Au bout d'un moment, Michael finit par se reculer un peu de mon cou, et tous les deux nous dégageâmes de notre étreinte. On se regarda et sourit timidement. Michael essuya une larme qui avait séché sur ma joue avec son doigt et nous nous mîmes à rire un peu. Puis il se leva, m'aida à me lever, ramassa ma chemise et me la donna. Pendant qu'il cherchait un T-shirt à mettre, j'enfilais ma chemise en regardant autour de moi. Mais avant de mettre les boutons : « Tiens, Mike, vous avez un téléphone ?
-Oui, c'est plus pratique pour nous appeler, par exemple pour aller manger. Il est relié à celui du salon, et on va bientôt tous les…
-C'est normal qu'il soit décroché ? » le coupais-je en désignant le combiné posé sur la table, écouteur vers le plafond.
« -Non…je le raccroche toujours… »
Je pris le combiné et le portais à mon oreille. Celui du salon devait aussi être décroché car il n'y avait aucune tonalité. Mais en faisant plus attention…un bruit régulier se faisait entendre de l'autre bout de la ligne…un souffle…le bruit d'une respiration… - Il posa quelque chose de dur sur une table…
Je raccrochais brusquement. Mike me regarda les yeux écarquillés.
« C'est Jeff ! Il nous écoutait du salon avec les téléphones ! Ooh, ça m'écœure ! » m'exclamais-je « Il avait dit qu'il trouverait un moyen de nous espionner, eh bien voilà !
-En tout cas » dit Michael lentement « il en a entendu suffisamment pour savoir que le travail n'a pas été fait ! »
Je mordis ma lèvre inférieure en signe d'inquiétude. Michael réfléchit quelques secondes et ajouta : « Mais peut-être ne le dira t-il pas à Joe…peut-être est-il de notre côté… ? »
Je ne le dis pas, mais je n'y croyais pas beaucoup…avec les vents que je lui avais mit dernièrement, je ne pensais pas que l'on puisse compter sur lui pour nous défendre…
Lorsque j'eus boutonné ma chemise, nous prîmes la décision de descendre pour essayer de parler à Jeff.
Celui-ci était assit sur le divan, devant la TV, les pieds sur une petite table, la main – hem…faut-il préciser où ?
Il fit semblant de ne pas nous avoir vu entrer, mais son air changea sensiblement.
Comme j'avais plus d'affinités avec lui que Michael, je m'approchais un peu du canapé et je lui dis : « On pourrait te parler ? » ses yeux quittèrent enfin l'écran et se posèrent sur moi, puis sur Mike, et de nouveau sur moi. Il sourit : « Alors, c'était bien ?
-Tu sais très bien comment ça s'est passé ! »
Il haussa les épaules : « Mouais, j'm'en fous, c'est pas moi qui vais me faire destroyer ! … Qu'est-ce que vous voulez, d'abord ? »
Michael s'avança : « C'est justement à propos de ça. Ne pourrais-tu pas le cacher à Joseph ? »
Jeff faillit bien éclater de rire, mais dés qu'il commença à pouffer, je lui assénais un regard furieux. Il essaya de reprendre son sérieux, mais il demeurait sur ses lèvres un sourire affreux : « Ben non, écoutez ! Je suis obligé de tout lui dire ! » Il hésita un moment, regarda un instant les images mobiles de l'écran de télévision, mais Michael, voulant sans doute en savoir plus, s'empara de la télécommande et éteignit. Jeff lui jeta un regard lourd de reproches, mais celui de Mike resta impassible. Jeff dit enfin d'une voix basse : « Il m'a payé. .. Et j'aurais encore du fric ce soir…»
Michael se tourna vers moi, j'en profitais pour glisser innocemment : « Il en aura dépensé des sous, dans cette histoire… »
Les deux garçons me regardèrent les yeux écarquillés et s'exclamèrent d'une même voix : « Il t'a payé !
-Non, pas encore. Mais il m'a dit que si le travail était bien fait, il me payerait plus de deux cents dollars si je le souhaitais. » leur répondis-je. Jeff se redressa sur le canapé : « HEIN ! Et avec quoi il compte me payer, alors ! » Michael, bouche bée, lui lança un regard dégoûté.
J'éclatais de rire.
