Chapitre XI

Le retour du côté obscur

1

Le fermier

Sheyla, nullement consciente d'être observée, se posa doucement sur une aire d'atterrissage gratuite de Mos Esley. Depuis que Tatooine était républicaine et avait son représentant au Sénat, la vie s'était considérablement améliorée. On avait installé de nombreuses aires comme celle-ci, sécurisé les grands axes de villes les plus importantes, et une police locale avait été installée. L'esclavage était aboli depuis l'Empire (l'une des rares bonnes choses qu'il avait apporté). Bref, Tatooine était nettement plus agréable à vivre depuis qu'elle était entrée au Sénat. Sheyla n'y était pas venue depuis longtemps.

Cela lui faisait une sensation étrange : après tout, cette planète était en quelque sorte le berceau des Skywalker, le lieu de naissance de sa mère. Une sorte d'amertume l'envahit. C'était une planète qui avait peut-être été belle fût un temps. Peut-être comme Naboo, avant que, par exemple, une catastrophe naturelle l'ait détruite entièrement et qu'il n'en reste plus que ce désert infini. Tatooine n'avait peut-être simplement pas eu de chance. Le sable semblait s'étirer à l'infini. La mer de dunes ondulait sous le vent, dessinant de longs ballets de lignes comme ceux que les étoiles allongées donnaient quand on dépassait la vitesse de la lumière.

Sheyla trouvait qu'il faisait un peu chaud pour elle. Elle avait sa tunique de Jedi mais s'était enveloppée dans sa grande cape sombre pour éviter à la fois le soleil et les regards. On ne savait jamais. Tatooine restait Tatooine, républicaine ou pas.

Elle marcha jusqu'à l'extérieur de la ville grouillante. Il y avait du monde, mais personne ne lui jetait un regard, pas plus que si elle ne portait rien d'autre qu'une petite culotte rose à pois verts et jaunes fluo. Le merveilleux de Tatooine, c'était que n'importe qui pouvait y rester sans qu'on se pose de question sur l'origine du nouveau venu. Du coup, elle parvint sans aucun problème jusqu'à la petite ferme hydroponique indiquée sur son datapad.

La maison était silencieuse, et apparemment déserte. On entendait juste le bruit du vent remuant le sable au loin. Sheyla resta immobile, se demandant si comme elle le pensait, il s'agissait d'un piège. Elle sentait une atmosphère de peur et de tension. Qui que ce soit, la personne qui vivait ici se comportait comme une proie en fuite. La Jedi finit par avancer dans la pièce principale, aux aguets, la main posée sur la crosse de son sabre. Le silence anormal l'inquiétait, d'autant plus qu'elle sentait une menace croître dans l'ombre. Une menace qui se rapprochait, qui se rapprochait terriblement…

Elle entendit un craquement et se retourna vivement, le sabre levé et prêt à l'attaque, et se retrouva nez à nez avec le canon d'une arme. Derrière elle, un homme tremblant de tous ses membres empoignait fermement un blaster qu'il lui pointait sur le visage. Elle l'observa. Ses yeux étaient comme fous, il ne cessait de jeter des regards partout autour de lui. De grosses gouttes de sueur lui perlaient du front. Il ne semblait pas dans son état normal.

— Votre arme ! s'écria-t-il, visiblement mort de peur. Par terre !

Il savait comme elle que ça ne servirait à rien, mais elle obtempéra sans le quitter des yeux, lentement.

— Vous êtes qui ? lui balança-t-il sans relever son pistolet laser.

— Je suis Sheyla Skywalker, dit-elle paisiblement en essayant de ne pas regarder trop souvent le trou noir formé par le canon à la hauteur de son front.

— Preuve ! cria-t-il, surexcité.

— Calmez-vous. Vous avez demandé un rendez-vous avec un Jedi pour nous dire ce que vous savez, c'est bien cela ?

L'homme sembla se détendre quelque peu, mais il ne baissa pas son arme pour autant.

—Comment puis-je vous faire confiance ? dit-il d'un ton plus calme mais toujours très méfiant.

— Vous avez vu mon sabre-laser et sa couleur. Je n'ai rien d'autre qui puisse vous le prouver, mais je suis Jedi, croyez-moi.

Elle avait dit ces derniers mots en les pesant bien. En les appuyant de la Force, même. Ce qui sembla faire son effet, même si elle n'appréciait pas beaucoup cette méthode. Les traits de l'homme se relâchèrent et ses yeux la fixèrent un instant, vides d'expression, puis son regard s'illumina.

— Bien sûr, raisonna-t-il en baissant son arme. Quel paranoïaque je fais. Excusez-moi de vous avoir menacé. J'ai besoin d'aide et quand elle arrive je vous prends pour…

— Ce n'est pas grave, l'interrompit Sheyla. Je comprends que vous soyez nerveux. On l'est toujours quand on garde un secret explosif.

— Je n'ai encore rien dit qui le rende explosif, dit l'homme d'un ton qui refroidit immédiatement Sheyla.

Elle suivit l'homme dans une petite pièce occupée dans sa majeure partie par une longue table en pierre. Il l'invita à s'asseoir poliment. Rien n'aurait pu laisser croire que le même homme l'avait menacée d'un fusil blaster E-11 une minute plus tôt. Sheyla s'assit, toujours sur ses gardes : le fermier (si c'en était un) semblait prompt à la perte de contrôle de soi rapidement.

— Bien, dit-il calmement comme s'il discutait avec une collègue d'affaires. Je suppose que vous venez du Temple Jedi. Sheyla Skywalker, c'est ça ?

— C'est ça, acquiesça-t-elle. Mais je viens en représentante de l'Ordre Jedi.

Un frisson la parcourut lorsqu'elle prononça ses mots. Pas désagréable, non : pour la première fois depuis trop longtemps elle se sentait membre d'une unité soudée, dont la fêlure semblait être en voie de réparation. Cette sensation la réconforta et elle se détendit. Elle se sentait plus forte, tout d'un coup, portée par tous les autres, ses frères et sœurs.

— Bon. Si vous le dites, dit-il d'un air absent. C'est une bonne chose, oui, c'est une bonne chose…

Il évitait son regard.

— Je ne sais pas s'il y a quelque chose à faire de toute façon, mais mieux vaut que vous sachiez ce qu'ils préparent.

— Qui prépare quoi ? demanda Sheyla, intriguée.

2

L'alliance infernale

L'homme soupira.

— Je m'appelle Mike Lonestone. Il y a deux jours, j'étais à la cantina principale de Mos Esley, quand…

Il marqua une pause, jetant des regards inquiets autour de lui.

— Quand ?

— Quand j'ai vu trois hommes entrer. A priori, il avaient l'air normaux : des voyageurs faisant une halte à Mos Esley. Ils se sont mis juste à côté de moi, sur la table du fond. J'étais déjà bien isolé, cette table était la seule de libre là où il y avait le moins de monde. Ils ont commandé un peu d'alcool je crois, pas moyen de me souvenir. Ils parlaient plutôt bas. Je me suis pas beaucoup intéressé à leur conversation, c'était pas mon problème, vous comprenez. Je venais juste prendre un verre avant de repartir au boulot.

Sheyla hocha la tête. Elle avait un mauvais pressentiment sur la suite. Il sembla hésiter.

— Allez jusqu'au bout, insista-t-elle.

— Bien. Je regardais un couple de Twi'lek danser, la musique était forte, c'est à ce moment que j'ai entendu un mot plus fort que les autres. Je suppose qu'ils se sentaient à l'abris des oreilles indiscrètes à cause de la musique, et surtout qu'ils avaient un bon coup dans le nez. Forcément, quand vous entendez « Jedi » prononcé avec une haine infecte derrière vous, ça vous coupe l'envie de boire pendant quelques secondes. J'ai pas pu m'empêcher d'écouter.

— Vous avez bien fait, le conforta Sheyla, à son tour inquiète.

— J'en doute. Ils ont commencé à parler des Impériaux, et là je me suis vraiment appliqué à entendre le reste. Le pire était à venir. J'en ai bondi sur ma chaise. Le premier disait que leur chef avait rencontré un certain Dark Tullius, ou Julius, je ne sais plus, qui se proclamait Seigneur Sith.

La première pensée qui vint à l'esprit de Sheyla fut « ce type a mal entendu, c'est impossible », puis elle comprit qu'il disait vrai. Figée, elle fut incapable de dire un mot.

— Je ne sais pas si vous imaginez la surprise que j'ai eue, continua-t-il. Premièrement parce que je savais pas grand-chose des Sith sinon qu'ils étaient les ennemis des Jedi, j'avais dû récupérer ça quelque part, allez savoir. Deuxièmement parce que j'avais comme qui dirait l'impression d'être là au mauvais moment, et je ne voulais pas entendre la suite. Mais c'était plus fort que moi. Vous n'imaginez pas la surprise que ça fait d'entendre parler de Seigneurs Sith dans une cantina de Mos Esley.

Oh, si, j'imagine très bien. Pas plus que de l'entendre dans une ferme hydroponique des alentours de la ville.

— Et ce n'était pas tout. Ils ont conclu une alliance. Entre les Impériaux qui reste et ce fameux Dark Machin. Là j'en tombais des nues. Une alliance pour renverser la République. Il semblerait que le Sith en question avait recruté des jeunes gens, des types qui auraient certainement pu devenir Jedi si on les avait pris à temps, d'après les dires des trois hommes. Que cela durait depuis six ans, dans un refuge secret… Je n'ai pas entendu où, désolé. Eux étaient des Impériaux, il ne savait pas grand chose de ce Sith. Ils savaient juste que les vestiges de l'Empire ont commencé à se rassembler dans un idéal commun, aidés par ce qu'ils appellent les Jedi Noirs ou Sith, tout simplement. Ils ont peut-être déjà une armée solide.

