Michael me lança un regard effrayé : « Comment on va faire !

-Coucou tout le monde ! » lança une voix féminine. La Toya venait d'entrer et brandissait joyeusement une robevioline : « Regardez ce que je me suis achetée ! » Nous l'observions tous avec horreur. Son sourire s'effaça, et elle ajusta la robe devant elle : « Ben quoi, elle ne me va pas ? Vous en faites, de ces têtes ! » Ses yeux tombèrent sur mon sac, que je portais à l'épaule. Interloquée, elle me dit : « Tu vas où ? »

Jeff ferma la porte derrière elle, ce qui eut pour effet d'accroître son incompréhension.

« Je m'en vais. » dis-je. Comme elle levait les sourcils, j'ajoutais : « Il y a des choses dans cette maison qui ne sont pas claires. Je ne peux pas rester ! »

Elle bouda : « Pff ! Tu parles d'une bonne nouvelle… » puis elle jeta un œil suspicieux à Jeff : « C'est lui qui te fait partir ?

-Non, il s'en va aussi.

-Mais c'est quoi, ce déménagement, là ! Vous allez vivre ensemble ou quoi ?

-La Toya, on n'est pas d'humeur à plaisanter. Il faut qu'on y aille, maintenant !

-Parce que vous partez ce soir ? »

Je soupirais : « Oui. Bon, je t'ai rendu tes affaires. » Je l'enlaçais : « Adieu, j'étais ravie de te connaître ! »

J'ouvris la porte, suivie de Jeff et Mike. Jeff passa devant moi, sortit et descendit l'escalier. J'allais le suivre lorsque j'entendis La Toya s'exclamer derrière moi : « Hep ! Où tu vas, toi ! » elle s'adressait à son frère.

« -Je m'en vais aussi.

-Quoi ! Tu ne peux pas faire ça, Michael !

-Oh que si, tu va voir ! » Nous descendîmes l'escalier. La Toya lui dit d'en haut : « Tu vas vite revenir, j'en suis certaine ! Tu ne peux pas partir ! » Elle essayait probablement de se persuader elle-même. Nous fûmes surprit lorsqu'elle nous balança une petite liasse de billets. Mike la mit dans la poche de son jean, et voulu remercier sa sœur, mais au même moment, le tonnerre gronda avec force dehors, et aussi d'une des chambres, à cinq mètres de nous : « Où est-ce qu'il va celui-là ! Qu'est-ce que c'est que cette histoire ! » Joseph avait dû voir Jeff dehors par sa fenêtre.

Michael me souffla rapidement : « Vite ! » Le compte à rebours était lancé.

Nous dévalâmes l'escalier. Aussitôt, au-dessus de nous, une porte s'ouvrit avec fracas : « Qu'est-ce qui se passe, encore ! » Nous traversâmes le couloir à toute vitesse et ouvrons la porte d'entrée. Les pas lourds de Joe descendirent l'escalier : « Mais que…ILS S'ECHAPPENT ! PREVENEZ LA SECURITE ! » Je pus sortir avant Michael et je courus à toutes jambes dehors, sous la pluie. Il y avait de l'orage et le tonnerre grondait en même temps que Joseph s'égosillait. Je regardais autour de moi : pas de Mike. La pelouse était glissante et je portais encore les mauvaises chaussures : les chaussures à talons. Bientôt, j'entendis les chiens aboyer. Impossible de ralentir, pas question de tomber.

J'approchais de la grille, j'allais être cernée. Subitement, une main attrapa la mienne et me tira dans le sens opposé. C'était Mike qui m'avait happée et qui courait en me tenant la main : « Par-là ! » Nous courûmes à la porte secrète. Il l'ouvrit et me laissa passer : « Vite ! » répétait-il en me poussant entre les chênes. Nous faufiler ainsi entre les arbres nous ralentissait, aussi, les gardes et les chiens s'approchaient dangereusement. Nous nous dépêchâmes de nous dégager et nous remîmes à courir à perte d'haleine sur la route : « Où est Jeff ? » fis-je en regardant derrière nous.

