Chapitre deux : Shimizu

Ils marchaient, ensemble, tout simplement, main dans la main. Ses cheveux crèmes cascadaient au creux de ses reins. Elle était heureuse.

Ils étaient heureux.

Tout simplement…

Et puis tout avait explosé.

Elle était tombée à genoux, en larmes, à ses côtés.

Il était mort.

Son sang se mêlait lentement à la pluie qui s'abattait sur le sol.

Il était mort.

Plus rien n'avait d'importance.


Chuuou se réveilla en sursaut.

Elle paniqua un instant avant de s'apercevoir qu'elle était simplement dans son lit.

Elle soupira, se leva et commença à se préparer.

Elle avait mis son uniforme – il lui avait fallu trois semaines pour s'y habituer -, s'était lavée – dans l'idéal, c'est le contraire – avait fait son sac quand elle s'aperçut que son réveil n'avait pas sonné.

Chuuou se figea.

Non, c'était impossible…

Si. On était dimanche.

Chuuou poussa un très long soupir et troqua son uniforme de collège contre une tenue plus appropriée : un pull blanc très léger et un jean clair.

Elle raccrocha son discman à sa ceinture et mit une chanson au hasard.

Quelle serait l'humeur du jour ?


Je vis dans une maison,

Sans balcon,

Sans toiture,

Où y a même pas d'abeille sur les pots de confitures,

Y a même pas d'oiseau, même pas la nature,

C'est même pas une maison…


Chuuou sourit. Elle adorait cette chanson ! Elle fourra un livre au hasard dans son sac et descendit.
J'ai laissé en passant,

Quelques mots sur le mur,

Du couloir qui descend,

Au parking des voitures,

Quelques mots pour les grands,

Même pas des injures

Mais si quelqu'un les entend…


Kokaku et Majutsu dormaient encore, apparemment. La cuisine était plongée dans l'obscurité. Un vent frais soufflait dans la pièce.

Chuuou sourit, prit une brioche et du chocolat, son baladeur toujours en marche.


Répondez-moi… Répondez-moi…

Mon cœur à peur d'être emmuré entre vos tours de glace,

Condamné au bruit des camions qui passent

Lui qui rêvait de champs d'étoiles et de pluies de jonquilles

Pour s'abriter aux épaules des filles…


Elle descendit l'allée, passa le portail et erra un peu au hasard.

Il n'y a pas de hasard avec Chuuou. Mais à cette époque, elle ne le savait pas.


Osore s'était sauvé.

Il avait peur, il avait froid, il avait faim.

Alors il s'était sauvé, parce que c'était tout ce qu'il savait faire ; il s'était sauvé, il ne savait pas trop pourquoi, et il courrait, il ne savait pas trop pourquoi non plus.

Il trébucha, faillit tomber et comprit qu'il n'irait pas plus loin.

Alors il s'assit sur le bord du trottoir et enfouit la tête dans ses bras.


Mais la dernière des fées cherche sa baguette magique,
Mon ami le rui…
Chuuou coupa la musique. Un petit garçon aux cheveux blancs était assis au bord du trottoir, recroquevillé sur lui-même, le visage enfoui dans ses bras.

Chuuou s'assit à côté de lui et pencha la tête sur le côté.

Il sentait la peur…

Elle tendit une main vers lui.

Il sursauta et la fixa d'un air hagard.

Chuuou comprit que c'était un cousin à elle en croisant ses yeux noirs aux pupilles blanches.

« - Ça ne va pas, souffla-t-elle. »

Elle lui tendit sa barre de chocolat.

Il la prit et mordit timidement dedans.

« - Arigatou, souffla-t-il. »

Elle lui sourit.

« - Tu es un Magure ? »

Il hocha la tête.

« - Osore, se présenta-t-il. »

Chuuou grimaça intérieurement. Parfois, elle aurait bien aimé savoir ce qui poussait les parents Magure à donner des prénoms pareils à leurs enfants.

« - Je suis Chuuou Magure.

- Le centre ? souffla Osore. On m'a parlé de toi. On dit que tu es la plus puissante des enfants Magure.

- C'est un peu exagéré, assura Chuuou.

- Je ne crois pas, répondit Osore. »

Chuuou sourit, prit son mouchoir en tissu et essuya doucement ses joues.

« - Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-elle

- Je… J'avais peur, souffla-t-il.

- De quoi ?

- Je… Ils ont peur. Ils ont peur de moi. Mes parents. Ils… »

Osore frissonna et étouffa un sanglot.

Chuuou passa une main dans ses cheveux.

