Blessée, blasée, j'attends le sommeil qui ne fini pas. Mes yeux ouverts se ferment lorsqu'une goutte les frappe, je ne sens plus la douleur, je ne bouge plus. J'attends.

Vaguement, je crois entendre des pas. Je délire. Non, c'est plus net à présent. Un grincement. On ouvre la porte secrète. J'essaie de tourner la tête, mon cou me fait mal.

Lorsqu'il s'approche, je reconnais celui dont je hurlais le nom depuis deux heures. Ma gorge endolorie ne me permet plus de sortir autre chose qu'un souffle : « Michael… »

J'arrivais à sourire faiblement lorsque je vis son visage angoissé. Qu'il était amusant quand il paniquait.

« Lucile, mon Dieu, que fais-tu ici ! Tu es trempée ! Tu ne devrais pas rester allongée ici, c'est suicidaire ! Oh, mais, tu saignes ! Tu es blessée ! Mais réponds-moi, dis quelque chose ! »

Je l'entendais mal, je le voyais mal, je n'arrivais plus à bouger, mais j'étais heureuse de le voir. Là, sous la pluie, sous le sang et les vêtements, une étincelle s'était rallumée dans mon cœur.

Je dis encore dans un souffle : « Tu es venu me dire au revoir ? »

Il retira son écharpe : « Attends, je vais tenter quelque chose. »

Je sentais à peine ses mains la passer en dessous de moi et la nouer autour de ma taille. Mais la douleur fut fulgurante lorsque le tissu fut resserré sur la plaie. Je grimaçais.

Il prit mes bras, les passa autour de son cou, puis je sentis ses bras glisser sous mes jambes et sous mon dos. Quand il me souleva, je laissais échapper un gémissement : la blessure s'étirait.

Mike se glissa tant bien que mal entre les arbres en faisant attention à ce que mes jambes ne se coincent pas, il referma la porte secrète et nous fûmes dans le parc d'Havenhurst. Si j'en avait eu la force, je me serai débattue pour ressortir de ce parc maudit, et ne plus jamais y entrer, mais je ne pouvais pas. Il pleuvait toujours. Dans les bras de Michael, je laissais ma tête appuyée sur son épaule, sans énergie. Il avait l'air de ne pas avoir trop de mal à me transporter, même s'il glissait parfois sur l'herbe mouillée. J'entendais sa respiration précipitée. J'étais trempée d'eau et de sang, j'avais mal, mais j'avais moins froid. Je réussi à souffler : « On va nous voir…

-Oh, pas à cette heure-ci. »

Il me soutint avec son genou pendant qu'il ouvrit discrètement la porte et la ferma derrière nous, puis il monta les escaliers. Je sentais la chaleur de la maison. Il entra dans ma chambre, me déposa sur mon lit, et referma ma porte. Il alluma la lumière et, complètement bouleversé, se pencha sur moi. Les yeux embués, je le regardais.

Il m'observa longtemps, puis enfoui son visage en larmes dans mon cou. Il pleura plusieurs minutes. Je ne comprenais pas pourquoi. Je me sentais bien, paisible, mais je ne comprenais pas ses larmes. Je trouvais la force de bouger ma main, la soulever, et la poser doucement sur son épaule. Il se redressa et s'exclama : « Vois l'état dans lequel je t'ai mis ! Tu ne mérites pas cela, c'est horrible ! Je m'en veux ! » Il recommença à pleurer dans mon cou. Mon énergie revint un peu plus, je mis ma main sur la sienne et la caressais. Etait-il triste que je parte, ou bien avait-il peur que je meure ? Mon cœur se réchauffait, mais j'avais déjà trop pleuré.

Je murmurais : « Mike… »

Ses doigts se refermèrent lentement sur les miens, il posa son front sur le mien. Je voyais ses yeux larmoyants, et les miens restaient secs. Il souffla, hoquetant : « Pardonne-moi…

-Ca n'est pas de ta faute…

-Si, c'est moi qui t'ai forcée à revenir…

-Tu ne l'aurai pas fait, je serai revenue de toute façon. »

Il avait des yeux superbes.