-T'occupes, cours ! » Nous courûmes dans toutes les rues, sans savoir où nous allions, le principal étant de s'éloigner le plus possible de la villa. Nous n'étions pas en sécurité car trop voyants : « Coupons à travers les bois ! » dit Mike d'une voix haletante. Nous entrâmes donc dans la forêt, puis nous quittâmes bientôt le sentier pour nous enfoncer dans les arbres. Je lui faisais remarquer que ce n'était pas très prudent. « Au contraire » répondit-il, agenouillé derrière un arbre : « Ici, nous sommes en sécurité ! Joseph serait capable d'envoyer la police à nos trousses… baisse-toi ! » Effectivement, nous entendîmes des bruits de pas sur le sentier. Les hommes avaient des torches électriques, mais ils ne pouvaient pas nous voir. La seule chose à craindre fut qu'ils aient des chiens, heureusement ce n'était pas le cas, et ils ne se risquèrent pas à s'éloigner du sentier.

Lorsqu'ils furent partis, nous attendîmes quelques minutes par sécurité, puis nous sortîmes de la forêt et nous remîmes à courir dans les rues. J'avais mal aux pieds – décidément, je mettais toujours des talons lorsqu'il ne le fallait pas ! Mais la peur de nous faire prendre me poussait à continuer à courir, tirée par Mike qui courait incroyablement vite – je me mis à penser qu'on disait toujours que les Noirs couraient vite, là j'avais l'occasion de le vérifier ! Et j'essayais difficilement de garder son rythme.

La nuit tombait, nous n'entendions que les pas précipités de notre course sans fin marteler la route avec violence. La ville pouvait être dangereuse, car pleine de flics, et nous étions désormais recherchés. Mon sac se balançait de tous côtés et cognait fréquemment sur mes reins. Craignant qu'il ne tombe de mon épaule, je l'ôtais et tenais la lanière d'une main, celle qui ne serrait pas les doigts de Michael.

Nous longeâmes un champ et décidâmes qu'il serait mieux pour notre sécurité de le traverser. Par bonheur, les herbes étaient courtes et ne nous arrivaient pas au-delà des chevilles. Mes poumons étaient en feu, je ne sentais plus mes orteils ni mes jambes. Je pense qu'il devait en être de même pour Mike, à s'en fier à son souffle saccadé. Tout comme moi, il était en nage, trempé par la pluie et sa propre transpiration. Le vent sifflait à nos oreilles, mais l'orage était passé, d'ailleurs je me suis laissée aller à penser que plus nous nous éloignions de Havenhurst, moins il pleuvait. Nous avions un coucher de soleil juste devant nous, et nous allions le rattraper en haut de la montée.

A bout de souffle, nous nous mîmes d'accord pour nous arrêter enfin : « Mike…la nuit tombe…on ne peut pas continuer…

-Oui…mais où allons-nous passer la nuit ?

-Je ne sais pas… »

Nous regardâmes autour de nous, Mike me montra un petit bois au bout du champ : « Là-bas, on va se cacher là ! » Le plus dur lorsqu'on s'arrête de courir, c'est de repartir. Nous accélérâmes prudemment le pas, et entrâmes dans les arbres. Ici, nous pûmes ralentir et regarder s'il y avait un petit coin douillet.

« Bien, on n'a plus que l'embarras du choix ! » fit ironiquement Michael. Il essuya la sueur sur son front.

« Il fait humide, ici ! » dis-je, commençant à l'envier d'avoir un lainage.

Nous nous assîmes au pied d'un arbre où il n'y avait pas trop de racines. J'enlevais mes chaussures, pendant que Mike commenta : « Dommage qu'on soit en été et pas en automne !

-Pourquoi cela ?

-Ici il n'y a pas de tapis de feuilles mortes ! Ca aurait été un peu plus confortable ! » Il essayait de caler son dos contre le tronc. Je grelottais en soupirant : « Oui, eh bien on devra se contenter de ceci ! » Je m'allongeais et pris une position fœtale pour me réchauffer. Je tournais le dos à Michael. Le silence s'installa. Nous n'entendions que le vent qui soufflait dans les branches, et quelques dernières gouttes de pluie qui tombaient des feuilles.

« Tu crois qu'il est où, Jeff ? » demandais-je

« -Je ne sais pas…il était sortit avant nous de la chambre…

-Peut-être qu'il s'est fait prendre…

-C'est quoi cet air d'espoir, dans ta voix ? »

Je rigolais : « Quel air d'espoir ?

-Je n'espère pas pour lui, qu'il se soit fait prendre…

-Moi si !

-Pourquoi ?

-Bof…je ne l'aime pas trop…

-Bah… » le silence retomba de nouveau, puis Mike reprit : « Viens, rapproche-toi !