Whoops. Sheyla le sonda mentalement pour savoir qu'ils disait vrai : elle ne perçut aucune trace de mensonge dans sa voix ni dans son esprit.

Lonestone continua son récit, se rapprochant d'elle, cette fois un air grave sur le visage :

— Vous comprenez, je suis un Républicain. L'Empire, c'était l'horreur pour Tatooine et les petites exploitations privées dans mon genre, confia-t-il en baissant les yeux. Les taxes étaient monumentales, on vivait tous dans une pseudo-liberté affreuse. Quand tout s'est effondré, c'était comme une libération. On pouvait cracher sur les statues de l'Empereur sans risquer de passer sous les E-11 des stormtroopers, on pouvait vendre le triple de nos productions habituelles, et se faire un peu de pognon pour vivre mieux. Le rêve, quoi. La République a fait ce qu'il fallait sur Tatooine. La vie s'est améliorée pour beaucoup d'entre nous. S'il y avait un coup d'état, une insurrection, une conspiration, ou je ne sais quoi, je serais heureux de défendre la République, comme beaucoup de monde ici. Mais je sais une chose : vous le feriez mieux que quiconque, même si ça signifie y laisser votre vie, pas vrai ?

Sheyla fut prise de court par cette question. Bien sûr, qu'elle était d'accord. La République et la démocratie étaient ce pourquoi l'Ordre Jedi s'était battu tout le long de son existence. Lorsqu'elle disparaîtrait, l'Ordre mourrait avec, elle le savait. C'était déjà partiellement arrivé. Si les Impériaux tentaient de reprendre le pouvoir, les Jedi se battraient jusqu'au dernier pour préserver la République. Et elle craignait que cela arrive. Il fallait l'empêcher.

Elle hocha la tête silencieusement après cet instant de réflexion solitaire.

— Voilà ce à quoi je m'attendais. Et c'est aussi ce que les Impériaux et les Sith pensent. D'après ce que j'ai compris, l'alliance qu'ils ont formés sera bénéfique aux deux. Lorsque le Nouvel Empire naîtra, comme ils disent, les Sith pourront faire ce qu'ils veulent en toute « légalité ».

doute que cela dure longtemps, l'interrompit Sheyla. Ils ne sont pas de ce genre. Je ne sais pas comment pense un Sith, mais j'en ai une vague idée. Ils ne partageront pas le pouvoir. Dès que les Impériaux auront restitué l'Empire, ils en prendront les commandes.

— Peut-être, admit le fermier. Mais pour le moment, ils sont alliés, peu importe le temps que ça dure. Le problème, c'est qu'ils ont décidé d'un commun accord que la première étape pour renverser la République est de balayer ses défenseurs les plus fidèles.

— Ils ne seront pas les premiers à avoir essayé, déclara Sheyla hardiment.

— Je sais, répondit l'homme en soupirant. Mais vous ne prendrez pas cette menace à la légère, n'est-ce pas ? Vous ne pouvez pas vous le permettre.

— Ont-ils un plan précis, au moins ? demanda la jeune Jedi.

— Bien sûr. Ils veulent se débarrasser de l'Ordre tout entier. D'après ce que j'ai entendu, ils appellent cela l'Ordre Soixante-six.

Logique, pensa Sheyla avec un frisson. Maître Keradona lui avait souvent parlé de ce qui s'était passé alors qu'elle était en mission, comment le Temple avait été balayé. Annita Keradona se trouvait cachée derrière un pilier quand elle avait entendu l'Empereur susurrer au commandant clone qui l'accompagnait « Exécutez l'ordre soixante-six ».

Sheyla frissonna à nouveau. Tout cela n'annonçait rien de bon. Bien au contraire.

— Et… vous avez une idée de ce qu'ils préparent ?

— Pas une grande. Cela m'étonnerait qu'ils essayent de s'attaquer au Temple ou à l'Académie Jedi tous seuls, avec leur armée. Personne n'est assez timbré pour faire ça. Enfin, je crois. Les hommes eux-mêmes ne savaient pas grand-chose, sinon que quelque chose de spécial est prévu, qu'il était question d'enlèvements et d'un truc qu'ils appelaient mitilauriens, je crois.

Midi-chloriens ? s'exclama Sheyla dans une expression stupéfaite, tandis que l'autre moitié de son cerveau lui criait « Sollen, Sollen, Sollen, Sollen, enlèvements, pauvre cruche, tu as bien entendu, fais pas semblant, tu as entendu, pauvre cruche réveille-toi Sollen est aux mains des Sith ».

— Ah oui, excusez-moi, c'est ça, c'est exactement ça. Comment dites-vous ?

— Midi-chloriens.

— Jamais entendu ça. De quoi s'agit-il ?

Sheyla inspira. C'était déjà bien difficile de comprendre de quoi il s'agissait lorsqu'on était Jedi, alors pour quelqu'un qui ne ressentait pas la Force…

— Disons que je les perçois comme des interprètes de la Force. Les Jedi en ont un taux plus élevé dans leurs cellules que la normale des gens. C'est un peu dur à expliquer. Il faut le sentir pour le comprendre. Ce serait comme… comme des voix minuscules qu'on entend en soi, qui nous dictent les mouvements, les changements dans la Force… Ce qui nous permet d'anticiper les choses, par exemple.

Le fermier écoutait, fasciné. Après tout, pensa Sheyla, je ne me débrouille pas si mal.

— Et dans le sens contraire, on s'en sert comme de relais pour transmettre nos vœux à la Force. Pour déplacer des objets à distance, par exemple. Ils agissent plus en nous qu'en les autres, ils nous permettent de changer certaines conditions physiques, aussi. Ils sont, je pense, le relais entre les Jedi et la Force.

— Je comprends. Mais comment les Sith pourraient-ils se servir des midi-chloriens pour agir contre les Jedi ? Après tout, ils en ont eux aussi plus que la normale. Ce ne sont rien d'autre que des Jedi qui adorent la Force obscure, pas vrai ? Un Chevalier Jedi m'en avait parlé il y a longtemps.

— Oui, si on veut. J'avoue que je ne vois pas comment ils pourraient… peut-être qu'ils ont trouvé un moyen de détruire les midi-chloriens, auquel cas ils pourraient facilement se débarrasser de l'Ordre… Mais à ma connaissance il est impossible de les détruire sans détruire la cellule, vous comprenez ? Ils font partie intégrante de nous. Et même les gens normaux comme vous ont des midi-chloriens, le taux dans le sang est seulement moins élevé. Quoi que ce soit, ça concerne très particulièrement les Jedi, c'est sûr.

Sheyla ferma les yeux, troublée, cherchant leur appui. Et dans le silence, elle entendait leurs voix. Sentait les flux et les reflux de la Force qui s'agitaient autour d'elle. Chaque mouvement dans la pièce, elle le percevait, jusqu'aux battements sourds du cœur de son interlocuteur.

— Et je le crois fermement, ajouta-t-elle en rouvrant les yeux.

— Moi je vous crois, dit l'homme en haussant les épaules. Faudra voir et en discuter avec vos amis hauts placés, ils sauront quoi faire. J'ai dit tout ce que je savais. Après leur discussion, ils sont partis, mais je crois qu'ils savent que je les ai vus. Cependant, s'ils avaient voulu me tuer, ils l'auraient déjà fait.

— Vous avez raison, acquiesça Sheyla.

— Je crois que c'est tout ce qu'on a à se dire, dit le fermier en se levant. Vous voulez un peu de jus de rakjine avant de partir ? ajouta-t-il en sortant un grand récipient de son garde-manger.

La Jedi manqua d'accepter, puis se ravisa. On est jamais trop prudente, lui souffla une voix dans sa tête. Elle secoua la tête, murmura un « non merci, je suis pressée » et quitta sa chaise à son tour.

— Je ferais mieux d'y aller tout de suite, dit-elle. Je sais que vous ne m'avez pas menti et vous comprenez qu'il faut immédiatement que j'alerte la Nouvelle République et les Jedi.

— Oui, je comprends, approuva-t-il d'un air grave. J'espère qu'au moins je vous aurais un peu aidé.

— Beaucoup, lui dit Sheyla. Vraiment. Vous avez peut-être même sauvé tout le monde, qui sait, elle ajouta avec un sourire qu'il lui rendit.

— J'en doute. Mais vous avez raison, qui sait…

Il posa une main sur son épaule tandis qu'elle s'apprêtait à partir.

— Hé. Pressez-vous, maître Jedi. Ce n'est peut-être qu'une question de semaines. Ou de jours. En tout les cas, le temps vous est compté.

Sheyla pensa amèrement qu'il s'agissait de la deuxième fois qu'elle entendait cela et ne put réprimer un nouveau frisson. Le temps vous est compté. Nous est compté. M'est compté, en fait.

3

Les communications sont coupées

Après avoir quitté la ferme et fait ses adieux (et remerciements) à Lonestone, Sheyla décrocha son comlink. Elle pouvait contacter quelqu'un de sa connaissance posté sur Naboo en ce moment - tout près, mais vraiment aux limites de son comlink. Elle avait pensé à lui, car il lui fallait contacter quelqu'un avant de décoller, au cas où. Il fallait que quelqu'un sache. Tout de suite. Maître Hax était sur Naboo, il était parti pour un deux semaines… Il devait encore y être. Sûrement, même. Réponds, réponds… Tous les comlinks du Temple étaient reliés entre eux, il suffisait d'appeler et on obtenait le Jedi le plus proche en mesure de répondre. Mais le petit communicateur ne fit aucun bruit. Le silence était écrasant.

