne voulais pas voir Mike nu, je voulais encore garder cette image saine que j'avais de lui. Je ne voulais pas non plus voir sa surprise, ou sa douleur, enfin bref sa réaction en me voyant dans sa chambre. Non, je ne voulais rien voir. Je voulais devenir aveugle.
« Jeff, je peux te demander un service ? » Il me regarda et me fit un signe de tête interrogatif. « Bande-moi les yeux. »
Une fois qu'il m'eût bandé les yeux avec une bande de tissu noir, je n'eus pas le temps de paniquer : j'entendis Jeff déverrouiller la porte et l'ouvrir. Deux secondes après, il me tira par le bras en me disant : « Vite, j'entends la douche ! C'est le moment ! » Comme je marchais à l'aveuglette, mes pas étaient hésitants et j'étais extrêmement lente. Jeff fini par me prendre en sac à patates sur son épaule pour descendre l'escalier plus vite.
Mes pieds heurtèrent une porte. Elle s'ouvrit. Jeff fit quelques pas et me posa debout sur le sol.
« Bien, nous y sommes. » chuchota t-il « Il faut attendre qu'il ait fini de se laver. » Nous attendîmes. A un moment, je le sentis prés de moi : « N'oublies pas d'enlever ta chemise…avec ce que tu as là-dedans… » Et, sans gêne, il posa sa main sur ma poitrine. Je le giflais. Avec le bruit sec qui résultat de mon geste, j'en conclus que je ne l'avais pas raté. Je ne m'étais pas encore aperçue que le bruit de la douche avait cessé.
Les pas de Jeff s'éloignèrent devant moi, une porte s'ouvrit et se referma. J'étais seule dans la chambre de Michael. Impossible de reculer. La prochaine fois que j'allais franchir sa porte, désormais, je l'aurais fait.
Je m'étonnais du silence pesant de la pièce.
J'entendais vaguement les voix provenant de la salle de bain, mais j'étais bien trop tendue pour y faire attention. Je m'étais attendue à des cris de la part de Michael. Il n'y en eut aucun.
Ma gorge se resserra lorsque j'entendis la porte s'ouvrir. Jeff passa à côté de moi en continuant à parler à Mike : « A partir de maintenant, elle est à toi, tu en fais ce que tu veux. » Il y avait de la déception dans sa voix. Il posa quelque chose de dur sur une table puis ses pas se dirigèrent vers la sortie, derrière moi. Sa voix s'éleva de nouveau dans la pièce : « Au fait, Mike, ne lui en veux pas. Elle n'est pour rien dans cette affaire. Elle est juste arrivée au mauvais moment… » La porte s'ouvrit et je compris que cette dernière phrase m'était destinée : « Vas-y. » La porte se referma.
Alors, les mains tremblantes, je commençais à déboutonner ma chemise. Je ne savais pas du tout à quel endroit de la pièce était Michael. Je me dis que je préférais mieux ne pas le savoir, étant donné le fait qu'il était nu. Le dernier bouton enlevé, j'hésitais un moment. Une larme coula de mes yeux. Finalement, ne pouvant plus tenir sur mes jambes tremblantes, je m'agenouillais par terre, retirais ma chemise et la posais quelque part à côté de moi. Je ne me repérais qu'à l'ouïe et aux éventuels courants d'air qui indiquaient un déplacement. Michael ne faisait aucun bruit, je ne distinguais aucun geste et je ne savais toujours pas où il était. Mes doigts se posèrent sur les bretelles de mon soutien-gorge. Devais-je continuer ?
