Chapitre 5
Aventures dans la plaine bleue
Elles avançaient dans une herbe spongieuse, s'enfonçaient dans de la boue visqueuse à chaque faux pas. Une odeur rance flottait dans l'air, des bruits étranges résonnaient dans la forêt. Sheyla ne parlait pas, fermait les yeux, se laissait guider par la Force. Elle écoutait et analysait chaque bruit autour d'elle. Derrière elle, Jamila jetait des coups d'œil attentifs alentours, suivant la torche que portait la jeune Jedi. Toutes deux partageaient les mêmes émotions : l'envie de sortir de cet enfer vert, une sensation d'être épiée au plus profond de la jungle… Enfin, un rai de lumière perça à travers les fougères et les lianes géantes : la forêt venait mourir sur une grande plaine, là où le bâtiment devait se trouver. Heureuses de sortir enfin, Sheyla et Jamila se précipitèrent en terrain découvert. Erreur fatale. Le soleil découpait les ombres et les formes sur la plaine avec une précision meurtrière, mais une chose les frappa subitement. L'herbe. Était-ce le soleil qui donnait cette impression ? Impossible… Sheyla se pencha et arracha une touffe d'herbe, la montra à Jamila dans une expression médusée.
"Elle est…"
Bleue. L'herbe était bleue. Non pas vert tendant vers le bleu, non, bleu ciel, pétant, donnant à la plaine une lueur horriblement éblouissante, uniforme, mais pire encore : on ne voyait rien. Pas le moindre détail dans cette marée bleue. Pour les prédateurs de la plaine, les deux jeunes femmes étaient une tache blanche dans un tableau bleu. Ce qui attira irrésistiblement la plupart d'entre eux…
La bête venait de voir. Ses pupilles dilatées, adaptées à la lumière du lieu distinguaient parfaitement les deux proies humaines qui venaient d'émerger de la forêt. Il rampa dans les herbes, aplati, prêt à bondir. Ses écailles bleutées reflétaient le soleil, de telle façon qu'elles devenaient un camouflage parfait. Devenir lumière. Dans la lumière. Une lumière bleue, rapide comme l'éclair. Personne ne le verrait. Il renifla. L'odeur des deux proies remonta dans ses narines, il accéléra le rythme. Il n'était qu'à quelques foulées de là. Manger. Tuer. Dans son champ de vision, la première proie. Une femelle humaine. Il en avait déjà vu, ici, des humains. C'était bon et nourrissant. Il s'arrêta, prit appui sur ses pattes, calcula le trajet de saut, et bondit gueule en avant.
Sheyla sentait une anomalie dans l'air. Elle saisit la crosse de son sabre. Anticipant l'action de la bête, elle se jeta sur le côté, imitée par Jamila qui avait également de très bons réflexes. La bête atterrit souplement là où se trouvait Sheyla une seconde auparavant. Poussant un sifflement semblable à celui d'un serpent, il se retourna, furieux d'avoir raté sa proie. C'était un immense lézard, une sorte de dragon krayt plus petit et bleu comme l'herbe. Il était difficile de le distinguer dans cet endroit, les deux jeunes femmes avaient mal aux yeux tant la lumière était forte. Le lézard se jeta sur elles avec haine et Jamila sortit son blaster qui émit un petit bruit indiquant qu'il emmagasinait de l'énergie. Sheyla alluma son sabre-laser. La lueur verte brillante tranchait sur le bleu de l'herbe. Elle ferma les yeux, préférant utiliser une autre sorte de vision qui lui permettrait de voir les êtres et non les formes… Elle se jeta en avant et abattit sa lame sur le bête qui poussa un rugissement de douleur. Mais les écailles étaient très résistantes et il en faudrait bien plus pour l'atteindre… À nouveau le lézard se rétracta et se prépara à bondir. Sheyla recula en agitant sa lame pour dissuader la bête d'avancer. Elle tendit la main et invoqua la Force au moment où la chose sautait : le lézard se heurta à un mur invisible très résistant et retomba sur le côté. Sheyla, que cet exercice avait épuisée d'un seul coup, tomba à genoux pour reprendre des forces, les mains dans l'herbe. Elle observa Jamila, qui n'avait pas perdu son sang-froid, loin de là. Cette dernière leva son arme droit devant elle, visa et tira. Zwoum ! Le lézard reçut le tir laser entre les deux yeux. Il se mit à rugir en se tordant de douleur puis ses pattes se dérobèrent sous lui; enfin, il s'écroula en lâchant un dernier cri. Sheyla se releva en prenant appui sur le cadavre de la bête, à nouveau prête pour le combat.