Au bout de quelques minutes d'attente, Sheyla s'aperçut que les ondes de communications étaient incapables de franchir l'atmosphère. Quelque chose devait les brouiller : elle voyait le signal de ÉMISSION IMPOSSIBLE clignoter sur le côté de l'appareil. Étrange. Il n'y avait pas le moindre nuage ici, Naboo était suffisamment proche… Le signal aurait dû passer. Maître Hax n'éteignait jamais son comlink, elle le connaissait bien. On l'avait même surnommé Le Toujours Joignable. Pourtant…

Le silence durait encore. Le voyant clignotait toujours. Les ondes ne passaient pas le système, Sheyla en était persuadée. Et son intuition lui soufflait l'horrible vérité : les communications avaient été bloquées, coupées, brouillées. Mais par qui ? Et par quoi ? Et surtout, pourquoi ? Savait-on qu'elle était là ? Elle avait beau se dire que c'était impossible, se le répéter encore et encore, elle se rappelait toujours l'embuscade, sur Kjamila. Ce jour-là aussi, elle s'était crue en sécurité, ignorée de tous. Et pourtant, on les avait suivies, elle et Jamila. Ce qui était arrivé une fois pouvait très bien se reproduire. L'arrogance ne menait à rien.

Elle partit donc de l'hypothèse que quelqu'un était au courant de son arrivée ici, savait qu'elle savait, et voulait l'empêcher de contacter les Jedi. C'était idiot. Il lui suffisait de voler jusqu'à Coruscant, plus proche que Yavin IV, et le Temple serait au courant. À moins que…

Un affreux pressentiment la prit tandis qu'elle comprenait, qu'elle voyait les mailles du filet se resserrer. Il fallait qu'elle décolle de là, le plus vite possible, avant qu'il ne soit trop tard, mais elle ne se faisait pas trop d'illusions : on l'attendait certainement là-haut, avec tout le comité d'accueil, les cocktails et les petits fours. Mais elle n'avait plus le choix.

4

Jamila

Jamila avait pris le premier vaisseau en partance pour Coruscant, impatiente de retrouver Sheyla et les Jedi. L'atmosphère particulière du Temple lui manquait terriblement, qu'elle le veuille ou non. Pendant ces courtes heures, elle avait eu l'impression de faire partie de leur famille ; maintenant, elle en ferait partie. Ils étaient sa famille, avait dit son père. Elle l'écouterait, peu lui importait que sa mère biologique ait voulu l'éloigner des Jedi. Son destin n'était pas sur Naboo.

La navette de voyageurs se posa dans le plus vaste spatioport de la ville, le Grand Spatioport, un monstrueux édifice aux proportions inimaginables d'où partaient navettes, monorails, trams et trains magnétiques. Sans compter le nombre incalculable de speeders personnels garés sur le parking à étages, et les divers restaurants et magasins disposés dans tout le bâtiment.

La navette de Jamila, une navette du groupe de service InterSystems nommé Petite Étoile, faisait le trajet Coruscant – Naboo en continu. Elle en descendit, un peu perdue dans le gigantesque spatioport rutilant. L'endroit était entièrement peint de blanc et de gris clair métallique, en faisant l'un des plus beaux sites de la planète. Jamila se dirigea dans les allées monumentales à ciel ouvert, passant devant diverses boutiques de vêtements ou toutes sortes de gens – humains ou non – s'affairaient pour suivre la mode au possible. Les galeries marchandes du spatioport n'étaient pas sans lui rappeler celles de Paris, qu'elle avait visité une fois à l'âge de huit ans, quelques mois avant la destruction de la Terre. En plus moderne, sûrement. Et certains articles étaient introuvables à Paris, elle en aurait mis sa main au feu. Elle passa devant un magasin de speeders, puis vit une borne de navettes qui survolaient Coruscant « Navettes Touristitour : ne perdez pas une miette de la capitale de la République ! Coruscant la belle, visite guidée de quatre heures ! ». Jamila se demanda comment on pouvait visiter une planète entière en quatre heures, mais de toute façon, tout, sur Coruscant, était démesure et gigantisme. Impossible de tout voir.

Elle se rendit au quai de départ des trams du secteur Un, ceux qui se rendaient aux points importants de la capitale en partant du spatioport, construit proche de la plupart des structures diplomatiques. Elle vit un tableau holographique au-dessus de sa tête, indiquant les destinations des différents tramways magnétiques. L'affichage changeait régulièrement, affichant tantôt des caractères de basic, tantôt des langues diverses que Jamila n'avait pas appris à lire. Elle lut ce qui était indiqué en basic, cherchant quel train prendre.

QUAI A : SECTEUR UN, ZONE HISTORIQUE ET DIPLOMATIQUE

DestinationLigne

Sénat GalactiqueToutes lignes

Monument Carré3

Avenue Impériale2

Avenue des AmbassadesToutes lignes

Musée des Sciences et de l'Histoire 1

Quartiers des Sénateurs4 et 3

Musée de la République2

Ambassade de Samovar2

Ambassade de Trachiorys4

Temple Jedi(entrée principale) 1

Jardins de Coruscant3

Temple Jedi (esplanade)3

D'autres destinations étaient indiquées, défilant sans cesse (le Secteur Un était immense, après tout, comme tout ici). Une voix fémine annonçaient en différentes langues un message de bienvenue par des hauts-parleurs gigantesques incrustés dans les murs.

Bienvenue au Grand Spatioport de Coruscant ! Vous êtes actuellement sur le Quai A. Les trams citadins de ce quai sont limités aux déplacements dans les grandes zones du Secteur Un, la zone historique, politique et diplomatique de la cité. Choisissez une destination sur le tableau d'affichage principal. Si aucune ne vous convient, consultez la carte des arrêts et prenez l'arrêt le plus proche de votre destination et vous pourrez prendre là-bas un speeder-taxi. Vous pouvez acheter ici des billets pour les speeders-taxi. Nous louons également des speeders. Les vaisseaux-navettes en partance pour les spatioports des Secteurs Deux et Trois sont sur le Quai B. Vous pouvez prendre le petit train qui traverse le spatioport pour vous y rendre. Les vaisseaux-navettes en partance pour les spatioports des Secteurs Quatre et Cinq sont situés sur le Quai C… Les trains magnétiques de longue distance en partance pour les Secteurs Deux, Trois, Quatre et Cinq sont situés sur le Quai D… les trains magnétiques longue distance pour les secteurs Six, Sept et…

La femme égrena encore tous les quais du spatioport et les secteurs de Coruscant auxquels ils donnaient accès. Jamila regardait les tramways arriver et repartir avec une certaine admiration. Tout était réglé au millimètre ici, aucun temps ne se perdait. Elle regarda de nouveau le panneau d'affichage et attendit la ligne un : autant passer par l'entrée principale comme tout le monde. Les trams défilaient les uns après les autres, les passagers descendaient, remontaient. Ils venaient de mondes très différents, Jamila pensa à toutes les civilisations et les milliers de langues qui se retrouvaient ici, capitale de la République. Et pourtant, ils avaient tous un point en commun : ils semblaient tous très affairés et couraient çà et là.

Jamila, assise sur un banc, entendit une autre voix, celle d'une femme qui annonçait les dernières nouvelles :

Bonjour et bienvenue, bulletin d'informations du Spatioport, Quai A. Nouvelle du jour : Attention, nous vous rappelons que le Temple Jedi et ses alentours étant placés sous haute surveilllance depuis hier soir, veuillez prévoir titre de transport, pièce d'identité et attendez-vous à un régulier contrôle et fouille des lignes 1 et 3 par le service de police citadine… Pour votre propre sécurité, merci de ne pas freiner les enquêtes…

Jamila tendit l'oreille. Le Temple, sous haute surveillance ? Que s'était-il passé ? Elle eut soudain un mauvais pressentiment. Pourvu qu'il ne soit rien arrivé de grave… La voix continua.

Nous conseillons aux voyageurs se rendant au Sénat Galactique d'attendre la fin de la convention exceptionnelle sur l'entrée du système autonome de Samovar dans la République. Les lignes sont très encombrées et vous risquez d'être très retardés voire même d'être redirigés. Nous vous conseillons les hôtels du Spatioport : la Halte Spatiale, deux étoiles, le Palace du Voyageur, quatre étoiles…

La suite fut essentiellement des publicités pour tel ou tel hôtel vantant ses mérites. Vues sur le départ du tout dernier et rutilant monorail vers le Secteur Neuf (chouette), repas servis sur la Terrasse avec vue sur Coruscant, vue sur ceci, sur cela, venez, ici vous avez vue sur le Sénat, là sur le Temple Jedi…

Jamila vit enfin arriver le tram qu'elle cherchait : le chiffre 1 illumina la pénombre d'un tunnel duquel il sortait d'une lumière violette. Il s'arrêta doucement sur le quai et plusieurs personnes en descendirent – Jedi pour la plupart – avant de se diriger vers les navettes qui quittaient Coruscant. Des Jedi qui n'avaient pas voulu partir en mission en starfighter, peut-être. Elle vit un maître et son padawan (beau brun qui avait à peu près son âge) et ne put s'empêcher de leur sourire. Le jeune apprenti se tourna vers elle et la contempla d'une manière étrange, l'espace de quelques secondes. Elle sentit son esprit rencontrer le sien, puis repartir. Il se retourna vers son maître et tous deux disparurent, se dirigeant vers le Quai D.