-Pourquoi ?

-Tu as froid ?

-Ca va, pas trop…

-Ne me fais pas rire, je t'entends claquer des dents ! »

Je ne cherchais pas à discuter. De toute façon, je voulais secrètement – enfin, plus maintenant – dormir plus prés de lui, mais je n'avais pas osé le lui demander.

Mike se recula un peu pour que je puisse m'appuyer sur le tronc, et une fois que je fus assise prés de lui, il entoura mes épaules de son bras et m'approcha davantage de lui. Avec son pull et sa chaleur naturelle, je me sentis tout de suite mieux. J'en voulais plus, alors je mis mes bras autour de son cou et me serrais contre lui, et nous nous replaçâmes de sorte que nous fûmes entrelacés, profitant de la chaleur de l'autre, et moi surtout du pull. C'est ainsi qu'on s'endormit, enlacés, à moitié appuyés sur le tronc.

Lorsque j'ouvris les yeux, la première chose que je vis fut le pull de Michael. Aussitôt, je réalisais que j'étais presque allongée sur lui. On avait dû glisser du tronc pendant la nuit, et j'avais donc dormis la tête sur sa poitrine. Mes bras l'entouraient toujours : un en travers du torse, l'autre sous son dos. Son bras à lui était resté sur mon épaule. Je n'avais pas froid, j'étais entourée de sa chaleur. En levant un peu les yeux, je pouvais voir son visage, de profil. Je me redressais un peu, je dégageais doucement ma main de dessous son dos, m'apercevant qu'elle était douloureuse et courbaturée, étant restée toute la nuit entre le dos de Mike et une racine.

Ainsi redressée sur mon coude, je voyais mieux son visage. Paisible, endormit, les traits relâchés, la bouche entrouverte, comme la fois où j'étais entrée dans sa chambre, même que La Toya avait prit une photo… Où était-elle, cette photo ? Je l'avais mise dans mon sac… qui était lui-même à côté du tronc où nous nous étions appuyés. Pas le courage de me lever, je regardais Mike à nouveau. Je me demandais s'il avait vu la photo, le jour où il avait fouillé dans mon sac… Aah, quel beau spectacle ! Ses yeux étaient fermés, le soleil levant projetait l'ombre de ses longs cils sous ses paupières. Dans son sommeil, il tourna la tête juste en face de moi, et je pus admirer son visage entièrement…et quel visage…ces paupières…ces joues…inconsciemment, j'avais levé ma main de sa poitrine et, du doigt, je redessinais ses traits, en le frôlant légèrement. Je voulais le connaître par cœur, comme par peur qu'un jour, je ne puisse plus le voir en vrai

Je parcourus d'abord les contours du visage, puis les pommettes, le nez, les sourcils, j'effleurais ses cils, puis je regardais ses lèvres, qui s'étaient un jour posées sur les miennes…les touchant à peine, lentement, je passais le bout de mon doigt dessus, me rappelant leur douceur. Je repensais à ce qu'il était devenu en deux mille. Je reposais ma main sur son torse, en regardant encore la couleur, belle et étonnante de ses lèvres : la supérieure était un peu plus foncée que l'inférieure…c'était beau.

Puis je regardais l'ensemble de son visage…

Oui, vraiment, j'étais heureuse d'être avec lui.

Je caressais encore sa joue, puis je reposais doucement mon oreille sur sa poitrine, je fermais les yeux et écoutais son cœur, en attendant qu'il se réveille.

Ce fut environ une vingtaine de minutes après – je m'étais quelque peu assoupie – que je sentis sa respiration devenir un peu plus importante, et son corps bouger. Je me redressais, un peu à contrecœur, et avant même de me tourner vers son visage, je sentis sa main se replacer sur mon épaule. Je le regardais : un sourire éclaira son visage. Je souris aussi. Il se redressa difficilement sur ses coudes et s'assit, je me mis à genoux devant lui : « Bien dormit ? » demanda t-il J'acquiesçais : « Et toi ?

-Super. » répondit-il avec un petit geste de la main : « Tu n'as pas eu froid ?

-Non.

-Bien. »

Nous nous levâmes. Je repris mon sac, l'époussetais un peu et, machinalement, fouillais dedans.

« Où on va, maintenant ? » fit Michael en me regardant faire.

« -Je ne sais pas. » répondis-je.