"Bravo", dit-elle à Jamila qui rougit. Joli coup, ajouta-t-elle.
"Merci… Vous aussi, c'était magnifique le coup du mur invisible."
Sheyla sourit à son tour.
"Merci. Mais je ne recommence plus ça sans prévoir le coup de barre après."
Jamila rit.
"C'est vrai que ce n'est pas pratique en plein combat", dit-elle. "Mais c'est utile…"
"On ne devrait pas s'attarder, cette chose ne devait pas être seule. À mon humble avis," dit-elle, "ce que l'on cherche est quelque part dans cette plaine."
"Faudrait-il encore savoir ce qu'on cherche exactement…"
"Je pense que c'est bien un bâtiment. Ou quelque chose du genre."
Elles continuèrent à marcher dans la grande étendue bleue, pendant deux heures. Le soleil tapait sans laisser de répit aux deux marcheuses. Enfin, le soleil refléta quelque chose d'étrange dans la plaine. Jamila s'arrêta et le montra du doigt :
"Regardez !"
Sheyla s'arrêta et observa à son tour. Un grand complexe se dressait au milieu de l'herbe, haut de deux étages. La porte, noire, se découpait au milieu du bleu infini. Le reste du bâtiment était d'un blanc éclatant.
"Bon… entrons," proposa Sheyla, son sabre allumé.
"D'accord," accepta Jamila, anxieuse.
C'était le légendaire refuge dont son père lui avait parlé toutes ces années… Une fois à l'intérieur, après que les deux grandes portes se soient ouvertes majestueusement, les yeux des jeunes femmes mirent beaucoup de temps à s'habituer à l'obscurité régnante. Puis elles virent un escalier, au milieu d'une pièce vide, sombre.
"Bon, il n'y a rien ici," constata Sheyla. "Montons."
Jamila hocha la tête en silence, tenant toujours fermement son arme, suivant la lame lumineuse de Sheyla qui projetait une douce lueur verte sur les murs. Au premier étage, le scénario se répéta. Une pièce vide, et un simple escalier qui semblait attendre. De l'étage supérieur semblait émaner une lumière bleutée. Les deux jeunes femmes empruntèrent l'escalier pour se retrouver dans une salle étrange : de grandes baies vitrées laissaient entrer la lumière de la plaine, ce qui projetait sur le sol des rectangles de lumière bleue et donnait un aspect calme et serein à la pièce. Au fond de celle-ci, on distinguait une armoire noire, et devant cette dernière, un étrange appareil posé sur le sol. Sheyla envoya quelques ondes de la Force vers l'objet : il ne semblait pas dissimuler de cellule d'énergie capable d'exploser. Mais elle capta une petite source d'énergie qui émanait du centre de l'objet, trop faible pour être une bombe…
"Attendez", dit Sheyla en levant une main en signe de stop.
Elle avança vers l'objet, et un rayon de lumière en sortit. Un hologramme. Bientôt, un homme apparut devant les deux jeunes femmes. Sheyla attendit qu'il prenne parole, mais Jamila avança et passa sa main dans l'hologramme qui était d'une réalité saisissante.
"Papa ? "murmura-t-elle.
L'homme holographique ne répondit pas. C'était donc un message pré-enregistré.
"Ma petite Jamila. Je suppose qu'aujourd'hui tu es venue parce que je ne suis plus de ce monde… Crois-moi, où que je sois, je t'aime encore de toute mes forces, tu peux en être sûre…"
Jamila observait l'image de son père, bouche-bée. Une larme tomba sur sa joue.
"Alors tu as trouvé l'endroit, traversé ma chère plaine… Tu te demandes pourquoi j'ai choisi cet endroit, peut-être. Parce que le bâtiment est difficile à trouver, et qu'il faut traverser la plaine pour y arriver… Je te dis donc bravo, ma chérie. Mais tu as toujours été douée… Aujourd'hui, je vais t'apprendre beaucoup de choses. Sur toi. Sur cet endroit et l'armoire qui se trouve devant toi."