Jamila jeta un œil à la carte du réseau affichée au mur. Ils prenaient un train magnétique, vers un autre secteur de Coruscant… Elle les oublia et monta dans le tram numéro un qui attendait patiemment que tout le monde soit à bord. Elle paya son ticket à la machine incrustée dans la paroi du tram puis alla s'asseoir tranquillement à une place près des fenêtres. Elle vit plusieurs navettes décoller tandis qu'ils s'éloignaient du Spatioport, étincelantes sous le soleil bientôt couchant de cette fin de soirée d'hiver, certaines couvertes de tags multicolores. Le tram s'éloigna davantage, surplombant les maisons, suspendu dans le vide, seulement retenu par les convecteurs magnétiques qui dessinaient un couloir devant eux. Jamila fixa l'horizon. Le tram filait à une vitesse surprenante, si vite qu'il confondait les couleurs autour d'elle. Elle vit passer à une vitesse effarante les immeubles, les files de speeders lancées à grande vitesse…

Une voix métallique annonçait les arrêts dans le tram. Jamila constata que la plupart des passagers de la ligne 1 étaient Jedi, tous la mine sombre. Ils devaient tous rentrer de mission. En même temps ? lui souffla son cerveau. Étrange. Voire même carrément étrange. Elle constata quelque chose. Ils la regardaient. Non pas avec leurs yeux, mais avec leur esprit. Elle pouvait le sentir aussi clairement que si elle avait leur cerveau placé sur écoute. Elle savait qu'ils étaient là, et eux savaient qu'elle savait. Ce n'était pas comme lorsqu'elle avait senti Sheyla lui parler télépathiquement, c'était plutôt une intrusion furtive. Ils devaient s'imaginer qu'elle ne les sentiraient pas. Mais elle pouvait les sentir.

Physiquement, elle croisa le regard de l'un d'entre eux, un homme d'une quarantaine d'année avec un début de barbe grise. Il détourna immédiatement les yeux. Il savait qu'elle l'avait senti, et cela, il ne s'y était pas préparé. Pendant un instant, il dut croire qu'elle était Jedi. Jamila essaya de les éviter et de fermer son esprit. Mais ils avaient tous abandonné et détourné leur « regard ».

Elle en revint à penser à ce fait qu'ils étaient au moins une dizaine dans le même tram, retournant au Temple. Coïncidence ? Elle en doutait fort. N'était-ce pas Sheyla qui lui avait dit, tandis qu'elles discutaient en marchant dans les marais de Kjamila, que les Jedi ne croyaient pas aux coïncidences ? Elle ferait bien de s'en souvenir si elle voulait le devenir un jour… Mais alors, que s'était-il passé au Temple pour qu'ils soient tous en effervescence ? Car pas de doute, les Jedi présents autour d'elle étaient stressés. Ils avaient beau le cacher, mais la plupart méditaient, le menton reposé sur la poitrine en donnant l'impression qu'ils somnolaient. S'ils avaient besoin de méditer dans le tram, leur esprit n'était pas tranquille, non ?

Elle jeta à nouveau un œil par les fenêtres. Le Sénat Galactique se rapprochait, son toit bombé reflétant les dernières lueurs du soleil qui disparaissait à l'horizon. Le trafic était très dense autour : en période de congrès, pensa-t-elle, c'est plutôt normal… Jamila était fascinée. Elle se trouvait dans la capitale de la République, et le légendaire Sénat de la République se tenait devant elle dans toute sa splendeur… Elle ne s'était pas rendu compte lorsqu'elle était au Temple, comme coupée du monde, à quel point Coruscant était magnifique sous le soleil couchant qui rendait les nuages jaunes-orangés… L'atmosphère affairée et pourtant géniale de la cité tandis que les premières lumières s'allumaient (la nuit tombait, il était presque dix-huit heures là-bas) lui fit prendre conscience d'une chose : elle n'était pas faite pour vivre sur Naboo.

La voix retentit tandis que le tram ralentissai :

Nous arrivons au Sénat Galactique. Merci d'attendre l'arrêt complet du véhicule. Les portes sont automatiques.

Jamila vit un ou deux passagers habillés de tenues de soirée descendre. Ils allaient sûrement au congrès. Elle se demandait toujours pourquoi ils n'y étaient pas allés avec leur propre navette lorsque le tram ralentit de nouveau.

Temple Jedi, entrée principale.

Jamila se leva et descendit en même temps que la dizaine de passagers du tram qui portaient les tuniques Jedi. Ils la regardèrent avec insistance, l'air de dire « Qu'est-ce qu'elle vient faire au Temple, celle-là ? » puis ils se détournèrent et marchèrent le long du quai où s'était arrêté le tram. Jamila les suivit. Elle se retrouva le long d'une allée monumentale bordée de statues et de fontaines au bout de laquelle le Temple s'élevait au-dessus de tous les immeubles de Coruscant, ses cinq tours dressées fièrement dans l'azur, les lumières du couchant se reflètant en une fine ligne rouge qui s'étendait sur tout l'édifice et dessinant des flammes célestes sur la façade. Elle marcha à la suite des Jedi qui avait commencé à bavarder entre eux d'un ton inquiet, s'émerveillant de la beauté démesurée de l'allée.

Une fois au bout, elle vit les Jedi passer sous les grandes arcades qui menaient au hall principal du Temple. Elle monta les immenses marches et se rendit compte qu'elle ne savait pas ce qu'elle faisait là. Cette pensée la prit soudainement et elle stoppa. Que venait-elle faire au Temple ? Oui, elle voulait devenir Jedi, elle était prête à tout pour cela, mais comment allait-elle s'y prendre ? Débarquer à l'improviste, retourner voir le Conseil et leur crier qu'elle voulait être formée n'était certainement pas la meilleure idée. Non, avant tout, il lui fallait retrouver Sheyla. Elle savait une chose : elle était liée à elle et elle devait défier le Conseil, s'il le fallait, avec elle. Elle ne savait rien de ce que les unissait : une sorte de fil invisible qu'elle avait ressenti plus fort que jamais lorsque Sheyla affrontait Sandberg sur Zonju II. Et il fallait qu'elle la retrouve. Qu'elles soient ensemble. Étrange sensation.

Donc, il lui fallait retrouver Sheyla Skywalker. Ça ne devait pas être trop dur. Elle finit de gravir les marches et constata qu'il y avait des gardes à l'entrée : des Jedi visiblement dépourvus de tout sens de l'humour. Elle s'approcha. Ils n'avait visiblement pas l'intention de la laisser passer sans lui poser des questions.

— Euh… Bonjour, dit-elle d'une voix mal assurée.

— Bienvenue, dit le premier en s'inclinant.

En réalité, il semblait très sympathique et serviable, comme tous les Jedi.

— Vous avez besoin d'aide, mademoiselle ? Je ne peux pas vous laisser entrer sans autorisation, mais je peux vous aider, dit-il.

— En effet. Je rechercher quelqu'un, répondit Jamila.

— L'un des Jedi de notre Temple, mademoiselle ?

— Oui.

— Vous savez, nous avons eu quelques problèmes ici. Le Jedi que vous cherchez est peut-être très occupé.

— Quel genre de problèmes ? l'interrogea Jamila, inquiète.

— Je ne peux pas en parler, désolé, dit le Jedi d'un ton catégorique. Dites-moi le nom de la personne que vous recherchez, je pourrais peut-être vous aider.

— Il s'agit de Sheyla Skywalker.

— D'accord, je vais voir.

Il s'éloigna, laissant ses coéquipiers à la surveillance. Jamila le vit apostropher un Jedi sous les arcades et lui demander quelque chose. L'autre sembla réfléchir, puis il lui répondit d'une longue phrase. Le gardien hocha la tête, salua son collègue et revint vers Jamila.

— Maître Skywalker est partie sur Yavin IV depuis une semaine. Cependant, je crois qu'elle devait partir en mission. Elle est peut-être encore là-bas, mais ce n'est pas sûr.

— Je vais m'y rendre.

— Je suis sûre qu'elle pourra résoudre votre problème, mademoiselle, lui dit le Jedi en souriant. Il n'y a rien qu'elle n'ait jamais pu résoudre.

Je n'en suis pas si sûre, pensa Jamila avec amertume.

— J'espère qu'elle sera en mesure de vous aider, elle est certainement très occupée.

— Je ne sais pas. Merci beaucoup quand même.

— De rien, mademoiselle. C'est mon but.

— Au revoir, et encore merci, dit Jamila en s'éloignant rapidement.

— Que la Force soit avec vous, mademoiselle.

Jamila courut vers le quai à nouveau et prit le premier tram qui passa (et de toute façon, une seule ligne passait ici) et se retrouva de nouveau au Spatioport. Elle alla vers l'aire d'atterrissage des vaisseaux InterSystems du Spatioport – ceux qui partaient pour d'autres planètes – et en trouva un à son goût. Le panneau d'affichage indiquait quelques exemples de systèmes où chaque navette faisait son arrêt :

Petite Étoile : Direction Fondor, Naboo, Route Commerciale de Remma

Space Flash : Direction Malastare, Bakura, Endor

Eagle's Claw : Voie Hydienne, Direction Ithor, Dathomir, Yavin (Académie Jedi)

Solaris : Route Commerciale de Perlemia (Corulag, Chandrila, Amas de Hapès, Ossus, Lianna)

Hyperspace :Direction Borleias, Ord Mantell, Dantooine

Light Speed : Corellian Run à travers le Noyau, Direction Corellia, Nubia, Rodia, Tatooine, Ryloth

Vulpès : Direction Caamas, Kuat, Commenor, Neimoidia, Lannik, Bothawui

Des dizaines d'autres noms de vaissseaux étaient affichés. Jamila vit le sien – l'Eagle's Claw, la serre de l'aigle – posé paisiblement sur l'aire entre le Solaris et le Light Speed. Il semblait peu rempli. Elle y entra. C'était un grand vaisseau : certains d'entre eux effectuaient des voyages de plusieurs jours, parfois. Il y avait là de quoi manger, des chambres… Jamila espéra qu'il n'y en aurait pas pour une journée et vint voir le pilote, un homme bourru mais l'air sympathique.