Je sortis quelque chose de mon sac : la fameuse photo. Je souris intérieurement. Je fouillais dans une autre poche et sortit son contenu : les coordonnées de l'autre type : « Je sais ! »

Je rejoins Michael et lui montrais le petit papier : « Tiens, tu as fais vite pour faire connaissance, toi ! » remarqua t-il en souriant.

« -Je ne sais pas trop qui c'est. Je l'ai rencontré à la fête, lorsque je t'attendais. Il m'a donné ça en disant que si nous avions besoin d'aide, eh ben…voilà, quoi. »

Il lut l'adresse. « Tu sais où c'est ? » demandais-je.

« -Oui. Mais c'est plutôt loin ! » Il me regarda : « Tu es sûre de vouloir aller là ? …D'autant plus que…il a l'air bizarre ton bonhomme ! …

-Tu as une meilleure idée ? » Il haussa les épaules : « Bien, alors nous devrons marcher ! »

Nous sortîmes du bois et marchons le long de la route, en espérant trouver un taxi sans nous faire repérer.

Nous entendîmes un bruit de moteur s'approcher de nous. Mike me regarda : « J'espère que ce n'est pas la Police ! » Nous n'osions nous retourner, craignant ce que nous allions voir. Un cri parvint jusqu'à nous : « Hey, les amoureux ! » Je regardais Mike à mon tour : « Je connais cette voix ! »

Je fus presque heureuse de me retourner pour voir Jeff arrêter sa moto à côté de nous. Michael fut aussi surprit que moi : « Tu as réussi à t'échapper !

Ouais ! » fit Jeff, une cigarette aux lèvres. Je regardais sa moto et sa veste en cuir d'un air dégoûté : « Et d'où tu sors ça ? …

-Emprunté.

-Je vois… »

Il tira une bouffée de sa cigarette et fit ressortir la fumée par son nez : « Et vous allez où, comme ça ? » Je lui montrais le papier avec l'adresse : « Là ! » Il lut –difficilement – et retira une bouffée : « Woouah, les mecs ! C'est pas chez le voisin !

-On sait. » fit Mike, agacé.

Jeff jeta sa cigarette par terre et l'écrasa sur le trottoir avec son pied, en soufflant la fumée sur Mike, qui se détourna. Je pris cela comme une provocation et fusillais Jeff du regard. Celui-ci me fit un clin d'œil en souriant. Tout comme Mike, je regardais ailleurs : faut pas se demander s'il avait fumé autre chose que sa cigarette… Il nous regarda longtemps, juché sur sa moto jaune, puis il nous fit un signe de tête : « Allez, montez ! » Michael et moi nous regardâmes, méfiants. L'autre reprit : « J'vous y emmène, chez vot' pote ! »

Un quart d'heure après, nous roulions tous les trois en moto, sur l'autoroute, les cheveux dans le vent…

Pourquoi un quart d'heure ? Le temps que Jeff finisse de bouder…

Parce que môssieur voulait d'abord que je monte derrière lui, et que Mike monte derrière moi. Il disait : « C'est dangereux pour une nana d'être à l'arrière !

-Et Michael, t'en fais quoi ! » avais-je répliqué. Alors il s'était approché de moi et m'avait glissé, dans un soupir très suggestif : « Je veux te sentir contre moi… » Choquée, je lui avais mis une gifle, sous les yeux étonnés de Mike, et il s'était mit à faire la gueule.

Mais comme il n'a pas si mauvais fond, malgré ses pulsions envahissantes, il s'était remit sur sa moto et avait appelé Mike d'un air neutre et boudeur : « Bon, ben ramène-toi et monte. »

Lorsque Mike fut installé, il m'avait aidé à monter derrière lui en me tirant par la main. Tout le monde étant bien accroché, nous étions enfin partis.

Jeff roulait à fond, mais au moins, je ne pouvais pas entendre ce qu'il disait. Je m'en fichais éperdument. Le vent dans le visage, j'étais bien. Et si le vent fouettait trop, je posais mon oreille dans le dos de Mike, mes bras lui entourant les aisselles. C'était tranquille.

Tout à coup, une sirène se fit entendre, se rapprochant rapidement. Jeff jeta un œil dans le rétroviseur et cria quelque chose que je pus traduire par : « Merde ! Les poulets !

-Accélère ! » lui hurlais-je.