Jamila et Sheyla se regardèrent et attendirent, intriguées.
"Vois-tu, ce que je m'apprête à te dire est peut-être un peu difficile… J'aurais dû t'en parler depuis longtemps déjà. Tu as peut-être remarqué que tu n'as jamais été comme les autres enfants… Saré le sait. Nous le savions, ta mère et moi. Mais ça ne vient pas de nous. Ça vient de ta famille. Tu es une Jedi, ma chérie. Ou du moins, tu peux le devenir. J'espère que tu le sais déjà et que la personne que l'alternative de dialogue de cet ordinateur a détecté à tes côtés est un maître Jedi, qui sait, tu as peut-être commencé ton entraînement…"
Jamila sourit.
"Mais comme je te l'ai dis, tu as des ancêtres qui, eux aussi, avaient ce pouvoir. La Force est puissante dans ta famille…"
« Quoi ? » pensa Jamila. « Mes grands-parents n'ont jamais eu ce pouvoir ! »
"Peut-être crois-tu encore que tu as ta famille devant tes yeux, ma chérie… Alors, laisse-moi te raconter une histoire. Celle de ta mère… et la tienne."
Jamila écoutait, fascinée.
"Ta mère était…une femme très douée. Une Terrienne. Mais elle a eu… un vide avec son premier enfant. Ne voulant pas reproduire l'erreur, elle décida d'abandonner le deuxième à un couple sans enfants, qui ne pouvait pas en avoir… Ces gens… Ces gens ont accepté et ont élevé l'enfant comme si c'était la leur…"
Le cœur de Jamila sauta un battement.
"Nous étions très heureux, tu sais. Tu étais l'enfant que nous attendions. Marguerite était si heureuse… Ta mère… ta mère nous avait demandé de t'éloigner le plus possible de tout ce qui touchait à ton anormalité, de ne jamais t'en parler. Elle disait qu'elle venait de l'autre monde et qu'elle ne voulait en aucun cas que tu y ailles. Mais le sort en a voulu autrement, tu le sais. Aujourd'hui, je ne peux plus garder ceci secret, tu es dans ton univers… "
À présent, Jamila murmurait des « c'est impossible… », les yeux écarquillés.
"Mais je ne te révélerai rien d'autre sur ta mère. Tu devras découvrir par toi-même tout cela… Sache seulement qu'elle est morte, ma chérie. Ainsi que ton père. Ne les recherche plus… Tu es donc orpheline, aujourd'hui… Même tes parents adoptifs ne sont plus…"
L'hologramme pleurait. Jamila aussi, de toutes les larmes de son corps.
"Je te souhaite de devenir un Jedi. Tu auras une nouvelle famille, les Jedi. Ils seront tes parents, tes frères et tes sœurs… Je compte sur eux. Mais il nous faut parler de la raison de ta venue."
Sheyla s'aperçut qu'elle avait posé fraternellement une main sur l'épaule de Jamila qui séchait ses larmes. Elle l'enleva et écouta l'hologramme.
"Tu es certainement poursuivie par des gens qui veulent ce que j'ai caché ici… Il s'agit de quelque chose de très secret, je te demanderai donc de n'en parler à personne, fais-ça pour moi et ta mère…"
Jamila acquiesça en murmurant.
"Il s'agit d'une arme… D'une arme très puissante. Un laser qui n'a pas besoin de munitions, conçu par un groupe de gens très influents, des bandits de grand chemin, et qui a la faculté de désintégrer tout ce qu'il atteint… Pire encore, il passe à travers les lames de sabres-lasers… "
Sheyla frissonna.