Il embrassa mes mains poisseuses et dit : « Je déteste mon père ! J'aimerai que tu ailles mieux, dis-moi que faire…

-Fais-moi couler un bain. Un bain chaud. »

Il fit attention à ne pas faire de bruit en ouvrant la porte et descendit. Je tombais dans une sorte de demi-sommeil.

Je me réveillais en entendant Michael s'approcher. Il me porta, je grimaçais de nouveau. Il descendit un étage, entra dans sa chambre silencieusement, Marlon dormait. Il me déposa dans la salle de bain, je dus m'asseoir par terre car tous mes membres tremblaient. Il m'expliqua : « Ne ferme pas à clé, on ne sait jamais ce qu'il peut t'arriver. Si tu as besoin de moi, appelle. Bon, je te laisse, je suis dans ma chambre. Tu y arrivera ? »

J'acquiesçais. Il quitta donc la pièce. Il est marrant, lui. L'appeler, alors que l'ennemi est dans la maison !

Je me déshabillais tant bien que mal, en prenant gaffe à ne pas trop frôler la plaie. Ce ne fut pas facile car le sang avait séché, ma robe collait à ma peau, et je la sentie passer en la retirant. Je rampais ensuite jusqu'à la baignoire, me levais le plus difficilement du monde en m'appuyant sur le bord, mes genoux jouant des castagnettes, puis je me laissais glisser dans l'eau chaude. Je me mordis la lèvre en sentant la douleur de réveiller brusquement. La vache ! Il n'a pas lésiné sur l'eau chaude ! Le sang se dilua dans l'eau, enfin il n'était plus collé à ma peau. Je me savonnais autant que mes forces me le permettaient, tout en évitant soigneusement la plaie. Bien, maintenant que je suis à peu près propre, il faut sortir. Je tendis mes muscles… que je relâchais aussitôt. Rien à faire, la chaleur du bain m'avait rendue encore plus faible. Bien sûr, il était hors de question d'appeler Michael, autant tirer la sonnette d'alarme qui fait : « Intrus, intrus » aussi…

Bon ben, tant pis, je passerai la nuit dans mon bain, hein…

Michael entra. Machinalement, je me tordis dans tous les sens pour ne pas qu'il voit quelques parties intimes. Je bafouillais : « Ca tombe bien, j'aurais voulu sortir… » Il avait l'air gêné, me regardait le moins possible. Il prit quelque chose dans l'armoire : une pince à épiler, qu'il nettoya soigneusement à l'alcool.

« Euh…Mike ? Tu vas faire quoi avec ça ?

-Ne t'inquiètes pas, j'ai vu ça dans un film. » s'empressa t-il de préciser.

Ca ne me rassura pas vraiment. Il s'approcha dangereusement de moi.

« Mike…

-Je vais retirer la balle. »

Je bloquais : « Ah, parce qu'elle y est encore ?

Oui, regarde. A environ un centimètre de profondeur… » expliqua t-il en tripotant la peau autour de la plaie pour me la montrer. Je détournais les yeux sans regarder: « Merci, j'ai vu. Fais ce que tu as à faire, et essaies d'aller vite s'il te plaît ! »

Il se mit à genoux devant la baignoire, retroussa ses manches, étira ma peau, armé de sa pince à épiler, et l'approcha de ma blessure.

« Aïe !

-Mais, je ne t'ai même pas touchée !