« - Pourquoi, souffla-t-il. Tu n'as pas peur ? Tout le monde… a peur de moi… Pourquoi tu n'as pas peur de moi ?

- Peut-être parce que tout le monde a peur de moi aussi. »

Osore releva les yeux vers elle. Le sourire de Chuuou s'était figé. Ses yeux fixaient un point qu'elle était la seule à voir et, l'espace d'une seconde, Osore vit en elle une adolescente bien trop sage pour son âge.

« - Ils ne veulent pas le montrer, expliqua Chuuou. Ils ne veulent pas me faire de peine. Mais je leur fait peur. Trop de pouvoir. Mes parents ont peur. Kokaku et Majutsu ont peur. Même Sen'nyu a peur.

- Tu vis chez Kokaku et Majutsu ? demanda Osore

- Oui.

- Ils sont gentils.

- Très. Ils sont adorables, tous les deux.

- Ils sont amoureux.

- Aussi. C'est pour ça que je les trouve adorables. »

Chuuou sourit et se leva.

« - Tu viens ? demanda-t-elle. Il fait froid. Il vaut mieux marcher. »

Osore se leva et s'accrocha à sa main.


Majutsu entra dans la cuisine en baillant. Pourquoi fallait-il se lever le matin ?

« - Maju-chan, nous sommes déjà l'après-midi, lui faisait remarquer Kokaku d'habitude. »

Mais pas aujourd'hui.

Kokaku était au téléphone.

« - Oui. Oui, dès que je le vois… Pas de problème. D'accord. »

Il raccrocha et se tourna vers Majutsu.

« - Osore s'est encore sauvé, ce matin, expliqua Kokaku.

- Ce matin ? Et ils n'auraient pas pensé à t'appeler plus tôt ? demanda Majutsu

- Pas maintenant, s'il te plaît. Il faut qu'on aille le chercher avant que… »

Majutsu leva une main et ferma les yeux trente secondes.

« - Attends… Chuuou est sortie. Elle va le trouver.

- Oh. Et s'il croise quelqu'un qui panique ? demanda Kokaku.

- On aura essayé. »

Majutsu sourit et se servit un thé.


Osore et Chuuou marchaient depuis un bon moment quand le petit garçon s'arrêta net.

« - Il y a quelqu'un qui a peur… Tout près… »

Chuuou haussa les sourcils.

Une jeune fille aux cheveux bruns et aux yeux gris marchait dans leur direction.

Elle s'arrêta devant eux, sourcils froncés.

« - Chuuou ? demanda-t-elle. Qu'est-ce que tu fais là ?

- Euh… Qui… commença Chuuou

- Oh. Tu ne te souviens pas ? demanda la jeune fille. Tu as une photo pourtant…

- Une photo… Deux secondes… »

Chuuou fouilla dans sa mémoire. Les photos qu'elle avait sur sa table de chevet. Elle devait se concentrer là-dessus.

Elle ne retenait pas les visages, mais elle se souvenait des photos, très bien même.

« - Ka… Kagura-sempaï ! bredouilla Chuuou. »

Kagura lui souriait.

Oui, Chuuou se souvenait. Kagura était en dernière année de collège, et elle faisait partie de l'association des élèves, c'est pour cela que Chuuou l'avait prise en photo.

« - Que… Qu'est-ce que vous faites par ici ? demanda Chuuou.

- C'est plutôt à moi de vous poser la question, à tous les deux ! s'écria joyeusement Kagura. Vous ne savez donc pas où vous êtes ?

- Euh… Non, souffla Osore.

- Hmm ? Qui est-ce ? demanda Kagura

- Osore Magure, répondit Chuuou. Un cousin.

- Enchantée. Je suis Kagura Soma.

- Ily a des Soma partout, dans cette ville, fit remarquer Osore.

- Pourquoi ? Tu connais un Soma ? s'étonna Kagura

- Non. Mais Ryuu et Heiki sont tous les deux dans la classe d'un Soma, et Nyuuva de deux, répondit Osore.

- Alors on peut dire le contraire aussi ! remarqua Kagura. Il y a des Magure partout !

- C'est vrai aussi, sourit Chuuou. Alors, on est où ?

- Vous êtes dans l'enceinte du manoir Soma ! répondit Kagura. C'est une propriété privée !

- Comment on a fait pour rentrer sans s'en rendre compte ? s'étonna Osore

- Sempai, vous alliez voir quelqu'un ? demanda Chuuou »

Kagura se tourna vers elle.

« - Oui. Comment tu le sais ?

- Je ne sais pas. Une impression. »

Kagura éclata de rire.