Il accéléra d'un coup, je dus encore renforcer mon étreinte. Jeff parcourut l'autoroute en doublant toutes les voitures pendant une bonne demie-heure. Nous étions toujours suivis.

Jeff prit soudainement la direction d'une ville, je n'eus pas le temps de voir laquelle. « Attention, les mecs, ça va décoiffer… » Il prit plusieurs virages secs dans les rues. Puis, n'entendant plus la sirène, s'engagea dans une petite impasse et coupa le moteur, aux aguets : « Ouf ! On les a semés… » Je soufflais de soulagement, le silence tomba.

Contre toute attente, nous entendîmes de nouveau la sirène de la police se rapprocher. Prit de panique, Michael et moi hurlions d'une même voix : « DEMARRE, JEFF ! » Ce dernier fit gueuler la moto, fit demi-tour et se dirigea en vitesse vers la sortie de l'impasse. Sur les murs de l'impasse, nous pouvions voir la lumière du gyrophare de la voiture de police. Nous allions être coincés !

« Nous sommes cernés ! » cria Mike

« -Pas encore… » répondit Jeff, concentré sur l'espace entre le mur de l'impasse et la voiture qui se réduisait. Le pare-chocs de la voiture était à présent en travers du passage… puis la portière avant. Jeff ne ralentissait pas. Il allait provoquer un accident, peut-être même notre mort à tous. La voiture avançait encore, nous n'étions qu'à quelques mètres de la sortie. La tête entre les omoplates de Mike, je fermais les yeux.

Un choc, moins puissant que prévu, se produit et fit vaciller la moto. J'ouvrais les yeux : nous étions sur la route, hors de l'impasse, en bon état. Ce ne fut pas le cas de la moto, apparemment : le rétroviseur avait été arraché, n'ayant pas pu éviter le mur. « Wouah ! » fit Jeff « Heureusement qu'elle n'est pas à moi ! » Il régla l'autre rétroviseur pour voir derrière nous : « Putain, ils vont pas nous lâcher ! »

Je me retournais : la voiture était à nos trousses. Pour combien de temps, encore ?

Ce que je vis en regardant de nouveau devant nous me fit pousser un cri : « T'es malade ! »

Jeff venait de s'engager sur l'autoroute…dans le sens inverse ! Nous risquions à tout moment de rentrer dans les voitures qui venaient d'en face mais, tant bien que mal, il les évitait en zigzaguant dangereusement. De la glace se versait dans ma colonne vertébrale : « Ca va mal finir… » pleurnichais-je. J'étais tellement paniquée que je ne me rendis pas de suite compte que nous n'étions plus suivis. Je me retournais : la voiture était loin derrière, coincée dans l'embouteillage qu'elle avait elle-même provoquée en essayant de nous suivre. Jeff aussi s'était retourné. Un large sourire en travers du visage, avec ses dreadlocks qui volaient partout autour de sa tête, il leva son poing en signe de victoire : « Yiiiiiiiiiaaaaaaahh ! » cria t-il : « Venez nous chercher, bande de p'tits pédés ! Espèce de…

-JEFF, ATTENTION ! » hurla Michael. Jeff se retourna juste à temps pour éviter le camion qui nous fonçait dessus, et qui nous adressa un coup de klaxon furieux.

Jeff se remit sur la bonne file, presque déserte. Nous avion réussi ! Grisée par cette sensation de liberté, juste après cette hausse d'adrénaline, je me sentis si heureuse que je me redressais un peu sur la moto pour, de nouveau, sentir le vent sur ma figure. J'étais bien. Mes bras entouraient à présent les épaules de Mike et j'y posais ma tête. Lorsque la vitesse ne m'obligeait pas à plisser les yeux, je le regardais. Mon impression était que je m'enfuyais avec le garçon que j'aimais. Bon, le fait que nous étions sur une moto cassait un peu le côté romantique de la chose, mais bon…j'étais bien.

Je replaçais ma tête sur son épaule, plus prés de sa joue. Sa coupe afro était quelque peu défaite avec les derniers évènements. Je jouais à me cacher dans ses cheveux pour me protéger du vent, je mis mon visage dans le creux de sa nuque, toute chaude. J'aimais tant son odeur. Michael était mon trésor. Je l'avais dérobé et je m'enfuyais avec. Il est beau mon butin. Pour la première fois, je n'avais qu'une envie, c'était de l'embrasser, de sentir sur mes lèvres la douceur de sa peau. Etant tout prés de son oreille, je lui soufflais : « Je vais te manger ! » Là-dessus, je fis un effort pour me grandir un peu, et l'embrassais sur la joue. Il rigola – de derrière, je pus voir ses pommettes saillir – et se risqua à lâcher Jeff d'une main, qu'il posa affectueusement sur la mienne. C'était mon Michael à moi, je l'aimais, rien ni personne ne pouvait plus nous séparer.