-…Je me prépare…

-Bon, j'y vais, serre la mâchoire pour ne pas crier. »

C'est ce que je fis. Je ressentis une douleur aiguë, profonde, d'une violence rare, qui me déchira littéralement. Je plissais les yeux, aveuglée par la douleur. Je maudissais Joe d'avoir visé une zone si sensible. Pourquoi ne pas la laisser tranquille, cette balle, elle ne dérange personne là où elle est ! Et le pire, c'est que ça traîne ! Après un moment qui me semblait une éternité, il dit enfin : « Je l'ai ! »

Je sentis la balle quitter ma chair. Je sentis aussi le sang partir avec. Je soupirais de soulagement.

« L'hémorragie reprend. Vite, sors de l'eau !

-J'aimerai, mais je n'y arrive pas ! »

Il jeta la balle à la poubelle, rinça et rangea la pince à épiler. Puis il retira son pull et son T-shirt sales, me porta pour me sortir de l'eau, en prenant garde à ne pas me regarder, me posa par terre – je tombais aussitôt assise – et sortit une serviette. Il me dit de me sécher rapidement et de compresser la plaie. Pendant que je m'exécutais, il coupa une longue bande de compresse, avec laquelle il fit plusieurs tours de ma taille. Une tâche de sang grandit immédiatement dessus. A moitié momie, à moitié nue. Il me donna des vêtements propres et mélangea sonpull et ma robe tâchés de sang au linge sale, ni vu ni connu : « J'essayerai de les laver moi-même pour que ma mère ne tombe pas dessus. » Je me sentie enfin propre et pansée.

Il me remonta enfin dans ma chambre, me dit de dormir, ferma la porte à clé derrière lui, et prit la clé avec lui avant de descendre. Je pouvais dormir en sécurité.

Le lendemain, je me réveillais plutôt en forme, j'avais bien dormis, ma plaie ne m'avait pas gênée.

On trifouilla dans ma serrure, c'était Mike bien sûr, il n'y avait que lui qui avait ma clé. Il portait une assiette qui sentait très bon : des crêpes toutes chaudes !

« Je ne savais pas si tu aimais le miel, alors j'ai mis de la confiture ; ça, au moins, je sais que tu aimes ! » De la bonne nourriture, justement ce qu'il me manquait ! Je m'assis dans mon lit, il posa l'assiette sur les genoux, et je dégustais. C'était délicieux : « Depuis quand tu fais des crêpes, toi ?

-Ce n'est pas moi, j'ai juste demandé au cuisinier. »

La soif, bien sûr : « Je peux te demander un verre de jus d'orange, s'il te plaît ? »

Il descendit chercher ma commande. Quand il revint avec le verre, il me prévint : « Je ne pourrai pas toujours faire ça. Là, je ne profite qu'il n'y ait que Randy de réveillé, en général il ne pose pas de questions. Mais on pourrait me demander pourquoi je vais là-haut avec de la nourriture ! Et puis aussi pourquoi je ferme la porte à clé. Il faudrait que tu ailles dans le grenier.

-Oh non, pas là-haut. J'en ai de mauvais souvenirs.

-Vraiment ? »

Je ne pensais plus que Mike ignorait ce qui s'était passé entre moi et Jeff là-haut.

« Oui, tu sais, l'histoire de la trappe et tout…

-Ah, mais rassure-toi, je serai plus discret que Joseph avec son plateau !

-N'empêche qu'on va avoir du mal à s'en sortir… »

Quand la nuit fut tombée et que tout le monde – ou presque – dormait, Michael alla me rejoindre et descendit la trappe : il huila l'échelle pour qu'elle ne grince plus, mais ce fut limite quand même, puis il monta et m'aida en me tirant par les mains, je ne parvenais pas vraiment à marcher.

Ca puait toujours autant, sauf l'odeur de sueur, ça faisait toujours ça en moins, alors il ouvrit la fenêtre. De l'air frais ! Je m'allongeais sur le matelas posé à terre et allumais la petite lampe juste à côté.

Michael s'assit à côté de moi, me baisa de nouveau les mains et m'embrassa. Il murmura : « Je suis si soulagé que tu ailles mieux ! Et maintenant tu es en sécurité, personne ne te verra !