« - Tu es bizarre, Chuuou !

- On me le dit souvent, répondit Chuuou.

- J'ai rendez-vous avec un ami. D'ailleurs, il doit m'attendre ! Allez, j'y vais ! »

Elle les salua et les dépassa.

« - Il te fait peur, souffla Osore. »

Kagura s'arrêta net.

« - Hein ? »

Chuuou se tourna vers son cousin. Osore fixait intensivement Kagura, les yeux dilatés par la frayeur.

« - Il te fait peur, répondit Osore. Celui que tu vas voir. Il te fait peur. Pourquoi tu vas voir quelqu'un qui te fais peur ?

- Nnon. Tu te trompes. Je n'ai pas peur de lui, souffla Kagura.

- Si.

- Osore… commença Chuuou.

- Si, tu as peur, poursuivit l'enfant. Pourquoi…

- JE N'AI PAS PEUR ! s'écria Kagura. »

Mais elle avait baissé la tête, et Chuuou crut voir une larme perler au coin de ses yeux.

Osore serrait la manche de Chuuou de toute ses forces.

L'adolescente cilla.

Il y avait un problème.

« - Kagura…

- Je n'ai pas peur, répéta cette dernière, plus calmement.

- C'est bon. J'ai compris. Osore…commença Chuuou

- Si. Si, elle…

- Ça va. N'insiste pas. »

Pas maintenant, en tout cas. Parce qu'elle voyait arriver quelque chose qui n'était pas de très bon augure.

Kagura parut se détendre.

« - C'est quoi, cette famille ? demanda-t-elle. »

Chuuou sourit.

« - Vous pouvez garder un secret, Kagura-sempaï ?

- J'ai l'habitude ! répondit Kagura. »

Chuuou fronça les sourcils, se demandant de quoi elle voulait parler. Mais ce n'était pas vraiment le moment.

« - Tous les enfants Magure naissent avec un… pouvoir, expliqua Chuuou.

- Un pouvoir ? Dans le genre, voler, respirer sous l'eau, ou…

- En général, c'est plus abstrait, sourit Chuuou. »

Kagura sourit, tout en se demandant si elle devait prendre Chuuou au sérieux ou bien lui conseiller d'aller voir un psy.

« - Mais ces pouvoirs sont assez durs à contrôler. Bref, acheva Chuuou, tout ça pour vous dire qu'Osore peut ressentir la peur des gens, qu'il ne peut sûrement pas s'en empêcher, donc, excusez-le ! »

Kagura hocha lentement la tête. Après tout, ce n'était pas plus délirant que le secret des Soma.

« - Et… Quel est ton… pouvoir ? demanda-t-elle

- C'est le centre, répondit Osore à la place de Chuuou

- Le centre, répéta Kagura. Oui, bien sûr, c'est évident, c'est le centre…

- Le contrôle des possibilités, développa Chuuou.

- Bien sûr, reprit Kagura. Le contrôle des possibilités. Oui, je comprends…

- Non. Je ne crois pas, souffla Chuuou.

- Quel don d'observation.

- En fait, disons que ça peut être bien ou pas, ça dépend, s'il fait chaud et que je me dis que j'aimerais bien une glace je peux faire vraiment apparaître une glace, expliqua Chuuou. Mais ça peut être assez embêtant… si je suis en montagne et que je me dis qu'il pourrait y avoir une avalanche, et bien… »

Une grondement retentit dans tout le manoir Soma.

Une vague de neige recouvrit entièrement le domaine, engloutissant tout sur son passage.

Chuuou, Kagura et Osore eurent de la chance : ils purent se mettre à l'abri assez vite.

« - Euh… C'était quoi ça ? demanda Kagura.

- Oups. Désolée, s'excusa Chuuou.

- Redoutable… souffla Osore. »

Chuuou soupira. Si elle pouvait déclencher des avalanches sans être en montagne, qu'est-ce que ça serait si elle pensait à…

« - Ne pense pas à ça ! s'écria Osore. »

Chuuou soupira de nouveau et se concentra sur ses deux amis – c'est tout ce qu'elle avait sous la main.


L'histoire du manoir Soma enseveli sous la neige en plein mois de mars fit beaucoup de bruit.

Kokaku soupira et se tourna vers Majutsu.

« - C'est malin, remarqua-t-il.

- Ben je savais pas qu'elle était si forte moi ! »

A suivre...

Shimizu : eau de source ce qui n'a aucun rapport avec ce qui se passe dans le chapitre mais c'est pas grave...
Arigatou : merci
Osore : peur