Nous nous arrêtâmes pour manger, à une épicerie. Jeff étant le moins recherché, il fut désigner pour nous acheter des sandwiches, avec l'argent de Mike. Il revint, rendit la monnaie à Mike – c'était miraculeux qu'il ne l'ait pas gardée pour lui – on fit rentrer les sandwiches dans mon sac, puis on repartit s'asseoir dans un endroit moins fréquenté. On croisa un petit terrain vague, et on s'y arrêta. Jeff cacha sa moto derrière un buisson un peu délabré, et on s'assit, Mike et moi sur un tronc d'arbre couché sur le sol, Jeff en face de nous, sur un vieux pneu de camion. Nous mangeâmes silencieusement. Jeff, se trouvant trop petit par rapport à nous, fini par changer de place et s'assit aussi sur le tronc, de mon autre côté.

Lorsqu'il fini son sandwich, il s'essuya la bouche d'un passage appliqué de manche en cuir, puis il me dit : « Refais voir l'adresse ? » Je lui donnais le papier. Il le regarda en émettant un rot sans retenue – il avait l'air de venir de loin, je peux le témoigner ! « Ben ouais, c'est bon, on y est presque ! Il reste à peine deux kilomètres à faire de ce côté et pis c'est bon ! » fit-il en nous désignant une direction de la route. Comme il postillonnait abondamment en me parlant, je reculais un peu mon sandwiche de la pluie, ce qui amusa Michael. Je me tournais vers lui : « Qu'est-ce qu'il y a ?

-Non, c'est juste que…tu me fais penser à la Toya…

-Comment ça ?

-Tu n'as jamais remarqué ? Lorsqu'on tousse à table, elle recouvre son assiette avec sa serviette… Si on éternue, alors là c'est une catastrophe… »

J'allais lui répondre que comme je n'avais encore jamais toussé à table en sa présence, je ne l'avais pas remarqué, mais un crissement de pneus venant de derrière nous attira mon attention. Nous nous retournèrent, méfiants. Ce n'était qu'un groupe de filles qui passait en vélo. Un sifflement admirateur se fit entendre à côté de moi. Je ne fus pas surprise de voir Jeff les déshabiller des yeux : « Wouah, la vache ! Les nanas trop canons ! » s'écria t-il. Je protégeais mon déjeuner plus que jamais. Une des filles se retourna en entendant Jeff, s'arrêta et lui envoya une bise. Il n'en fallut pas plus pour le voir se lever et lui galoper après : « Hey, beauté ! Attends ! » La fille s'arrêta à nouveau, il la rejoignit et ils discutèrent. Ils avaient l'air de se plaire. Je jetais un coup d'œil vers Mike : mordant dans son sandwich, il avait l'air très intéressé par la scène.

Environ dix minutes plus tard, Jeff revint vers nous, l'air heureux, je crois que je n'avais jamais vu une telle expression sur son visage. Ce vrai sourire de joie – et non de beau parleur – le rendait plus séduisant qu'à l'ordinaire : « Bien, je crois que nos chemins se séparent ici…l'aventure m'attend ! » Il serra la main de Mike, et baisa la mienne comme lors de notre rencontre, sauf qu'il ne me regardait pas intensément dans les yeux, j'en fus fort satisfaite. Il me redonna l'adresse : « Vous n'en avez plus pour très longtemps. Continuez dans cette direction et suivez les panneaux, vous ne pouvez pas vous planter. » Il reprit sa moto, l'enfourcha et, avant de démarrer, reprit : « Ouais ben…j'vous souhaite bonne chance, les amoureux…Et, merde, vous allez me manquer ! » Là-dessus, il roula jusqu'à la demoiselle, qui laissa son vélo à ses copines et monta avec lui. Jeff nous fit un dernier signe de la main, et ils s'éloignèrent dans de grands éclats de rire.

Michael me regarda en rigolant : « Tu ne t'essuies pas la main, cette fois ?

-Non, je lui ai pardonné. »