-Oui, pas même toi. »

Son sourire s'effaça : « Bien sûr que si, pourquoi dis-tu cela avec tant d'amertume ?

-Ecoutes Michael, quand me verras-tu ?

-Eh bien, la nuit, quand les autres seront couchés…

-Exactement.

-Où est le problème ? Nous serons ensemble !

-Oui, mais pourquoi faire ? Nous devrons être discrets, ma blessure empêche nos étreintes d'avant, je dois même manger en cachette ! Quoi qu'il arrive, ça ne sera plus aussi bien qu'avant, plus rien ne sera comme avant ! Et puis, tu es une star montante, tu as un avenir déjà tout tracé, que tu gâches peut-être à force de passer tes nuits à venir me voir, et moi non plus je ne peux pas rester ici. Tu sais bien que si Joseph me trouve, il m'achèvera sans hésiter. Tout nous sépare.

-C'est vrai, j'avoue que tu as raison sur ce point. Mais tu oublies une chose importante : tout ce qui compte, c'est que nous soyons ensemble, tu ne crois pas ! »

Avec quelques difficultés, je réussi à m'asseoir en face de lui. Puis je caressais son visage, préférant ne pas répondre. Au bout de quelques minutes, il prit mes mains et rappela sa question : « Non ? »

Je baissais la tête et je finis par répondre : « Pourquoi rester ensemble juste pour le principe, alors que nos échanges sont si compromis ? J'ai réfléchis, Michael, et j'ai pris la décision de rentrer chez moi sitôt que je serai capable de marcher de nouveau normalement. »

Il bloqua, semblant ne pas comprendre.

Puis il se redressa sur ses genoux, s'approcha plus de moi et m'enlaça doucement en faisant attention à ma plaie qu'il toucha pourtant. Je sursautais légèrement, mais le serrais moi aussi dans mes bras faibles.

« Bien, si tu veux partir, alors je ne peux pas te forcer à rester… » soupira t-il.

Je fus heureuse qu'il comprenne.

Pourtant mes yeux s'humidifièrent.

Pendant une courte semaine, je restais donc dans le grenier. La nuit venue, Michael venait m'apporter à manger, à boire, changer mon bandage sans oublier de désinfecter la plaie auparavant, et nous parlions. Nos conversations étaient relativement plates. La plupart du temps, nous restions assis sur le matelas, la main dans la main, regardant le reflet de la lampe allumée dans la vitre de la fenêtre, les étoiles, les arbres qui n'étaient plus que des ombres, sachant que l'inévitable se produirait sous peu.

Nous dormions la journée et nous voyions la nuit, ainsi passait le temps.

Si avant nous avions été aveuglés par notre bonheur lorsque tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, nous sentions à présent de plus en plus l'impossibilité de rester ensemble, d'essayer de changer le cours du destin, de changer ce qui avait déjà été écrit.

Si nous étions séparés dans le présent c'est que ça devait être mieux ainsi.

Nous nous aimions de tout notre cœur, de tout notre être, peut-être même de toute notre âme, mais tous les deux, nous le savions.

Ainsi, une nuit, lorsqu'il monta m'apporter une assiette, il me vit habillée de ma robe et de mon pantalon noir, chaussée de mes mocassins rouges, sac à main à l'épaule, comme lors de notre première rencontre.

Je me tenais debout.

Je le regardais d'un air décidé.

Lentement, il hocha la tête.

Il avait comprit que c'était le moment.

Silencieusement, nous descendîmes par la trappe, les escaliers, puis dehors. La fraîcheur de la nuit et le vent dans mon visage me rendirent mélancolique. Je regardais le parc, me disant que c'était la dernière fois que j'y mettais les pieds. Je baissais les yeux, regardant mes chaussures fouler l'herbe. Nous marchions lentement, solennellement, en silence, main dans la main comme à notre habitude. Nous sortîmes par la porte secrète, nous faufilâmes entre les arbres et nous mîmes en route pour la machine, à pieds. Après tout, nous n'étions pas pressés.