Ils avaient eu la même réaction lorsqu'ils avaient apprit que Joseph m'avait proposé de l'argent, mais pas du tout pour les mêmes raisons : Jeff parce qu'il avait peur de voir s'envoler sa paie, et Mike pour les mêmes raisons que moi ; parce qu'il estimait que je n'étais pas une prostituée.
Ils se tournèrent vers moi, Jeff avec son air choqué, Mike avec une tête digne de Ronald Weasley dans le film Harry Potter. Je calmais mon rire : « Pardon. »
Michael continua : « Ben alors, puisque tu as déjà été payé d'avance, tu n'es plus obligé de rapporter !
-Eh oh ! Faut quand même que je fasse mon boulot ! » râla Jeff.
Je le suppliais à mon tour : « S'il te plaît ! On te demande juste de ne rien dire ! Si jamais il apprend qu'on n'a rien fait…
-Tu ne sais pas de quoi il est capable. » ajouta Mike. Jeff le regarda, un peu étonné, et je me surpris à l'imiter. Michael resta silencieux. Jeff reprit : « Vous voyez, même si je ne dis rien, je pense qu'il le devinera quand même, quoi ! Même si je mens en disant que c'était cool, que vous l'avez fait et tout, il cherchera peut-être à le vérifier… » Il toussota un peu : « …par un moyen plus…humiliant… » Je compris immédiatement : « Tu ne veux pas parler d'un examen gynécologique ! » criais-je. Il approuva d'un signe de tête. Je lançais un regard effarouché à Mike. Il ajouta doucement : « Ca se pourrait… »
Je paniquais, je me mis à hurler : « Mais il est taré ! C'est pas vrai ! Il est complètement taré ! » Je parcourais toute la salle en répétant : « J'y crois pas ! C'est un cauchemar ! Mais il est taré ! J'suis dans une famille de fous ! » Je croisais le regard désolé de Mike. Je m'approchais : « Excuse-moi ! » Je restais là quelques secondes, à dix centimètres de son visage, à observer ses traits bouleversés, ses yeux réels, marrons, brillants, mobiles, qui regardaient les miens. Je respirais, lui aussi. Je pouvais sentir son souffle sur mon front. L'Amour en personne, sa magie, était devant moi, je pouvais le toucher, je l'avais rencontré, je lui avais parlé, il m'avait sourit, nous nous étions enlacés. Mon rêve s'était réalisé, mais il faisait désormais notre malheur à tous deux.
Il fallait que je le quitte, maintenant.
Mes yeux me picotèrent, je les baissais, je m'éloignais un peu, jetais un dernier regard à Jeff puis à Mike, et je montais dans ma chambre, le cœur serré.
Je décidais de faire mes bagages (enfin, si on pouvait appeler mon petit sac à main ainsi…) et de partir le soir même, sans prévenir personne. Simplement parce que cela me faisait horriblement mal de partir, de devoir rentrer chez moi et endurer, de nouveau, les souffrances horribles que l'on ressent lorsque quelqu'un nous manque, et que nos adieux allaient être autant d'alcool sur la plaie.
Tout d'abord, je me changeais. Après tout, La Toya ne m'avait pas donné cet ensemble, je n'allais pas le lui embarquer, par contre elle m'avait bien cédé cette robe jaune et ces chaussures blanches à talons, mais où les mettre ? Ca n'allait pas rentrer dans mon sac à main, et je ne pouvais pas me risquer à demander un sac de voyage ou quoi que ce soit d'autre, cela pourrait paraître suspect. Entre ma vieille robe noire, pantalon, chaussures rouges et robe jaune, escarpins blancs, il me fallait donc choisir. Je finis par me rhabiller avec ce dernier choix, car il pouvait m'être une source de souvenirs.
Je repliais donc le jean et la chemise blanche, ainsi que mon pantalon et ma robe noire, et les empilais sur une chaise, prés de ma table de chevet. Je plaçais les mocassins rouges en dessous. Quant à ma robe de bal, j'aurais aimé l'emmener, mais cela aurait été malhonnête, étant donné le prix qu'elle avait coûté, et puis elle pourrait servir à quelqu'un d'autre, à La Toya, peut-être, ou bien Janet lorsqu'elle sera plus grande…
Je l'étalais donc sur le lit, que j'avais soigneusement refait, et vérifiais si je n'avais rien mit dans la toute petite poche en soie. Je sentis un morceau de papier, le sortis et le déplia : c'étaient les coordonnées de ce type que j'avais rencontré à la fête. Je le mis dans une poche de mon sac.