Je me rappelais les paroles de Jeff : « Avec ce que tu as là-dedans…c'est pour son bien… » Mes larmes coulaient. Le bandeau en était tout humide et me collait aux joues. Avant que je ne me décide à abaisser les bretelles de mon soutif, la voix de Michael me fit tressaillir : « Arrête ! Ne retires plus rien…tu te fais du mal. » La voix provenait de devant moi, d'un mètre ou plus environ. De toutes évidences, il était lui aussi paralysé. Contrastant avec ce moment de tension intense, la voix douce et rassurante de Michael me fit perdre mes moyens et je sanglotais pour de bon. Je l'entendis s'approcher de moi. Je pensais qu'il allait m'enlacer, car je sentis un courant d'air au niveau de mes épaules, signe que ses bras étaient proches de mon visage, mais un tiraillement de mes cheveux m'apprit qu'il s'en prenait au nœud de mon bandeau : « Tu n'as pas besoin de cela. » Quelques secondes plus tard, le contact humide du foulard sur mes yeux cessa et je recouvrais la vue. Michael était à genoux devant moi, balançant le tissu noir à l'autre bout de la pièce. Il me regarda. Son torse maigre était nu…mais il portait un jean.
« Je suis désolée ! » pleurnichais-je
« -Ce n'est pas de ta faute… » répondit-il avec un petit sourire forcé.
Sa gentillesse et sa délicatesse me rendaient encore plus triste. Je culpabilisais terriblement : « Je n'aurais jamais dû essayer de te rencontrer ! Sans cela, nous n'aurions pas d'ennuis en ce moment ! C'est tout ce que je suis capable d'apporter ! »
Il resta un moment silencieux, immobile, regardant la chemise que j'avais posée à côté de moi, puis il demanda tout bas : « Toi, est-ce que tu as envie de le faire ? »
Je hochais la tête négativement : « Mais si c'est pour ton bien, alors…
Eh bien moi non plus je ne veux pas. » coupa t-il. Il s'était encore rapproché, alors je mis mes bras autour de son cou et posais ma tête sur son épaule : « Je ne veux pas te faire de mal, tu sais ! » dis-je dans un sanglot. Il entoura mon dos de ses bras et mit sa tête dans mon cou.
Je me laissais aller à pleurer, troublée par le contact rassurant de son torse nu contre le mien, de ses bras dans mon dos, de sa tête dans mon cou, de ses jolis cheveux frisés encore humides, de ses mains sur mes omoplates, de mon menton sur son épaule, de la délicate odeur du savon avec lequel il venait de se laver, de son cœur qui battait contre ma poitrine.
Mes pleurs se calmèrent enfin. Nous restâmes plusieurs minutes ainsi, tous les deux à genoux, l'un en face de l'autre au milieu de la pièce, enlacés, profitant du contact de l'autre, de la chaleur de nos peaux, de leurs odeurs, sentant l'autre torse bouger lentement au rythme de nos respirations, sentant les battements tranquilles du cœur de l'un et de l'autre cogner sur notre thorax, caressant parfois la peau du dos, ou les cheveux.
Peau noire, peau blanche, cheveux noirs bouclés et humides, cheveux clairs raides et secs, masculin, féminin, propreté due à la douche récente, transpiration légère due au stress, star et groupie, passé et futur. Tout se réunissait lors de ce moment magique, où l'on écoutait la gracieuse mélodie du silence, où parfois résonnait un soupir ou les battements de deux cœurs en parfaite harmonie. La pièce même en devenait spéciale. Le temps, les secondes, les minutes, les heures, n'existaient plus. Il me semblait que tout s'était figé. Depuis combien de temps étions-nous ainsi dans les bras l'un de l'autre ? Je n'en avais aucune idée et je m'en fichais. Seul comptait pour moi ce jeune homme, redressé sur ses genoux, en face de moi, dont je sentais le souffle sur ma nuque, les bras dans le dos, la poitrine contre la mienne, et dont chaque battement de cœur envoyait un peu plus de magie dans mes veines.
Dehors, le soleil baissait dans l'horizon, mais ses rayons passaient toujours par la fenêtre. Quelquefois, Michael replaçait doucement ses mains dans mon dos. Je réalisais sans surprise que je n'avais pas besoin de contact sexuel pour m'envoler. Cette rupture dans le temps était indéfinissable. Je mourrais et je renaissais en même temps. Que forment le passé et le futur lorsqu'ils fusionnent ensemble ?
Le présent.
