Silence.
Ginny me regarde abasourdie. Elle ne peut pas croire
que j'ai proféré de telles paroles.
Je ne les
retirerais pas pour autant. Je sais que ce que j'ai dit est fou, mais
c'est néanmoins vrai.
Je n'ai pas rêvé. Même
si j'étais encore perdu dans les méandres de la voix
des morts, je n'ai pas rêvé.
Mes fantômes. Oui, je sais. J'ai faillis à ma
promesse. Je ne les ai pas domptés. Ils ont, au contraire,
envahit ma vie de manière permanente. Nous ne nous parlons
presque plus Ginny et moi à cause de cela.
Elle pense que
je vis dans le passé.
Comment lui faire comprendre que la voix des morts n'est pas la
voix du passé. Mais une voix présente, à chaque
instant, répandant sa rumeur incendiaire depuis mes entrailles
jusqu'à mon cerveau. Allant même parfois jusqu'à
me diriger.
C'est elle qui m'a fait prendre le chemin du jardin,
ce matin. Elle encore qui, alourdissant mes paupières de son
murmure effréné, m'a laissé endormi derrière
le buisson sous le sycomore.
Un étrange chuintement m'a
réveillé. Une langue que je n'avais plus entendue
depuis bien longtemps.
- Viens, petit serpent. Viens.
Appuyé contre le
tronc du grand arbre, je n'ai même pas eu à bouger pour
voir à travers le buisson. La voix des morts m'avait amené
à l'endroit parfait.
Il était là, assis dans
le jardin, une vipère lui faisant face.
- Viens près
de moi. Viens jouer avec moi.
Quelque chose d'étrangement doucereux dans son ton et son
attitude m'a fait resté silencieux. Quelque chose, la voix des
morts sûrement, me disait que j'allais découvrir quelque
chose qu'il gardait pour lui seul.
- Viens, petit serpent.
Deviens mon ami.
L'espace d'un instant, j'ai été tenté de me lever d'un bond et de le rejoindre. Je ne voulais pas savoir. Peux importe le secret, je ne voulais pas le voir. Je savais que si je restais contre le sycomore, ma vie serait bouleversée à jamais. Je ne voulais pas. Ma vie est déjà bien assez compliquée comme ça. Ma vie et par extension, celle de Ginny. Je ne l'ai pas rendue aussi heureuse que je l'aurais voulu. Nous avons dérivé, chacun dans nos sphères respectives, bien loin l'un de l'autre. Je savais que si je voyais ça, je la perdrai à jamais. Je suis pourtant resté immobile.
- Ami? Tu voudrais être mon ami?
Comme hypnotisé,
le serpent a avancé vers lui. Son petit corps gracile semble
flotter sur l'herbe verte. Il avance par à-coup. Avance,
s'arrête, puis avance encore. Il contourne celui qui l'appelle
pour arriver directement à portée de sa main.
Vif comme l'éclair, Sirius l'attrape.
Le petit serpent
s'enroule gracieusement autour de son poignet en émettant
quelque sifflement de protestation.
- Attention. Ne sers pas si
fort. Je suis plus fragile que toi.
La main s'assoupli. Il
joue un instant avec son nouvel ami. Le serpent semble presque
content de cette fraternité. Il remonte lentement le long du
bras du garçon et ondoie sur son épaule.
- Hihi,
tu me chatouilles, petit serpent. Reviens dans ma main.
Confiante
une fois de trop, la vipère s'exécute. La main se
referme tel un étau de fer sur la petite tête plate.
Elle siffle de colère et de douleur.
- Arrête ! Tu
me fais mal, petit d'homme. Arrête, nous sommes amis.
-
Amis? Non, tu n'es rien, rien d'autre que de la viande froide, petit
serpent.
Le ton est dur, froid. Bien trop mature pour un
enfant de 9 ans.
Serrant de toutes ses forces, il explose le petit
crâne dans son poing. Il ouvre la main et contemple les restes
dégoulinants de la vipère en souriant. Une flamme rouge
s'allume au fond de son regard.
Je n'ai pas tout raconté à Ginny. Je lui ai juste
dit que notre fils unique avait un comportement bizarre, avec
peut-être une tendance à la cruauté. Qu'il
fallait juste le surveiller d'un peu plus près.
Mais Ginny
me regarde toujours dans un silence douloureux. Elle me croit fou.
Elle ne me croit pas.
Peut-être aurais-je du me taire.