Je regardais la robe et des larmes roulèrent sur mes joues : que de souvenirs elle évoquait ! Qu'est-ce que j'ai pu être heureuse ! Avec Michael ! Mais il fallait que j'oublie tout ça, c'était fini…
J'avais ramassé les fausses roses rouges, que je piquais jadis dans ma chevelure, qui étaient tombées par terre lorsque j'avais pris la robe, quand brusquement, Jeff entra.
Il s'arrêta pile en voyant les vêtements empilés, le sac à main sur le lit, mes yeux humides. Je n'eus le temps que de lui dire précipitamment : « Ne dis rien à Mike !
-EH, MICKY !
-Jeff, non !
-MICHAEL, RAMENE-TOI ! » continuait-il d'aboyer dans les escaliers. Si j'avais pu, je l'aurais étranglé. Je séchais mes larmes du revers de la main qui ne tenait pas les roses : « Pourquoi tu as fais ça ! Tu vas lui briser le cœur !
-Non. » répliqua –il « C'est toi qui va lui briser le cœur. »
Michael apparut sur le palier et entra. Il fit la même tête de Jeff en voyant mes préparatifs. Il sembla d'abord prendre ceci pour une bonne blague et se força un peu à rire en balbutiant : « Euh…c'est une plaisanterie ? … Tu…tu remets de l'ordre ? » Cette façon de dissimuler sa crainte derrière une excuse aussi légère que celle-là me déchira le cœur. J'aurais tant aimé qu'il ait raison. Derrière lui, Jeff observait tous mes gestes. Je fis un signe de tête négatif : « Non…je regrette… » Il s'approcha doucement de moi, un peu ahuri : « Tu veux…tu veux t'en aller ?
-Mike, je dois partir ! L'avenir est mal partit pour nous deux, ce rêve se transforme en cauchemar…je…je vais devenir folle si je reste !
-Si tu pars aussi… » fit la voix traînante de Jeff derrière. Michael se retourna vers lui comme s'il venait de s'apercevoir de sa présence, puis se rapprocha davantage de moi, et me dit de sa douce voix : « Si tu pars, nous deviendrons fous tous les deux. » Sa main me caressait délicatement la joue. Je sentis mon chagrin remonter à nouveau.
Je mis les fausses roses dans ses mains, tel un pardon : « Je ne veux pas gâcher ta vie…je suis désolée ! » Je rebaissais la tête et continuais à préparer mes affaires en essayant de cacher mes larmes, mais ne pouvant m'empêcher de renifler de temps en temps.
« Et…tu pars quand ? » fit Mike d'une voix un peu cassée. Je me retournais vers lui : effleurant doucement les pétales des roses du bout des doigts, il me regardait, les yeux humides. Son attitude implorante ne faisait qu'amplifier ma propre tristesse ; j'aurais voulu rester, rester avec lui jusqu'à la fin de mes jours, mais voilà, les choses ne se passent pas toujours de la façon dont on l'aurait souhaité…
J'aimais Mike au plus profond de mon âme, mais il se révélait impossible pour nous de continuer ensemble, et j'avais la nette impression de l'abandonner. Cœur de glace ou désir de ne pas laisser paraître ma douleur, je décidais de ne pas me laisser attendrir au risque de changer d'avis : « Ce soir. » répondis-je d'un air que je voulais froid, mais qui était incertain. « Avant que Joseph n'arrive. C'est pour cela qu'il faut que je me dépêche.
-Alors comme ça, tu t'arraches à la première difficulté ? » fit Jeff derrière Michael. Je levais le nez de mes affaires, juste le temps d'attraper son regard glacé, pour le replonger aussitôt. Mike s'était retourné vers lui. « Joe te fait si peur ? Au point que tu laisses tomber l'amour de ta vie !
-Jeff, tais-toi ! » lui lançais-je. J'avais l'impression qu'il lisait dans mes pensées et les récitait tout haut. Chaque mot me serrait un peu plus le cœur.
« -Tu sais ce que c'est ça ? C'est de la lâcheté ! De la lâcheté pure !
-Ferme-la, par pitié !