— B'jour mam'zelle. Trajet jusqu'où ?

— Yavin IV.

— D'acc. Aller-retour ?

— Aller simple, répondit-elle d'un ton évasif.

— OK, mam'zelle. Ça vous fera vingt crédits.

Jamila acquiesça et remplit les formalités.

— Meeeerci bien, dit l'homme avec un grand sourire en lui tendant une clé. On part dans dix minutes. Sept heures de voyage.

— Seulement ?

— Eh ouais mam'zelle. L'Eagle's Claw, c'est la pointe de la rapidité ! Le repas est servi à la cafétéria dans une heure, mais si vous êtes en décalage horaire, il y a toujours quelque chose de chaud. Les chambres sont au deuxième pont si vous voulez dormir. Vous avez la… (il jeta un œil à la clé qu'il lui avait donné) quarante-neuf.

— D'accord, merci.

— Bon voyage mam'zelle !

Jamila alla dans les salles de repos et s'assit sur un long canapé. Un bon nombre de passagers attendaient le départ, beaucoup d'Ithoriens, remarqua-t-elle, retournant dans leur monde, certainement. Elle s'appuya contre un hublot, contemplant la cité qui s'illuminait comme un sapin de Noël. Les tours du Temple Jedi s'éclairèrent au loin. Puis la voix du pilote annonça le départ d'un ton joyeux.

Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, je vous souhaite la bienvenue à bord de l'Eagle's Claw en direction des systèmes de la Voie Hydienne ! Nous partagerons l'espace d'un moment la trajectoire du Solaris et du Vulpès sur la route commerciale de Perlemia avant de bifurquer vers la voie Hydienne juste après le système de Brenthal ! Des escales sont prévues à Chandrila et Corulag avant Brenthal. Puis nous prendrons la voie Hydienne vers Ploo, terminus au système de Yavin ! Merci d'avoir choisi l'Eagle's Claw, décollage imminent. Tout l'équipage vous souhaite un bon voyage !

Jamila se posta sur un siège et attacha la ceinture de sécurité. Le vaisseau s'ébranla et elle entendit les trains d'atterrissage se replier sur eux-mêmes tandis qu'ils quittaient le sol. Sur le côté, le Solaris aussi décollait doucement en même temps que le Vulpès. Coruscant s'éloigna, de plus en plus… Ils passèrent à travers les nuages, puis soudainement, une secousse indiqua qu'ils avaient quitté l'atmosphère de la planète. La toile sombre de l'espace se déploya sous ses yeux, Coruscant devenant une sphère immense sous le vaisseau. Elle aperçut le Solaris, juste à côté d'eux, tous feux allumés, et le Vulpès, prêt lui aussi. Sa propulsion rougeoyait à l'arrière. Il s'apprêtait à passer en hyperespace. Quelques secondes plus tard, il disparut, dépassant la vitesse de la lumière. L'Eagle's Claw se mit en position et passa en hyperespace à la suite du Solaris. Jamila vit les étoiles s'étirer puis disparaître en un mélange de couleur. Elle se demanda ce qu'elle allait faire durant ces sept longues heures… Une heure et demie plus tard, Sheyla Skywalker partait pour Tatooine…

5

Décollage

Sheyla courut comme une dératée vers Mos Esley et se rua vers l'aire où elle avait atterrit : ce fut là qu'elle remarqua les formes noires qui bougeaient près des portes vers le hangar à ciel ouvert. Des hommes habillés de noir, qui bloquaient l'accès. Elle s'en était douté. Si, comme elle le supposait, les Impériaux avaient bloqué les émissions radios, et qu'ils savaient qu'elle se trouvait à la surface, leur vaisseau était peut-être à côté d'elle lorsqu'elle était sortie de l'hyperespace, et elle ne s'en était pas aperçue…

Le combat semblait inévitable. Elle les vit s'agiter en la montrant du doigt. Ils étaient bien une dizaine… Voire même une quinzaine… Mais elle devait passer. Maintenant. Il lui fallait joindre l'Ordre, n'importe qui, le plus vite possible. Elle décida de passer en force. Dans les deux sens du terme, d'ailleurs.

Les hommes ne virent pas ce qui leur tombait dessus. Une sorte de rafale verte et brune qui, semblait-il, avait été leur proie quelques secondes plus tôt. Certains finirent par sortir leurs blasters : inutile, elle était déjà passée. Les tirs débutèrent alors. Sheyla parait autant qu'elle le pouvait, renvoyant les coups qui venaient de l'arrière avec de plus en plus de difficulté. Elle vit le vaisseau, attendant sagement son retour, et hurla :

— OUVRE-TOI ESPÈCE DE VIEILLE CARCASSE !

Le bip indiquant la reconnaissance vocale la rassura. Le vaisseau ne pouvait pas savoir qu'elle l'avait insulté, cela la fit rire sur le coup. Rire en elle, car le moment était mal choisi pour éclater de rire sous la pluie de coups. Elle se jeta dans le cockpit et écrasa le bouton de démarrage, ouvrant les boucliers déflecteurs au maximum. Les tirs se répercutèrent sur la coque du vaisseau, bien protégé par ses boucliers bleutés. Elle les avait fait installer quelques mois plus tôt et s'en félicita soudainement. Sans eux, elle aurait déjà eu le temps de faire le grand saut avec le New Aethersprite quatre ou cinq fois.

Le moteur ronronna doucement. Trop doucement. Les hommes s'approchaient trop près. Il allait falloir s'en débarrasser, maintenant. Elle saisit alors le manche des canons lasers situés à l'avant, surprise par elle-même de ce geste qu'elle n'avait quasiment jamais effectué. Et le manche resté trop longtemps inutilisé grinça avec mépris. Comment oses-tu me déranger, semblait-il dire, difficile à manier, se coinçant dès qu'il le pouvait. Elle trembla avant de diriger le viseur sur les Impériaux. Puis, prise de scrupules, elle le dévia un peu sur la droite et tira là où il n'y avait personne. Le bruit du laser et le tremblement la firent sursauter. Les hommes hurlèrent en se jetant à terre, tandis que le sol explosait à leur côtés. Des débris de caisses posées dans le hangar volèrent en tous sens. C'était ce qu'elle voulait, le temps que l'antiquité démarre.

— DÉMARRE ! cria-t-elle au tableau de bord. DÉCOLLE, TAS DE FERRAILLE !

Le vaisseau se résigna enfin à quitter le sol dans un bruit d'ouragan, déplaçant des nuages de poussière alentours. Elle vit ses agresseurs taper du poing sur le sol en rageant tandis qu'il devenaient de plus en plus petits… sauf leur chef, qui leur faisait signe de se calmer en agitant la main de haut en bas, la paume vers le sol. Elle ferma les yeux et le regarda, en esprit. Une chaleur se dégageait de son visage. Il souriait. Mais elle reconnut l'aura de ce sourire-là. Un sourire sadique.

Une fois dans l'espace, elle soupira en pensant à ce qu'elle allait devoir dire à Luke et au Conseil. Elle se croyait hors d'affaire… c'était sans compter l'œil malveillant de Teil Vashneer.

6

L'œil du chasseur

Teil observait le starfighter Jedi qui venait de décoller. Enfin, pensa-t-il avec un sourire mi-sadique, mi-satisfait. Il allait pouvoir montrer à ce Jedi ce qu'il savait faire. Il voyait la vitesse à laquelle l'épave volait : certainement que son occupant était très pressé de tout raconter à ses petits potes fouineurs. T'auras pas le temps, mon chou, se dit-il avec un large sourire. Dis adieu à tout ce que tu aimes, j'arrive.

Le crépitement de son communicateur lui annonça le début de la chasse.

— Teil ?

— Ouais.

— C'est une femme. Descends-la. Et fais-moi ça bien, s'il te plaît.

— Vous inquiétez pas, chef. C'est comme si c'était fait. The Hunter's Eye n'aura pas une égratignure.

— Je m'en doute. Allez, vas-y.

Teil éteignit le comlink avec un sourire jusqu'aux oreilles. Décidément, il avait une chance pas possible. Une nana Jedi dans une relique à hyperpropulsion ? Trop facile. Il sauta dans son propre chasseur stellaire, nommé The Hunter's Eye, l'œil du chasseur. Il adorait cet engin qui portait si bien son nom. Une petite merveille de chez KSE, un Avenger 3000 aux lignes épurées et à l'armement redoutable. Associé au machiavélisme et à la rapidité d'action de Teil Vashneer, le petit vaisseau adversaire (tiens, pensa-t-il, d'après mes radars, il est de chez Kuat lui aussi. Mais de quelle époque ? Ère glaciaire de Coruscant ? Mouhahaha !) ne tiendrait pas cinq minutes. Il pariait sur deux, le temps d'armer les torpilles à protons. Un rire sardonique le prit. Enfin une partie de chasse comme il les aimait. Car même s'il pensait que la Jedi ne tiendrait pas plus de deux minutes, il savait qu'il se trompait, et ça lui plaisait. Il était certain de s'amuser. Abattre un Jedi en plein ciel, c'était la classe. Lui seul ici aurait cette chance.

Il décolla silencieusement, quittant la baie d'arrimage du Panther's Roar, confortablement installé au fond du siège du Hunter's Eye. Arma ses torpilles à protons, les charges soniques, les canons laser. Et tout le saint-frusquin, quoi. Le parfait matériel du parfait pilote impérial. Et dire que la relique en face de lui, d'après ses radars, n'avait QUE des canons laser. Excellent. Et un peu dommage. Il aurait aimé un peu de résistance. Tant pis.