Cependant, une voiture s'arrêta près de nous, je reconnus celle de Richard. Celui-ci ouvrit sa portière et nous dit : « Allez, montez ! »

Mike et moi hésitâmes un moment, mais montâmes finalement. Je demandais : « Que fais-tu ici, à une heure pareille ?

-Je savais que je vous trouverais ici !

-Pardon ? »

Il démarra et dit : « Je vous dois quelques explications. »

Nous échangeâmes un regard étonné. Richard continua : « Ecoutes Lucile, tu ne te souviens probablement pas de moi ou bien tu n'as pas fait attention, mais je suis l'assistant du professeur Schulze.

-Qui ça !

-Celui que tu appelles « le Vieux ».

-Quoi ? Mais c'est impossible ! Tu habites ici, tu m'as raconté des tas de trucs, que ta sœur nous avait prit en photo, et puis tu parles l'américain, tu ne peux pas savoir d'où je viens ni comment je suis venue !

Bien sûr que si, puisque je t'ai vue partir de mes propres yeux, et j'ai dû te suivre pour te surveiller. L'histoire de ma sœur et tout, c'étaient des balivernes, il fallait bien que je m'invente un contexte pour te mettre en confiance ! La photo, je l'ai prise moi-même. Oui, on peut dire que j'habite ici depuis que tu es arrivée, j'ai trouvé une maison inhabitée, je l'ai occupée. Et pour ce qui est de l'américain, quoi de plus normal, à force de voyager, de parler cette langue couramment ? »

Ma tête tourna un moment, il ne me laissa pas le temps de réaliser : « Saches que je suis souvent en contact avec le professeur, afin de me tenir au courant de ce que tu vas faire. Ainsi, depuis le début, je sais d'avance les moindres gestes que tu fais…

-Mais comment est-ce possible ! Nous vivons dans le même temps à ce que je sache !

-Pas exactement. Vois-tu, la machine à remonter le temps – nous avons d'ailleurs tort de l'appeler comme ça – va aussi dans le futur. Je l'utilise fréquemment pour voir ce qui se passera. Et si tu vas trop loin, je dois venir à ta rencontre pour modifier les faits, mais globalement, je t'ai laissée faire.

-Attends une seconde… si tu savais ce qui allait m'arriver, pourquoi n'es-tu pas venu m'aider lorsque je pourrissais dehors !

-Je ne devais pas intervenir à ce moment. Et puis, je savais que Michael viendrait, il n'était donc pas nécessaire que je vienne.

-Mais si tu me surveillais, j'aurais dû te voir !

-Non, car je n'étais pas vraiment là. Enfin, c'est compliqué. Tu vois, lorsque tu joues avec le temps, que tu utilise la machine, tu crée un monde parallèle, car chaque parole et geste que tu commets apporte invariablement une modification dans le futur. Mais comme il est impossible de vraiment changer le futur en agissant directement dans le passé sans provoquer d'énormes dégâts, le futur modifié est parallèle au vrai. Par exemple, si tu fais un petit saut en arrière dans le temps et que tu retournes voir Michael, tu le verra avec une autre toi-même. Ca peut sembler amusant, mais à la longue ça devient dangereux, car toutes ces existences parallèles se mélangeront un jour, et on ne sait pas ce qu'il peut en résulter. Et puis même vous deux vous pourriez devenir cinglés à voir vos doubles. C'est pour cela que je dois te surveiller et t'empêcher de faire des bêtises. Mais tu en as déjà fais beaucoup trop…

-Comment cela ?

-Rencontrer Michael fut la première d'une longue série… »

Je commençais à comprendre.