-Aaahh, c'est un bel amour, ça, tiens ! Vous êtes un couple soudé qui traverse chaque épreuve main dans la main, ça se voit ! Elle va se faire examiner, humilier, alors elle s'en va ! Et Michael, tu vas le laisser seul ! Apparemment, ça n'a pas l'air de t'ennuyer plus que ça… »
Je tombais à genoux et pressais mes mains sur mes oreilles, incapable d'en entendre davantage : « Tais-toi, Jeff ! Tais-toi, je t'en prie !
-T'es une bonne nana, ouais ! Folle amoureuse de son mec, on dirait ! Oh, mais c'est que j'ai touché le point sensible…Ouais, la question est là : est-ce que tu l'aimes vraiment ? »
Je me levais et hurlais à travers mes larmes : « ASSEZ ! Ferme-la ! Casse-toi ! Casse-toi, je ne veux plus te voir ! CASSE-TOI ! »
En souriant, fier de son effet, il sortit et ferma la porte.
Il avait provoqué mes larmes, je ne pouvais plus les arrêter. Haletante, hoquetante, je fixais la porte avec fureur, puis je cachais mon visage dans mes mains. Des doigts, une main, se posèrent sur mon épaule, puis la voix de Mike, tout prés : « Je viens avec toi. »
Je me retournais : ses yeux brillaient, ses joues étaient humides, son menton tremblait sensiblement : il pleurait. Le malheur était sur moi. Je l'enlaçais : « Oh, Michael ! »
Il était sur le point de faire une connerie, je devais l'en dissuader, même si je mourais d'envie de le laisser faire : « Tu dois rester ici, on n'est pas dans un beau film d'amour où tout se termine bien, Mike, ça va mal tourner !
-Oui, mais je veux aller avec toi ! J'en ai marre de cette vie ! » Je collais mon oreille contre sa poitrine, j'écoutais passionnément son cœur. Ainsi donc, lui non plus n'était pas satisfait de sa vie : « Tu dis ça sur le moment, mais si pars, tu regretteras, tu ne peux qu'aimer ta vie !
-Non. Tout ce que je veux, c'est rester avec toi. » Il sanglotait. Je le serrais plus fort dans mes bras : c'était du diamant pur que je serrais ainsi : « Non, fais pas l'idiot ! Oublies ça, nous devons oublier tout cela… Je n'aurais jamais dû venir ! Je fais deux malheureux au lieu d'une ! » Chacune de mes phrases me blessait comme une dague. Je me redressais et le regardais en face : « Tu dois rester ici, et moi je dois partir. Chacun de notre côté…comme avant. C'est ainsi ! »
A ma grande surprise, les yeux toujours humides, il secoua la tête négativement : « Non…ça n'est pas ainsi !
-Mais enfin, tu le sais ! Bien sûr que si !
-Ce n'est pas une raison ! Pourquoi vouloir refuser ce qui s'est passé sous le prétexte qu'autre chose est déjà écrit ! Ce n'est pas juste. Nous avons le droit de changer notre destin !
-Mike…
-N'as-tu jamais pensé ainsi ? » Je soupirais, le regardais. J'ai toujours pensé cela, toujours. Je souris faiblement. Un sourire naissant apparut également sur son visage.
Brusquement, la porte s'ouvrit à la volée : « Je viens avec vous ! » je sursautais : « Jeff ! Bon sang, arrête d'écouter aux portes ! Et pour l'amour du Ciel, frappe avant d'entrer ! »
Michael lui demanda : « Comment ça, tu pars avec nous ? » Jeff s'appuya sur le mur, les mains dans les poches : « Ben ouais… comme il m'a payé…s'il voit que vous fuguez… ça va être louche, quoi ! Et c'est moi qui vais me faire tuer !
-Alors tu ne vas rien lui dire ? » dis-je
« -A qui ?
-A Joseph, voyons ! » répondis-je, un peu agacée
« -Pff, qu'est-ce que tu veux que je lui dise ! » balança t-il en sortant d'un air nonchalant.
Mike et moi nous regardâmes d'un air de dire sans commentaires, puis je lui dis : « Bon…ben prends un sac avec le strict nécessaire, et puis…on va y aller, hein… » Il s'avança donc vers la porte pour aller dans sa chambre préparer ses affaires.
C'est alors qu'elle s'ouvrit brusquement, Mike esquiva de peu, je fis un bond de deux mètres : « Bon, Jeff, CA N'EST PLUS DRÔLE, LA ! » hurlais-je, furieuse, la main sur le cœur.
« Ils sont revenus ! » Il avait l'air décomposé : « Joe est là. »
