Je remis mon anneau et rejoignis Mike qui me tendait la main. Je pris sa main et nous marchâmes dans le bois à la recherche de la machine à revenir dans le temps.

Voilà, c'était le moment.

Le moment pour chacun de nous de reprendre son existence, son époque d'origine.

Notre cœur nous criait de rester ensemble, mais la logique du temps nous l'empêchait, et l'oubli devait faire son œuvre dans la tête de Michael.

Ces instants étaient les derniers que nous pouvions passer ensemble, et nous marchions dans la forêt, accompagnés par les étoiles. Il devait être près de minuit en cette douce Californie de mille neuf cent soixante- quatorze.

Lorsque nous vîmes la silhouette de la balle de golf géante, nous nous arrêtâmes sans bouger. L'objet responsable de notre rencontre allait inévitablement devenir celui de notre séparation. C'était la barrière entre le monde de Michael et le mien. Là, devant nous, me narguant. Je fermais les yeux. Le vent dans mes cheveux, toujours.

Michael se tourna vers moi et me dit d'une voix qui se voulait assurée : « J'aurai aimé te dire que je ne t'oublierai jamais…

-Moi je ne t'oublierai jamais, Michael ! » murmurais-je en sentant une boule de larmes remonter dans ma gorge. Ses yeux brillèrent, il me serra dans ses bras en pleurant : « Quelle horreur ce sentiment que je ne peux pas te dire que tu me manquera sans mentir malgré moi ! »

Quelle fin injuste ! Nous nous étions enfin trouvés, et nous devions nous perdre.

On ne triche pas avec le temps.

Mes bras autour de son cou, je commençais à pleurer toutes les larmes de mon corps. Le vent ne parvenait pas à les sécher. Je me rappelais tout ce que nous avions partagé et cela me rendait d'autant plus triste.

« Pourquoi cela doit-il se terminer ainsi? » dit-il. Je me redressais et le regardais. Ses yeux rouges et humides observaient les miens. De mes mains, j'essuyais ses larmes : « Mike, dans moins d'une demi-heure tu m'oubliera et…

-Non ! » cria t-il en pleurant de plus belle.

Sa révolte provoqua chez moi une montée de larmes. Je soupirais : « Si, Mike, si… »

Il me resserra dans ses bras, je pleurais dans son cou tout en continuant à dire : « Après tu continuera ta vie comme si de rien n'était, tu ne comprendras même plus cette douleur que tu ressens… »

Je m'arrêtais. Ce que je disais me déchirait le cœur.

Pourtant…

Pourtant nous étions ensemble, on aurait pu dire qu'on se faisait un câlin, que ça n'était qu'un au revoir, je sentais sa chaleur, son odeur, …

Mais aussi ses larmes sur ma nuque, sa respiration rapide entrecoupée de sanglots, ses soupirs, ses bras qui me retenaient comme pour m'empêcher de partir…

Et mon cœur à moi, ma souffrance.

C'était comme si l'un de nous devait mourir. Ou les deux.

Il me berça. Nous n'entendions que le souffle du vent et nos sanglots. Puis il se redressa et dit : « Je commence à oublier quelques détails… mais avant que je ne parte, je voudrais voir ton visage, que je m'en rappelle jusqu'au dernier moment, qu'il soit mon dernier souvenir… »

Il m'observa alors, d'un air concentré, redessina mes traits de ses longs doigts fins, plongea son regard dans le mien pour la dernière fois.

Il ne restait qu'une dizaine de minutes, il devait partir maintenant. Il prit mes mains, les baisa, et commença à s'éloigner, mais je retins sa main : « Mike… »

Il se retourna, me regarda, les yeux brillants. Il était magnifique. Il se rapprocha et, doucement, m'embrassa. Nous nous tenions les mains. Puis, il me regarda un instant, une larme roulait sur sa joue. Il s'éloigna lentement en me regardant, je ne lâchais sa main qu'au dernier moment, à contre cœur. Il se retourna et marcha dans l'obscurité. Je le laissais aller.

Je ne le vis plus, je ressentis comme de la peur. Je le suivis, et voyant qu'il marchait vite, j'accélérais. Je voulais qu'il me regarde une dernière fois. Je l'appelais alors qu'il sortait de la forêt : « Michael ! » Il ne se retourna pas, il marchait vers la voiture de Richard qui attendait. M'avait-il reconnue ?

Essoufflée, je ralentis et le regardais. Il était monté, la voiture démarrait.

C'était Michael qui partait.

Pour toujours.

Dans un élan désespéré, en pleurant, je courus après la voiture pour le voir le plus longtemps possible. Il s'était retourné sur son siège et me regardait à travers la fenêtre, la main sur la vitre. La paume tournée vers moi.

« Michael ! » répétais-je. Je n'avais plus de souffle, je dus m'arrêter. La voiture disparut.

Je restais sur la route, au milieu de la nuit, dans une époque qui n'était pas la mienne.

Misérable, suffoquant, les yeux embués par les larmes, je murmurais : « Adieu… »

De retour chez moi, je regrettais bien vite de ne pas avoir bu ma potion. J'étais complètement ailleurs. La seule chose importante à mes yeux était l'anneau.

Je n'avais pas faim, je ne comprenais pas pourquoi la famille s'inquiétait, je trouvais complètement inutile de parler – on m'aurait enfermée chez les fous – de manger, même de boire, et puis de sortir. Plus rien.

On me força, alors lassée, je m'enfermais à clé dans ma chambre pendant plusieurs semaines.

Ma seule occupation était d'observer notre photo, et j'essayais de la redessiner, à plusieurs reprises sans résultat, comme si, peu à peu, toute forme d'intelligence et d'humanité disparaissait peu à peu, de la même façon que j'avais vu Michael perdre la mémoire.

A la fin du mois, je m'énervais, j'émis des bruits étranges, des sortes de couinements et de sanglots, d'appels à l'aide. Pourquoi ne pouvais-je pas reproduire la photo ?

Je me mis à pleurer en gribouillant mes brouillons, puis la photo, que je déchirais finalement, et dans ma folie, je mis le tout dans ma corbeille et y mis le feu pour ne plus voir cette photo. Assise sur mon lit, à bout, j'observais les flammes qui montaient de plus en plus haut et je me mis à rire comme une possédée en répétant : « Je ne vois plus la photo, je ne nous vois plus ! » et prenant conscience de ma phrase, j'éclatais de nouveau en sanglots en me roulant sur mon lit. Après deux heures, vidée, épuisée, je m'endormis.

Je suis à Havenhurst. Dans le parc. Je tourne en rond, je cherche Michael. Il apparaît devant moi. Il est habillé comme lors de la fête. Moi aussi j'ai la robe, la tresse… la musique ressemble à une sirène d'ambulance, elle me fait mal aux oreilles, mais elle s'évanouit progressivement..

Je m'approche. Il brille étrangement. Il est magnifique.

Il a deux merveilleuses et immenses ailes blanches.

Il me sourit, me tend la main : « Viens avec moi. Prends ma main et nous irons toucher le ciel…»

Nous étions de nouveau ensemble.

Nous sommes liés par le destin.

Je ressens une joie profonde, pourtant quel calme à l'intérieur de moi. Je lui souris et prends sa main.

Une douce chaleur m'envahit, je murmure : « Michael, mais tu es un ange ! » Il sourit un peu plus, prend mon autre main, s'envole en m'emportant. Nous volons lentement vers le soleil.

« -Toi aussi tu es un ange. »

o>> FIN o>>