The Hunter's Eye se faufila entre les tourelles d'attaque du Panther's Roar, gardant le petit chasseur s'apprêtant à passer en hyperespace dans sa ligne de mire, aussi silencieux qu'une ombre. Teil adorait prendre par surprise. Ce dont il ne se doutait pas, c'était qu'il était difficile de prendre un Jedi par surprise.

7

Affrontement stellaire

Sheyla commençait à entrer les coordonnées d'hyperespace lorsqu'un bruit la fit sursauter. Elle n'était pas sûre de l'avoir parfaitement entendu, mais on aurait juré, tout près d'elle, le vrombissement d'un décollage. Pourtant, les lunes de Tatooine étaient trop éloignées pour qu'elle entende un vaisseau décoller. Elle voulait bien avoir l'ouïe fine, mais il ne fallait pas exagérer. Elle s'en remit donc à la Force, et son intuition confirma son doute : il y avait bel et bien un objet dans le secteur, qui se déplaçait très rapidement, et à ses côtés un autre bien plus gros et bien plus dangereux. Elle enclencha les radars et comprit immédiatement : un vaisseau de taille considérable se tenait en orbite juste derrière elle.

Aussitôt, elle annula le passage en hyperespace et fit faire un demi-tour à son vaisseau. Elle savait bien qu'elle aurait dû fuir, mais elle était trop curieuse de savoir. De plus, il lui aurait fallu patienter cinq bonnes minutes pour passer, et si le vaisseau avait l'intention de la prendre en chasse, elle ne l'aurait pas vu venir, obligée de rester dans la même position en attendant le passage. L'inconvénient des vieux vaisseaux. Elle fit donc un demi-tour, et ce qu'elle vit lui glaça le sang. Ses mains tremblèrent légèrement. Elle n'en avait vu que dans des holovidéos, des cours sur les différents types de vaisseau, des documentaires. C'était immense, gigantesque, et elle ne l'avait pas vu venir…

Un destroyer impérial, un croiseur stellaire, tout ce qu'on voulait, mais l'un de ces monstrueux vaisseaux de guerre de l'Empire, se tenait dans l'ombre de la planète, émergent peu à peu sous les soleils jumeaux. Elle croyait qu'ils avaient tous été détruits ou revendus… Une partie de son cerveau lui clama : ne t'inquiète pas, il ne te veut pas de mal, il appartient peut-être à un collectionneur. Mais lorsqu'elle vit le starfighter qui fonçait vers elle, et qu'elle aperçut l'avertissement sur le radar « Danger, vous vous trouvez dans la ligne de mire d'un chasseur stellaire », elle comprit que les vestiges de l'Empire avaient décidé de la supprimer.

Immédiatement, elle contraignit le New Aethersprite à changer brutalement de trajectoire et vira sur sa gauche, après être passée en mode manuel. L'autre chasseur la prit en chasse, suivant le moindre de ses mouvement, tel un félin suivant sa proie sans relâche. C'était la première fois que ceci lui arrivait ailleurs que dans les entraînements. Sheyla se souvint de tout ce qu'on lui avait appris : dans ces moments-là, calmez-vous, laissez la Force vous guider. Et n'hésitez pas. Elle ferma donc les yeux, laissant la Force guider ses mains et diriger le vaisseau. Elle sentait l'autre la poursuivre sans relâche, mais elle n'arrêtait pas de se déplacer, ce qui rendait le tir difficile. Elle exécuta un looping et se retrouva derrière l'autre chasseur. « N'hésite pas » . C'est lui ou moi, pensa-t-elle. Lui ou l'Ordre et la démocratie. Le choix fut vite fait. Elle empoigna la manette de tirs et dirigea les canons laser sur ce que ses radars (de chez Kuat, évidemment) identifiaient comme l'un des tout derniers Avenger 3000. Elle commença à tirer, non sans difficulté, mais l'autre n'eut pas de mal à éviter les traits de laser. Sheyla avait toujours été mauvaise en tir, c'était Rurk le plus fort dans ce domaine.

Son adversaire zigzaguait et vrillait sans arrêt. Aucun tir ne l'atteignit. En revanche, il vira sur la droite et la reprit en chasse, et Sheyla put presque percevoir le triomphe dans l'esprit du pilote.

Puis elle entendit un « clic ! » caractéristique derrière elle et plongea en avant tandis qu'une torpille fraîchement larguée se chargeait de la traquer. Impossible de la semer : la torpille à protons la suivait comme un chien suivrait son maître, empruntant la même trajectoire qu'elle, jusqu'à la moindre turbulence. Sheyla sentit la panique monter en elle. Elle tenta de se calmer et une solution s'imposa à son esprit tandis qu'elle ne cessait de se mettre en vrille pour éviter le projectile mortel. Elle fonça alors vers le destroyer impérial, passant à ras de la coque, zigzaguant entre les tourelles d'attaque et les antennes radar. La torpille la suivait toujours, mais elle devait elle aussi zigzaguer, et ses réserves commençaient à s'amenuiser. Sheyla rasa encore une fois la surface métallique, et aperçut enfin une grande tourelle d'observation devant elle, les deux soleils de Tatooine se reflétant sur sa paroi métallique. C'était le moment où jamais. Elle fonça vers la tourelle sans dévier sa trajectoire.

De loin, Teil observait son adversaire faire du rase-mottes sur la coque du Panther's Roar, un jet de flammes bleues jaillissant des petits moteurs de la torpille thermoguidée la pourchassant . Il admira intérieurement la vélocité et les réflexes du Jedi, mais il fallait en finir. Il rejoignit le New Aethersprite et recommença à tirer au canon laser pour le déstabiliser.

Sheyla entendit les coups derrière elle, ceux qui heurtaient la coque comme ceux qui secouaient son vaisseau, déviés par les boucliers déflecteurs. Le chasseur trembla violemment. Mais il fallait que cette torpille explose. Elle continua de voler vers la tourelle à pleine puissance, si vite qu'elle crut un instant (tout comme Teil) qu'elle allait s'écraser dans une des baies vitrées de la vigie. Elle voyait la tour se rapprocher à grande vitesse, encore et encore… Attends, pensa-t-elle, voyant sur ses caméras arrière la torpille protonique toujours à ses trousses. Mais pas assez près. Encore un peu, allez, colle-moi comme un rémora terrien, ma grossePlus près… un poil plus près…

— Plus près, bordel ! s'exclama-t-elle avant de se rendre compte de ce qu'elle venait de dire.

Elle sentit une pulsion de colère lui traverser le corps et se figea. Elle fut parcourue d'un frisson étrange ; à la fois du plaisir et de l'écoeurement. C'était une sensation pratiquement inconnue pour elle, ou du moins jamais elle ne l'avait éprouvée à ce point. Pire que cela, elle se découvrit une énergie étrangère. C'était comme si de l'électricité lui passait à travers les veines, déculplant la puissance de ses pouvoirs. Une sensation enivrante, pour sûr, et en même temps exécrable… Presque aussitôt, elle lâcha ses mains du manche comme s'il avait été brûlant. Sheyla doutait d'elle-même, pour la première fois depuis longtemps. C'était juste cette minuscule explosion dans son esprit – la rage du désespoir – qui, momentanément, lui avait plu. Dégoûtée, elle reprit ses esprits et se concentra, totalement lucide cette fois, sur la torpille qui se rapprochait.

Enfin, lorsqu'elle estima qu'elle ne pouvait pas attendre plus, elle tira sur le manche directionnel de toutes ses forces, l'attirant vers elle avec l'espoir qu'il ne casserait pas. La tourelle se rapprochait toujours dangereusement, mais le nez Delta-7 ne daignait pas se redresser…

— Allez, murmura-t-elle, redresse-toi, redresse-toi, je t'en supplie…

Au dernier moment, alors qu'elle était certaine de s'écraser contre la baie vitrée du premier étage de la tourelle sous les regards effarés de ses occupants, l'appareil se releva subitement, exécutant un angle de quatre-vingt-dix degrés bien net. Sheyla serra les dents en tirant toujours le plus possible le levier, car elle rasait de bien trop près la façade de la tour, elle allait se scratcher…

Le bruit d'une explosion lui bombarda les tympans et elle vit la tour trembler sous elle tandis qu'elle s'effondrait sur sa base. Héhé. Comme elle l'avait prévu, la torpille n'avait pas été assez rapide pour virer sec comme ce bon vieux Delta-7. Et bien entendu, elle avait heurté la tourelle de plein fouet, détruisant toute la partie inférieure; à présent, sans attaches, la sommet de la tour dérivait dans l'espace, rougeoyante. Les flammes qui la dévoraient mouraient aussi rapidement qu'elles entraient dans cet univers dépourvu d'oxygène. Fort heureusement pour Sheyla, la tour dévia dans le sens opposé à son vaisseau, lui évitant de la heurter. Le Delta-7 New Aethersprite vibra un peu sous le coup de l'explosion, mais il ne fallut pas beaucoup de temps pour retrouver son équilibre. Sheyla souffla de soulagement. Elle était hors de danger pour quelques secondes. En-dessous d'elle, la tourelle implosa et ses débris s'éparpillèrent dans le vide de l'espace.

Un ordinateur de visée lui couvrant la moitié du visage, Teil fulminait. La bonne femme était rapide. Bien plus qu'il ne le pensait, en fait. Bien moins sûr de lui qu'au départ de la chasse, il décida de faire les choses plus manuellement : après tout, les torpilles à protons risquaient d'abîmer encore plus le Panther's Roar, ce qui naturellement déplairait au chef. Pas question de finir dans la gueule du Rancor comme on disait dans le coin. D'un autre côté, s'il n'abattait pas la grand chemin, il allait se faire sérieusement tirer les oreilles.

Rageant, il empoigna de nouveau la commande des tirs et son ordinateur verrouilla la petite cible. Il allait la chasser loin du Panther's Roar, afin de larguer les charges soniques sans risques. À cela, elle ne pourrait pas échapper, c'était certain.