« Car si on ne fait rien – comment ça si on ne fait rien ? – Michael aura au minimum un souvenir non négligeable de toi, dans un futur parallèle. Dans le futur maintenant, saches que vous êtes mariés, avec enfants, et beaucoup de changements encore…

-Mais c'est super ! » s'exclama Michael.

« -C'est catastrophique ! » répliqua Richard. « Mais heureusement nous avons trouvé une solution. »

Il prit quelque chose sur le siège passager qu'il nous donna : deux tubes en verre avec un liquide bizarre à l'intérieur.

« -Qu'est-ce que c'est ?

-Vous en avez chacun un. Attends que je m'explique. Lorsque Lucile sera revenue chez elle, nous régleront la machine sur le jour d'avant son départ dans le passé, de sorte qu'elle ne l'ai pas encore utilisée et qu'elle ne soit jamais venue ici. Il nous suffira par la suite de téléphoner chez ses parents et dire que les tickets gagnants sont une erreur. Bien entendu, nous détruirons la machine afin qu'un risque comme celui-là ne se présente plus. Ce qu'il en résultera sera que tout redeviendra comme avant, la vie reprendra son cours normal sans plus aucun accès aux mondes parallèles. Néanmoins, toi Michael, tu as eu des contacts plus qu'importants et tu as des sentiments forts envers elle, il pourrait en rester quelque chose. Nous préférons ne pas prendre de risques. Cette potion servira à effacer toute trace d'elle de ta mémoire.

Toi, Lucile, tes souvenirs ne seront pas endommagés quoi que nous fassions avec la machine, mais pour t'éviter certaines souffrances dues à l'absence continue de Michael, il te faut toi aussi boire ça pour oublier. Assurez-vous, les autres souvenirs seront intacts, seulement vous oublierez la totalité de cette aventure. »

Je regardais le liquide bleuâtre. Ainsi, si je buvais ça, c'était comme si rien ne s'était passé ? C'était renier d'une certaine façon tous ces moments, ces confidences, ce que nous avons partagé. Non, je veux garder le souvenir de ces semaines si précieuses : « Je refuse d'avaler ça. Je ne veux pas oublier ! »

Richard garda le silence, je jetais le flacon par la fenêtre, il se brisa sur la route.

« Comme tu voudras, mais je t'aurais prévenue.

-De toutes façons, je ne peux plus revenir en arrière maintenant.

-Par contre, Michael, toi tu dois boire ce philtre que tu le veuilles ou non. »

Mike regarda le flacon, le déboucha, l'approcha de son nez, sentit et fit la moue.

« Cul sec ! » ordonna Richard. Michael vida le contenu dans sa bouche et avala.

« D'ici une heure, tu ne te rappellera plus d'aucun détail de ces dernières semaines. » informa Richard. Michael me regarda, les yeux lourds de regrets.

Au bout d'une dizaine de minutes, nous arrivâmes. Richard s'arrêta à la lisière de la forêt, puis se retourna vers nous : « Il est temps, maintenant. »

Nous descendîmes, mais avant que nous nous fûmes éloignés, Richard m'interpella de sa voiture : « La bague que Michael t'a offerte. Retire-la et regarde à l'intérieur. » Etonnée, je m'exécutais et observais des mots gravés à l'intérieur de l'anneau : « Michael and Lucile ».

Je lus tout haut : « Michael et moi ? Qu'est-ce que… ?

- Tu vois, d'une certaine façon, vous êtes liés par le destin. Pas de la façon que vous espériez, mais… »

Je me retournais vers Michael : « Mais comment…

-Il ne le savait pas. » coupa Richard « Mais il y a tant de monde parallèles…dans l'un deux, tu es peut-être déjà venue ici, vous vous êtes peut-être déjà connus…et sûrement plus… J'ignore comment cet anneau est entré en la possession de Michael, mais il est possible qu'il appartienne à un monde dans lequel vous êtes plus qu'amoureux ! Tant d'hypothèses sont possibles… »

Je le regardais en souriant. Il fit un clin d'œil.