"J'ai été chargé par la République de dérober le prototype et ses plans. Cela, je l'ai réussi, et j'ai caché mon butin ici. On m'avait demandé de le ramener, j'ai dit que je l'avais détruit… Mais je l'ai gardé… Pourquoi, je n'en sais rien. Je suis attiré par la beauté de l'engin et incapable de le détruire. Il renferme une technologie incroyable ! Une cellule d'énergie qui se recharge seule et fait office de munitions. Tu imagines ? Je pensais pouvoir l'utiliser à bon escient… Mais je me suis rendu compte trop tard de la puissance destructrice de la chose. J'ai voulu le détruire… Mais il semblerait, puisque tu peux encore lire ce message, que je n'ai pas eu le temps de revenir sur la planète. Dans ce cas, la tâche te revient, ma chérie. Fais-le. Quant à ces hommes qui doivent te rechercher, tu trouveras bien le moyen de leur faire comprendre que ce qu'ils cherchent est détruit à jamais… Courage, ma petite. Je vais te donner une information qui pourra t'aider : ce « groupe » de gens est à la solde d'un bandit, Sandberg, mais je n'ai malheureusement plus les coordonnées de leur QG… Ils se font appeler « les Écumeurs de l'Espace ». Leur sigle, deux E entrelacés, est parfois retrouvé à côté des pauvres victimes qui tombent sous leur blaster… J'espère que tu arriveras à te débarrasser d'eux… N'hésite pas."
L'hologramme soupira.
"Il est temps de nous séparer, ma petite. Au revoir… Et bonne chance…"
Il disparut. L'armoire derrière lui s'ouvrit en grand. S'ensuivit un long silence que ni l'une ni l'autre n'osait briser. Sheyla prit une grande inspiration et se tourna vers Jamila.
"Ça va aller ?"
"Je crois, oui", répondit cette dernière sans bouger, les yeux fixant le vide.
Sheyla observa l'armoire qui s'était ouverte. Au fond, posé sur une étagère, elle put voir un petit hologlobe qui devait contenir les plans, et ce qui devait être l'arme en elle-même. La chose ressemblait à un gros fusil blaster avec une poignée recourbée. L'arme ronronnait doucement, comme si elle venait juste de servir. Sheyla s'en approcha prudemment. Elle posa la main sur le canon; il répandait une chaleur tiède. Elle saisit l'hologlobe et pensa un instant à le ramener aux Républicains. Comme le père de Jamila, ou du moins son père adoptif, elle hésitait. Détruire une telle prouesse technologique… Elle se détourna de l'objet.
"Jamila, c'est à vous qu'il appartient de décider."
La jeune femme acquiesça.
"Je ne pourrais jamais vivre avec l'idée que cette chose existe. Ça représente beaucoup trop de choses à mon goût."
Sheyla hocha la tête avec sagesse.
"Vous avez raison, allez-y."
Jamila posa l'hologlobe au sol et demanda à Sheyla de s'écarter. La Jedi recula de quelques pas. Lentement, Jamila brandit son blaster, ferma les yeux et appuya sur la détente. Le tir partit et atteignit le petit objet sphérique qu vola en éclat dans une explosion de lumière. Sheyla se couvrit les yeux, aveuglée par le flash. Lorsqu'elle les rouvrit, il ne restait qu'un trou fumant à la place du petit objet. Sheyla s'avança.
"Que fais-t-on de l'arme ?" dit Jamila.
"Je suppose qu'il vaut mieux la détruire", répondit Sheyla, dégainant son sabre-laser.
Elle trancha le canon de l'étrange blaster en deux. Tout ce qui se trouvait autour fondit par la même occasion et il n'y eut plus qu'un amoncellement de métal en fusion dispersé sur le sol.
"Bon, c'est fait", dit Sheyla en inspirant." Maintenant, il faut retrouver vos agresseurs, et surtout Loran et Alderaan."
"Mais comment ?"
"Là est la question. Nous ne pouvons pas perdre le temps de retourner à Coruscant… De toute évidence, ils ont quitté Naboo et ne sont pas allés à Avontar. En revanche, je connais Sandberg", dit la Jedi en soupirant.
"Sandberg ? Le chef de leur groupe, c'est ça ?"
"Oui, Rurk Sandberg".
"Vous l'avez déjà rencontré ?"
"Oh, ça oui. Et j'aurais aimé que non… Mais je ne sais pas où il se trouve en ce moment…"
"Si c'est un malfaiteur, il y a au moins quelques uns de ses sous-fifres postés sur Nar Shaddaa", proposa Jamila.
"Mmmh… C'est une bonne idée. Commencer par la lune des contrebandiers me semble bien. On peut essayer. À moins qu'un miracle arrive, je ne vois pas d'autre solution…"
Jamila hocha la tête et toutes deux s'en allèrent dans la plaine, vers la jungle, vers leurs vaisseaux.