Sheyla commençait à comprendre que le temps allait lui manquer. Pas question de s'arrêter cinq minutes pour passer en hyperespace : elle serait morte avant. Il lui fallait se débarrasser du chasseur ennemi si elle voulait avoir une chance de quitter le système en vie. Mais c'était lui qui se trouvait derrière, et pas elle. L'espoir… était la seule chose qui lui restait. Ainsi que la Force.

C'est alors qu'il se mit à tirer. Des rafales soudaines ébranlèrent l'espace autour d'elle. Il ne l'avait pas touchée… mais ce n'était qu'une question de temps. Heureusement, elle avait la Force en elle, et elle pouvait anticiper chacune des attaques lancées par l'Avenger 3000. Chaque tir, elle le sentait arriver, déchirant l'atmosphère de son esprit, et comme un réflexe naturel la Force dirigeait ses mouvements, obligeant le Delta-7 à changer de direction dès qu'il le fallait. Elle évita tous les tirs, et cela dura dix bonnes minutes d'intense concentration au cours desquelles elle crut mourir un bon nombre de fois. Les tirs lasers la frôlaient de très près bien souvent, passant devant ses fenêtres pour aller se perdre dans l'espace dans une étincelle de lumière rouge. Finalement, comme elle l'avait senti venir, l'un des tirs percuta l'arrière de l'appareil dans une secousse épouvantable. Les boucliers déflecteurs, touchés par l'explosion, vibrèrent légèrement, bourdonnèrent, puis s'éteignirent. Sheyla déglutit. Oh, Seigneur, pas maintenant, je vous en prie, pensa-t-elle dans un élan de foi soudaine. Elle n'avait pas peur de la mort, elle n'avait pas peur du tout, mais elle pensait à ce qui arriverait si elle ne parvenait pas à alerter l'Ordre de la menace. Comme avait dit l'homme, ce n'était peut-être qu'une question de jours, ou même d'heures. Il fallait qu'elle les prévienne. Et les enlèvements… Sollen et tous les autres étaient-ils aux mains des Sith ? Et si c'était le cas (ce dont elle était certaine), combien de temps leur restait-il à vivre ? Elle ne devait pas lâcher maintenant. Le Delta-7 ne devait pas lâcher maintenant, pas après ces huit ans de bons et loyaux services, il ne devait pas se laisser aller.

Elle accéléra un peu, sentant le déséquilibre dans son vaisseau. Il déviait ostensiblement sur gauche, vers l'arrière, là où le tir laser avait pulvérisé le générateur de défense. Et encore, si j'avais un droïde mécano, il aurait pu m'arranger ça… Mais non, c'était trop tard. Elle vit à travers la Force les dégâts causés par le coup : trop graves pour être réparés, de toute façon. Des pièces avaient été littéralemet annihilées, d'autres manquaient. Des fils gisaient, coupés, encore fumants, le circuit du générateur tout entier avait les tripes à l'air. C'était terminé pour les boucliers, au moins jusqu'à ce qu'elle trouve un endroit où se poser pour les faire réparer. Une boule monta dans sa gorge. Sans eux, il risquait de ne jamais y avoir d'endroit après Tatooine.

7

Steven Lako

Le commandant du Panther's Roar, Steven Lako, trouva le combat trop long. Pourquoi ne pas attirer le petit chasseur dans son rayon tracteur ? Après tout, cette petite garce avait détruit une de ses précieuses tourelles de vigie, et il était hors de question que cela se reproduise. S'il l'attirait, elle ne pourrait pas manœuvrer, et Vashneer n'aurait aucun mal à se débarrasser d'elle. Il allait mettre son idée à exécution, lorsque l'un de ses subordonnés vint le voir, la mine sombre.

— Une communication, mon commandant.

— Venant d'où ?

— De lui, mon commandant, répondit le lieutenant Shepard en tremblant.

Ah. Lako sentit la peur le gagner. Il détestait cela. Il avait l'impression d'être faible et inutile, soudainement. De n'être plus rien. Et pourtant, il dirigeait les opérations – du moins, le croyait-il. Il n'en était plus si sûr.

— Je viens, répondit-il finalement.

Il se rendit seul dans la salle de réception et se tint face à l'hologramme qui semblait attendre. Un homme vêtu de noir. Lako l'avait vu une ou deux fois en dehors des holoconférences, toujours habillé de la même façon. Il paraissait encore plus menaçant, dans cette transmission, nimbé de ce bleu transparent. Mais Lako ne laissa rien paraître de sa peur. Il l'avait appris depuis qu'il était entré au service de l'Empire. Rester de marbre, quoiqu'il arrive. Il ravala sa salive et se ne bougea pas d'un millimètre, conservant ce petit air hautain et ce rictus méprisant qui impressionait tant ses soldats.

— Bonjour, Dark Jullius.

L'autre n'apprécia pas. Dark Jullius, c'était son titre, oui. Mais il aurait préféré l'habituel « Seigneur Jullius ». Ce Lako devenait trop arrogant. Mais il avait besoin de lui, jusqu'à un certain temps.

— Bonjour.

Et paf. Pas un « commandant Lako ». Voilà qui le remettrait à sa place.

— Vous m'avez demandé ? répondit le commandant, son rictus s'élargissant.

— En effet. Un chasseur stellaire est dans votre secteur.

— Comme vous l'aviez prévu, persiffla Lako d'une voix qui trahissait le mépris absolu.

— Oui.

— Je l'ai fait prendre en chasse, comme vous l'avez suggé…, continua Lako.

— Je sais, coupa l'homme en noir d'une voix glaciale.

Lako sentit qu'il tremblait et se mordit la lèvre inférieure.

— Et que voulez-vous, alors ?

— Que vous le fassiez prisonnier. J'aurais besoin d'elle.

— Vous savez donc de qui il s'agit.

— Evidemment, que je le sais.

— Alors, on doit l'attraper, cette fouine.

— En cage.

— Je vois. Et ensuite ?

— Je vous dicterai mes directives.

— Bien.

— On s'est bien compris, Lako. Je dois vous laissez, d'autres affaires m'attendent avec…

— Vos prisonniers ?

La voix noire hésita un instant.

— C'est cela.

Le ton démoniaque de Jullius fit frissonner Lako. Il préféra ne pas s'épancher sur le sujet.

— Dans ce cas, au revoir, dit-il sans l'ombre d'un regret.

Il ne souhaitait pas rester en face de lui une seconde de plus. Dès que l'hologramme disparut, signe que la communication était éteinte, il quitta la pièce, en nage. Pourquoi donc parler avec ce type lui faisait l'effet d'être en plein soleil dans le désert de Tatooine, sans eau ni nourriture ? Un nouveau frisson l'assaillit et il passa une main poisseuse sur son front, en récoltant des litres de sueur.

Il reprit ses esprits, en chassant l'épais brouillard blanc qui s'y était installé. La sensation d'être à la fois glacé et en sueur disparut aussitôt qu'il eut franchi la porte automatique de la salle. Puis il retourna sur le pont, observant le combat qui se déroulait sous lui. Teil avait réussi à anéantir les défenses du chasseur Jedi, et ce dernier déviait sans cesse vers l'arrière gauche avant de reprendre brusquement une trajectoire normale. Lako pensa qu'il ne lui restait pas beaucoup de temps s'il voulait prendre son occupant vivant : Teil avant déjà entamé un feu croisé dangereux et le petit vaisseau qu'il filait fut obligé d'effectuer des zigzags brutaux dans les alentours de Chenini, l'une des trois lunes de Tatooine. Jusqu'au moment où l'un des tirs effleura le vaisseau, creusant une profonde marque dans l'aile droite qui s'enflamma une fraction de seconde. Le chasseur tangua dangereusement, si bien que Lako crut qu'il allait exploser, mais il tint la route et se redressa.

Lako les regarda encore un instant – bon Dieu, ce que Teil était rapide – puis il se retourna vers Shepard, toujours collé derrière lui dans l'attente des instructions.

— Shepard ? demanda Lako.

— Oui mon commandant ?

— Faites enclencher les rayons tracteurs du vaisseau et ouvrez le champ de force de la baie d'arrimage.

— Vous voulez la capturer, mon commandant ?

— Exact, répondit Lako avec son habituel rictus méprisant.

— Ça sera fait, mon commandant.

Lako jeta à nouveau un œil par les baies. Teil avait commencé à larguer des charges soniques dans le secteur de Chenini. Les bombes explosaient dans un bruit assourdissant qui faisent trembler le pont du Panther's Roar, allant même jusqu'à vous résonner dans les tympans puis le cerveau. Une cercle bleu électrique émanait du point d'éclatement. Teil et la Jedi se mirent à l'abris du souffle de la première, mais la deuxième qui explosa ébranla sérieusement le plus petit des deux chasseurs qui se mit à vriller – mais cette fois, la vrille n'était pas volontaire.

8

Et les étoiles s'éteignirent

Lorsque la première bombe sonore explosa, Sheyla crut un instant que ses tympans allaient être anéantis par la puissance du bruit, ou que le bourdonnement qui lui envahissait l'esprit allait la rendre folle. Sonnée, elle lâcha les commandes un instant ; le Delta-7 partit sur la gauche profitant de ce qu'elle ne le dirigeait plus, et sa tête heurta de plein fouet la vitre droite. La douleur la réveilla instantanément et elle reprit le manche à balai en main, constatant que le cercle bleu s'élargissant depuis le point de la déflagration détruirait tout sur son passage, et qu'elle se trouvait être dessus. Elle accéléra donc encore pour se sortir de là et s'éloigna au possible du chasseur ennemi, qui était à peu près aux chasseurs stellaires ce que les Ferrari étaient aux automobiles terriennes. Le bruit de l'explosion mourut lentement, sa tête cessa de bourdonner et il vit de nouveau clairement. Voyant que son poursuivant s'apprêtait à lancer un nouveau missile sonique, elle fit une embardée à l'opposé de l'Avenger 3000, et se retrouva nez-à-nez avec Chenini, le plus petit des satellites naturels de Tatooine. Elle pensa un instant à atterrir sur Chenini pour se cacher, mais il n'y avait pas de civilisation là-bas, ce n'était qu'un monde plat et vide, sans aucune cachette. Ses agresseurs auraient tôt fait de la retrouver. Et elle n'était pas du genre à se cacher.

Tout d'abord, il lui fallait trouver un moyen de partir : elle n'en voyait aucun. Le pressentiment se fit plus fort, celui qui lui hurlait que c'en était fini d'elle et de l'Ordre, mais elle fit taire ses démons aussi vite qu'elle les sentit revenir. Il y avait toujours de l'espoir, et elle allait s'en servir, jusqu'au bout.

Son adversaire tira de nouveau en un feu croisé pire que tout ce qu'elle avait essuyé jusqu'à présent, et elle fut obligée de louvoyer rapidement pour éviter les lasers. Ses avant-bras devenaient douloureux au fur et à mesure qu'elle serrait le manche pour redresser son appareil ou le faire virer : il suffit d'un moment d'inattention pour qu'un tir mieux placé que les autres frappe l'aile droite du New Aethersprite dans un « braoum » tonitruant. Le Delta-7 fut si violemment ébranlé qu'elle crut qu'il allait se mettre en vrille et s'écraser sur Chenini ; finalement, les mains rouges d'avoir tiré sur le manche au possible, elle réussit à le redresser.

En sueur, Sheyla soupira de soulagement. Cela ne dura pas longtemps, car l'ennemi recommença à tirer en voyant que son feu avait fait mouche ; pire encore, Sheyla remarqua le message d'alerte sur le tableau de bord, accompagné d'une sonnerie d'alerte rouge incessante : VOUS AVEZ ÉTÉ TOUCHÉ. DÉ GÂTS NON NÉGLIGEABLES. RÉACTEUR D'HYPERPROPULSION HORS CIRCUIT. GÉNÉRATEUR DE BOUCLIERS DÉFLECTEURS HORS CIRCUIT. CANON LASER DXR-10 DROIT HORS CIRCUIT. AILERON D'ATTAQUE DROIT REPLIÉ POUR ÉVITER DES DÉGÂTS PLUS IMPORTANTS. PROPULSION GRAVEMENT ATTEINTE PAR : FUITE DE CARBURANT.

Oups, pensa-t-elle. Beaucoup plus grave qu'elle ne le pensait, tout cela. Voire même critique. Sheyla redressa de nouveau le vaisseau qui penchait dangereusement, tantôt sur la gauche, tantôt sur la droite : on ne s'en rendait pas tellement compte dans l'espace, puisqu'il n'y avait ni haut ni bas, mais ses ordinateurs indiquaient les changements de position clairement. Et elle voyait à quel point son vaisseau ondulait. Elle le sentait ralentir aussi.

C'est à cause de cela que la charge sonique suivante lui explosa dans les oreilles de si près, pour cela que le chasseur partit en vrille sans qu'elle puisse l'en empêcher, secoué par la détonation. Son esprit commença à s'embrouiller, tandis qu'elle tournait sans pouvoir s'arrêter. Enfin, il lui sembla que l'horreur prenait fin : le chasseur ralentit et se remit à peu près droit. Elle secoua la tête pour y voir plus clair et reprit les commandes : c'était à peine si elles répondaient, mais c'était mieux que rien. Et puis, elle sentit une rage incroyable venant de son adversaire, une rage d'une puissance monstrueuse qui lui permit d'entendre ses pensées comme si elle était branchée sur son cerveau. Comment peuvent-ils faire ça je vais la tuer je ne vais pas simplement la canarder cette espèce de garce je voulais la trucider et je vais le faire peu importent les ordres… Elle ne comprit pas tout mais l'essentiel. Il fallait qu'elle revienne sur la planète, mais c'était impossible, elle n'aurait jamais le temps…

Les soleils semblèrent disparaître un instant, et Sheyla se retrouva plongée dans l'obscurité. Il lui fallut consulter ses caméras arrière (une seule marchait, sur les quatre originelles installées par Greeska) pour s'apercevoir qu'elle était dans l'ombre du gigantesque destroyer. Elle accéléra au maximum, mais le commandes semblaient ne plus répondre : le vaisseau exécuta un demi-tour lent sur lui-même, la mettant face au croiseur interstellaire qui se dressait devant les soleils de Tatooine tel une montagne imposante cachant la lumière du jour. Un frisson prit Sheyla lorsqu'elle se rendit compte qu'elle était prise dans le faisceau tracteur du destroyer. Elle vit l'une des baies d'arrimage grande ouverte, comme une bouche géante prête à la gober…

Teil ne l'entendait pas ainsi. La partie avait été amusante, l'adversaire doué. Il en avait sué, avait pris plaisir à la pourchasser. Coriace, pour sûr. Mais il était hors de question que cela se termine ainsi. Il allait achever cette épave – un miracle qu'elle volât encore – et il le ferait sur le champ. Il arma une torpille à protons et son ordinateur de visée verrouilla la cible. Je vais t'expédier dans l'enfer des fouineuses de ta race, petite garce, pensa-t-il avec un sourire satisfait, son doigt posé sur la commande de tir, n'attendant que le bon moment, lorsque le petit starfighter serait au centre de son viseur.

Enfin, l'occasion se présenta. Parfait.

Il pressa le bouton.

Sheyla vit la torpille arriver mais ne put rien faire. Lorsqu'elle essayait de faire demi-tour, elle avait l'impression de tenter de nager à contre-courant dans des rapides. Elle se concentra sur la Force, dernière chose qui lui restait, essayant désespérément de repousser la torpille, de la faire dévier… Elle sentit le missile ralentir tandis que les particules de Force s'enlaçaient comme des serpents autour de lui, mais pas assez… Elle se rapprochait trop, et cette fois, Sheyla n'avait pas d'échappatoire…

Le choc fut rude. La torpille frappa à l'arrière du vaisseau. L'explosion secoua le Delta-7 et son occupante comme des prunes. L'aileron d'attaque gauche vola en éclats dans un nuage de feu et d'étincelles et Sheyla eut le temps de voir ses débris heurter la vitre du cockpit et y creuser de dangereux impacts. Elle lâcha un cri lorsque le vaisseau partit dans une vrille mortelle, le genre dont un vaisseau ne rééchappe pas, la dernière avant l'impact final. Elle vit la baie d'arrimage du destroyer se rapprocher en tournant, mélange de couleurs grises et noires, dans le vide de l'espace, tandis qu'une odeur de fumée montait dans le cockpit et que les avertissements sonores du tableau de bord se faisaient plus stridents. Tout tournait. Le feu gagna l'habitacle et elle crut brûler vive avant qu'il n'explose. Le tourbillon infernal finit par s'arrêter dans un bruit assourdissant, le vaisseau entra en collision avec le sol métallique du hangar en y imprimant de profonds sillons incandescents. Il glissa sur quelques mètres en projetant des étincelles partout autour, rappelant l'espace d'un instant au cerveau confus de Sheyla le X-wing en flammes qui glissait sur le sol du hangar de la Cour des Miracles, propulsé par Rurk Sandberg.

Puis il heurta la paroi. L'avant de l'appareil s'écrasa littéralement contre le mur, la vitre du cockpit ne résista pas au choc et se volatilisa. Sheyla se couvrit le visage d'un bras dans un élan de lucidité qui lui évita de recevoir les débris fumants et volants de l'appareil dans la figure. Elle voulut sortir de l'appareil à demi en feu, mais elle se rendit compte qu'elle ne pouvait pas bouger. Une douleur aiguë lui labourait le dos pour lui remonter dans le cou, allant jusqu'à s'étendre dans ses bras et ses jambes. Jamais elle n'avait ressentie telle douleur, exceptée la fois qui avait précédé la fuite de Rurk, lorsqu'il l'avait laissée pour morte avec l'épaule gauche en lambeaux. Cette fois-là, elle avait eu l'impression qu'on lui avait enfoncé un tisonnier ardent dans une plaie à vif (ce qui n'était pas très loin de la vérité, d'ailleurs), mais maintenant, c'était plus la sensation d'avoir du plomb dans les entrailles. Elle se dit immédiatement : ça y est, j'ai la colonne vertébrale en miettes, je vais mourir dans quelques secondes, le temps que le vaisseau explose ou qu'ils viennent m'achever, je vais mourir et personne ne saura rien de leur alliance infernale, je vais mourir et je ne sauverai jamais Sollen, et je ne reverrai plus Luke et Leia et Han et Gena et Greeska et Jamila ni personne et ils vont tous mourir de toute façon et ça sera ma faute, j'ai échoué échoué échoué échoué

Sa tête souffrait le martyre, elle entendait encore le bruit de la charge sonique lui cingler les oreilles assorti du son de sirène du tableau de bord, est-ce qu'elle était en-dehors ou dans le vaisseau, elle ne savait pas – plus – elle sentait du métal brûlant sous sa joue et voyait le noir de l'espace entre ses yeux mi-clos. L'impression d'avoir le dos en compote s'intensifia, à tel point qu'elle ne ressentait plus rien d'autre – échoué. Et puis, tout d'un coup, elle fut incapable de penser, deux uniques mots résonnant dans sa tête – j'ai échoué – le noir de l'espace se confondit au reste et tout devint espace… puis les étoiles moururent et toute lumière disparut.